Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 27-05-2021 10:00
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RDC : Qui sont les gouverneurs militaires des provinces placées en état de siège et pour quels résultats ? JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Après sa décision de décréter, à partir du 6 mai 2021, l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, ravagées par des conflits armés galopants, le président congolais, Félix Tshisekedi, a publié le 4 mai 2021 une ordonnance nommant les gouverneurs militaires en charge de diriger ces deux provinces. Il s’agit respectivement du lieutenant-général Luboya Nkashama, pour l’Ituri et du lieutenant-général Cosntant Ndima Kongba pour le Nord-Kivu. Ils seront assistés respectivement par le commissionnaire divisionnaire de la police Benjamin Alongaboni  et le commissaire divisionnaire Ekuka Lipopo, en tant que vice-gouverneurs.

Le présent article tente d’établir brièvement la notion d’administrateur militaire au regard des éléments de droit international et de l’histoire. La note dresse les profils et les parcours de ces hauts gradés de l’armée et de la Police nationale congolaise (PNC) appelés à exercer les fonction de gouverneur pendant la période d’application de l’état de siège en remplacement des gouverneurs Jean Bamanisa Saidi  et Carly Nzazu Kasivita. L’analyse  part du questionnement sur l’efficacité de cette mesure et son impact politique éventuel à l’aune des élections de 2023.

Administrateur/gouverneur militaire d’une province, qu’est-ce à dire concrètement ?

Il n’existe pas, à proprement parler, une définition de la fonction d’administrateur militaire dans la législation congolaise. L’administration militaire est une notion polysémantique qui nécessite d’être circonscrite.

Dans le jargon traditionnel militaire français et belge, la notion d’administration militaire renvoie à une certification décernée à un officier qui a suivi une formation technique et administrative spécifique, au terme de laquelle il obtient un brevet d’administration militaire (BAM). En Belgique, le Brevet d’administration militaire, devenu actuellement « Cours supérieur d’Administrateur militaire (CSAM), est une formation continue des officiers, destinée à fournir aux forces armées des officiers compétents, des managers et des commandants futurs dans les domaines  de management, de leadership, de sécurité & défense, du budget & finances, des marchés publics, du management public et de droit figurant au programme[1]. Il s’agit donc d’une formation en administration publique et militaire axée sur les hautes fonctions de management au sein des forces de défense et des services de sécurité  et de police.

Dans l’histoire des conflits armés, la notion d’administration militaire renvoie à la situation d’un pays vaincu militairement, placé sous occupation et administré par des gouverneurs militaires. En droit international des conflits armés, l’occupation est une situation dans laquelle se trouve un État, au cours ou à l’issue d’un conflit, envahi et placé sous domination militaire étrangère sans pour autant être annexé. C’est l’action pour un État belligérant vainqueur d’installer une force armée, souvent une administration, sur le territoire d’un État vaincu ; le résultat de cette action; le temps que dure cet état de fait.

La définition et le régime juridique de l’occupation militaire, dans le droit des conflits armés, figure dans le Règlement annexé à la IVème Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre[2], la IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre[3] et le Protocole additionnel I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux[4].

Aux termes de l’article 42 du Règlement de La Haye de 1907, « un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer »[5]. La définition de l’occupation ne repose pas sur la perception subjective d’une situation par les parties concernées, mais sur une réalité saisissable objectivement : la soumission de facto d’un territoire et de sa population à l’autorité d’une armée ennemie.

Ainsi, juridiquement parlant, la notion de gouverneur militaire est une fonction qui dérive de l’occupation militaire, c’est-à-dire usuelle dans le cadre d’une situation de conflit armé. Il s’agit d’un ministre plénipotentiaire d’une puissance occupante responsable d’une ville ou d’un territoire étranger, annexé ou du moins dans une situation de protectorat, et administré par l’autorité militaire. Le gouverneur militaire n’est responsable qu’envers le gouvernement de la puissance qui l’a nommé à ce poste, et ne reconnaît que les lois de son pays.

