Par Christophe RIGAUD
Publié d’abord dans AFRIKARABIA le 19 Fév 2017
Une vidéo de près de sept minutes montre des militaires congolais abattant à bout portant des adeptes du chef traditionnel Kamwani Nsapu au Kasaï. De jeunes hommes armés de simples lance-pierres et de bâtons ainsi que plusieurs femmes sont achever devant la caméra, suscitant une vive émotion.
La vidéo, filmée par un téléphone portable, s’ouvre sur les images d’une colonne de soldats en uniforme de l’armée régulière congolaise (FARDC) progressant sur une route de terre. Au lointain, des chants se font entendre, provenant d’un groupe de personnes que l’on distingue au fond de l’image. Une voix ordonne alors de faire feu. Les silhouettes s’écroulent. Après plusieurs rafales, les soldats se rapprochent de leurs victimes, toutes à terre, toujours suivis par l’homme au téléphone portable qui continue de filmer. Les soldats se mettent alors à achever à bout portant, une à une, les personnes encore agonisantes d’une balle dans la tête ou dans le ventre.
Certains militaires identifiés
La scène que nous avons pu visionner est d’une extrême violence et difficilement soutenable. La plupart des victimes sont jeunes, armés de simples bâtons et de lance-pierres et plusieurs sont des femmes. « Regardez, ils sont en train de mourir », entend-t-on hors champ en Lingala, la langue du Congo central. « Regardez comment ils se font tuer comme des animaux » lance encore un soldat. Plusieurs noms de militaires congolais sont prononcés au cours de la vidéo de sept minutes. Le spécialiste de l’armée congolaise, Jean-Jacques Wondo, cite les noms des Majors Nyembo et Pitchou et d’un certain Bwana. Au total 13 corps sont distinctement visibles sur la vidéo.
Le groupe d’adeptes n’était pas menaçant
De nombreux foyers de contestation
La vidéo, très vite devenue virale sur les réseaux sociaux ce week-end, a suscité indignation et incompréhension de la part des Congolais. Les méthodes expéditives de l’armée congolaise, régulièrement dénoncées par la population et les opposants au président Joseph Kabila, ne sont malheureusement pas une découverte. Le pouvoir, englué dans une crise politique inextricable, fait face à de nombreux foyers de contestation : dans les Kasaï, mais aussi au Nord du Katanga, au Nord-Kivu, où les rebelles du M23 sont de retour, dans la région de Beni en proie aux milices ougandaises des ADF, mais aussi dans le Congo central où la secte politico religieuse Bundu dia Kongo défie de nouveau les autorités congolaises. Le pouvoir de Kinshasa tente donc de juguler l’hémorragie avec des méthodes peu orthodoxes. Les mêmes méthodes de répression qui ont fait au moins une cinquantaine de morts en septembre pendant les manifestations anti-Kabila.
La Monusco enquête
Le gouvernement congolais a, comme à son habitude, commencé par nier les massacres et la réalité des images vidéos, taxées de « pur montage », avant de reconnaître, devant le tollé provoqué par la violence des images, « les excès » de certains militaires. La ministre des Droits de l’homme, Marie-Ange Mushobekwa, a dit déclaré qu’une enquête avait été ouverte pour vérifier le contenu de cette vidéo. La mission de l’ONU au Congo, la Monusco, a indiqué qu’une équipe chargée d’enquêter a été dépêchée sur place pour vérifier les allégations. La semaine dernière, déjà, l’ONU dénonçait la mort d’une centaine de miliciens au Kasaï, dans des affrontements avec l’armée dans la ville de Tshimbulu. En fin de journée, dimanche, une source sécuritaire congolaise affirmait que le Major Nyembe, cité dans la vidéo, aurait été arrêté au Kasaï. Les autorités n’ont pas confirmé cette information.
Christophe RIGAUD


