Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 28-06-2014 16:58
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Ce qu’il faut savoir sur la guerre – Partie II : Les causes des guerres – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Ce qu’il faut savoir sur la guerre

2ème Partie : Les causes des guerres

par Jean-Jacques Wondo

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Après avoir, dans la première partie, essayé de définir la guerre en la différenciant du conflit et en expliquant ses objectifs avec une illustration rapportée à la guerre menée par le M23 (http://afridesk.org/strategie-ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-1ere-partie-rwandam23-jj-wondo)/, nous aborderons dans cette partie thématique les causes qui poussent les Etats à faire la guerre. Pour DESC, il est important d’expliquer au public la place de la guerre (donc de l’armée) dans le fonctionnement d’un Etat. C’est l’ignorance de la pertinence de cette notion qui conduit trop souvent plusieurs ‘pseudo)-Etats, à majorité africains, à s’effondrer (failed states).

Vouloir tenter d’attribuer une cause unique aux guerres est illusoire. Les causes sont non seulement multiformes mais interagissent constamment entre elles.

Dans ses rapports et ses interactions avec les autres Etats, lorsqu’un État, recherchant à maximiser des intérêts nationaux, ne parvient pas à imposer sa volonté sans faire usage de la force, la relation peut se traduite en un conflit qui peut progressivement gagner en intensité et en envergure, pour peut-être même se transformer en guerre. Quand la diplomatie ne fonctionne plus, les relations se concentrent de plus en plus sur la stratégie militaire – tout d’abord sous forme de course aux armements, puis pour la manœuvre en vue d’acquérir des avantages stratégiques même au risque de confrontation et, finalement, de la guerre elle-même. »

Les causes de conflit sont vieilles comme le monde. Les conflits découlent souvent de revendications de territoires, surtout à cause des ressources qu’on y trouve. Ils sont exacerbés par des émotions et des sentiments humains comme la peur, l’appât du gain, la haine et l’ambition, alliés à des intérêts politiques, économiques, ethniques, nationalistes et autres enjeux religieux. À l’heure actuelle, la plupart des conflits ont tendance à être «intra-États» et à découler de discordes religieuses, tribales ou ethniques (comme c’est le cas à Chypre, en Irlande du Nord, dans l’ex-Yougoslavie, en Cote d’Ivoire, au Soudan, dans certains pays du Sahel et de l’Afrique centrale).

Les causes rationnelles
Les causes rationnelles des guerres résultent directement d’un désir ou d’un problème concrets et clairement identifiables, que rencontrent un pays, et qu’il faut bien chercher à résoudre jusqu’au moyen ultime que représente la guerre. Ces causes sont d’une grande diversité, et ne sont pas à négliger dans la genèse de l’apparition d’une guerre : avantages géopolitiques, protection de biens essentiels (pétroles, terres), expansion territoriale, accroissement ou maintien du pouvoir en place, profit, problème démographiques, dégradation économique, réponse à une menace plus ou moins réelle, invasion directe du territoire, etc.

Les études statistiques démontrent que, de tous temps, la guerre est plus intense et fréquente dans le voisinage de groupes ou de pays bellicistes– Dans sa « complainte de la paix », (15° siècle) Érasme notait déjà que les princes avaient la fâcheuse habitude de provoquer une guerre quand ceux-ci sentaient leur autorité faiblir… Une situation qui n’est pas loin de celle qui prévaut dans les Grands-Lacs africains.

Beaucoup l’ignorent, mais la paix ne constitue en effet pas toujours pour un pays une solution politique « de facto » (même si ses dirigeants ne l’avouent jamais en public). Elle aussi comporte ses dangers – mauvais choix économiques, mécontentement des populations, résultats aléatoires obtenus sur le long terme. La guerre, malgré ses risques évidents, restera encore longtemps pour un État, même moderne, une solution rationnelle à ne pas négliger pour, de façon plus rapide et plus sure, accumuler des richesses ou avantages de toutes sortes, où résoudre des problèmes. (À la recherche des lois pacifiques de la guerre, Sauveur Fernandez, 2004)

Cependant, Ces causes « logiques » ne suffisent pas à expliquer à elles seules l’apparition d’une guerre…

Les causes dites irrationnelles
La guerre répond aussi à des exigences psychologiques et irrationnelles profondes, qui n’ont plus grand chose à voir avec une quelconque rationalité, et qui sont au fond les véritables facteurs de déclenchement et de maintien des guerres :

– la première guerre mondiale fut déclenchée dans un esprit de Guerre Sainte : les gouvernements alliés ont présentés l’Allemagne comme étant l’Obstacle unique à l’avènement de la « Paix Universelle et Éternelle ». Les rancœurs accumulées par les guerres passées (défaite de la France en 1871) ont fait le reste…

Hittler lui-même était un partisan fanatique du nationalisme conçu comme religion de la guerre. La guerre fut pour lui une expérience d’une intensité religieuse. (6)

Explorons un peu plus en avant les tréfonds de la nature humaine :

L’homme est-il violent de nature ?

