Vers un conflit armé régional suite au bras de fer entre l’Angola et la RDC ?
Par Jean-Jacques Wondo Omanuyundu
Les jours passent et se ressemblent, le ciel diplomatique est très nuageux entre l’Angola et la RDC depuis le début de 2017. Les deux pays alliés depuis la chute de Mobutu entretiennent désormais des relations très tendues à la suite de la persistance de la crise politique et sécuritaire en RDC. La présente analyse tente de décrypter des signes de crispation diplomatique et sécuritaire entre ces deux géants de l’Afrique centrale. La tension entre les deux pays est telle qu’elle peut déboucher à une escalade militaire de grande envergure à même d’impacter l’équilibre géopolitique régional actuel car l’enjeu géopolitique et géoéconomique[1] dépasse les deux pays.
Des prémisses inquiétantes dès fin 2013
Tel a été notre constat en 2015 dans un article intitulé « Guerre imminente dans les Grands-Lacs ? Une inquiétante course aux armements dans la région ». Dans cette analyse prospective, nous avons fait l’observation suivante : « On assiste depuis fin 2013 à une augmentation une augmentation à la fois spectaculaire et inquiétante des dépenses militaires dans la région des Grands Lacs à partir de 2013. L’Angola, la RDC, le Rwanda et la Tanzanie sont les pays les plus concernés dans cette course à l’armement. Ces dépenses militaires sont telles qu’elles entraînent une hausse des budgets militaires des pays concernés. S’agit-il juste des dépenses de mise à jour et de modernisation des outils militaires des pays concernés ou bien des achats en prévision d’une escalade militaire qui ne dit pas son nom. D’autant que lorsqu’on observe les pays concernés, l’on se pose la question sur les motivations qui les poussent subitement à consacrer autant de budget pour le secteur de la défense alors que par le passé, hormis peut-être l’Angola, la part du budget consacré à la défense et sécurité était la plus faible comparativement à d’autres secteurs de l’Etat »[2].

La défaite du M23 constitue-t-elle un tournant décisif dans la géopolitique régionale des Grands-Lacs ?
En effet, on constate que cette curieuse course aux armements s’est accélérée juste après la défaite de la rébellion M23 soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Une défaite qui tendait à montrer les limites de l’action du Rwanda en RDC, le pays qu’il a complètement occupé militairement entre mai 1997 et août 1998, année de la lente résilience congolaise. Comme on le sait, le contrôle de la RDC par le Rwanda reste très stratégique, sinon vital, pour Paul Kagame qui a trouvé en Joseph Kabila son cheval de Troie en RDC.
C’est alors qu’après la défaite du M23, le Rwanda a acheté des missiles sol-air chinois Système de missile chinois sol-air TL- 50. La China North Industries Corporation, basée à Beijing, a vendu son système Sky Dragon 50 des missiles de défense aériens TL -50 au Rwanda, selon Kanwa Defense Review, un magazine militaire de langue chinoise basé au Canada. Le Rwanda est actuellement le premier et le seul pays en Afrique à utiliser le missile sol-air TL- 50. Conçu à la base chinoise PL- 12 air -to-air missile, le TL- 50 peut attaquer des cibles entre 20 et 30 km à partir du sol avec une gamme d’attaque de 50 km. Selon le magazine Kanwa, le TL-50 est actuellement le missile anti-aérien le plus performant déployé en Afrique de l’Est. Avec la capacité de pourchasser 144 cibles, le TL-50 peut lancer 12 missiles pour intercepter 12 cibles entrants simultanément. Le Rwanda possède au moins quatre lanceurs TL- 50 car c’est la plus basse unité opérationnelle du système[3].
Pourquoi l’achat des missiles antiaériens chinois par le Rwanda et contre quel ennemi?
L’achat des missiles chinois peuvent s’expliquer des points de vue technique, financier, diplomatique et militaire. D’abord des points de vue de technique et financier, le Rwanda s’est tourné vers la Chine, plus que probablement, parce que dans les autres pays exportateurs de missiles les procédures peuvent être plus compliquées pour cause de déficit démocratique et surtout que le pays de destination finale est des plus répressifs d’Afrique. Le prix compétitif et les facilités de paiement éventuelles pourraient également expliquer l’achat des missiles Made in China. Enfin, il pourrait s’agir d’une subtile stratégie de séduction de la Chine, la puissance émergente rampante en Afrique pour lui opposer ses anciens alliés et parrains occidentaux, principalement les Etats-Unis, devenus moins tolérants aux dérapages politiques et aux dérives sécuritaires de Kigali.