Si cette fonction renvoie à une situation de conflit armé entre deux entités territoriales ennemies, il n’en demeure pas moins qu’elle a été utilisée à deux reprises dans l’histoire récente de la RDC. En effet, sous la Deuxième République, lorsque l’AFDL s’approchait à grands pas de Kinshasa, Mobutu avait nommé des gouverneurs militaires dans des provinces non encore tombées entre les mains de la rébellion soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Il en avait déjà fait de même dans l’ancienne province du Shaba (Katanga), lorsque cette région avait été attaquée par des rebelles du Front de libération du Congo dirigé par Nathanaël Mbumba[6]. En décembre 2018, à la suite du conflit interethnique sanglant entre les Banunu et les Batende, Joseph Kabila avait nommé le colonel Olivier Gasita, un ancien rebelle du RCD et du CNDP, comme l’Administrateur ad intérim du Territoire de Yumbi, dans la  Province de Maï-Ndombe.

Dans une situation d’insécurité recrudescente dans l’est du pays, le président congolais, Félix Tshisekedi, a décrété, le 30 avril 2021 « l’état de siège » dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, conformément à l’article 85 de la Constitution.

Pour rappel, la notion « état de siège » renvoie à une situation qui correspond à un fait réel, de nature militaire, qui peut être déclaré par une autorité suprême d’un État dans un espace géopolitique déterminé de cet État, menacé par les forces militaires ennemies. C’est à ce titre qu’il a nommé des gouverneurs militaires dont la principale mission est d’assurer la gestion administrative quotidienne des deux provinces en remplacement « provisoire » des gouverneurs civils pour une durée de un mois.

Il s’agit donc d’une situation exceptionnelle et temporaire de transfert des prérogatives et des compétences des autorités civiles aux autorités militaires, dans un contexte mettant en place une réglementation qui confiera à ces autorités  militaires et policières les pouvoirs étendus d’administration du territoire et de sécurité de ces deux provinces confrontées à une menace sécuritaire très grave. Légalement et techniquement, ces administrateurs militaires n’auront pas une fonction opérationnelle dans le déroulement des opérations militaires et policières de sécurisation des deux provinces concernées. La question à se poser est de savoir la pertinence et la plus-value qu’apporterait cette nomination sur le plan opératique militaire.

Les gouverneurs militaires du Nord-Kivu et de l’Ituri, et leurs adjoints policiers
Le lieutenant-général Johnny Luboya Nkashama, un ex-rebelle du RCD-Goma envoyé en Ituri

Luba du Kasaï-Oriental, Johnny Luboya est né à Kolwezi, le 2 décembre 1965, mais a grandi à Lubambashi au Katanga où il a suivi une licence en droit à l’Université de Lubumbashi. Ses débuts militaires restent nébuleux. Selon le témoignage de Paul Mwilambwe, le policier impliqué dans l’affaire Chebeya, qui a côtoyé le général Luboya dans la rébellion du RCD-Goma : «  Johnny Luboya a rejoint la rébellion du RCD-Goma en tant que civil. Il a ensuite suivi une formation militaire sommaire à l’académie militaire rwandaise de Gabiro au Rwanda, particulièrement dans les domaines de renseignements. Il sera ensuite nommé en 2000 comme chef d’état-major des renseignements militaires du RCD-Goma en remplacement Séraphin Zirimana.

Il avait avec comme assistants Guy Baongola et quatre chefs des départements :  

  • – Département renseignements Cyprien Mananga (Bandundu ou Kongo-Central)
  • – Département Opérations Paul Mwilambwe que je suis (Tanganyika)
  • – Chef département Investigations Fabrice Tumusifu (Nord Kivu)
  • – Département Contre intelligence : Rigo Mwamba (Kasaï-Oriental). »

Mwilambwe précise que « Johnny Luboya était proche d’Adolphe Onusumba car ils ont tous les deux suivi au Rwanda la même formation militaire mentionnée ci-dessus. Durant la transition 1+4, Luboya a exercé sa première fonction en 2003 à Lubumbashi comme chef état-major de la 6ème région militaire (Katanga), avant d’être nommé par Joseph Kabila Inspecteur général adjoint de FARDC, puis commandant adjoint de la force Navale. Il sera ensuite commandant de la région militaire à Mbandaka »[7]. En juillet 2020, le général Luboya sera promu par le président Tshisekedi lieutenant-général et nommé  commandant de la Première zone de Défense qui couvre Kinshasa et les provinces ouest de la RDC[8].

Le Commissaire divisionnaire Benjamin Alongaboni Bangadiso : un ex-MLC gouverneur adjoint de l’Ituri

Benjamin Alongaboni est un Ngombe du territoire de Bosobolo dans la province de l’Equateur.  Il est né à Lisala en 1966. Il est un ancien ex-FAZ, diplômé de la 17ème promotion de l’EFO (1986). Il a d’abord évolué au sein du bataillon parachutiste de la DSP comme commandant de compagnie, puis dans la Garde civile jusqu’en 1997.

