Uvira, verrou stratégique du Sud-Kivu
À l’instar de Goma, Uvira semble constituer un verrou stratégique majeur dans le dispositif sécuritaire FARDC/Wazalendo – FDNB (Burundi) face aux pressions opératives du M23/RDF.
Les affrontements récents dans le Sud-Kivu, notamment à Katogota, Kamanyola, ainsi que dans les localités avoisinantes de Luvungi et Sange, confirment une pression active et coordonnée des forces rebelles et de leurs alliés rwandais sur les positions gouvernementales en amont d’Uvira.
Les FARDC et les Wazalendo peinent à contenir ces offensives et semblent reproduire les mêmes erreurs de replis stratégiques observées lors de la chute de Goma.
Une zone à haute valeur stratégique
L’importance stratégique d’Uvira, grâce à son accès au lac Tanganyika, à la présence de couloirs logistiques essentiels et à son rôle de carrefour régional, explique l’intensité des dispositifs défensifs des FARDC et la focalisation militaire des deux camps sur cette zone, qui revêt à la fois une valeur militaire, politique et régionale.
Face au verrou défensif que les FARDC tentent d’ériger autour d’Uvira, mais dont l’efficacité apparaît limitée au vu de l’avancée rebelle ces dernières 48 heures, la stratégie du M23/RDF semble s’orienter vers :
- des actions d’usure (harcèlement et pression continue) ;
- une tentative d’asphyxie et d’isolement de la ville par la coupure progressive des axes Nord ;
- un possible encerclement par l’Ouest, exploitant la profondeur des hauts plateaux et la forte mobilité de leurs unités.
L’objectif serait de rendre Uvira non défendable, en poussant les forces gouvernementales à abandonner la ville avant tout assaut direct, selon un schéma similaire à celui de janvier 2025 à Goma.
Uvira comme « Centre of Gravity »
Dans cette logique, Uvira joue au Sud-Kivu un rôle comparable à celui de Goma au Nord-Kivu ; une ville-pivot que Kinshasa tient à tout pris à fortifier militairement, voire politiquement et symboliquement. Elle apparaît ainsi comme ce que le jargon militaire OTAN qualifie de « Centre of Gravity » (COG), c’est-à-dire le nœud opératif clé constituant la principale source de puissance du dispositif FARDC.
Cependant, les prises de Katogota, Kamanyola, Luvungi, ainsi que les offensives rebelles vers Sange, risquent de compromettre la stratégie congolaise visant à :
- bloquer l’avancée du M23/RDF avant son arrivée aux abords opérationnels d’Uvira,
- maintenir l’intégrité du corridor Uvira–Bukavu,
- préserver la cohésion du front bilatéral RDC–Burundi, essentielle dans cette zone.
Enjeux et impacts militaires internes à la RDC
À l’instar de Goma, les stratèges des FARDC considèrent Uvira comme une « ligne rouge », concentrant dans sa zone d’influence des moyens défensifs et de dissuasion importants.
De la même manière que la prise de Goma a ouvert la voie vers Bukavu, laissée pratiquement sans défense après le retrait de la MONUSCO, la chute d’Uvira ouvrirait une brèche vers le couloir Fizi – Tanganyika – le Grand Katanga (véritable coffre-fort économique et stratégique de la RDC). Elle pourrait favoriser également une extension vers l’ouest en direction du Maniema.
La chute d’Uvira, après celles de Goma et de Bukavu, constituerait donc ainsi un point de basculement stratégique majeur, nettement défavorable à Kinshasa qui pourrait étendre le conflit dans d’autres provinces non encore impliquées dans cette guerre.
Impacts régionaux et recomposition des équilibres
Sur le plan régional, la prise d’Uvira placerait le Burundi dans une position de grande vulnérabilité. Ce pays, qui apporte un soutien militaire stratégique aux FARDC, voit en effet sa sécurité frontalière étroitement liée au contrôle de la plaine de la Ruzizi.
Une telle perte entraînerait pour Bujumbura des conséquences militaires et stratégiques immédiates, susceptibles de modifier en profondeur les équilibres régionaux en renforçant significativement la position du M23/RDF. Celui-ci pourrait alors consolider des alliances avec les milices tutsies Ngumino/Twirwaneho ainsi qu’avec certains groupes rebelles burundais.
Une telle configuration ouvrirait potentiellement la voie à une projection militaire accrue du Rwanda vers le Burundi, notamment contre le régime du président Évariste Ndayishimiye, dont les relations avec Paul Kagame demeurent particulièrement tendues.
Conclusion
La chute d’Uvira constituerait un tournant décisif du conflit, susceptible de lui donner une nouvelle dimension militaire, mais aussi politique interne, tout en redessinant en profondeur l’architecture géopolitique régionale.
De la même manière qu’en 1997, lorsque Kisangani représentait le Centre Of Gravity du dispositif militaire des FAZ, dont la prise fut décisive pour la progression de l’AFDL, Uvira semble aujourd’hui assumer un rôle stratégique militaire comparable au sein du dispositif opératique des FARDC.
