DROIT & JUSTICE | 22-01-2024 23:48
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RDC : un scandale judiciaire qui interpelle le Conseil supérieur de la magistrature

Auteur : Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend

La République Démocratique du Congo est ce pays où seuls les faits revêtant un certain caractère politique sont les plus médiatisés. Il se passe pourtant des choses, particulièrement au sein du Pouvoir judiciaire, qui pourraient avoir un impact très négatif sur la paix sociale et la sécurité si elles ne sont pas dénoncées vigoureusement pour attirer l’attention des autorités compétentes. Tel est le cas d’une audience publique, d’apparence banale, qui a eu récemment lieu au Tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete siégeant en matière répressive et dont une courte séquence, filmée par un amateur, montre une dame habillée en toge et debout au prétoire, visiblement en difficulté à la fois avec le français et les notions de droit. Devant une salle pleine, la dame énumérait des infractions notamment les coups et blessures, l’association des malfaiteurs pour lesquelles elle déclarait condamner le prévenu à des peines dont elle a retenu le cumul à dix ans de servitude pénale principale.

Pour quiconque a suivi cette vidéo, il faut être professionnel du droit ou au moins juriste pour comprendre qu’il s’agissait d’un réquisitoire de l’officier du Ministère public. D’aucuns se demanderaient d’où alors vient le scandale ? C’est l’objet même de la présente analyse qui met en lumière l’incompétence notoire et l’ignorance crasse de certains magistrats tant du siège que du parquet qui gonflent les rangs de l’institution Pouvoir judiciaire et qui y bénéficient des promotions et de la considération sociale comme si le Conseil supérieur de la magistrature n’existait plus. Partant de ce qui s’est passé à cette audience, notre préoccupation est de permettre à l’opinion publique de comprendre le rôle d’un magistrat du parquet dans un procès pénal en le distinguant de celui du juge, afin d’être en mesure d’apprécier le travail que font ces hommes et ces femmes dont la carrière est noble. Et c’est pour cela que l’article 149 de la Constitution dispose que la justice est rendue au nom du peuple.

1. Distinction entre un magistrat du parquet et un juge

Tous sont des magistrats, même si dans l’opinion publique ce sont les magistrats du parquet qui sont les plus craints du simple fait que ce sont eux qui ont le pouvoir d’arrêter et de détenir, en préparation du dossier pénal. Sans entrer dans les détails techniques et les méandres judiciaires, le magistrat du parquet est celui qui, dans une affaire dite pénale (lorsque l’ordre public est troublé), recherche les infractions, identifie et arrête les suspects, les interroge pour dégager ou non leur responsabilité et saisit la juridiction compétente lorsqu’il est convaincu qu’il existe à charge de l’inculpé des indices sérieux de culpabilité. Ce n’est pas tout, car à la barre, c’est-à-dire à l’audience, c’est au magistrat du parquet intervenant comme officier du Ministère public (OMP) qu’incombe la charge de soutenir l’accusation en présentant les preuves et en démontrant clairement sans laisser l’ombre d’un doute que les faits mis à charge du prévenu constituent une infraction prévue et punie par la loi.

L’on se souviendra d’un célèbre prévenu qui, pour sa défense, avait parlé de pièce contre pièce. L’officier du Ministère public doit pour cela convaincre le juge afin de l’aider à former son intime conviction, en confrontant les faits à chacun des éléments constitutifs de l’infraction telle que définie par la loi. Ce n’est qu’au bout de cet exercice, tant redouté par bon nombre de magistrats du parquet, que l’officier du Ministère public demande au tribunal de condamner le prévenu à une peine à la hauteur du crime commis. C’est tout cela qu’on appelle réquisitoire du Ministère public, généralement écrit mais qui peut être aussi valablement oral selon les faits, l’expérience et la compétence du magistrat.

Le juge, mieux le tribunal, n’est pas tenu de suivre ce réquisitoire de l’Officier du Ministère public. À l’aide de la loi, de la jurisprudence et/ou de la doctrine, il peut requalifier les faits, en atténuer la gravité et même les considérer comme plus graves. C’est à lui, et pas à l’officier du Ministère public que revient légalement le pouvoir de dire le droit, c’est-à-dire de condamner ou d’acquitter. Mais pour que le jugement, qu’il soit de condamnation ou d’acquittement, soit une œuvre jurisprudentiellement digne de son auteur, il faut qu’il soit solidement motivé afin de décourager toute possibilité d’un recours fantaisiste.

Comme pour le réquisitoire de l’officier du Ministère public, le jugement motivé est celui qui rencontre point par point tous les éléments soulevés, en faits comme en droit, par les parties au cours de l’audience. Cela exige de la part des juges une assez grande maîtrise des textes de loi et un niveau très élevé de rédaction ou de dissertation. Dans les Palais de justice, à tous les échelons, les magistrats se connaissent, chacun avec ses atouts et ses limites, les bons et les médiocres. Il y en a, en effet, nombreux qui n’impressionnent les profanes et/ou leurs subalternes que par les titres et par les toges qu’ils portent. Mais en réalité leur place ne devrait pas se trouver dans une carrière aussi noble qu’est la magistrature. C’est le cas de Madame Mamboli ‘’MNT’’, récemment promue 1er substitut du Procureur de la République après treize ans de carrière mais dont la prestation comme officier du Ministère public au cours d’une audience publique au Tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete ferait penser à un stagiaire désigné par surprise pour compléter le siège.