En effet, ayant longtemps été l’Etat-pivot du dispositif américain dans les Grands Lacs sous les administrations Clinton et Bush Jr, depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison blanche en 2008 et la défaite du M23, Kigali est en train de perdre progressivement son hégémonie régionale au profit de la Tanzanie. Plusieurs résolutions de l’ONU votées ces dernières années accusent le Rwanda de soutenir les rébellions en RDC et par ricochet restreignent la marge d’action militaire du Rwanda en RDC et sa capacité diplomatique[4].
Enfin, Kigali, dans sa stratégie de smart power visant à former des coalitions opportunistes pour continuer d’exercer son influence régionale, peut trouver dans l’Empire du Milieu, un allié stratégique qui l’aiderait à compenser sa mise à l’écart progressive (pas encore totale) par les Etats-Unis afin de continuer de dicter l’agenda géopolitique régionale.
Mais l’achat des missiles de défense aériens répond aussi à un besoin opératique et tactique militaire, corollaire de son échec dans sa guerre en RDC, via le M23 interposé. En effet, lors de la guerre menée en RDC en soutien au M23, les troupes rwandaises ont expérimenté à leur dépens et subi la puissance de feu des bombardements des hélicoptères ‘Rooivalk’ d’appui au combat de l’Armée de l’Air sud-africaine mis à la disposition de la MONUSCO. Les Rooivalk ont été décisifs en appui aux troupes au sol des FARDC grâce à des incessants bombardements des positions du M23 de Kanyamahoro pour ouvrir la voie à Kibumba ayant permis aux FARDC de poursuivre leur assaut final jusqu’à leur éviction des collines de Mbuzi, Chanzu et Runyonyi. Après avoir perdu Rumangabo et Bunagana, le M23 fut confiné dans ces deux collines, essayant de nouveau de résister pendant quelques jours en contenant les tentatives d’assaut infructueuses de la task force de la GR (Garde républicaine) des FARDC avant que les hélicoptères Rooivalk ne viennent faire le dernier nettoyage[5]. Sans doute, c’est à ce niveau précis que le Rwanda a compris son infériorité tactique et la vulnérabilité de sa défense. C’est alors que Kigali a pris la décision d’acquérir des missiles sol-air capables d’atteindre des cibles aériennes.
L’acquisition de ces matériels cacherait également d’autres ambitions géopolitiques régionales du Rwanda qui dépasseraient le seul espace géographique congolais.
Une région sous tension politique et en pleine agitation géopolitique
Avec des présidents qui arrivés en fin mandat, la tension sécuritaire dans la région risque d’être attisée par les situations politiques respectives dans les pays de la région. Cela risque de faire en sorte que des alliances et/ou des mésalliances puissent se nouer ou se défaire, fussent-elles contre-nature. Tout ce remue-ménage pourrait in fine modifier les rapports de forces existants dans une zone en pleine agitation géopolitique. Constitutionnellement, le mandat de Paul Kagame se termine en 2017 malgré son référendum stalinien, celui de Joseph Kabila est épuisé depuis décembre 2016, la Tanzanie a consolidé l’alternance au pouvoir en 2015 et met la pression sur ses voisins. L’Angola se prépare aux élections pour la succession d’Eduardo Dos Santos en août 2017 pendant que le Burundi et la RDC s’enfoncent dans des crises politiques déstabilisatrices de la région.

La crise au Kasaï et l’exaspération des autorités angolaises
Dans sa stratégie d’instaurer un désordre ordonné ou chaos selon certains analystes, aux Kivus, dans l’ancienne Province-Orientale, au Katanga et actuellement dans l’espace du grand Kasaï, Kabila ne s’en doutait nullement des effets que cela pourrait engendrer auprès de certains voisins de la RDC. Ainsi, la crise du Kasaï a poussé les autorités angolaises à sortir de leur réserve pour pointer du doigt le régime de Kabila[6]. Au-delà du drame humanitaire que risque de subir l’Angola à la suite de l’afflux massif des réfugiés congolais dans ses provinces du nord, c’est surtout une crainte de déstabilisation militaire que redoutent les autorités angolaises. Ces dernières n’ont pas hésité de déployer leurs troupes et des armements militaires lourds le long de la frontière congolaise. Faut-il le rappeler que l’Angola se prépare à expérimenter sa première transition politique au pouvoir depuis 1977 ? Et le risque de contestation du dauphin désigné par Dos Santos, Joao Lourenço, semblent réelles.