Après  les dissolutions de la gendarmerie nationale zaïroise et de la garde civile, le nouveau pouvoir crée la Police nationale congolaise (PNC) qui réintégrera une majorité des gendarmes et garde-civils venus faire allégeance au nouveau pouvoir, sous la conduite du général Benjamin Alongaboni dans l’espoir qu’il en soit son nouveau responsable. Déception ! C’est alors que Benjamin Alongaboni décide d’intégrer en décembre 1998 à Gemena l’armée de libération du Congo (ALC), la branche militaire de la rébellion du MLC de Jean-Pierre Bemba. Il y exercera la fonction d’Inspecteur provincial de la police et deviendra aide de camp de Jean-Pierre Bemba, puis Commandant du 31ème bataillon de l’ALC, une unité qui a repoussé les assauts des Forces armées congolaise de Laurent-Désiré Kabila, appuyés par les Namibiens, les Zimbabwéens et des Interamwe Hutu.  Il commandera la brigade Bravo de l’ALC en RCA pour appuyer l’ex-président Ange-Félix Patassé, entre 2001 et 2003.

En 2003, Bemba le nomme responsable des services de police des territoires occupés par le MLC. Après la réunification de l’armée et de la police en 2004, Alongaboni sera nommé Inspecteur divisionnaire adjoint de la PNC en charge des opérations et du renseignement, notamment aux côtés du général John Numbi en 2007. Il occupera cette fonction après le remplacement de Numbi par le général Bisengimana. Mais l’homme rentrera en disgrâce auprès de Kabila en fin 2014 et assumera des fonctions secondaires dont celle d’inspecteur provinciale de la PNC au Katanga et celle de directeur des Écoles de la police jusqu’à sa désignation comme administrateur adjoint de la province du Nord-Kivu. Alongaboni est décrit comme étant un officier patriote.

Le lieutenant-général Constant Ndima Kongba au Nord-Kivu

Constant Ndima est un Ngbandi  et un ex-FAZ qui a évolué au sein de la DSP, la garde présidentielle de Mobutu. Il a ensuite rejoint le MLC de Jean-Pierre Bemba au moment de sa création dans la Province Orientale avec l’assistance des officiers ougandais.

Sur place, l’Armée de libération du Congo (ALC) la branche armée du MLC ne laissera pas de bons souvenirs auprès de la population. Le nom du général Ndima était associé à l’opération « effacer le tableau ». Il s’agit d’une opération militaire menée entre octobre 2002 et janvier 2003 conjointement entre les forces du MLC et du RCD-N de Roger Lumbala visant à capturer la ville de Mambasa en Ituri, jusqu’à occuper la ville de Beni, située à environ 120 kilomètre plus au sud. L’opération a été nommée « Effacer le tableau », selon les victimes[9]. En février 2003, le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme rapportait au Conseil de sécurité que les opérations conjointes du MLC / RCD-N avaient été accompagnées de violations graves des droits de l’homme notamment d’exécutions arbitraires, de viols, d’actes de torture et de disparitions forcées[10]. Cette crise a conduit au déplacement de plus de 100 000 personnes[11]. La région a été quelque peu stabilisée après l’opération Artémis menée du 6 juin au 6 septembre 2003 en Ituri  par l’Union européenne[12]. Le général Ndima a toujours réfuté ces accusations. En effet, c’est le colonel Freddy Ngalimo, avec 27 de ses subordonnés, qui était reconnu coupable de ces actes. Freddy Ngalimo a été condamné en février 2003 par la justice militaire du MLC à une peine de 43 mois d’emprisonnement pour ne pas avoir dénoncé les crimes commis par ses subordonnés[13].

Constant Ndima participera activement dans les opérations qui permettront au MLC de prendre le contrôle de la partie nord de la province de l’Equateur, où Jean-Pierre Bemba installera son QG.

Après la réunification de l’armée, il devient entre autres commandant de la 1ère région militaire (Bandundu) jusqu’en 2014, puis commandant adjoint de la 2ème Zone de défense (Katanga et les deux Kasaï) en charge des opérations et renseignements, aux côtés du général Jean-Claude Kifwa Kambili (Tango Tango). En 2018, Joseph Kabila  le nomme commandant de la Troisième zone de défense, à l’est du pays. En juillet 2020, le nouveau président Tshisekedi le nomme au poste de chef d’état-major général adjoint chargé de l’administration et logistique des FARDC. Le général Ndima est décrit comme étant un officier républicain, professionnel et loyal à la République.

