Nommé Administrateur général de l’ANR depuis le 1er août 2023, le Dr Daniel Lusadusu Nkiambi, médecin militaire diplômé de l’Ecole royale militaire belge, donne la vision qu’il compte imprimer au sein de ce service dans une feuille de route ambitieuse dont il a obtenu le quitus du Président de la République, Félix Tshisekedi. La restructuration, la professionnalisation, la modernisation, et l’amorce du processus d’humanisation du service de la sûreté nationale congolaise constituent les principaux axes de travail de cet ancien officier supérieur des Forces armées zaïroises, diplômé de la prestigieuse académie royale militaire belge (ERM).
Réorganiser la structuration et le fonctionnement de l’ANR pour plus de cohérence et d’efficacité
En RDC, depuis l’époque coloniale, les services de renseignements ont toujours été utilisés à tort comme le bras répressif du pouvoir en place au point de dévoyer ses missions régaliennes[1]. Pourtant, leur mission première est d’assurer la sureté de l’Etat et de prévenir des menaces graves contre la sécurité nationale.
Ramener l’agence à sa fonction première, celle d’être en mesure de fournir les renseignements nécessaires à la prise de décision politique qualitative quant à la sécurité du pays face à ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. « Ennemi ne signifiant pas opposant politique », dit-il dans son allocution de prise de fonction. Il s’agit plutôt d’une « personne agissant contre les intérêts de la nation, en particulier dans un contexte d’un pays continuellement confronté à plusieurs décennies de conflits armés et sécuritaires polyformes ». Telle est la nouvelle réorientation de la fonction de renseignement selon le Dr. Lusadusu.
En effet, la professionnalisation de l’ANR est la condition sine qua non d’en faire un service efficace, exigeant des compétences de plus en plus spécialisées. Investir dans l’humain en ramenant au sein de l’ANR les cerveaux les plus pertinents dont le pays regorge en matière de sécurité est un autre volet des objectifs poursuivis par l’Administrateur général de l’ANR. « Ce sera la fin des recrutements népotiques de circonstance, la période qui s’ouvre est celle de la méritocratie, de l’excellence et du patriotisme », martèle-t-il. Selon le Dr. Lusadusu, l’armée et les services de sécurité et de renseignement sont des organes suprêmes et des instruments de souveraineté d’un Etat sans lesquels l’Etat ne peut exister. Par conséquent, les hommes qui la composent doivent être très bien formés et doivent disposer d’un sens pointu de rigueur, de compétence, de professionnalisme, de respect, d’honneur, d’éthique, de patriotisme et de discipline au service des intérêts suprêmes de la nation.
L’éthique professionnelle ainsi que les valeurs et les normes qu’elle sous-tend doivent devenir les fondements de l’efficacité fonctionnelle et opérationnelle de l’ANR. Cela doit renvoyer à une gamme de croyances, droits, valeurs et mœurs communes qui constituent l’éthique du service et la nouvelle culture professionnelle de l’agence et qui guident son action et son comportement. En ce sens, l’éthique professionnelle des agents de l’ANR est indissociable de la notion de service public. Dans la plupart des institutions sécuritaires des États modernes et puissants, on est pleinement conscient de la nécessité d’une formation sur la sensibilisation à l’éthique. La formation de l’agent exige en même une élévation morale.
La formation des agents reste au cœur de la professionnalisation de l’ANR
Au cours des dernières années, dans bon nombre de services de sécurité et de renseignement, on a mis à jour et élaboré des programmes spécifique ou on en a créé de nouveaux, en vue de permettre aux agents de renseignement d’acquérir une connaissance appropriée et d’accroître leur compétence et de développer une expertise de qualité. D’où la nécessité de mettre en place des modules de formation bien calibrés aux besoins de sécurité. Il sera également question de mettre à la disposition du personnel de l’ANR des outils de travail adéquats et d’améliorer leurs conditions de travail en vue de moderniser l’ANR pour l’élever au niveau des standards internationaux et des services étrangers dans l’objectif de la rendre capable de fournir des informations pertinentes et utilisables (= renseignement) en vue de la mise en œuvre des politiques sécuritaires de la nation, en se donnant les moyens (financiers, techniques et humains) de sa politique. C’est remettre au centre de sa politique les valeurs de travail, de rigueur, de discipline et de loyauté absolue à la Nation.