En effet, rien n’exclut que des éventuels prétendants légitimes à la succession de Dos Santos soient tentés à l’idée de s’appuyer non seulement sur le vivier des réfugiés congolais en Angola qui recense des militaires et des policiers déserteurs congolais dans les combats au Kasaï, mais aussi des combattants Kamuina Nsapu[7]. Mais aussi, compte tenu de l’implication ferme de l’Angola en faveur de l’alternance au pouvoir en décembre 2017 par la stricte application de l’Accord de la Saint-Sylvestre, Kabila décidé à se maintenir coûte que coûte au pouvoir, est séduit à l’idée de créer une nouvelle coalition régionale contre l’Angola. Le but de la manœuvre est d’y installer un président qui sera son allié dans sa stratégie du glissement et du référendum lui permettant de rester au pouvoir.
Le Kasaï, terrain de manœuvre de diversion entre le Rwanda et Kabila pour déstabiliser l’Angola ?
Selon des câbles diplomatiques confidentiels parvenus à DESC, la tension entre l’Angola et la RDC est sur le point d’une escalade militaire imminente. Le limogeage le 8 juin 2017 par Dos Santos, de retour des soins à Barcelone, de l’ambassadeur angolais à Kinshasa, Emílio José de Carvalho Guerra, n’y est pas étranger. Il a été remplacé par José João Manuel. Une source diplomatique africaine parle de sa collusion avec le régime de Kinshasa et les autorités rwandaises dans un plan d’attaque militaire de l’Angola par une coalition militaire entre les éléments du RDF, l’armée rwandaise, les unités des régiments des FARDC issues du CNDP, les unités commandos des FRR stationnées à Maluku sous le commandement du Général Amisi Tango Four et certaines unités commandos de la Garde républicaine. Des évidences formelles ont été trouvées dans les dossiers et les contacts entre Carvalho Guerra et James Kabarebe, le ministre rwandais de la Défense. Il faut toujours garder à l’esprit le fait qu’en 1998, l’armée rwandaise fut « écrasée » dans le Bas-Congo » par les armées angolaise et zimbabwéenne appelées au secours par Laurent-Désiré Kabila, dès le déclenchement de la Deuxième Guerre du Congo. Les troupes rwandaises dans le Bas-Congo étaient alors commandées par le général James Kabarebe qui eut la vie sauve grâce à l’intervention diplomatique in extremis des Américains. Après la réunification du pays, en 2003, Joseph Kabila a entrepris de déployer des militaires rwandais (ou de filiation rwandaise) dans les provinces frontalières de l’Angola : le Bas-Congo et les deux Kasai. Paul Kagame, connu pour être un rancunier impénitent rêvait certainement de prendre sa revanche sur l’Angola, en infligeant, un jour, un coup fatal à l’Angola par le Congo interposé. On peut dire que le l’autocrate rwandais caresse le rêve d’obtenir sa revanche. Plusieurs années apres leur implantation dans le Kasai et le Bas-Congo, les militaires rwandais ont eu tout le loisir de cerner les failles sécuritaires de l’Angola sur la très longue frontière avec la RDC (2.511 km). Pour Joseph Kabila, une guerre avec l’Angola serait une aubaine royale, puisque plus personne ne lui perlera ni d’élections ni d’alternance au pouvoir ! Comme dans tout pays, en cas de guerre, le régime congolais va tenter de galvaniser les masses populaires au nom de la défense de la patrie et de la cohésion nationale derrière le commandant en chef, Joseph Kabila.
