Le scandale sur un réseau de trafic illégal du nouveau passeport biométrique à Goma
Alors que l’opinion publique est en plein émoi d’apprendre la décision de remplacement du passeport semi biométrique actuellement en cours de validité par un nouveau passeport, voilà que la vigilance de DESC, images à l’appui, permet de dénoncer un réseau de trafic de ce nouveau passeport à Goma.
Un passeport biométrique déjà en en dehors du circuit officiel
Des sources DESC à Goma, dans le Nord-Kivu, nous ont fait état d’un réseau de trafic illégal à Goma du nouveau passeport biométrique.
Nos sources sont parvenues à obtenir difficilement les images en caméra cachée de mauvaise qualité de ces opérations qui se déroulent en dehors de toute structure administrative officielle à Goma.
Les opérations d’obtention de ces passeports se déroulent en pleine controverse de la décision du vice-ministre des affaires étrangères, Aggée Aje Matembo, annonçant l’invalidation des passeports semi-biométriques actuellement en cours de validité à partir du 16 octobre 2017, à la surprise générale. Une décision qui suscite un tollé général d’autant que les autorités compétentes peinent à justifier de façon convaincante les motivations de cette décision sortie de nulle part.
Cette décision fait suite à un précédent scandale révélé par une enquête de l’agence Reuters dénonçant un processus mafieux de fabrication du passeport actuellement en cours de validité dont une partie des recettes échappait au trésor public pour atterrir dans une société offshore détenue par une proche de Joseph Kabila, la dénommée Makie Makolo Wangoi , identifiée comme étant la demi-sœur de Kabila. Selon cette enquête, l’essentiel des sommes versées par les détenteurs de ce passeport va directement à Semlex, une entreprise, basée en Belgique, qui produit des documents de voyage (passeports, cartes d’identité…), et à une petite société basée aux Emirats arabes unis (EAU). Cette société du Golfe, LRPS, reçoit 60 dollars pour chaque passeport fourni, d’après les documents officiels du marché conclu entre le gouvernement congolais et Semlex. LRPS, une entreprise appartenant à Mme Makie Wangoi, est enregistrée à Ras al-Khaïmah, aux EAU, mais les détails concernant son propriétaire ne sont pas consultables[1].

Des demandeurs traversant la frontière rwandaise pour obtenir le passeport à Linda Hôtel à Goma
Selon les images transmises à DESC, les faits se déroulent à LINDA Hôtel dans les rivages du Lac Kivu à Goma.
Dans ces images, on peut grosso modo comprendre en swahili que le monsieur qui enregistre les demandes de passeport fait croire au demandeur qu’il est en retard et que l’ordre a déjà été donné d’arrêter la capture et les demandes et que c’est une faveur qui est accordée aux retardataires chanceux.
L’intéressé offre même des services de remplissage des formulaires, ou de suggestion des éléments à renseigner pour ceux qui n’ont pas toutes les informations liées leur identité ou sur leur localisation.
Ci-dessous, la vidéo exclusive de DESC d’un extrait de ces opérations dans l’enceinte de LINDA Hôtel.
On peut même entendre le délivreur des documents dire à la dame dans la vidéo qu’elle est privilégiée de pouvoir avoir le passeport avec facilité.
« Apparemment, c’est une opération sécurisée par des personnes en tenue civile postées discrètement dans le jardin de l’hôtel », nous dit un autre informateur ».
« L’argent est empoché et les comptes sont réglés faits plus tard à une personne dénommée Anselme et son collaborateur ». Anselme est identifiable en chemise rouge sur la photo ci-dessous. Ces images ont été prises le weekend du 16 septembre 2017.

Nos sources qui ont suivi tout le déroulement de ces opérations renseignent que les activités se déroulent non-stop, même le weekend, entre 7h à 23h. En poursuivant discrètement leur filature, nos sources ont constaté que plusieurs demandeurs proviennent de l’autre côté de la frontière avec le Rwanda et beaucoup ont un fort accent rwandais car ayant été accostées par ces derniers pour les aider à atteindre Linda Hôtel avant de les y retrouver discrètement en train de faire la file ou de remplir les formulaires ad hoc.
Une mesure surréaliste, aux relents politiciens, qui suscite le tollé général, mais les Congolais finiront par s’en accommoder
Dans les rangs de la majorité comme dans l’opposition, voiredu côté de l’opinion publique, les voix s’élèvent pour dénoncer cette mesure qui contrevient aux principes fondamentaux du droit administratif.
Sur son compte twitter, l’ancien vice-ministre des Affaires étrangères, Yves Kisombe, un chantre de la Majorité présidentielle a déclaré sur Top Congo que « cette mesure administrative viole le droit du citoyen congolais ». Selon lui : « les texte en vigueur garantissent aux citoyens le passeport semi-biométrique jusqu’à son expiration. » Il soutient qu' »aucune mesure administrative, conformément au droit administratif, ne devrait violer les droits des congolais garanties par la loi. Pour Yves Kisombe : «Je demande à mon ministre des Affaires étrangères de mon pays de retirer cette mesure illégale et impopulaire.»
Pout le député national Christian Mwando Nsimba, cadre du G7 soutenant Moïse Katumbi, de son côté rejette les raisons avancées par le vice-ministre pour justifier cette annulation et parle d’acte criminel. Il rappelle qu’il y a deux mois, il avait interpellé le ministre des Affaires étrangères sur une augmentation de dix dollars sur le prix du passeport de la RDC déjà très couteux. « Il s’agit d’un acte criminel qui est posé par des prédateurs en vue d’appauvrir davantage et de profiter du peuple congolais. Il y a deux mois, le ministre des Affaires étrangères a signé un arrêté dans lequel il s’octroie un bonus de 10 dollars sur chaque passeport acheté. Cet argent est versé dans un compte privé. C’est une continuation d’un vol organisé par le ministère des Affaires étrangères », indique Christian Mwando Nsimba.
