Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 02-06-2016 01:52
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Un exercice militaire européen d’évacuation dans un pays en conflit pour quoi faire ? – DESC

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
20141120 - HARELBEKE, BELGIUM: Illustration picture shows the simulation of a hostage crisis in the sports center of Harelbeke, part of 'Operation Storm Tide', an evacuation exercise of the Belgian army taking place from 16 until 21 November 2014 in the regions of Oostende, Liege and Maastricht, Thursday 20 November 2014. BELGA PHOTO KURT DESPLENTER

Un exercice militaire d’évacuation par les armées européennes dans un pays en conflit pour quoi faire ?

DESC

Le lundi 30 mai, la télévision belge montrait les images d’un exercice militaire conjoint, hors de commun, des armées belge, britannique et allemande à Ostende en Belgique. Il s’agissait de s’apprêter à aller libérer « des ressortissants belges » (sic) dans un pays en guerre.

La Brigade Légère de l’armée belge effectue depuis ce mardi une opération d’évacuation dans le cadre d’un exercice militaire baptisé «Storm Tide». L’opération se déroule simultanément à Ostende, Liège et Maastricht. Quelque 2.000 soldats belges et étrangers ont reçu la mission d’évacuer des civils de Belyria, un pays fictif. Pas moins de 300 civils prennent part à l’exercice aux côtés des militaires.

Parmi eux, des soldats des para-commandos et du groupe des Forces Spéciales. Des militaires néerlandais, allemands et britanniques participent également à cet exercice qui mobilise pas mal de matériel également: quatre C-130, trois hélicoptères et trois navires de guerre participent aux opérations.

Ce dispositif important doit permettre de tester les procédures lorsqu’il s’agit d’exfiltrer et rapatrier des ressortissants d’un pays en guerre.

Voici un extrait vidéo de l’exercice militaire tiré de la RTBF.

L’exercice du lundi 30 mai matin consistait à prendre d’assaut un bâtiment du port d’Anvers et à le sécuriser pour pouvoir ensuite y accueillir des expatriés en toute sécurité.

« Le but de l’intervention n’est pas de s’interposer ou de séparer les parties combattantes ou les rebelles. L’unique but, est de rentrer et de sécuriser nos expatriés et de les amener ensuite vers un point sécurisé », explique le Colonel Peter De Vogelaere, commandant de la brigade légère. « Ce genre d’opération est une de nos tâches majeures, donc on s’y entraîne. On a quelques entraînements par année ».

Jusqu’ici les militaires belges avaient l’habitude d’intervenir sans l’aide des armées voisines. Une période à présent révolue.

La dernière fois que des militaires belges ont dû rapatrier des ressortissants, c’était en 1994 au Rwanda. En 1997, ils étaient prêts à intervenir en république démocratique du Congo mais ne s’étaient finalement pas déployés.

La question qui nous a été posée par un Congolais est celle-ci : qu’est-ce qui peut bien justifier à l’heure actuelle un tel exercice et quel serait le pays en guerre où les ressortissants belges se sentiraient en danger? Dans quel pays belligérant éventuel ils seraient les plus nombreux? N’y-at-il rien à craindre avec la situation dans notre pays? Si c’est le cas que devons-nous faire ?

Quelle lecture sommaire faire de cette information ?

On peut admettre que cet exercice de simulation consiste en l’évacuation des ressortissants étrangers dans un pays en conflit.

Il s’agit d’abord d’un exercice de prévention (pour mieux guérir). Cela ressemble à ce qui s’est passé au Zaïre dans les années 1990 lors des pillages… Il ne s’agit pas d’une intervention armée comme récemment en Libye.

Toutefois, les frontières restent évidemment floues entre une opération d’évacuation des civils et l’intervention militaire. L’exemple de l’opération turquoise de la France peut attester cette zone grise. Une opération d’évacuation peut aussi cacher ou se transformer en une opération d’intervention dans le cadre de ce qu’on appelle le principe de responsabilité de protéger pour mettre fin à des massacres lorsqu’un gouvernement d’un pays donné est incapable de protéger ses propres populations. En effet, à la suite des tragédies survenues au Rwanda et dans les Balkans au cours des années 1990, les Nations unies ont voté une résolution dont l’essence vise à donner une légitimité à la communauté internationale de réagir avec efficacité quand les droits des citoyens sont violés de manière flagrante et systématique.