Dans les correspondances de l’ancien ambassadeur angolais avec Kigali, on parle des plans et des préparatifs des opérations militaires clairs du Rwanda d’attaquer l’Angola par le Kasaï, avec l’aide de Joseph Kabila. C’est ce qui explique en partie le fait que les unités et les commandants des opérations qui étaient actifs dans le Kasaï dès le début de cette insurrection et par la suite étaient des militaires tutsi issus des « rébellions » créées par le Rwanda, et intégrés dans les FARDC. Nous l’avons dénoncé[8] bien avant que Sonia Rolley ne vienne corroborer nos informations dans une remarquable enquête[9] minutieuse qu’elle vient de mener sur le phénomène Kamuina Nsapu et le conflit dans le Kasai. Dans notre article de mars 2017, on peut lire : « Dès le début des événements du Kasaï en août 2016, les premières unités envoyées pour mater les insurgés étaient le 803ème[10], 811ème[11] et le 812ème[12] régiments d’infanterie composés majoritairement d’ex-CNDP rwandophones. Cela a fait croire à un déploiement des soldats rwandais au Kasaï[13]. Il y a également le bataillon de police militaire et le bataillon défense du QG du major Nyembo, cité dans une vidéo des massacres, de la 21ème région militaire couvrant l’aire géographique des anciennes provinces du Kasaï-Oriental et du Kasaï Occidental. [14]»
A propos de la même crise du Kasaï, notons que Luanda exaspéré a, par la voix de son ministre aux Affaires extérieures, George Chikoti, publiquement soutenu les appels à une enquête internationale sur le meurtre de deux enquêteurs de l’ONU[15], même si l’Angola s’est rangé par la suite derrière la position de ses pairs africains.
Au-delà du projet d’attaque de l’Angola par les RDF et les FARDC, il faut noter une stratégie explicite d’encerclement extérieur et intérieur de la RDC par le Rwanda via des unités congolisées interposées. C’est ainsi qu’on peut noter que les unités rwandophones de l’ex-CNDP ont été déployés à Kananga comme démontré ci-dessus. Le 801ème régiment d’infanterie FARDC issu du CNDP a été déployé à Gemena dans le Sud-Ubangi, alors que le 803ème régiment d’infanterie été préalablement stationné à Gbadolite, avant d’être déployé au Kasai. De même, d’autres unités rwandophones se trouvent à Kitona dans le Bas-Congo. La spécificité de ces zones c’est d’être reconnues très hostiles au pouvoir de Joseph Kabila.
Vers des nouvelles alliances dans la région ?
S’il apparaît clair que Joseph Kabila reste le cheval de Troie du Rwanda en RDC, comme démontré dans une de mes deux contributions dans l’ouvrage collectif « Les Congolais rejettent le régime de Kabila »[16], l’Ouganda quant à lui est plutôt dans une posture opportuniste qui peut le pousser à s’allier avec l’Angola pour contrer le plan de Kagame et Kabila. Selon le mensuel confidentiel La Lettre du Continent, des rencontres discrètes entre plusieurs ténors de l’opposition congolaises se seraient tenues entre le 17 juin et le 22 juin à Kampala en Ouganda sous l’égide du président Yoweri Museveni. En effet, les relations entre Kampala et Kinshasa se sont détériorées depuis l’année passée lorsque Kabila a permis au chef rebelle Riek Machar et à ses combattants de s’installer en RDC. Riek Machar a même bénéficié du passeport congolais pour s’installer à Khartoum au Soudan. L’Ouganda est le principal allié régional de Salva Kirr, le président du Soudan du sud[17]. Les autorités sécuritaires congolaises accusent régulièrement l’Ouganda, via le réseau de Salim Saleh, de soutenir des groupes hostiles au régime de Kinshasa et des opposants congolais.
Mais La grande inconnue serait la position que tiendrait l’Ouganda, placée dans une posture ambiguë de grand écart entre sa solidarité avec Kigali au profit de Joseph Kabila et la sanction contre ce dernier qui s’est rapproché de Riek Machar. En effet, Kampala émet des signaux de soutien à une frange de l’opposition congolaise comme démontré plus haut. Mais, il faut rester prudent car l’Ouganda est explicitement derrière le MNR (Mouvement national des révolutionnaires), la dernière rébellion née au Nord-Kivu et qui a attaqué la ville Beni le 22 juin 2017. Parmi les leaders de cette rébellion, on cite les noms de l’un des ex-présidents de l’AFDL, le tutsi Déogracias Bugera, qui a quitté l’Afrique du Sud pour poser ses valises à Kampala. Il aurait aussi été aperçu récemment à Luanda. Parmi les leaders de cette rébellion, nous y reviendrons en détails prochainement, on cite le colonel Richard Bisamaza, ancien commandant du 1er secteur opérationnel des FARDC basé à Beni. Il y a aussi l’ancien chef maï-maï Lafontaine Sikuli, en exil en Ouganda après avoir perdu les territoires sous son contrôle dans le Sud-Lubero, et discrètement le chef de guerre Bwambale Kakolele dit aigle blanc. Ce dernier s’était fait remarqué en janvier 2017 lorsqu’il a annoncé qu’il lançait un mouvement armé en Territoire de Beni qui n’a pas fait long feu. Le MNR regroupe aussi des ex-rebelles du M23 réfugiés en Ouganda et d’anciens combattants de l’APC de Mbusa Nyamwisi, qui se seraient plutôt rapprochés du gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku.
