Ce qu’il faut savoir sur la guerre
Partie I : Le conflit, la guerre et ses objectifs
tactiques et militaires
Cas du Rwanda/M23
391 è Batallion FARDC d’infanterie légère formée par US Army au_Camp_Base,_Kisangani_2010-05-05_1
Par Jean-Jacques Wondo
La guerre et la chose militaire sont devenues des réalités inhérentes à la société contemporaine, omniprésentes dans l’histoire de l’humanité et nos cultures comme dans les informations. Elle est devenue le lot quotidien des congolais. Mais c’est quoi une guerre ?
L’objet de cette analyse synthétique tirée de l’ouvrage « Les Armées au Congo-Kinshasa » et d’un prochain ouvrage à paraître, n’est pas de fournir une définition détaillée de cette notion polysémique, difficile à cerner et à fixer, tant ses manifestations semblent évoluer en fonction du contexte et du temps. Ainsi, en termes juridiques, par exemple, l’expression « droit de la guerre » a cédé le pas à celle de« droit des conflits armés », et d’ailleurs le synonyme de « guerre », le plus fréquemment employé aujourd’hui est bien celui de « conflit armé« . Or ce synonyme n’en est pas un, car si toute guerre est un conflit, l’inverse n’est pas nécessairement vrai dans la mesure où toutes les situations conflictuelles ne débouchent pas obligatoirement à une confrontation armée exigeant un recours à la force. La tension qui en résulte peut évoluer vers l’hostilité, qui appelle la violence, mais le conflit peut aussi se résoudre par la négociation. (Widemann, Th., 2012).
Différence entre un conflit et une guerre
Le conflit peut alors se définir globalement comme un affrontement, une confrontation, ou une opposition (d’idées ou physique) où chaque partie (personne/groupe) manifeste son hostilité généralement pour l’obtention d’une même ressource (naturelle, géographique, politique, économique, sociale, stratégique, etc.). Le but du conflit est donc d’imposer sa volonté à un opposant ou à un adversaire. Dans les conflits inter-états, et même dans ceux intra-Etats, les moyens d’imposer sa volonté comprennent des mécanismes diplomatiques, économiques et politiques, de même que le recours ou la menace de recours à la violence via une force militaire. Il importe toutefois de comprendre qu’en cas de conflit, l’intervention militaire n’est qu’un des outils dont dispose un État ou un groupe pour imposer ses vues. De préférence, le but visé devrait être atteint par des moyens non militaires.
Un conflit peut être latent (caché) ou ouvert. L’objet de tout conflit ouvert est de modifier le rapport de forces existant entre les parties concernées. Les conflits ouverts entre États sont moins fréquents à cause des mécanismes internationaux permettant de les résoudre ou de les limiter, et du danger qu’ils ne dégénèrent en guerre non désirée. Les conflits entre États qui perdurent et qu’on ne parvient pas à régler de façon pacifique ou à résoudre de manière décisive par la force – comme ceux opposant Israël et la Syrie, l’Inde et le Pakistan ou encore les deux Corée – ne se propagent habituellement pas, à cause d’autres facteurs comme l’influence d’une grande puissance. Même quand on parvient à le circonscrire, un conflit demeure un environnement éminemment instable, exigeant une gestion de tous les instants. Il faut ainsi qu’une tierce partie offre des garanties et, souvent, l’intervention directe d’une force de maintien de la paix de l’ONU ou de coalition multinationale est nécessaire. Enfin, tout conflit ne mène pas nécessairement à l’emploi de la violence physique externe. La grève, le boycott, la stratégie politique de non-violence, le pacifisme, l’embargo constituent des formes de manifestations externes d’un conflit sans recours à la violence physique.
Tentative de définition de la guerre
Lorsqu’un conflit atteint un niveau où l’on a recours à la force armée, les interventions diplomatiques et les négociations deviennent plus difficiles, et l’on se montre moins conciliant. De plus, il peut arriver qu’une des parties en présence ou les deux estime(nt) qu’elle(s) n’a (ont) pas d’autre choix que de faire la guerre pour arriver à ses (leurs) fins. Ainsi, la guerre représente à la fois une escalade et une évolution du conflit, et revêt un caractère politique clairement défini. En effet, la guerre peut être vue comme une catégorie ou un sous-élément du conflit. C’est en fait la dimension politique très nette de la guerre, pouvant être présente ou non dans un conflit, qui nous amène à l’envisager comme une condition et une activité distincte du conflit. Il s’agit en fait d’une entreprise politique et militaire de nature stratégique comportant le recours aux ressources militaires et autres d’un Etat contre un ennemi, pour l’atteinte d’un but politique.
