Cet article s’inscrit dans la même perspective que l’analyse publiée précédemment sous le titre « Les effets néfastes de l’impunité sur l’État de droit au Congo-Kinshasa »[1]
Soupçonné de détournement des fonds destinés à la gratuité de l’enseignement, Willy Bakongo s’était résolu de tout abandonner pour prendre le large en traversant le fleuve Congo plutôt que répondre au mandat de comparution du Parquet général près la Cour de cassation qui tenait à l’entendre. S’étant retrouvé à Brazzaville afin d’y prendre l’avion pour une destination plus éloignée de la justice, il y fut cueilli et ramené à Kinshasa où, dans une procédure de flagrance, il fut jugé et condamné en premier et dernier ressort par la Cour de cassation pour blanchiment d’argent du fait de la détention par devers lui d’une somme d’argent liquide au-delà de ce qui est permis d’avoir pour un voyage. C’était le 30 avril 2021, et la peine lui infligée était de 3 ans de servitude pénale principale (prison ferme).
A la faveur d’une ordonnance présidentielle signée sept mois plus tard, l’opinion publique et même les professionnels de la justice se sont réveillés scandalisés d’apprendre que Willy Bakonga venait de bénéficier d’une mesure de grâce présidentielle collective, mesure relevant du pouvoir discrétionnaire du Président de la République. Le tollé général que cette information a soulevé au sein de l’opinion publique, spécialement dans les réseaux sociaux, a permis de découvrir que sieur Luntaka Bonheur, Procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, avait abusé de l’ordonnance présidentielle pour y glisser malicieusement le nom de Willy Bakonga, pourtant non éligible à une quelconque mesure de grâce. Très vite, la nouvelle s’est répandue à travers tout le pays jusqu’au sein de la diaspora, avec des commentaires allant dans tous les sens.
Au regard du caractère profane des commentaires qui continuent de circuler à ce sujet, briser notre silence a paru nécessaire pour répondre de manière éclairée aux multiples questions qui ne cessent de nous parvenir et auxquelles nous ajoutons les nôtres (plus techniques), entre autres :
– Est-ce par erreur, par arrangement ou par incompétence que le nom de Willy Bakonga s’est retrouvé sur la liste des bénéficiaires de la grâce présidentielle ?
– Quel itinéraire a parcouru cette liste avant qu’elle parvienne au Directeur de la prison centrale de Makala pour disposition ?
– Peut-on s’attendre à des sanctions contre ce haut magistrat, de quelle nature?
– L’erreur ou la faute est-elle définitivement profitable à Willy Bakonga ou, qui peut décider de son retour en prison ?
Comment le nom de Willy Bakonga s’est infiltré sur la liste des condamnés à gracier
On n’aura peut-être jamais une réponse toute faite à cette question. Mais certains éléments d’analyse permettent de rassembler des indices pouvant éclairer l’enquête et l’opinion. Il convient de rappeler qu’au sujet des soupçons de détournement des fonds destinés à la gratuité de l’enseignement, l’ancien ministre Willy Bakonga n’a jamais été entendu au Parquet général près la Cour de cassation. Au lieu de s’y présenter et avoir le courage de défendre « son innocence », la fuite était son seul salut pour se soustraire aux poursuites, qui lui auraient valu une lourde condamnation. Stoppé dans cette fuite à Brazzaville, il a été trouvé sur lui des sommes d’argent qui ont permis au Parquet général près la Cour de cassation de le poursuivre en retenant contre lui le blanchiment d’argent. La suite, c’est la peine de 3 ans de servitude pénale qu’il était en train de purger jusqu’à sa sortie inattendue de la prison.
C’est donc quelqu’un qui, sachant qu’il lui était impossible d’échapper à une peine plus sévère et plus humiliante, ne pouvait lésiner sur aucun moyen pour y échapper. Pour la réussite d’un tel projet, le concours d’un ou de quelques intervenants était indispensable. Le Procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe est-il l’homme-providence qui lui a facilité cette tâche ? En tout cas le dossier de détournement non encore instruit et sa fuite interrompue par son arrestation à Brazzaville sont des indices suffisants qu’un magistrat même récemment recruté aurait pu prendre en considération pour ne pas risquer de mettre sa carrière en péril et sa réputation en cause.
