Une diplomatie congolaise à pas de tortue ?
L’Ambassadeur congolais à Bruxelles, le professeur Henri Mova
Dans une question orale adressée au vice-ministre des Affaires étrangères, le sénateur Nelson Bya-Ene dénonce la mauvaise gestion et l’état pittoresque des missions diplomatiques de la RDC. Une situation reconnue devant le Sénat par le vice-ministre aux Affaires étrangères, Maître Tunda ya Kasende, qui a dressé un état des lieux chaotique de la situation des ambassades et des missions diplomatiques de la RDC à l’étranger. La pléthore des difficultés rencontrées par la diplomatie congolaise étouffe selon lui malheureusement les victoires diplomatiques récoltées ces derniers mois par la RDC sur le plan international.
Le vice-ministre des Affaires étrangères s’est dit cependant très confiant et optimiste sur les mesures prises par le gouvernement Matata pour juguler toutes ces difficultés. Il a tenu à rappeler que son gouvernement prône : « Une diplomatie de paix, de stabilité et de coexistence pacifique avec tous les pays, principalement nos neuf voisins, ainsi qu’une diplomatie de développement qui accompagne et appuie efficacement les cinq chantiers de la République ». Il a présenté un plan opérationnel de six points, élaboré par le gouvernement avec pour cet objectif :
· le rapatriement des diplomates rappelés et fin termes et affectation des nouveaux diplomates ; le paiement des arriérés des loyers et salaires des diplomates ;
· l’augmentation du budget des ambassades ;
· la réhabilitation des immeubles, l’acquisition et la fermeture de certaines ambassades ;
· le paiement des contributions aux organisations internationales et
· l’affectation des Congolais dans la fonction publique internationale ; enfin l’augmentation des salaires des fonctionnaires de la Centrale ».
Maître Tunda s’est félicité des résultats concrets obtenus par les efforts diplomatiques entrepris par la RDC. Il a énuméré notamment :
· l’ouverture en décembre 2012 à Kampala des négociations avec le M23. Même s’il faut rappeler au ministre que les négociations de Kampala ont été imposées à la RDC à la suite de la prise de Goma par le M23 qui a forcé la RDC à aller s’asseoir à la table des négociations en vue d’imposer au Congo son diktat. Ce qui fut fait après la débâcle du M23 ressuscité par la loi d’amnistie et transformé en un parti politique ;
· la signature de l’accord-cadre de paix d’Addis-Abeba le 24 février 2012. Le ministre oublie que les six engagements auxquels la RDC a souscrit sont plus un réquisitoire contre la gouvernance défaillante de la RDC qu’une victoire diplomatique, Certes, l’accord-cadre a permis d’envisager une solution au niveau régional ;
· l’autorisation par le Conseil de sécurité de l’envoi d’une Brigade spéciale d’intervention en RDC le 25 mars 2013. Ici aussi, la création de la brigade internationale est plus l’œuvre de l’indignation internationale conjuguée à la pression des ONG et de la société civile de de la population congolaise que l’action diplomatique de profil bas affiché par Kinshasa à l’époque ;
· la tenue avec succès à Kinshasa du 26 au 27 février 2014 du 17ème sommet du Comesa, …
Le vice-ministre a rappelé que
Un tableau sombre que la RDC compte 69 immeubles répartis dans 66 postes diplomatiques et consulaires dont 52 en Afrique, 5 en Asie et Moyen Orient, 3 en Amérique et 9 en Europe », indique Tunda Ya Kasende.
Dans son inventaire du patrimoine immobilier diplomatique congolais, il a signalé que des immeubles de l’Etat ont fait l’objet de spoliation et de ventes illicites de la part de certains diplomates, sans l’autorisation préalable du gouvernement. Certains Etats ont aussi dépossédé la RDC, comme à Kigali au Rwanda où « la chancellerie et résidence sont réquisitionnées par le gouvernement rwandais ».
Pour le vice-ministre, la priorité de la redistribution de la carte diplomatique sera accordée aux chancelleries des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, suivis par les Etats voisins de la RDC puis des pays jouissant d’une géopolitique garantissant la sécurité de la RDC talonnent les pays voisins dans la catégorisation. Les pays à économie forte et les pays émergeants ou les missions permanentes, sièges des organisations internationales ainsi que les pays avec lesquels la RDC entretient des liens historiques et sociopolitiques solides vont boucler la liste.