S’interroger sur les causes profondes des guerres revient d’abord à poser la question de la nature fondamentale de l’homme : bon ou mauvais ? Qui à raison, Jean-Jacques Rousseau Rousseau, ou Thomas Hobbes ? (À la recherche des lois pacifiques de la guerre, Sauveur Fernandez, 2004)

Si la guerre est une continuation de la politique par d’autres moyens, le théoricien du courant néoréaliste des relations internationales, Kenneth Walz (Man, the State, and War, 1954) s’interroge, au travers d’une variété d’auteurs, sur les causes majeures des guerres. Il en isole trois images interdépendantes qui, à ses yeux, constituent les racines fondamentales de la guerre : a) la nature et le comportement humains, b) la structure interne des Etats et c) le système international.

La première image explique l’origine de la guerre dans la nature et le comportement de l’être humain. Il s’agit là d’une approche proche de la théorie de l’anthropologie criminelle développée par les italiens, précurseurs de la criminologie moderne, Cesare Lombroso (1835-1909), Raffaele Garofalo (1851-1934) et Enrico Ferri  (1856-1929) au 19ème siècle avec la notion de « criminel-né ou type » de Cesare Lombroso  et exposée dans les différentes éditions de L’homme criminel (1876). Pour Lombroso, le type criminel est un individu atavique et amoral commettant des forfaits par nécessité biologique. Il présente certains traits anatomiques (forte mâchoire, arcades sourcilières proéminentes…), psychologiques (insensibilité à la douleur…) et sociaux (tatouages, argot…) qui le rapprochent du sauvage. 

Ainsi, la guerre proviendrait avant tout de l’égoïsme, des pulsions agressives ou de la stupidité de l’homme ; pour Saint Augustin, le pêché triomphe de l’amour, tandis que pour Spinoza la passion triomphe de la raison. Au cœur de cette image, les optimistes pensent qu’il est possible de changer l’homme pour le rendre bon, doux et intelligent, tâche considérée comme impossible par les pessimistes. La possibilité d’attribuer n’importe quel comportement à la nature humaine, de l’acte le plus violent à la bonté la plus grande, fait douter de la pertinence de cette image. De plus, les solutions proposées pour modifier la nature humaine par les sciences du comportement apparaissent au mieux comme utopiques, au pire comme naïves, même si l’on peut difficilement croire à l’inutilité d’une éducation mettant en avant les valeurs de tolérance, d’ouverture et de rejet de l’axiologie guerrière. K. Waltz consacre un chapitre complet à ces sciences du comportement (anthropologie, sociologie, psychologie).

La seconde image développée par la pensée politique classique attribue l’origine des guerres aux structures politiques des États. Il existerait ainsi de « bons » et de « mauvais » États. Deux écoles sont principalement envisagées par K. Waltz : le libéralisme et le socialisme.

Le libéralisme concerne un monde constitué d’États démocratiques commerçant librement serait un monde de paix. Il s’agit du monde du type post-westphalien dans lequel la guerre semble avoir durablement cessé d’être une perspective acceptable et un régulateur des équilibres, selon le schéma de la paix universelle décrit au XXIIIème siècle par Emmanuel Kant, de sorte que les Etats y semblent bel et bien sortis de l’état anarchique hobbesien (Le Léviathan relate l’aventure politique moderne à partir de l’état primitif de l’homme, que Hobbes décrit comme un état de “guerre de tous contre tous”, dominé par la bestialité des rapports.

Et c’est à partir de ce postulat, “l’homme est un loup pour l’homme”, que le philosophe Anglais » bâtit sa théorie du Léviathan : “Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront.), pour constituer comme société ou une « famille de nations ». Il considère avant tout les Etats de l’ensemble occidental, Europe, Etats-Unis, auxquels il faut ajouter le Canada et l’Australie, la plupart étant d’ailleurs réunis au sein d’une même alliance militaire, l’ l’OTAN comme faisant partie de cette catégorie d’Etats qui ne peuvent plus se combattre mutuellement.

Le socialisme vise à la paix par l’élimination du capitalisme et des États eux-mêmes. À une époque où la guerre froide battait son plein (1951), K. Waltz entendait démontrer que le socialisme n’apporterait pas la paix, et que des États socialistes pouvaient s’affronter. Quelques années plus tard, le conflit sino-soviétique devait renforcer sa thèse. Plus intéressant est son rejet de la paix démocratique, actuellement très à la mode. Sur une base théorique, il ne voit pas ce qui empêcherait, sans gouvernement mondial, des États démocratiques de se faire la guerre.

La troisième image, envisagée avec le plus de faveur par K. Waltz, se fonde sur les écrits de Jean-Jacques Rousseau. La guerre trouverait son origine dans la structure du système international : l’anarchie, c’est-à-dire l’absence de toute autorité au-dessus des États. S’inspirant de la théorie des jeux, qui commençait seulement à être appliquée dans l’étude de la politique internationale, K. Waltz entend démontrer le danger pour tout État d’adopter une attitude coopérative. Cette théorie est maintenant devenue un classique de la pensée réaliste qui considère les rapports entre les Etats comme étant basés sur leurs seuls intérêts, à défendre ou à obtenir à tout prix. Dès lors, la seule solution pour un État, en dehors de la création d’un gouvernement mondial – solution qui serait proposée par les optimistes adhérant à cette image –, est de suivre le mécanisme de l’équilibre des forces.