Moderniser l’ANR pour plus d’efficacité
La modernisation de l’ANR est un autre socle de la réforme que doit impulser le Dr Lusadusu. Compte tenu des menaces sécuritaires actuelles multiformes auxquelles la RDC est confrontée, résultant notamment de l’internationalisation de la sécurité, une modernisation du renseignement s’impose.
En effet, renseigner c’est enseigner (instruire, indiquer) quelque chose en réponse à une demande. Un renseignement est, à première vue, une information estimée par sa pertinence à l’égard d’une question posée. Un renseignement est aussi, par essence, l’exposé de faits répondant à un besoin. Pour être bon, le renseignement doit correspondre à des faits avérés, accessibles (données), précis ou porteurs de sens (informations), concevables ou mémorisables (savoirs) et compréhensibles tous ensemble. Par conséquent, le travail théorique sur le renseignement qu’il est désormais important de mener au sein de l’ANR doit s’intéresser prioritairement (essentiellement) à ce qui contribue à garantir sa qualité essentielle qui est de répondre en temps voulu à la demande des autorités pour la bonne marche du pays. D’où l’importance cruciale de doter l’ANR de moyens d’investigation modernes et de conditions de travail dignes.
Humaniser l’ANR pour conformer les pratiques de l’ANR aux normes démocratiques internationales d’un État de droit
En Afrique, comme partout dans le monde, les services de renseignements ont généralement mauvaise presse du fait qu’ils sont souvent indexés pour leurs fréquentes violations des droits humains dans l’exercice de leurs missions. Il s’agit là d’un défi majeur que doit relever le nouvel Administrateur général de l’ANR. Alors qu’elle était devenue depuis des décennies une officine de règlement de comptes privés, il est temps de démontrer dans les actes et les modes opératoires du personnel de l’ANR que l’Agence est là pour protéger la population et non la martyriser.
Dans un Etat démocratique, fondé sur le principe d’Etat de droit, le respect des droits de l’Homme dans le fonctionnement de tous les services publics a un caractère sacré. Ces dernières années, la RDC est régulièrement indexée dans les rapports du Bureau conjoint des Nations unies sur les droits de l’homme (BCNUDH) comme étant un pays très peu respectueux des droits humains. Le pays est régulièrement classé au bas de l’échelle de plusieurs classements mondiaux établis à cet effet. Ces rapports établissent en outre que la majorité des cas de violations des droits humains sont commis par les agents de l’Etat ; c’est-à-dire l’armée, la police, les services de renseignements et de sécurité. Par ailleurs, la Déclaration universelle des droits de l’Homme[2] énonce les droits fondamentaux de l’individu et leur reconnaissance et leur respect par la loi.
D’où la nécessité d’inculquer une nouvelle culture de travail aux agents de l’ANR, au travers d’une réglementation contraignante, dans l’objectif de favoriser la promotion des droits humains et d’humaniser le fonctionnement de l’ANR sans la dévoyer de sa fonction de sureté de l’Etat.
L’humanisation de l’ANR est indissociable de l’ancrage d’une nouvelle éthique professionnelle. Celle-ci doit supposer impérativement le dévouement envers son pays, le respect des dispositions constitutionnelles et des valeurs nationales congolaises et des normes internationales relatives à l’engagement et à l’excellence professionnelle. Ces valeurs fondamentales à l’éthique du service sont notamment déclinées dans le sens du devoir qui doit se manifester dans la responsabilité et le dévouement à l’égard de la patrie ; la loyauté envers la nation et ses supérieurs ; la détermination et la compétence d’exécuter ses fonctions dans le respect de la loi ; la recherche de la connaissance et de l’auto-perfectionnement professionnels ; le jugement ; le discernement et l’intelligence.
Pour le Dr Lusadusu, l’intégrité doit devenir une valeur cardinale que doit désormais porter tout agent de l’ANR. Faire preuve d’intégrité consiste à ce que ses normes personnelles reflètent les valeurs de sa profession et à s’engager à respecter ces valeurs. L’intégrité se traduit donc par un comportement éthique de principe ; la transparence des actions ; l’honnêteté et la franchise dans ses déclarations et dans l’exercice des missions ; la recherche de la vérité qu’elles qu’en soient les conséquences ; l’engagement fervent envers l’équité et la justice ; la force morale ; et plus que tout, une conduite toujours irréprochable.