A la radio Okapi, Maître Célestin Tunda jette des fleurs à Matata
Dans un débat à la radio Okapi avec le sénateur Nelson Bya Ene Esongo, initiateur de la question orale révélatrice de l’état délabré de la diplomatie congolaise et l’analyste Jean-Jacques Wondo, le vice-ministre des Affaires étrangères a maintenue les mêmes arguments optimistes tout en reconnaissant les difficultés dont il dit qu’elles seront surmontés avec les mesures de réforme mise en place.
Dans ce débat, l’analyste politique Wondo est revenu sur certaines notions capitales qui permettent de mieux cerner le rôle et l’importance de la diplomatie dans le fonctionnement d’un Etat.
La diplomatie renvoie à la notion de puissance qui est entendue comme un ensemble de capacités d’un Etat, dans son interaction avec les autres Etats et dans son interaction avec sa population à déterminer les règles du jeu national ou international. Et surtout à préserver ce qu’e l’on appelle communément l’intérêt national. L’objectif principal d’un Etat est de survivre en réalisant au maximum « l’intérêt national ». Pour ce faire, il doit faire appel à sa puissance.
Pour survivre, les Etats ont besoin de leur sécurité, c’est-à-dire leur capacité à imposer la volonté ou leur capacité à ne pas se laisser imposer la volonté des autres, mais aussi leur capacité à influencer les autres Etats. Cela passe par une défense nationale c’est-à-dire avoir une armée forte et dissuasive et une diplomatie efficace.
Tous ces concepts renvoient à la notion de souveraineté nationale. Or cette souveraineté n’est possible que lorsque l’Etat dispose effectivement des pouvoirs dits régaliens : L’armée (la police), la diplomatie, la justice et la monnaie.
Les missions d’une ambassade ou d’une mission diplomatique sont régies en droit international par la Convention de vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Ainsi l’article 3 de la convention de Vienne énumère un certain nombre de fonctions des missions diplomatiques dont on peut retenir trois principales
La fonction de représentation : La mission d’une ambassade consiste d’abord à représenter l’Etat d’origine auprès d’un Etat étranger après agrément de celui-ci. C’est la vitrine d’un Etat ou l’image de ce que l’on veut donner à cet Etat à l’Etranger. C’est la raison pour laquelle les représentations diplomatiques et les résidences officielles des ambassadeurs se trouvent dans les plus beaux quartiers du pays hôte.
En ce sens, du fait de cette fonction de représentation, les diplomates sont censés valoriser les réalisations, le potentiel et l’image de l’Etat d’origine, promouvoir ses intérêts politiques, économiques, commerciaux, scientifiques, commerciales et voir sportifs. Cela est davantage capital pour un pays qui prétend devenir un Etat émergent dans dans moins de deux décennies.
La fonction d’observation : Il s’agit pour l’ambassadeur et son personnel de recueillir toutes les informations utiles à la conduite de la politique extérieure de l’Etat d’origine. De nos jours, cette mission est devenue une tâche très importante pour les Etats. A Combien plus forte raison cela devrait devenir une fonction stratégique pour le Congo qui subi depuis plus de quinze une guerre de prédation et d’occupation qui ne dit son mot.
La fonction de négociation dans le cadre de la diplomatie bilatérale ou multilatérale.
Or ces trois fonctions ne peuvent être menées à bien que par des diplomates dits chevronnés et de métier mais aussi et surtout si ces diplomates effectuent leurs missions dans les conditions de travail idéales avec un salaire décent. Or aujourd’hui tout comme sous les dernières années de Mobutu, la diplomatie de métier a laissé la place à la diplomatie clientéliste, politisée et ethnorégionaliste.
Il suffit de parcourir nos ambassades pour nous rendre compte que l’appartenance ethnique ou politique des diplomates et des chefs des missions diplomatiques.