Le commissaire divisionnaire Jean Romuald Romy Ekuka Lipopo, vice-gouverneur policier du Nord-Kivu

Romy Ekuka Lipopo est diplômé de la 119ème promotion de l’Ecole militaire belge (ERM) qu’il a intégrée en 1978 avec la 118ème promotion.  Il est également détenteur d’une licence (master) en criminologie de l’Université d’État de Liège et d’une spécialisation policière à l’ex-École d’Application de l’École royale de gendarmerie de Belgique). A son retour au Zaïre, il évolue au sein de la Gendarmerie zaïroise sous les FAZ. Il passe ensuite à la Garde Civile jusqu’à la prise de pouvoir par l’AFDL en 1997. Il est major à l’époque. En 1999, Ekuka est nommé T3 (responsable des opérations) à la 4ème région militaire (Katanga).

En 2004, il est admis au 3ème  cycle de l’Institut royal  supérieur de la défense (IRSD) en Belgique pour suivre les cours de breveté d’état-major.  À son retour au pays, il est affecté au cabinet du Chef d’état-major général des FARDC. Le 1er janvier 2006, il est nommé lieutenant-colonel des FARDC. Il évoluera ensuite au sein de la PNC comme coordonnateur national de la cellule de la réforme de la PNC (CRP). A ce titre, il pilote le processus de réforme de la Police congolaise. Une réforme qui s’était plutôt bien déroulée, contrairement à la réforme enlisée des FARDC. En 2008, il rejoint le cabinet de l’Inspecteur Général de la PNC, John Numbi, comme Directeur de Cabinet adjoint.

Le 28 décembre 2013, avec le grade de Commissaire supérieur principal, Ekuka Lipopo Romy est nommé Commissaire Provincial adjoint de la ville de Kinshasa chargé de la Police judiciaire[14]. En 2015, il  est nommé point focal, chargé du suivi de la réforme de la Police.  Poste qu’il gardera jusqu’à la récente nomination comme Vice-Gouverneur de province du Nord-Kivu, dans le cadre de l’état de siège.

Le général Ekuka serait proche du général major François Kabamba Kasanda[15], l’actuel conseiller militaire privé de Tshisekedi. Ekuka est un technicien et expert de la police qui est appelé à assister l’administrateur militaire d’une province qui produit des groupes armés qu’elle n’en consomme.

Que peuvent faire ces gouverneurs dans cette partie du territoire qu’ils ont connu par le passé ?

La décision présidentiel de décréter l’état de siège est globalement saluée par la population en vue de ramener la paix en Ituri et au Nord-Kivu, tout en manifestant son incompréhension que le Sud-Kivu, qui subit aussi des menaces des groupes armés locaux et étrangers du même genre que dans l’Ituri et le Nord-Kivu, ne soit pas concerné par cette mesure. Afridesk et d’autres experts restent très sceptiques quant à la réussite de l’état de siège alors que rien n’est fait pour restructurer les troupes déployées dans la zone[16].

En effet, sur terrain, aucune troupe évoluant dans les provinces placées en état de siège n’a été relevée. Seul un demi-bataillon commando de 200 hommes environs, venu de Kinshasa, a été envoyé dans le secteur opérationnel de l’Ituri, avant l’entrée en vigueur de l’état de siège.

Ce sont les régiments rwandophones ex-CNDP, le 2103ème venu de Tshikapa ainsi que les 2101ème et 2102ème régiments venus de Mbuji-Mayi, qui ont été déployés au Nord-Kivu où ils opèrent sous les commandements des généraux Bob Ngoy Kilubi et Bonane soupçonnés de connivence avec le Rwanda et les ex-rébellions créées par ce pays. Or ces unités s’étaient négativement distinguées dans les massacres commis au Kasaï entre 2016 et 2018, en réprimant de manière disproportionnée des miliciens de Kamwina Nsapu. Ils ont également été déplacés au centre du pays lors de la guerre contre le M23 pour leurs soutiens à ce groupe rebelle créé par le Rwanda et soutenu par l’Ouganda[17].