En 2004, le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, institué par le Secrétaire général Kofi Annan, a entériné la norme nouvelle d’une responsabilité de protéger – souvent appelée “R2P” –, affirmant qu’il existe une responsabilité internationale collective, que doit exercer le Conseil de sécurité en autorisant une intervention militaire en dernier ressort, dans l’éventualité où se produiraient un génocide ou d’autres massacres à grande échelle, un nettoyage ethnique et de graves violations du droit humanitaire que les gouvernements souverains se sont révélés impuissants ou non disposés à prévenir.

L’idée maitresse du principe de « responsabilité de protéger » est que si la souveraineté donne le droit à un État de « contrôler » ses affaires intérieures, elle lui confère également la « responsabilité » principale de protéger sa population à l’intérieur de ses frontières, en cas de manquement à ses prérogatives, que cette responsabilité soit confiée à l’ensemble de la communauté internationale. De la sorte, un État ne peut plus invoquer sa souveraineté pour refuser toute ingérence extérieure à l’intérieur de son territoire national et qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger une population contre des catastrophes ou des violences lorsque l’État dont elle relève n’est pas disposé à le faire ou en est incapable. Cette « responsabilité » peut parfois consister dans une guerre officiellement motivée par le secours d’une population victime d’agressions des groupes armés [1].

En septembre 2005, à l’Assemblée générale des Nations Unies, tous les États Membres ont officiellement accepté la responsabilité de chaque État de protéger sa population du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Au Sommet, les dirigeants mondiaux ont également convenu que, lorsqu’un État ne satisfait pas à cette responsabilité, tous les États (la “communauté internationale”) sont responsables d’aider à protéger les personnes menacées par ces crimes. Au cas où les moyens pacifiques – notamment diplomatiques, humanitaires et autres – seraient insuffisants et où les autorités nationales échoueraient manifestement à protéger leur population, la communauté internationale devrait agir collectivement en temps utile et de manière résolue – par l’entremise du Conseil de sécurité des Nations Unies et en conformité avec la Charte des Nations Unies, au cas par cas et en coopération avec les organisations régionales selon qu’il convient. C’est en avril 2006 que, pour la première fois, le Conseil de sécurité a fait officiellement référence à la responsabilité de protéger, dans la résolution 1674 sur la protection des civils en période de conflit armé. Le Conseil de sécurité s’est référé à cette résolution en août 2006, alors qu’il adoptait la résolution 1706 autorisant le déploiement de forces de maintien de la paix des Nations Unies au Darfour (Soudan)[2].

Le principe de responsabilité de protéger a été invoqué lors de l’invasion de la Libye par l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, le 17 mars 2011, qui a autorisé les États Membres à prendre “toutes les mesures nécessaires” pour protéger les civils sous la menace d’une attaque dans le pays. La même année, en Côte d’Ivoire en proie à une crise post-électorale très violente, le Conseil de sécurité des Nations Unies a, le 30 mars 2011, adopté à l’unanimité la résolution 1975 condamnant les violations flagrantes des droits de l’homme commises par les partisans tant de l’ex‐Président Laurent Gbagbo que du Président Ouattara. La résolution a fait état de la responsabilité première de chaque État de protéger les civils, exigé le transfert immédiat du pouvoir au Président Ouattara.

Ainsi, le principe de responsabilité de protéger comporte le risque d’une instrumentalisation à la fois politique et militaire de ce concept aux contours flous et aux marges du droit international traditionnel par les puissances occidentales. Elles l’instrumentalisent soit pour occulter l’absence de volonté politique dans un conflit (Yougoslavie, Rwanda), soit pour le mettre au service de leur désir d’hégémonie (Kosovo, Irak, Libye, Côte d’Ivoire). Accepter  donc le principe de la « responsabilité de protéger », autre appellation de l’ingérence, c’est fournir un prétexte aux puissances, et en particulier à la puissance hégémonique, pour violer la souveraineté d’un autre État. C’est leur accorder un droit virtuellement illimité pour renverser les gouvernements accusés de ne pas répondre à leur volonté. D’autant qu’il leur est facile d’user de la force, en particulier sous sa forme technologique, contre des peuples incapables de contre-attaquer[2].

Par ailleurs, pour le cas de la RDC, l’opinion est sans ignorer que les signaux de la situation politique et sécuritaire en provenance de la RDC sont très alarmants avec la sur-militarisation de la garde républicaine de Kabila dont on a des indices qu’elle se prépare à des actions de guérilla urbaine.