Dans ce scénario, on risque de retrouver d’un côté le Rwanda et ses milices créées en RDC et la RDC contre l’Angola soutenu par la Zambie où Kagame a séjourné du 18 au 19 juin 2017[18], probablement pour plaider la cause de son poulain Kabila après une mission plutôt infructueuse du ministre She Okitundu deux semaines auparavant[19]. Le Congo-Brazzaville, dépendant militairement de l’Angola pourrait soutenir l’Angola. Mais c’est la position de l’Ouganda qui risque d’être déterminante.
Les provocations de Sindika Dokolo, un message diplomatique déguisé de l’Angola envers Kabila ?
Les sorties médiatiques assez atypiques de Sindika Dokiolo, gendre d’Eduardo Dos Santos cachent mal l’exaspération angolaise sur le régime de Kinshasa qu’il ne cesse de comparer par des tweets très provocateurs avec le régime finissant du dictateur Mobutu au milieu des années 1990. En effet, Luanda se montre très frustré par l’incapacité de Joseph Kabila à résoudre des crises multiformes qui secouent la RDC, y compris son refus de quitter le pouvoir au terme de son mandat en décembre 2017. Selon Alex Vines, responsable du programme Afrique à l’institut de politique Chatham House basé à Londres, ces propos sans retenue de Sindika Dokolo, en sa qualité d’époux mari d’Isabel dos Santos, traduisent clairement une frustration de Luanda[20].
Mais comme signes apparents de la frustration croissante de l’Angola sur la situation au Congo, depuis 2015, L’Angola, en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, n’a cessé de voter en faveur des résolutions jugées très contraignantes envers le régime de Kabila. Luanda a également exprimé son inquiétude en mettant la pression sur Kabila pour accepter un nouveau dialogue avec le Rassemblement en décembre 2016, après l’accord dit de l’OUA regroupant une frange minoritaire de l’opposition alliée désormais avec Joseph Kabila[21]. Selon les déclarations faites à l’agence Reuters d’un diplomate bien introduit dans les cercles du pouvoir angolais : « Les Angolais n’apprécient pas du tout la façon dont le Congo gère la crise au Kasaï. Ils estiment qu’ils l’aggravent davantage… Il est très clair pour les Angolais que Kabila n’a pas le contrôle de son pays« . Les préoccupations de l’Angola et celles d’autres dirigeants africains et des États occidentaux sont renforcées par le fait que les troubles au Congo prennent souvent des dimensions régionales[22].
Dans le rapport de forces à distance entre l’Angola et le Rwanda par la RDC interposée, il faut rappeler qu’en 1998, au début d’une guerre qui a duré jusqu’en 2003, des avions de guerre angolais ont bombardé des positions militaires rwandaises à Kitona et leurs troupes qui progressaient vers Kinshasa. En 2007, ce sont encore des militaires angolais qui sont venus appuyer la garde présidentielle congolaise en déroute face aux DDP de Jean-Pierre Bemba[23]. La crise dans le Kasaï a obligé l’Angola de déployer des troupes le long de la frontière congolaise. A en croire la chercheuse de l’ISS, le think tank sud-africain, Stephanie Wolters, « certains analystes pensent qu’elles sont déjà entrées dans le territoire congolais »[24].
Pour conclure, une seule phrase résume la situation sécuritaire régionale pré-implosive. Ce sont les propos d’un très haut gradé militaire angolais devant la presse angolaise en ces termes « Nous n’allons pas tolérer longtemps la présence des militaires rwandais aux portes de l’Angola ». Comme on s’amusait à le dire lorsqu’on était gamin en RDC « La guerre a commencé… » ! Comme le chercheur Christophe Wautier du GRIP : « L’avenir de la RDC semble suspendu à deux scénarios : un effondrement du pouvoir congolais sous la pression conjuguée des sanctions externes infligées par la Communauté internationale, de la dégradation de la situation économique et du mécontentement populaire, ou une révolution de palais, avec, une fois de plus, l’Angola dans le rôle de puissance tutélaire[25] ou encore une mutinerie généralisée de l’armée et de la police où les mécontentements se font de plus en plus croissants. Ce qui contraindra certainement l’Angola d’agir en amont.