Par ailleurs, quelques nominations ont été effectuées dans les deux provinces. Le général de Brigade Bertin Mputela Nkolito remplace le général major Peter Kuba Chirimwami au poste de commandant du Secteur Opérationnel Sokola 1 Grand-Nord à Beni-Butembo- Lubero[18]. L’ex-MLC, le général de brigade Clément Bitangalo Bulime devient le nouveau commandant de la 32ème région militaire, dans la province de l’Ituri[19]. Le nouveau commandant du secteur opérationnel Ituri est le général de brigade Rigobert Kasongo Maloba[20]. Le général de brigade Evariste Mwepu Lumbu est le nouveau commandant du secteur opération Sukola 2 Nord-Kivu contre les FDLR.  Le général de brigade Guylain Mulamba devient le commandant de la 34ème région militaire, au Nord-Kivu[21].

Il faut dire que le général Constant Ndima  a été le commandant de la 3ème Zone de défense qui couvre les deux Kivu, le Maniema, l’Ituri, la Tshopo, les deux Uélé entre septembre 2018 et juillet 2020. C’est la période qui couvrait le lancement des opérations de grande envergure au Nord-Kivu et qui se sont transformées à la détérioration de la situation et l’augmentation des massacres à Beni. Ces opérations s’étaient illustrées par une grande confusion dans leur déroulement opératique et ont mis en lumière la désorganisation d’un commandement éclaté et l’inefficacité des actions menées sur le terrain. C’est durant cette période que les unités spéciales de l’armée rwandaise ont mené des opérations illégales, en violation des mesures prises par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Le général Constant Ndima retrouve donc un terrain militaire qu’il a donc commandé récemment. D’où notre questionnement de savoir ce qu’il pourrait faire de mieux en un mois qu’il n’a pas pu faire en pratiquement deux ans avec les mêmes troupes non relevées, fatiguées au combat, souvent en connivence avec les groupes rebelles ? Surtout qu’il est commis à une tâche purement administrative de gestion de la province ne lui permettant pas d’agir au niveau de la conduite des opérations.

Quant au général Luboya, il revient également dans un terrain où il a évolué comme rebelle au sein du RCD-Goma dont la plupart des officiers et unités se retrouvent dans les régiments mixés déployés à Beni et en Ituri. Certains éléments de ces régiments et leurs officiers sont soupçonnés de collusion avec les groupes armés locaux.

Toutefois, il sied de relativiser les choses car le passé rebelle de ces gouverneurs ne suffit pas pour les pointer du doigt. L’histoire récente de la RDC a vu des officiers ex-rebelles comme Lucien Bahuma Abamba et Mamadou Ndala du MLC, et Pacifique Masunzu du RCD défendre vaillamment le territoire congolais contre les rébellions créées par le Rwanda.

Une autre interrogation concerne la manière dont les fonctions de ces administrateurs  militaires seront articulées avec les commandants des opérations pour éviter de rééditer les dysfonctionnements structurels et opérationnels consacrant les commandements parallèles afin de renforcer le principe opératique d’unité de terrain, unité de commandement. Une administration militaire d’une armée avec une chaîne de commandement éclatée n’est-elle pas plus dangereuse qu’une administration civile juridiquement contrôlée ? En quoi une telle mesure d’exception serait-elle apte à résoudre les sempiternels problèmes structurels d’armée mal payée, mal entretenue et dont la réforme est politiquement sabotée ? Par ailleurs, comment les troupes de la MONUSCO, non associées à ces nouvelles mesures, agiraient-elles sur le terrain avec les FARDC dont certains responsables sont soupçonnés d’être impliqués dans les violations des droits de l’homme ?[22]

Aussi, que dire des richesses minières/naturelles qui sont l’une des causes des violences, que fera-t-on des militaires affairistes actifs déployés en nombre dans ces deux provinces ? Avec quelle justice car la mesure présidentielle semble maintenir le statu quo structurel et opérationnel des unités déployées sur le terrain et leurs commandements respectifs, mais aussi des magistrats militaires souvent pointés du doigt pour leur partialité et inefficacité ?

L’autre scepticisme concerne les troupes qui seront déployées sur le terrain. Alors qu’on exige le retrait des officiers et des troupes qui ont sévit dans la région, les nominations présidentielles semblent aller à contre-courant des demandes populaires. Elles donnent l’impression de ramener la situation de l’est de la RDC sous le régime de l’ancien ordre géopolitique régional qui a prévalu entre 1997 et 2013, dominé principalement par le Rwanda[23], et subsidiairement par l’Ouganda et les pays de l’Afrique de l’Est. Surtout que le Kenya, proche militairement du Rwanda, devient un Etat contributeur des troupes de la brigade d’intervention de la MONUSCO. Par ailleurs, comment saura-t-on que l’on ne déversera pas les troupes étrangères des pays voisins dans ces opérations dont on n’a aucune évaluation de leur efficacité depuis leur lancement en 2019 ?