Qu’est-ce qui a pu donc motiver ce Procureur général pour qu’il se passe de tout ceci sachant que dans un corps aussi hiérarchisé comme la magistrature, sa liste allait passer par un certain filtrage avant de finir sa course à la prison pour exécution de l’ordonnance présidentielle ? Selon des procureurs généraux plus anciens et plus expérimentés que nous avons contactés « Généralement c’est une commission ad hoc qui est constituée pour dresser une liste à communiquer au Procureur général près la Cour de cassation à titre de rapport avant toute exécution d’une mesure de grâce. » Dans le cas d’espèce, ça ne se serait pas passé ainsi, et pourquoi ?
« D’après un courrier de la ministre de la Justice du 26 novembre 2021 adressé au Procureur Général près la Cour de Cassation, cet ancien ministre condamné à 3 ans de prison pour blanchiment des capitaux et 80.000 dollars d’amende est bénéficiaire d’une décision irrégulière.
« Le Procureur Général près la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe a, par sa lettre du 25 novembre 2021, transmis au Directeur de la Prison Centrale de Makala, la liste des personnes condamnées par les juridictions de son ressort éligibles à la mesure de grâce en y insérant même celles condamnées par la Cour de Cassation dont Monsieur Willy Bakonga Wilima », a-t -elle fait observer.
La ministre de la Justice constate que cet acte illustre un excès de pouvoir qui porte atteinte à l’exécution de l’Ordonnance présidentielle du 28 juillet 2021 portant mesure collective de grâce. Elle a invité le Procureur Général près la Cour de Cassation à constater ce manquement grave et d’en tirer les conséquences qui s’imposent à l’endroit de son auteur conformément aux dispositions légales en la matière et au statut des Magistrats en vigueur.[2]

Que faut-il attendre de l’action disciplinaire à charge du Procureur « fautif » ?
Le scandale soulevé par la grâce présidentielle dont « a bénéficié » Willy Bakonga a vidé les derniers espoirs de ceux qui croyaient à la restauration de la justice au point que la ministre de la justice est sortie de son silence pour enjoindre le Procureur près la Cour de cassation de faire rechercher Willy Bakonga pour le ramener à la prison, et d’ouvrir une action disciplinaire à charge du Procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe.
En ce qui concerne Willy Bakonga, cette injonction nous paraît n’être qu’une simple formalité destinée à sauver les meubles. En Effet, cette injonction devient comique dans la mesure où, après avoir été arrêté pour une première fois à Brazzaville, W. Bakonga a certainement pris toutes les précautions imaginables pour garantir cette fois une fuite bien « sécurisée ». Sa famille s’est même invitée à la confusion pour brouiller les recherches en faisant croire que W. Bakonga est porté disparu alors qu’il était entre les mains des autorités judiciaires. « Le ministre Bakonga est introuvable. « Nous, sa famille, sommes aussi à sa recherche et nous n’avons aucune idée de là où il peut être. C’est plutôt à la justice d’indiquer où il pourrait se trouver », avait confié à 24sur24 une source.[3] Les rumeurs les plus folles rassurent que sa fuite n’a été qu’une évasion déguisée et savamment organisée avec la complicité des personnes extérieures à la justice, en connivence avec les autorités judiciaires et carcérales.
Quant au dossier disciplinaire D023 ouvert à charge de ce Procureur général sur injonction de la ministre de la justice, les magistrats eux-mêmes s’interrogent sur son issue étant donné qu’il jouirait des protections politiques d’une part et, d’autre part, il a exercé au cabinet du Procureur général près la Cour de cassation (son chef hiérarchique) avant sa nomination au Parquet général de Kinshasa/Gombe.
Pour le moment, seul le Directeur de la prison centrale de Makala, le colonel Flory Kadima, paie les frais, ayant écopé d’une suspension de trois mois à l’issue d’une action disciplinaire ouverte à sa charge. Quant à M. Lunkata Bonheur, les professionnels de la justice aimeraient savoir pourquoi l’instruction de son dossier disciplinaire dure si longtemps et pourquoi surtout, aucune mesure conservatoire, exemple une suspension, n’a été prise à sa charge en attendant la clôture. Ce lundi 06 décembre, son absence a été très remarquable à la cérémonie de la rentrée judiciaire qui se fait une fois par an et qu’organisait la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, alors qu’il devait y prononcer comme cela est de coutume son discours sur un sujet préoccupant de droit.