Une chose est certaine, à en croire une experte internationale qui a été récemment en contact avec une personnalité du cercle fermé de Dos Santos, pour l’Angola, la page des Kabila doit être impérativement tournée au plus tard le 31 décembre, de gré ou de force. Peut-on donc comprendre que la récente tournée européenne de João Lourenço, après des visites de travail en France et en Italie, en tant qu’envoyé spécial du Chef de l’Etat angolais[26], est un prélude diplomatique aux actions futures de l’Angola en RDC ? Fait curieux, pendant que Lourenço rencontrait le nouveau président français, Emmanuel Macron, à Paris, Moïse Katumbi, un des adversaires politiques de Kabila, était invité au Congrès de la République en marche, le parti d’Emmanuel Macron. Hasard du calendrier ou non ? En tout cas coïncidence plutôt étrange. Seul l’avenir nous en dira plus !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu/ Exclusivité DESC
Références
[1] La géoéconomie fait de l’économie un des fondements de la puissance, à côté des forces militaires, diplomatiques et symboliques. Il parait évident que les intérêts économiques, les conflits autour de l’accès aux ressources et les pouvoirs liés aux contrôles des richesses sont des déterminants essentiels des rapports de force et des conflits. Les enjeux économiques sont au cœur de la géopolitique pétrolière, énergétique, environnementale et les captations des rentes sécuritaires, démocratiques, économiques fondent les jeux et les stratégies politiques. Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, 3è Ed., Sedes, Paris, Septembre 2012, p.104.
[2] JJ Wondo Omanyundu, DESC, 27 mars 2015, http://afridesk.org/fr/guerre-imminente-dans-les-grands-lacs-une-inquietante-course-aux-armements-dans-la-region-jj-wondo/.
[3] JJ Wondo Omanyundu, Ibid.
[4] En 2008, suite à son soutien au CNDP de Laurent Nkunda et à la publication d’un rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, plusieurs bailleurs importants du Rwanda, dont les Pays-Bas, la Suède, le Canada, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, avaient mis fin, suspendu ou envisagé de suspendre, en tout ou en partie, leur aide financière au Rwanda. Ensuite en juillet 2012, Washington avait décidé de suspendre l’aide militaire américaine de 200 000 dollars censés financer une académie militaire au Rwanda en raison du soutien de Kigali aux mutins du M23. Selon RFI, « la mesure marque néanmoins une inflexion. Les Etats-Unis ont longtemps compté parmi les plus solides alliés du président Kagame ». Enfin, les Etats-Unis ont encore annoncé le 3 octobre 2013 avoir sanctionné le Rwanda en raison de l’enrôlement d’enfants soldats par la rébellion du M23 en RDC, un mouvement que Kigali est accusé de soutenir.
[5] Jean-Jacques Wondo O, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Desc-Wondo, Aalst, 2015, p.113.
[6] Cf Interview de George Chicoti, me ministre des Affaires extérieures de l’Angola sur RFI – http://www.rfi.fr/emission/20170529-georges-chikoti-ministre-angolais-relations-exterieures.
[7] JJ Wondo Omanyundu, Pourquoi cette subite agitation sécuritaire de l’Angola à la frontière congolaise ? – 2 juin 2017. http://afridesk.org/fr/pourquoi-cette-subite-agitation-securitaire-de-langola-a-la-frontiere-congolaise-jj-wondo/.
[8] JJ Wondo Omanyundu, Les massacres du Kasaï Central : l’élite sécuritaire kasaïenne interpellée, 6 mars 2017. http://afridesk.org/fr/les-massacres-au-kasai-central-desc-interpelle-les-collaborateurs-securitaires-de-kabila/.
[9] http://webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences-crimes-kamuina-nsapu/chap-02/.
[10] Ce régiment a été stationné à Kibua en territoire de Walikale, avant son redéploiement au Kasaï Central.
[11] Le 811ème régiment d’infanterie était basé à Mwesso et Nyanzale, à l’ouest de Goma, dans le territoire de Masisi avant son transfert vers Kananga en avril 2012. Depuis, il est déployé dans le territoire de Tshikapa. Il protège les voies de passage vers l’Angola.