Pour Waltz, ces trois images sont essentielles à la construction de la puissance d’un Etat, mais il attribue exclusivement au troisième, (le système des Etats, appelé aussi le système international) le pouvoir de prédire l’issue des relations étatiques. En ce sens, la caractéristique intrinsèque des Etats, pas plus que les intentions des hommes ne peuvent expliquer indépendamment l’état pacifique ou belliqueux des relations interétatiques. La tentative de bâtir un Etat puissant peut donc dépendre des hommes et des conditions nationales, mais l’emploi – le succès ou l’échec – de cette puissance dépendra de sa position dans la structure internationale et de ses interactions avec les autres Etats.

Waltz opte donc pour une conception « systémique » de la théorie des relations internationales qui veut que les causes de la guerre soient inscrites dans une dynamique contextuelle et interactive des relations entre les Etats. Les guerres des Grands-Lacs s’inscriraient, selon nous, dans cette dynamique.

De son côté, suivant la même approche réaliste, parlant de la notion de sécurité, le politiste et polémologue britannique Barry Buzan, considérant la sécurité comme étant une réalité beaucoup plus complexe, propose de lui associer trois réalités que sont : l’Etat, l’individu et le système international. Le lien entre les trois, selon lui, est que la sécurité de l’individu et du système international dépend de celle des Etats.

Dans son raisonnement, contrairement à Waltz, Buzan soutient que la force et la faiblesse des Etats dépendent de leur niveau de stabilité institutionnelle et de leur cohésion sociopolitique interne et que l’intégration humaine est perçue comme préalable à la recherche de la sécurité, d’autant que cohésion sociopolitique au sein d’un Etat dépend du degré de sécurité et de bien-être du citoyen. Dans ce cas, la sécurité des Etats et celle du système international dépendent aussi des individus (dont les autorités politiques), puisque ce sont eux, qui peuvent déstabiliser les Etats au travers de la mal gouvernance, de l’organisation des mouvements de contestations, des rébellions et autres actes subversifs ou terroristes. Et l’analyse de ce raisonnement ressort l’idée de l’existence des liens d’interdépendance entre l’individu (responsable politique ou citoyen), l’Etat et le système international. D’où sa thèse : «la création d’Etats plus stables est une condition nécessaire, à la fois pour la sécurité nationale, pour la sécurité individuelle et pour la sécurité internationale.

Il faut donc que des motifs politiques valables servent de base à la préparation de la guerre et au déroulement de chacune de ses phases. Opter pour la guerre est la décision politique et militaire la plus lourde de conséquences que peut prendre un État ou une entité, étant donné les très grands dangers inhérents, y compris subir la défaite et encourir des pertes catastrophiques, comme ce fut le cas pour l’Allemagne et le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale ou encore pour l’Irak après l’invasion du Koweit en 1990. Il est également difficile de se sortir d’une guerre avant la fin, étant donné qu’une fois le processus enclenché, celui-ci acquiert une dynamique imprévisible qui lui est propre et en vertu de laquelle les choses doivent se rendre à terme.C’est le cas des Etats-Unis qui, après avoir déclenché la guerre contre l’Irak ou les talibans, peinent à en sortir facilement. Aujourd’hui, leurs passages ont laissé deux Etats faillis, où les milices religieuses continuent de faire la loi.

La pensée stratégique contemporaine a cessé de considérer que l’art de la guerre consistait à préparer l’ultime bataille qui déciderait de tout. La bataille ou le choc militaire n’est pas systématiquement recherché dans un conflit entre deux entités. Au XVIIème siècle, le maréchal de Saxe recommande de l’éviter, sauf si l’on est absolument sûr de l’emporter. La bible recommande d’ailleurs à un roi d’envoyer ses émissaires pour aller négocier lorsqu’il a en face de lui une armée plus forte que la sienne. Mais l’école qui cultive à merveille cette méfiance remonte à l’Antiquité. Le théoricien chinois Sun Tzu, au IVème siècle av. JC., considère qu’il faut tout faire pour soumettre l’ennemi sans combat et également au IVème siècle de notre ère, le Latin Végèce déconseille aux généraux d’engager leurs forces dans ses actions générales, sauf absolu nécessité.

À la guerre, les «activités» peuvent aller de la bataille intense entre deux forces militaires d’envergure, s’en prenant l’une à l’autre par suite d’une déclaration officielle d’ouverture des hostilités et disposant de toutes les ressources nationales mobilisables, à l’hostilité insonore débouchant à peine sur la violence. À cause des horreurs dont la guerre peut être la cause, ainsi que de ses conséquences habituellement imprévisibles et non souhaitées, il faut, avant de la déclencher, prendre tous les moyens (politiques) raisonnables pour résoudre les différends et préserver la paix.

Jean-Jacques Wondo / Exclusivité DESC

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