L’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) accuse le ministère des Affaires étrangères d’avoir violé un des principes importants du droit administratif, qui est la continuité du service public. Sur Radio Okapi, Georges Kapiamba, a relevé le fait que cette décision a été prise dans un communiqué. Ce qui, selon lui, empêche les Congolais lésés par cette mesure d’attaquer l’Etat en justice. « Ce communiqué est une décision prise dans les formes qui violent les lois de la République. Parce qu’en prenant un communiqué en lieu et place d’un arrêté, il l’a fait sciemment pour empêcher les personnes lésées à pouvoir attaquer devant la justice. C’est aussi une violation du droit au recours qui est garanti à tous les citoyens par la constitution », s’est plain M. Kapiamba, dénonçant également une violation des droits acquis.
La population interrogée par Radio Okapi qualifie cette décision d’une « mesure impopulaire et inopportune ». « L’Etat est en train d’escroquer sa propre population. Je suis déçu. Dans ce pays, les gens souffrent. C’est de l’escroquerie que de vouloir remettre en cause la validité d’un passeport livré par les services compétents », se plaint l’un des intervenants.
La particularité de cette mesure aux relents politiciens, car il viserait aussi la restriction des mouvements de certains acteurs politiques ou publics opposés au régime Kabila. C’est ce qu’avance, sur sa page Facebook, le député illégalement invalidé de la liste de l’ECiDé, Bonny Serge Welo OMANYUNDU [2]:
Chers Amis,
J’ai pris le temps de réfléchir sur la décision prise de manière brusque par le Gouvernement Kabiliste sur le fameux passeport biométrique, je sens une odeur politique là dessus.
Ce Pouvoir ne chercherait-il pas à bloquer les mouvements de certains opposants qu’il trouve gênants ?
Surtout ceux qui sont en EXIL (Katumbi, Dokolo, Mbusa etc…) car ils sont eux aussi soumis à cette obligation de présenter une nouvelle demande de passeport. Y compris quelques opposants radicaux au régime qui sont au Pays.
Je me demande quelle suite les services « politico-administratifs et sécuritaires » de Kabila leur reserveraient-ils ?
Parce que l’une des stratégies des KABILISTES consiste non seulement à les étouffer mais aussi à réduire leurs mouvements gênants dans des officines des « decideurs internationaux » ou carrément à immobiliser ces opposants là où ils se trouvent en exil afin qu’ils ne puissent plus rentrer au pays pour postuler et battre campagne au cas où ils vont se porter candidats s’il y aura élections.
Croyez-moi, dans les prochains mois, nous attendrons parler peut-être d’une liste noire des opposants qui auront à remuer ciel et terre pour obtenir ce fameux passeport biométrique de la RDC.
Bandeko,
Ne voyons pas ce scandale des Passeports uniquement dans son aspect « ESCROQUERIE D’ETAT ».
Personnellement, je sens une odeur « POLITICO-ADMINISTRATIVE ET SÉCURITAIRE » dans cette affaire…
Ces gens là sont capables de tout. Et je ne vois pas ce jeune Vice-ministre « TOTO » prendre seul cette décision. Ça pourrait venir des « LABORATOIRES » de la TRÈS HAUTE HIÉRARCHIE.
Laissons le temps au temps.
Honorable Serge Welo
Pour une fois, le régime congolais fait unanimité contre lui. Mais une des particularités de cette décision insensée est qu’elle touche plus la classe moyenne congolaise que la masse populaire paupérisée dont l’obtention d’un passeport est du ressort de prohibitif. Or c’est souvent cette masse populaire qui est au front lors des manifestations populaires pendant que la classe moyenne, embourgeoisée et même contente de sa situation sociale, se complait à contempler ces « manifs » dans leurs bureaux ou résidences climatisées. Voilà au moins une occasion idéale qu’offre le régime de Kabila aux Congolais d’en haut et d’en bas, majorité présidentielle et opposotion confondue, de cimenter une cohésion nationale pour dire non, #Esili, à un régime, extraverti et à la solde du Rwanda, qui n’a que faire des Congolais.
Conclusion
Alors que l’opinion est dans l’émoi de découvrir la décision insensée et difficilement injustifiable de remplacement de l’actuel passeport, voilà le régime de Kabila en complicité avec le ministre des Affaires étrangères pris la main dans le sac dans ce trafic illégal qui échappe complètement au contrôle de l’administration compétente et du trésor public alors que la situation financière du pays est au rouge. Lorsque l’on sait le prix prohibitif de ce nouveau passeport, vendu à 225 €, on se rend compte à quel point le régime illégal de Kabila se criminalise au jour le jour. Pire encore, ces passeports sont fournis aux personnes sans aucune forme vérification rigoureuse de leur identité ou nationalité. Il n’y a non plus aucune initiative enclenchée au niveau du parlement pour interpeller le gouvernement sur les modes de fabrication de ces passeports, les coûts de sa fabrication encore moins sur la procédure d’attribution du marché à l’entreprise de fabrication de ces nouveaux passeports. Les députés se complaisent à poser des questions périphériques.
Après le scandale d’attribution de marché pour les kits d’enregistrement des électeurs à Gemalto via une procédure opaque et illégale, voici M. She Okitundu au cœur d’un autre vaste scandale des passeports biométriques. Où est l’éthique dans tout ça ?
Jean-Jacques Wondo OMANYUNDU / Exclusivité DESC
Références
[1] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/13/rdc-la-piste-du-scandale-des-passeports-biometriques-mene-au-clan-kabila_5110933_3212.html.