Dans sa conception classique, la guerre reste du ressort des Etats, en tant qu’entités géographiques territoriales bien délimitées, administrées politiquement. C’est ainsi que selon le théoricien Clausewitz, qui a analysé les guerres napoléoniennes du 19ème siècle, la guerre était devenue une affaire nationale (Etat-Nation) en ce sens que « c’est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». La guerre apparaît donc comme un moyen parmi d’autres d’atteindre un objectif politique, en exerçant une contrainte plus ou moins brutale sur une entité extérieure. Cette entité, et nous sommes au cœur de l’essence de la notion de guerre, serait nécessairement de nature à la fois étatique et nationale. (Widemann, Th., 2012, 14). D’où la notion de défense nationale qui fait référence à la défense d’un territoire géographique bien délimité géographiquement et organisé en Etat.
Cette thèse est d’autant renforcée que dès le XVIIIe siècle déjà, Jean-Jacques Rousseau précise dans le Contrat social que « la guerre n’est point un rapport d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat ». Cette définition de la guerre comme conflit armé entre Etats souverains demeure une référence généralement admise par les politologues et polémologues, même si cette notion a vu son interprétation évoluer et changer au cours de l’histoire, au point de susciter une certaine confusion parmi les stratégistes et les experts, notamment lorsqu’on fait référence à la guerre contre le terrorisme que nous expliquerons dans une analyse ultérieure.
En bref, ce qui caractérise la guerre est l’emploi de la violence, c’est-à-dire qui opère des destructions physiques et psychologiques sur des personnes, toute violence n’est pas guerre. Ainsi, la guerre peut se définir comme un acte collectif, se distinguant en cela du duel ou du crime, et plus précisément comme le fait d’une collectivité organisée = l’Etat. (Widemann,, Th., 2012, 14).
Buts de la guerre
L’objectif de la guerre est de remporter une victoire ou de rétablir une paix satisfaisant aux conditions ou aux fins politiques fixées par les autorités politiques concernées. La bataille armée (= le combat), livrée en fonction d’une stratégie visant à défaire les forces ennemies, constitue l’instrument ou le moyen de la structure politique et de sa volonté de vaincre cet ennemi. Contrairement à ce qui se passe quand il y a uniquement conflit, la diplomatie joue un rôle beaucoup moins grand. Cela vient du fait que l’autorité politique se lançant sur le sentier de la guerre décide en connaissance de cause d’atteindre son but par des moyens militaires. Les diplomates peuvent toutefois être appelés à jouer un rôle plus actif en cas d’impasse militaire ou dans les dernières phases de la guerre, lorsqu’il devient nécessaire d’établir les conditions d’un cessez-le-feu, d’un armistice ou d’une reddition.
De ce fait, la guerre éclate généralement quand la diplomatie et les autres mécanismes politiques, juridiques, judiciaires de résolution d’un conflit pour atteindre les objectifs politiques avancés se révèlent inefficaces, pour quelque raison que ce soit, et que le recours à la force armée devient l’ultime moyen de réaliser ses vues et d’appliquer ses stratégies politiques.
Le fait que c’est la politique qui fixe les buts de la guerre, est effectivement le principe de base exprimé avec force par Von Clausewitz dès les premières pages de son manuel (De la Guerre, p.59.), devenu désormais un classique dans le domaine stratégique : « L’objectif politique, comme mobile initial de la guerre, fournira le but à atteindre par l’action militaire, autant que des efforts nécessaires ». Idée maîtresse, qui aboutit à la célèbre ‘’Formule” universalisée, souvent constamment citée de façon tronquée, sans en comprendre l’essence : « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations (ou transactions) politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. (De la Guerre, p.67.) »
D’ailleurs, c’est sur base de cette assertion que découle le principe de la subordination (contrôle) de l’armée à l’autorité civile. Ce principe sacré a été clarifié en 1875 par le Général français Lewal, après la défaite française face à l’armée prussienne en ces termes : « Les chefs de l’armée n’ont point à décider de la guerre : ils sont chargés de la faire une fois qu’elle est résolue, à tort ou à raison, et leur mission est de la conduire la mieux possible dans les limites strictes de leur profession spéciale. La puissance militaire est un moyen qui doit être mis au service d’une fin politique, faute de quoi ses limites apparaissent rapidement (Boniface, P. ; 2014).
