Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 01-10-2021 09:00
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Une villa pour y purger sa peine : à quoi aura servi la condamnation de Kamerhe ? – JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Vital Kamerhe et son épouse Amida Shatur

Autant le régime de Félix Tshisekedi a démarré avec un scandale de détournement des fonds publics, imputé à son allié politique et Directeur de Cabinet, autant l’opinion publique interne et internationale a fondé tous ses espoirs sur l’appareil judiciaire que l’on a cru enfin disposé à recouvrer ses lettres de noblesse. C’est à la fois dans le doute et l’espoir qu’avait démarré, en mars 2020, le plus grand et le plus médiatisé procès de la Troisième République dit « procès de cent jours ». En dehors de leurs occupations quotidiennes, les Congolais de l’intérieur du pays tout comme ceux de la diaspora n’avaient les regards rivés que sur leurs petits écrans ou sur les réseaux sociaux pour suivre les débats houleux qui se déroulaient en direct de la prison centrale de Makala.

Au cours de ce procès, vrais et faux juristes, de même que vrais et faux journalistes rivalisaient d’expertise pour commenter ou expliquer aux profanes des notions et expressions de droit jusque-là réservées aux seuls professionnels de la justice. C’était également l’occasion pour les avocats consultés de se taper une publicité gratuite et surtout pour les juges siégeant de prouver à la face du monde qu’ils maîtrisaient les matières apprises à la faculté et que la personnalité narcissique du prévenu principal n’allait pas déséquilibrer leur autorité. Sous le rythme de « pièce contre pièce », ce procès avait dans l’ensemble tenu ses promesses, à l’exception du décès du juge Yanyi, mort dans des circonstances demeurées nébuleuses sans qu’aucune enquête n’éclaire jusqu’à ce jour sa famille et l’opinion publique.

Comparaissant à l’ouverture du procès avec beaucoup d’arrogance, voire de mépris envers les juges, Vital Kamerhe avait fini par se rendre à l’évidence que non seulement la rhétorique en politique avait ses limites sur le terrain judiciaire. Bien qu’ébranlé et blessé dans son égo par la lourdeur de sa condamnation, V. Kamehre n’a pas cessé de multiplier des procédures et des manœuvres pour anéantir l’œuvre du premier juge ou, tout au moins obtenir une mise en liberté provisoire, considérant que sa place n’est pas en prison.[1] Ainsi, tout a été essayé sur tous les plans en secouant notamment la fibre ethnique, les partisans politiques, la providence divine et les recours judiciaires.

A ce jour, après la confirmation de sa culpabilité au degré d’appel et la réduction de sa peine de 20 à 13 ans de travaux forcés, V. Kamehre a déjà porté son affaire en cassation. Sa condamnation ne pourra donc être définitive que s’il ne trouve pas gain de cause au niveau de cette plus haute juridiction. En attendant, sa place est censée se trouver en prison, comme tout autre condamné. Mais pourquoi il est « logé » dans une villa ?

A quoi donc aura servi sa condamnation ? Peut-il se sentir réellement puni en menant une vie bourgeoise dans une villa ? Y aurait-il des raisons d’ordre judiciaire, médical ou politique qui font de lui un condamné spécial ? Qu’adviendrait-il s’il perdait définitivement la bataille judiciaire au niveau de la cassation ? Bénéficie-t-il d’une quelconque protection en hauts lieux ? Les Congolais peuvent-ils continuer de croire à l’avènement de l’État de droit ? Le peuple, au nom duquel les jugements sont rendus, a le droit de s’interroger et pourquoi pas d’en exiger les réponses.

La spécialité du droit pénal

Le droit pénal a ceci de particulier qu’à travers le code pénal, qui en est son expression, chaque comportement antisocial ou criminel est défini par le législateur et à chaque fait qualifié de criminel correspond une sanction ou une peine selon la gravité de l’infraction. De l’enquête à l’interpellation du suspect jusqu’à sa condamnation, la procédure pénale permet d’encadrer le déroulement du procès, grâce auquel le juge forme son intime conviction tandis que le prévenu se défend des faits mis à sa charge.

Il n’est pas rare que le juge acquitte le prévenu ou, pour des raisons de procédure, déclare irrecevable l’action menée contre lui. Mais lorsque ce dernier est trouvé coupable, il lui est infligé une sanction qui peut être pécuniaire (amende), privative de liberté (peine de prison) ou les deux à la fois.