[12] Le 812ème régiment d’infanterie est généralement basé à Kitchanga, dans le Masisi. Il a été déployé provisoirement à Kolwezi pour faire face à l’insécurité dans la nouvelle province du Lualaba, avant d’être envoyé en renfort à Kananga.
[13] JJ Wondo, Radio Vatican, 13/février 2017 – http://fr.radiovaticana.va/news/2017/02/23/larm%C3%A9e_de_rdc_affronte_une_milice_locale_au_kasa%C3%AF_central/1294646.
[14] JJ Wondo Omanyundu, Les massacres du Kasaï Central : l’élite sécuritaire kasaïenne interpellée, 6 mars 2017. http://afridesk.org/fr/les-massacres-au-kasai-central-desc-interpelle-les-collaborateurs-securitaires-de-kabila/.
[15] Chikoti a déclaré sur RFI « D’un côté, on nous dit que la question de la succession du chef coutumier Kamuina Nasapu a été résolue, d’autre part, nous continuons de voir des personnes qui arrivent (en Angola) ayant été maltraitées »
[16] Publié aux éditions Monde Nouveau/Afrique nouvelle en 2015.
[17] Les enjeux (géo-)politiques du passage du chef rebelle sud-soudanais Riek Machar et de la présence de ses troupes en RDC.
[18] http://www.newtimes.co.rw/section/read/214581/.
[19] http://zambianeye.com/lungu-offers-to-help-in-drc-electoral-process/.
[20] David Lewis & Aaron Ross, Angola shifts tone on Congo, deepening Kabila’s isolation, 21 juin 2017. https://www.reuters.com/article/us-congo-angola-idUSKBN19C0E7.
[21] JJ Wondo Omanyundu, Pourquoi cette subite agitation sécuritaire de l’Angola à la frontière congolaise ? – 2 juin 2017. http://afridesk.org/fr/pourquoi-cette-subite-agitation-securitaire-de-langola-a-la-frontiere-congolaise-jj-wondo/.
[22] David Lewis & Aaron Ross, Angola shifts tone on Congo, deepening Kabila’s isolation, 21 juin 2017. https://www.reuters.com/article/us-congo-angola-idUSKBN19C0E7.
[23] JJ Wondo Omanyundu, Pourquoi cette subite agitation sécuritaire de l’Angola à la frontière congolaise ? – 2 juin 2017. http://afridesk.org/fr/pourquoi-cette-subite-agitation-securitaire-de-langola-a-la-frontiere-congolaise-jj-wondo/.
[24] Stephanie Wolters, « Angola grapples with its DRC foreign policy problem », ISS, 2 juin 2017, « L’Angola fait face à sa politique étrangère en RDC », Congo Vox, 2 juin 2017.
[25] Christophe Wautier, Kasaï : une rébellion de trop pour le pouvoir de la RDC ?, GRIP, 6 juillet 2017. http://www.grip.org/fr/node/2371.
[26] http://m.portalangop.co.ao/angola/fr_fr/noticias/politica/2017/6/28/Angola-ministre-Defense-nationale-retour-Luanda,c3afd349-2512-47f9-b8dc-61f082ccdd26.html.
5 Comments on “Vers un conflit armé régional suite au bras de fer entre l’Angola et la RDC? – JJ Wondo”
Makutu Lidjo
says:Je ne sais pas si Katumbi saisit la complexité du dossier RDC. Notre pays mérite mieux et pourquoi pas vous Monsieur Jean Jacques Wondo.
Coco
says:Une analyse très pertinente
Cyprien Masumbuko
says:DOKOLO President RDC. 2017
Claus
says:President Tshibangu Mukumbay UPA parti réalise bientôt la solution pour le pays
Yoka Bony
says:Vous faite de très bon recherches par contre vos analyses sont ambigus et vous pencher un trop pour l’opposition a Kabila, malgré vos qualités veuillez un effort d’êtres inpartiel, quand vous parler du Rwanda c’est comme ci c’est une super puissance or vous ne mentionné pas le Rwanda ne joue que le rôle de marionnette des USA et tout ces qui arrive en rdc c’est parce que les USA veut que la rdc soit dirigée par un sûr des USA!
Il n’y aura pas des guerre régional ces pays n’a n’ont pas les moyens seul les occidentaux peuvent les provoquer pour tester et vendre leurs armes quel hypocrisie !