Il n’est donc pas exclu, vu les pays engagés dans cet exercice, que cela vise la RDC pour éviter de se retrouver dans une situation identique à celle du Burundi. L’ampleur d’une crise politique et sécuritaire en RDC, un pays déjà instable avec plus de 70 groupes armés, risque d’être exponentielle.

Comment prévenir une crise de telle ampleur en RDC ?

DESC n’a pas de boule de cristal ni de solution militaire à proposer pour empêcher le pays de sombrer dans la violence. Il faut une conjugaison de plusieurs actions convergentes : politiques, diplomatiques, citoyennes et populaires en amont pour empêcher le régime de Kabila de » burundiser » la RDC. Cela doit se faire en amont, bien avant la fin de son mandat car il est admis qu’il sera désormais techniquement impossible d’organiser l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels pour cause de blocage délibéré du processus électoral par le régime de Kabila qui instrumentalise la CENI et le pouvoir judiciaire.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu.

Références

[1] – See more at: http://afridesk.org/fr/la-france-en-afrique-aux-marges-de-la-responsabilite-de-proteger-aux-frontieres-du-neocolonialisme-jj-wondo/#sthash.X7b5FyDK.dpuf.

[2] http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/pdf/responsablility.pdf.

[3]   Jean-Marie Crouzarier, Revue ASPECTS, numéro 2 – 2008, pages 13-32.

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4 Comments on “Un exercice militaire européen d’évacuation dans un pays en conflit pour quoi faire ? – DESC”

  • ringho iniesta

    says:

    Si les belges se préparent pour. Ce genre d exercices certes il ya un truc que eux soupçonnent et cela ne doit pas être craints. Il faut prévenir que guérir dit ont ce qui se passe a BENI pour les consciences intactes mérite une intervention musclée car le mutisme ,le laxisme sont a son apogée. Les tueries d’une rare violence se déroulent sans que l’on n en parle …rien … rien… Personnellement je n’ai jamais cru a mes yeux c est tout simplement horrible ,un véritable GENOCIDE une mort par sélection attribuée . Seules sur les télévisions étrangères c’est la que nous voyons des images et sur les réseaux sociaux . Peut être la Belgique aurait senti d’une part un relâchement dans son ancien territoire et qu’elle craint une répétition de drames pour les quels aujourd’hui on regrette de n’avoir pas vite agit .les uns aujourd’hui regrettent de n avoir pas été souplent et prévoyant. Cette fois on a alerté a plusieurs reprises dans les medias sociaux que ce qui se passe a BENI NORD Kivu est véritable génocide un razzia du type 11e siècle avant JC .1196 personnes égorgées sans aucune autre forme de procès et dans un silence absolu abasourdissant aussi. 1436 personnes emportées ou enlever sans que personne n’intervienne pour dénoncer ,seule la société civile monte au créneau et parfois menacée de fournir des informations car n étant pas autorisée a rendre publique des trucs sensibles.

  • Passy

    says:

    Il est temps à chaque gouvernement de prendre sa responsabilité pour éviter, le deuxième Libye, deuxième Burundi etc.

    • Bena Kongo

      says:

      Mais ostende, Anvers, nionso eza ba ville cotiere ya mayi or Kinshasa pe eza ville cotiere ya mayi, donc ba para-commandos ya groupe des Forces Spéciales. Ya ba militaires néerlandais, allemands et britanniques Belges na yaya na bango Americains po ye akoki kozanga te bakoyela par Brazzaville tala kaka, Mais Djoe Kabila na bato naye baza ko revaka. Makambo ya Libye ebandaka kaka boye , surtout tango ba Néerlandais, elingaka koloba ke makambo ebandi vraiment…. affaire a suivre

      Mais biso ba Vraie Bana Congo toyebi na biso ke il faut ba militaires ya mokili mobimba (ONU)baya na RDCongo sima bitumba ekosalama pe ndenge bango bayaka pona ba Congolais te mais pona ba interret ya ba nboka na bango, donc bako bounda na bato na bango batiaki , donc ekozala Mbua azui maman na ye Mbua , tango bakolembana sima nde biso bana Kongo tokosilana na bango mibale , donc groupe ya ONU na ya ba Collabo….Il faut toyeba ke bitumba ekobimaka na RDCongo po elobama …. suivre ..

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