Conclusion

La décision du président Tshisekedi de placer ces deux provinces en état de siège est plutôt bien saluée d’une manière générale car les Congolais souhaitent la restauration d’une paix durable en Ituri et au Nord-Kivu. Mais on a l’impression que la décision est prise pour répondre à un contexte politique généré par les manifestations populaires organisées à l’est du pays contre l’activisme des groupes armés et l’inaction de l’armée et de la MONUSCO. D’où une sorte d’empressement dans la prise de cette décision qui ne semble pas suffisamment avoir intégré certains aspects liés par exemple à la collaboration entre les nouvelles autorités militaires et leur administration face à la dynamique communautaire. Que fait-on des processus DDRC[24] en cours ? Comment ces gouverneurs vont-ils collaborer concrètement avec l’armée ? Quels changements structurels et logistiques ont-ils été opérés sur le terrain pour optimiser l’efficacité des opérations ? Avec quels moyens au-delà des slogans ? Ce sont ces éléments qui détermineront l’efficacité des opérations au-delà des profils des nouveaux gouverneurs.

Source : Baromètre sécuritaire du Kivu (KST)

Nous restons très sceptique quant à la réussite des opérations au stade actuel. On met la charrue avant les bœufs. On refait toujours la même chose : agir sans réfléchir ni planifier les opérations en amont pour en estimer leur impact. Ils se plongent la tête dans le sable. Pourtant sur le terrain des opérations, à moins de dix jours de la fin de la période initiale des 30 jours de l’état de siège, l’optimisme n’est pas de mise. Selon les rapports des services des renseignements, on observe une accalmie précaire dans les deux provinces. En Ituri, les combattants des groupes armés CODECO/URDPC et FRPI continuent de mener des attaques dans les territoires de Djugu  et d’Irumu. Les ADF restent encore actifs dans le territoire de Mambasa. Au Nord-Kivu, la faction ADF de Musa Baluku reste active et continue de massacrer les populations civiles à Beni, avec le soutien de certains officiers FARDC, selon nos sources militaires.

Source : Baromètre sécuritaire du Kivu (KST)

D’où notre questionnement, quid en cas d’échec de l’état de siège, le pays tendrait-il vers sa balkanisation avec l’arrivée annoncée des armées des pays de la région ? Quel impact politique possible de cette mesure sur le processus électoral de 2023 en cas de statu quo ou de dégradation de la situation sécuritaire jusqu’à la période (pré)-électorale ? L’état de siège sera-t-il prolongé ou réactivé ou prolongé durant la période (pré)-électorale de 2023, avec son lot de restrictions des droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution ? Le pouvoir ne risque-t-il pas de s’en servir pour exclure ces provinces des élections de 2023 (comme à Beni, Butembo et Yumbi en 2018) ou pour retarder sine die les élections de 2023 ?

Jean-Jacques Wondo Omanyundu/Exclusivité Afridesk

Références

[1] Il s’agit d’une formation postuniversitaire de  10 mois, avec un apport multinational et multidisciplinaire. Le Roi confère le Brevet supérieur d’Administrateur militaire (BAM) aux officiers qui ont suivi le cursus avec fruit. Le Cursus supérieur d’Administrateur militaire est également reconnu en tant qu’étude universitaire continuée et est couronné par le diplôme de Master en sciences publiques et militaireshttps://www.rma.ac.be/fr/a-propos-de-lerm/organisation/coll%C3%A8ge-de-d%C3%A9fense.

[2] Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907, Deuxième Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 juin – 18 octobre 1907, Actes et Documents, La Haye, 1907, Vol. I, pp. 626-637.

[3] Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, Actes de la Conférence diplomatique de Genève de 1949, Vol. I, Berne, Département politique fédéral de la Suisse, pp. 294-335.

[4] Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, Les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Comité international de la Croix-Rouge, Genève, 1977, pp. 3-89.