Enfin, la discipline est la norme supérieure qui doit caractériser tous les agents de l’ANR, quelles que soient leurs fonctions. La discipline renvoie autant à la discipline personnelle – il s’agit d’un état d’esprit qui inspire la maîtrise de soi – qu’à la discipline collective qui doit forger l’esprit de corps et la nouvelle identité de l’ANR.
Conclusion et recommandations
L’ANR est un service d’Etat, un service public dont la mission fondamentale est de protéger les intérêts vitaux de la nation et de garantir la sûreté de l’État par les actions qui permettent, en certaines circonstances, de faire prévaloir la continuité et la survie de l’Etat et l’intérêt de la collectivité nationale congolaise.
Par essence, les opérations que mènent les services de renseignements sont secrètes. Ces derniers sont souvent appelés à recourir à la contrainte et aux méthodes clandestines pour bien mener leurs actions, parfois en portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens. Si la récolte d’informations et l’exécution de certaines opérations dites spéciales sont indispensables pour la sécurité du pays et la sureté nationale, l’ANR s’efforcera désormais à travailler en trouvant dans la mesure du possible un savant équilibre entre la sécurité et les libertés individuelles afin d’éviter des dérives pouvant mettre à mal les principes de l’état de droit. Toutefois, dans une démocratie, il semble légitime d’imposer certaines restrictions de liberté, malgré les droits garantis par notre Constitution qui constituent les valeurs de notre société, lorsqu’il s’agit exceptionnellement de préserver la sécurité nationale, la sûreté de l’Etat et l’ordre public en prévenant certaines menaces graves.
Par ailleurs, si l’originalité de la fonction de renseignement réside notamment au recours des méthodes intrusives pouvant recourir à l’usage des moyens de contrainte ou de la force, sa spécificité éthique doit absolument se fonder dans la maîtrise de cette force, et dans le fait de mettre cette dernière au service du droit, de l’honneur, de la sûreté nationale et de la survie de la Patrie. Pour ce faire, une réforme en profondeur de l’ANR s’impose en vue de la professionnaliser, la moderniser et surtout l’humaniser pour le rendre compétitif sur le plan international.
Il faudrait mener une réflexion sur l’évolution du concept du renseignement qui trop souvent, en Afrique, se réduit dans sa dimension sécuritaire/militaire et non sur une analyse anticipative globale de l’évolution d’un monde de plus en plus interconnecté. C’est ici que le terme « intelligence », tiré de l’anglicanisme, prend tout son sens et doit être intégré dans le cadre d’une « stratégie globale de sécurité nationale ». Celle-ci doit pouvoir effectuer régulièrement une analyse prospective de l’évolution du pays à court et à moyen termes. Elle doit aussi permettre d’anticiper les menaces et les risques, intentionnels comme non-intentionnels, c’est-à-dire l’ensemble des événements qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur les populations, le fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions de l’Etat et le cours de la vie économique nationale. Soucieuse des normes démocratiques, cette stratégie doit viser la cohérence dans le fonctionnement et l’exécution des missions des services de renseignements et de sécurité, tout en préservant les atteintes flagrantes aux droits et libertés fondamentaux des citoyens.
Pour le Dr Lusadusu, l’ANR doit devenir une école d’excellence, de citoyenneté, et de patriotisme, où les enjeux de l’intérêt national doivent être développés et sauvegardés à tout prix.
Cependant, pour mettre en œuvre cette feuille de route, l’Etat doit être conscient d’engager des moyens humains, juridiques, matériels et financiers conséquents[3] car la sécurité n’a pas de prix, dit-on.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Senior Expert des questions militaires, sécuritaires et stratégiques de l’Afrique médiane
Références
[1] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours, Amazon, Juillet 2019. En vente sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine-ebook/dp/B07VXHQBGC.
[2] Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris.
[3] KAPINGA K. NKASHAMA (S.), KABENGELE KALONJI (E.), KADDA (C.), MILEMBA (G.), MUKALA (J.), MUTITI (M.) et TSHIMBALANGA (A.), Etude sur l’Agence Nationale de Renseignements en République Démocratique du Congo et quelques orientations stratégiques de réforme, ASSN, Juin 2021.
One Comment “Réformer, professionnaliser, moderniser et humaniser l’ANR : la feuille de route de l’AG Daniel Lusadusu ”
Gédéon
says:C’est article est vraisemblablement intéressant. Merci beaucoup.