Objectifs de la guerre mal compris par le Rwanda/M23 lors de la prise de Goma
Dans un projet d’ouvrage à paraître prochainement, nous allons détailler, au départ des épisodes de la guerre contre le M23/RDF, comment, en stratégie, des victoires tactiques militaires peuvent se transformer en échecs stratégiques et donc en défaites politiques. Les débâcles de la coalition RDF/M23 procèdent directement de cette erreur voire de cette FAUTE stratégique que fut la prise de la ville de Goma au mois de novembre 2012. La chute de Goma fut effectivement pour le M23 et le Rwanda une victoire tactique militaire indéniable. En effet, du point de vue purement stratégique et non tactique, Sun Tzu conseille aux chefs militaires d’éviter à leurs troupes de prendre ou d’assiéger une ville dont le contrôle serait difficile. Alors que le M23 était conscient de son impopularité auprès de la population de Goma, il s’est entêté à l’envahir.
Mais la chute de Goma fut aussi une erreur stratégique monumentale du Rwanda et du M23. Ces derniers n’avaient sans doute pas mesuré l’ampleur de l’onde de choc de contestations unanimes suscitées par leur démarche. Ils n’avaient pas calculé l’importance psycho-politico-diplomatique de la ville de Goma, érigée en verrou et symbole stratégique de l’engagement de la communauté internationale en RDC.
En voulant humilier la Communauté internationale qui l’a fait « roi » dans les collines des Grands-Lacs, Kagame ne s’était pas rendu compte que ce fut le début de sa défaite stratégique et probablement le début de son déclin.
Il s’agit là d’une dimension stratégique de la guerre méconnue par Kagame et le M23 qui pensaient que seul le paramètre militaire était suffisant pour contraindre la RD Congo à leur volonté. Le M23 et le Rwanda se sont limités aux buts et résultats militaires immédiats de la guerre, négligeant la fin politique. En effet, par la prise de Goma en novembre 2012, l’Etat vaincu et humilié, la RD Congo, a vu par cette action de ses agresseurs, un mal momentané, auquel les circonstances politiques postérieures ont permis par la suite de renverser le rapport de forces.
Par cette défaite militaire, Paul Kagame s’est trompé et s’est montré un mauvais stratège militaire. En effet, les grands généraux modernes considèrent la guerre comme un jeu de stratégie et non la guerre comme un acte réduit à sa dimension de violences physiques.
En effet, la tactique est strictement militaire et dirigée vers des objectifs militaires immédiats. Elle est dépendante des moyens disponibles, elle se caractérise par le primat de la force. La stratégie, quant à elle, opère en fonction des buts militaires finaux. Elle prépare et permet, en cas de victoire, le règlement final (reddition), mais elle ne conclut pas : La victoire militaire n’est qu’une fin intermédiaire, le stratège doit tenir compte des fins ultimes qui relèvent de la politique. Le vrai stratège voit au-delà des opérations en cours pour raisonner à l’horizon de la campagne ou de la guerre (Manstein c/ Hube , 1944). Le vrai stratège fait la différence entre des succès tactiques et une victoire stratégique (Mannerheim en 1940 à propos de la continuation de la guerre d’Hiver). Le vrai stratège saisit la double dimension, militaire et politique des problèmes auxquels il est confronté (Mannerheim en 1941 à propos de l’attaque de Leningrad). De plus en plus, le vrai stratège saisit les implications de politique intérieure des décisions qu’il prend.
Quant à la science militaire, elle n’a donc aucun rapport avec la politique et ne doit pas s’en occuper . . . les principes de la guerre sont évidemment indépendants de la nature de la guerre ou des causes qui la provoquent. » (Lewal, 1875, p.24).