[5] Art. 42. Cette disposition ne contient pas qu’une définition du territoire occupé, mais y ajoute des limitations

substantielles quant à la zone dans laquelle la Puissance occupante peut revendiquer des compétences. Voir Howard S. Levie, The Code of International Armed Conflict, Vol. 2, Oceana, Londres / Rome / New York, 1986, p. 714.

[6] JJ Wondo, Quelle armée pour appliquer l’état de siège décrété en Ituri et au Nord-Kivu ? – DESC, 3 mai 2021. https://desc-wondo.org/quelle-armee-pour-appliquer-letat-de-siege-decrete-en-ituri-et-au-nord-kivu-jj-wondo/.

[7] Témoignage recueilli lors d’un échange avec Paul Mwilambwe le 27 mai 2021.

[8] https://desc-wondo.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/.

[9] Son objectif était présenté par les témoignages des assaillants de tout nettoyer sur leur progression en dispersant la population. Cette expédition a été conduite d’abord par le lieutenant-colonel Freddy Ngalimu, puis par colonel Widdy Ramsès Masamba, alias le « Roi des imbéciles », placés sous le commandement opérationnel direct du général Constant Ndima, basé à l’époque à Isiro. Le propre surnom du general Ndima semblait être  “Effacer le tableau” selon plusieurs selon plusieurs témoignages militaires et des victimes. https://minorityrights.org/wp-content/uploads/2015/07/MRG_Rep_Twa_FRE.pdf.

[10] Rapport sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo présenté au Conseil desécurité par le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 13 février 2003, document ONUS/2003/216.

[11] Le schéma systématique du recours au pillage, au meurtre et au viol était décrit comme une tactique de guerre, les exécutions sommaires visant l’ethnie Nande et les Pygmées, obligés de fuir« afin d’échapper à la persécution que leur valait leur collaboration supposée » avec le RCD-K/ML https://minorityrights.org/wp-content/uploads/2015/07/MRG_Rep_Twa_FRE.pdf.

[12] Dans le cadre de la résolution 1484 du 30 mai 2003 du Conseil de sécurité de l’ONU.

[13] https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/rdc-le-mlc-condamne-27-hommes-accus%C3%A9s-de-violations-des-droits-de.

[14] https://www.leganet.cd/Legislation/JO/2014/JOS.04.03.2014.pdf.

[15] Le général Kabamba est également diplômé de l’ERM en polytechnique et a été le chef de la maison militaire adjoint sous Joseph Kabila et au début du mandat de Félix Tshisekedi

[16] https://www.jeuneafrique.com/1166195/politique/etat-de-siege-en-rdc-felix-tshisekedi-fait-il-fausse-route-dans-le-nord-kivu-et-lituri/.

[17] JJ Wondo, L’offensive militaire bâclée, menée par les FARDC à l’est de la RDC, tourne au désastre, https://afridesk.org/loffensive-militaire-baclee-menee-par-les-fardc-a-lest-de-la-rdc-tourne-au-desastre-jj-wondo/ 

[18] Il est assisté de deux adjoints : le colonel Antoine Yagolo Ngondo en charge des opérations et renseignements ainsi que le colonel Polydor Lumbu Matundu en charge de l’administration et logistique.

[19] Il est assisté par le colonel Damate Dieudonné, comme commandant second chargé des opérations et renseignements et le colonel Nlandu Matongo, comme commandant second chargé de l’administration et de la logistique Le colonel Wamba Djo André est nommé chef d’état-major de cette région militaire.

[20] Il est assisté par le général de brigade Abdallah Nyembo en charge des opérations  et renseignements et le général de brigade Jean Claude Bolanda en charge de l’administration et logistique.

[21] Il a pour adjoints le colonel Jeannot Butengano, en charge des opérations et renseignements et le colonel William Kadima, en charge de l’administration et logistique.

[22] https://actualite.cd/2021/05/05/etat-de-siege-la-monusco-note-une-decision-souveraine-et-promet-detudier-lordonnance-en.

[23] En effet, le Rwanda a accentué son influence en RDC depuis la victoire de la rébellion congolaise de l’AFDL sur les troupes loyalistes des forces armées zaïroises, sous Mobutu. Le Rwanda a consolidé sa suprématie régionale en juin 2000 lors de la guerre de six jours à Kisangani lorsque son armée a défait l’armée ougandaise. Cela s’est accentué avec l’appui militaire et diplomatique des Américains et des Britanniques avant, pendant et après la prise du pouvoir par le FPR.

[24] Désarmement-Démobilisation-Réinsertion communautaire.

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