Dans certains pays, selon les valeurs de société défendues, certains faits sont même punis de peine de mort. C’est le cas du Congo-Kinshasa, notamment pour des infractions de meurtre, d’assassinat, de haute trahison, d’association de malfaiteurs…  Toutefois, depuis plusieurs années, la peine de mort n’est plus exécutée, mais plutôt commuée en peine de servitude pénale à perpétuité.

Peu importe sa nature, toute peine infligée concerne aussi bien le criminel, citoyen en rupture avec les bonnes valeurs, que la société tout entière. Du fait de la sanction qui lui est infligée, le criminel apprend à désormais respecter les règles établies dans la société pour éviter qu’à l’avenir il ne tombe dans la récidive. La sanction qui lui est infligée, surtout si elle est privative de liberté et de longue durée, lui permet de méditer son forfait et d’en sortir resocialisé pour être de nouveau utile à la société. C’est le rôle pédagogique et dissuasif de la peine. Mais la peine a une autre fonction sur le criminel, c’est celle de le punir pour tout le mal causé à la société. C’est la fonction punitive. C’est pourquoi le libellé de chaque infraction reprend les termes « fait prévu et puni de… ».

La peine infligée au criminel intéresse également toute la société dans la mesure où les membres qui la composent trouvent une satisfaction morale de voir ses fils égarés (délinquants) payer (réparer) pour le tort leur causé. C’est aussi une fonction dissuasive et intimidante à l’égard de quiconque aurait une propension à commettre des crimes. Un adage ne dit-il pas « qu’un voleur qui n’a jamais été attrapé se croit honnête. » Cela sécurise la société et établit un lien de confiance entre elle et son système judiciaire.

Autrement dit, dans son aspect répressif, un système judiciaire n’est efficace et ne mérite la confiance de la société que si les criminels sont traqués, poursuivis devant les cours et tribunaux, condamnés et si les peines prononcées sont effectivement exécutées. Sinon, ça devient de la mascarade. Il s’agit là de la fonction régulatrice de l’ordre social de la justice pénale.

Le statut pénitentiaire ambigu de V. Kamerhe

Jugés au premier degré au Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe, Vital Kamehre et ses co-accusés avaient été reconnus coupables des faits mis à leur charge et condamnés à des peines lourdes, à la grande satisfaction de la majorité de la population congolaise qui a découvert qu’elle pouvait encore compter sur son système judiciaire. Cet espoir était d’autant plus justifié que durant de longs mois de la même période, les réseaux sociaux ont été inondés de copies des mandats de comparution et des mandats d’arrêt provisoire décernés contre des ministres et mandataires publics qu’on croyait rejoindre rapidement le président fondateur de l’UNC à Makala.

Il est important de relever qu’au moment de sa condamnation, Vital Kamehre était déjà sous le régime de la détention et qu’à ce jour la peine qu’il faut prendre en considération est celle prononcée par la Cour d’appel de Kinshasa Gombe, en pleine période de pandémie à coronavirus  : « En effet, à l’issue du procès en appel rouvert devant la cour d’appel de Kinshasa – Gombe, en mai dernier, les juges ont allégé la peine d’emprisonnement de 20 ans à 13 ans de travaux forcés pour détournement d’un montant de plus de 50 millions de dollars, destinés à l’achat et la construction des logements sociaux en préfabriqué pour des militaires et des policiers, au cours des 100 premiers jours du mandat du président Tshisekedi.

Par ailleurs, Samih Jamal, homme d’affaires libanais, qui avait gagné le marché de construction des maisons préfabriquées, a vu sa peine réduite de 20 ans à 6 ans de prison, alors que Jeannot Muhima, chargé d’import et d’export à la présidence de la République a vu sa peine baisser de trois ans à 1 an de prison. Les juges ont, en revanche, maintenu les condamnations aux dommages et intérêts en dizaines de millions de dollars en faveur des parties civiles, la saisie des fonds en banque et biens de Vital Kamerhe, son épouse et ses deux belles filles. »[2]

Comme c’est devenu de coutume, M. Kamerhe et ses partisans n’ont pas tardé d’évoquer la détérioration de son état de santé et de solliciter son évacuation à l’étranger pour des soins appropriés alors que parallèlement lui-même multipliait les procédures, infructueuses, de demande de mise en liberté provisoire. A ce jour, ce qui a été longtemps tenu secret, a fini par être connu du grand public, c’est au Centre Hospitalier Nganda (dans la Commune de Kintambo) que le « prisonnier/malade » avait été transféré pour finalement et curieusement se retrouver confortablement logé dans une villa attenante et appartenant à cette formation médicale. A L’exception de la liberté de mouvement qu’il n’a pas, il mène dans cette villa le style de vie de patricien dont n’avait jamais bénéficié un autre prisonnier dans l’histoire pénitentiaire du pays.