Un diplomate est d’abord un fonctionnaire de l’Etat. La spécificité de fonctionnaire est de ne pas travailler pour un parti politique ou un chef de clan. En Belgique, par exemple, on comprend le rôle de la fonction publique pendant les longues périodes de crise politique que partagent fréquemment ce pays dans ce sens que lorsque la Belgique est sans gouvernement officiel pendant des très longs mois, c’est l’administration publique qui fait tourner l’Etat et tout le monde reçoit sa paie à temps et les dossiers sont traités comme si de rien n’était.
En 2011, on recensait environ 500 «anciens diplomates» et leurs familles sont abandonnés à leur triste sort dans des pays d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’Europe. Ces diplomates paient les frais pour avoir servi au sein du corps des diplomates sous l’ancien régime. Alors qu’un diplomate est d’abord un fonctionnaire de l’Etat et que les pouvoirs publics congolais doivent pouvoir les traiter en fonction des lois et des règlements d’administration qui régissent le déroulement de carrière des fonctionnaires en poste à l’étranger.
Des ménages ont implosé, des enfants des diplomates désocialisés, devenus des délinquants appelés des new-jack évoluant dans des bades urbaines en Europe. Plusieurs fonctionnaires sont morts dans un misérabilisme indescriptible.
Des ambassades de la RDC vendues en cascade
Façade de l’Ambassade de la RDC à Bruxelles
Outre l’existence au sein de certaines missions diplomatiques de la RDC, des chancelleries parallèles, le sénateur Bya’ene a également révélé la vente des bâtiments des chancelleries congolaises à l’étranger et même l’absence d’ambassades dans les pays émergents tels que l’Australie où il y a une forte présence congolaise, Indonésie, Venezuela. L’Etat congolais est en train de liquider toutes les propriétés de ses représentations diplomatiques à l’étranger au même titre qu’on liquide certains biens fonciers appartenant à l’armée, à la banque à l’intérieur du Congo. Un signe de faillite et de liquéfaction de l’Etat
Des chapelets de bonnes intentions qui finissent comme une lettre morte
En novembre 2010, lors de l’ouverture de la la 11ème conférence diplomatique de la RDC, le président Kabila a annoncé une profonde restructuration de la diplomatie congolaise pour son optimisation, dictée par des impératifs budgétaires et par des raisons d’efficacité. Cette restructuration devrait revoir à la baisse le nombre de missions diplomatiques et de postes consulaires et leur distribution géographique réajustée. Il avait également promis de rapatrier les diplomates rappelés à Kinshasa et améliorer les conditions de vie et de travail de ceux en poste. Les diplomates congolais doivent, selon le président Kabila, devenir des modèles de compétence, de polyvalence, d’intégrité morale et de patriotisme.
Dans ce discours, le président Kabila a insisté sur des règles comme la rigueur dans le recrutement, la formation permanente, la discipline exemplaire, l’évaluation non complaisante et la promotion sur base de mérites de cotation régulière doivent être de mise. C’est à ce seul prix que « nous rendrons à notre diplomatie son utilité, sa crédibilité et sa noblesse.
Parmi les 100 recommandations prioritaires des concertations, il y a celle qui concerne l’Amélioration des conditions de vie et de travail des fonctionnaires et agents de carrière des services publics de l’Etat et l’Assainissement ainsi que la moderniser des services publics de l’Etat, en ce compris les ambassades et leur personnel Qu’en est il en réalité ?
Pour écouter l’intégralité du Dialogue Entre Congolais du 29 avril 2014 sur Radio Okapi, cliquez sur le lien suivant:
http://radiookapi.net/files/20140429DialogueEntreCongolaisDiplomatieCongolaise-Site.mp3
La diplomatie congolaise nécessite une réelle volonté politique pour être réhabilitée au regard des ambitions que l’Etat congolais veut donner dans son interaction avec les autres Etats dans un monde multipolaire en constante mutation. Dans une situation géopolitique où l’Afrique en général et le Congo en singulier deviennent la ruée de tous les prédateurs de pire espèce qui soit, il y a urgence que le parlement et le gouvernement congolais mènent une profonde réflexion pour réformer la diplomatie congolaise. C’est à dire l’administration centrale et les postes diplomates.
Jean-Jacques Wondo