2. En quoi consiste le scandale ?   

 

Incapable de lire son réquisitoire, dont elle était pourtant accrochée au papier en face d’elle, Mme Mamboli s’est contentée d’énumérer, dans un français approximatif, des infractions d’injures publiques, d’imputations dommageables, de coups et blessures et d’association de malfaiteurs mises à charge des prévenus dont elle ne décline aucune identité. Sans dire où, quand, par quels mode et degré de participation criminelle de chacun des prévenus et sans requérir le défaut à charge des prévenus absents, notre officier du Ministère public a chuté en disant : ’’ Comme ils sont absents, nous faisons le cumul et nous les condamnons à 10 ans de servitude pénale et à 500$ payables en francs congolais.’’ Ce réquisitoire laconique, indigne même d’un stagiaire, appelle des observations ci-après :

– Par quelle faveur cette dame était-elle parvenue à se faufiler dans la magistrature en 2010 (année de son recrutement), alors que cette année-là tous les magistrats avaient été recrutés sur concours ?

– A-t-elle réellement une licence en droit, obtenue régulièrement dans une université agréée par l’État congolais ?     -Treize ans dans la magistrature, elle aurait même pu être Procureur de la République. Comment a-t-elle pu tenir si longtemps sans que ses insuffisances soient constatées par ses chefs hiérarchiques conformément à la loi portant statut des magistrats et à celle portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ?

Que fait-on des dispositions pertinentes ci-après de la loi portant statut des magistrats ?

Article 7

Le signalement est obligatoire pour tous les magistrats, à l’exception du Premier président de la Cour de cassation, du Premier président du Conseil d’État et des Procureurs près ces juridictions. Il consiste en un bulletin dans lequel sont brièvement décrites toutes les activités exercées pendant l’année écoulée et dans lequel est proposée ou attribuée une appréciation du mérite du magistrat. Il a pour but d’éclairer les autorités compétentes sur le rendement, la conscience et les aptitudes professionnelles du magistrat.     

L’appréciation du mérite du magistrat est synthétisée par l’une des mentions suivantes : ‘’élite‘’, ‘’très bon’’, ‘’bon’’, ‘’médiocre’’. Elle est proposée au premier échelon et attribuée définitivement au second échelon conformément à l’article 8 ci-après.

Article 11

Est nommé à un grade immédiatement supérieur, le magistrat qui a accompli au moins trois années de service dans un grade et qui a obtenu au moins deux fois la cote ‘’très bon’’ pendant cette période. Le Président de la République a seul le pouvoir de promouvoir le magistrat sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. 

Suivant quels critères d’appréciation de son dossier personnel a-t-elle pu bénéficier de la promotion pour passer du grade de substitut à celui de 1er substitut lors des dernières ordonnances d’organisation judiciaire et ce, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ?

– Étant 1er substitut et ancienne dans la carrière, comment et avec quelle autorité va-t-elle épauler le Procureur de la République (son chef hiérarchique) dans l’encadrement des jeunes magistrats récemment recrutés, nommés et affectés?     – Combien y a-t-il de magistrats de ce genre dans tous les Palais de justice du pays, dont les actes d’ignorance et d’incompétence notoire ne sont pas révélés au grand public ?

Quelle confiance accorder à la justice rendue par ce genre de magistrats et quel avenir pour le pays tout entier ?

Conclusion

On est habitué à ne pointer du doigt que les politiciens, ministres et députés, comme responsables de la misère du peuple. On oublie souvent le rôle néfaste que jouent collectivement et surtout individuellement plusieurs membres du Pouvoir judiciaire, les magistrats. Du fait que les actes qu’ils posent ne sont pas du tout médiatisés, c’est en silence qu’ils contribuent à détruire dangereusement le pays en s’assurant l’impunité pour eux-mêmes d’abord, avant d’en assurer aux criminels à col blanc. Pour preuve, aucun détourneur des deniers public ne se trouve présentement en prison, malgré les dossiers bien constitués de l’Inspection générale des finances et de la Cour des comptes.

Nous sommes d’avis que pour le fonctionnement harmonieux de toutes les institutions, il faut désormais dénoncer tous les fléaux qui rongent la magistrature, parmi lesquels des nominations à caractère tribal, des promotions clientélistes, népotistes et fantaisistes sous-couvert de la formule stéréotypée « sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. » En réalité il s’agit d’un groupuscule d’individus se réunissant pour tromper la vigilance de l’opinion, dans le seul but de promouvoir ceux qui leur sont dociles tout en laissant à la touche des magistrats plus méritants (nous savons de quoi nous parlons).

C’est pourquoi nous proposons que la nomination à des grands postes de responsabilité à la tête des organes du Pouvoir judiciaire passe nécessairement par le filtre des enquêtes de sécurité qui pourraient être menées par l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), car il est inconcevable que des cas comme celui traité dans cette analyse passe inaperçus malgré les instruments juridiques à la portée des autorités judiciaires. Comme nous venons de le démontrer, ce n’est pas seulement l’augmentation des salaires des magistrats qui pourrait redresser ce noble corps. Le point de départ devrait être le recrutement plus rigoureux et une gestion plus disciplinée des carrières des magistrats.

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3 Comments on “RDC : un scandale judiciaire qui interpelle le Conseil supérieur de la magistrature”

  • TYNO BUSHIRI

    says:

    Le clientélisme et favorisme tuent notre pays vraiment et vous verrez qu’aucune sanction suivra car vraisemblablement elle doit être là sur base des affinités et non de compétence les frustrations ne finiront jamais dans ce pays…

  • Tyno BUSHIRI LUTIMBA Justin

    says:

    Nous avons besoin d’une justice réellement rendue et non apparemment rendue…

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