Qu’est-ce qui justifie en sa faveur ce régime exceptionnel et pour combien de temps alors qu’on n’avait jamais connu cela avec d’autres condamnés avant lui (Nguz a Karl Ibond, Franck Djongo, Jean Claude Muyambo, Diomi Ndongala, Gekoko Mulumba, Me Firmin Yangambi… ?) Au cas où il serait-toujours malade, est-ce une raison pour qu’il soit logé dans une villa plutôt qu’hospitalisé ? Serait-ce une récompense décidée en hauts lieux pour son soutien et pour l’adhésion de son parti à l’Union sacrée afin de ne pas perdre un électorat non négligeable lors des prochaines échéances électorales ? Le peuple, au nom duquel la justice est rendue, est en droit d’exiger des réponses à toutes ces questions qui décrédibilisent la justice congolaise. Le Président de la République, au nom de qui les arrêts et les jugements sont exécutés, a aussi le devoir de veiller à la bonne marche de l’appareil judicaire, car à ce stade ça ne serait pas de l’ingérence dans l’administration de la justice.

« La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple.  

Les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République » (Article 149, al, 3 et 4 de la Constitution). Les députés, souvent en quête de sensation, ont là une matière claire pouvant justifier l’interpellation du Ministre de la justice au lieu de se contenter des cadeaux automobiles qui ne seront jamais mis au service de leurs électeurs.

Conclusion  

La justice congolaise va mal, très mal qu’on ne saurait l’imaginer lorsqu’on ne se contente que de ce qui est apparent. Dans la foulée du procès de cent jours, les signaux semblaient pourtant être réunis pour le décollage de l’Etat de droit dans la mesure où des mandats d’amener et des mandats de comparution tombaient en cascade sur les réseaux sociaux annonçant d’autres procès en perspective.

Depuis lors, plus rien ou presque. Les naïfs attendent encore désespérément tandis que par des arrangements à la congolaise, tous ces ministres et mandataires momentanément inquiétés ont su tirer leur épingle du jeu pour recouvrer leur liberté ou obtenir discrètement le classement sans suite de leurs dossiers de détournement des millions de dollars américains. Vital Kamerhe, offert « en holocauste » pour servir d’exemple, n’a pas eu cette chance. Il a néanmoins su contourner son incarcération à la prison centrale de Makala, où il est censé purger sa peine, en se la coulant douce dans une villa à Kintambo sans que cela scandalise les autorités judiciaires qui doivent exécuter le verdict de sa condamnation. Sa vie aisée dans cette villa ne choque pas non plus ceux qui passent leur temps à produire et à réciter des slogans stériles.

Pitié pour l’Inspecteur général des finances qui continue de fouiner, au risque de sa sécurité et de sa vie, dans la gouvernance de ces intouchables invétérés pour fournir à la justice des dossiers « prêts à porter ». Pour se moquer de lui, la plupart des criminels à cols blancs, ont vite sauté dans « l’Arche de Noé » (Union sacrée) pour leur conservation et pour la conservation de leurs avantages en attendant que le déluge judiciaire passe, suivant l’adage « Les loups ne se mangent pas entre eux. » Non seulement l’impunité se porte encore à merveille, elle est même entretenue, ce qui confirme l’autre adage selon lequel « La justice est comme un filet jeté dans l’eau. Les petits poissons passent par les mailles, les gros les traversent en les cassant et seuls les moyens y sont étranglés. » A quand une prise de de conscience collective sous forme de révolution pour sauver ce pays ?


Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Juriste & Criminologue – Ancien magistrat
Exclusivité AFRIDESK

Références

[1] Afridesk.org, Kongolo,JB, 2021, Pour sa survie politique, Vital Kamerhe prêt à tout sur les plans judiciaire, politique et religieux, In https : afridesk.org/pour-sa-survie-politique-vital-kamerhe-prêt-a-tout-sur-les-plans-judicaire-politique-et-religeiux-jb-kongolo/.

[2] AA, 16.06.2021, In https://www.aa.com.tr./fr/afrique/rdvital-kamerhcondamné-en-appel-à-13-ans-de-prison/2275444.

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