Conclusion
Pour beaucoup de Congolais, la fin du règne de Joseph Kabila signifiait également celle de longues années d’impunité au cours desquelles on n’a vu aucun dignitaire défiler devant la barre ni être condamné par la justice. Le peuple s’y était habitué et même résigné, se défoulant dans la prière, implorant le messie des temps modernes qui viendrait miraculeusement les délivrer et s’appropriant naïvement les visions et autres miracles distribués à longueur des journées par des églises dites de réveil. Parmi les raisons de croire à l’alternance (qui ne signifie pas nécessairement le changement), il y a l’historique combat de feu Etienne Tshisekedi d’instaurer au Congo l’État de droit, combat « génétiquement » hérité sous-forme de slogan par le nouveau pouvoir et dont la mise en œuvre a connu un démarrage retentissant grâce à la tenue du procès dit de cent jours.
A l’exception des plus sceptiques, les Congolais n’ont pas eu tort d’y croire et d’espérer, convaincus entre autres que le démantèlement des réseaux mafieux et des crimes économiques allait se poursuivre notamment grâce à la nomination de nouveaux responsables de la justice, à la mise sur pieds de l’agence de lutte contre la corruption et plus tard, à la redynamisation de l’Inspection générale des finances (IGF).
Aujourd’hui, la déception (légitime) va au-delà des attentes qui avaient justifié l’adhésion massive au nouveau pouvoir (s’abstenir de le dire n’est ni patriotique ni honnête). En effet, non seulement des millions de dollars américains continuent d’être scandaleusement siphonnés des caisses de l’État en toute impunité, les présumés auteurs s’en sortent aisément sans égratignure judiciaire visible grâce à la procédure de mise en liberté provisoire, au classement sans suite de leurs dossiers, à des condamnations fantaisistes ou non exécutées permettant aux condamnés de recouvrer rapidement leur liberté. Combien d’argent a été récupéré des mains de Vital Kamerhe, d’Eteni Longondo, de Willy Bakonga et tant d’autres dossiers dans lesquels la justice a montré ses limites (Thambwe Mwamba, Matata Ponyo, Albert Yuma…?)
Le bilan de la justice étant indissociable du mandat politique, que dira le Chef de l’État au peuple sur le volet « État de droit » en 2023, lui qui est constitutionnellement le garant du bon fonctionnement des institutions ? Va-t-il maintenir les mêmes critères (autres que légaux) de nomination des animateurs du pouvoir judiciaire ou va-t-il se faire violence pour accepter un traitement de choc ?
Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Juriste et Criminologue
Références
[1] Kongolo. JB, Afridesk.org,12 novembre 2021, In https://afridesk.org/les-effets-nefastes-de-limpunite-sur-letat-de-droit-au-congo-kinshasa-jb-kongolo/
[2]La plume infos.net, 21 novembre 2021, In https://laplumeinfos.net/societe/rdc-la-ministre-de-la-justice-juge-la-remise-en-liberte-de-willy-bakonga-d-039-irreguliere-et-instruit-le-pgr-de-le-retourner-en-prison-2874.html.
[3] In https://24sur24.cd/liberation-de-willy-bakonga-le-directeur-de-la-prison-de-makala-suspendu-pour-trois-mois/le
One Comment “Sortie de prison de Willy Bakonga : évasion déguisée ou erreur de la justice congolaise ? – JB Kongolo”
Solange MAFUTA
says:On a vu les membres de l’UDPS brûler des pneus contre la libération de VK sans que cela n’ebranle le chef de l’état, donc il n’écoute plus la base?
A quoi sert l’IGF alors si les voleurs sortent comme des stars ?
Si c’est ça l’état de droit, je présente mes excuses à kabila. Trop déçue par les dirigeants de ce pays, ça ne donne même pas envie d’apprendre l’amour du pays à nos enfants….