Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 02-03-2021 10:15
11385 | 0

RDC – Premier Ministre/Choix du Président : espoirs et interrogations : JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
A tort ou à raison, Joseph Kabila a été considéré comme le principal problème/obstacle à la démocratie, à l’État de droit et par conséquent au décollage économique du Congo-Kinshasa. Les élections de 2018, censées sanctionner le système qu’il incarnait n’ont eu qu’un maigre effet de confier la direction du pays une personnalité issue de l’opposition mais contrainte de collaborer avec des institutions contrôlées par les partisans de son successeur.
Objectivement, à moins d’être maladivement fanatique/applaudisseur, il était difficile pour le nouveau Chef de l’État de finir son mandat et d’espérer en gagner un autre avec un bilan élogieux sans au préalable démanteler lever tous les obstacles, en commençant par la modification des rapports de force.

Il n’existe dans la Constitution qu’une seule voie pour le faire, c’est la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation, dans les six mois, de nouvelles élections législatives. Mais sans de réformes profondes de la loi électorale, sans une nouvelle direction de la CENI, auxquelles s’ajoutent les difficultés d’ordre financier et l’incertitude pour le parti présidentiel de l’emporter par les urnes, c’est une voie hybride qui a été privilégiée mêlant droit et révolution inachevée, acteurs politiques et partisans, justice et représailles physiques, pour parvenir à cet objectif. Le premier bilan de ce mouvement atypique est le déversement paradoxal et spectaculaire du FCC dans l’Union sacrée de la nation et l’élection d’un nouveau bureau de l’Assemblée nation et la nomination d’un Premier ministre, présenté comme choix personnel du Président de la République. Comme il est permis de le remarquer, le contexte exceptionnel dans lequel le prochain gouvernement sera formé, suscite de l’espoir autant qu’il incite tout digne intellectuel et tout patriote à s’interroger sérieusement, pour le reste du quinquennat, sur ses capacités à s’attaquer aux préoccupations du peuple. Pour cela, la présente réflexion tente d’examiner les atouts et les faiblesses du futur gouvernement en général et du nouveau Premier ministre, en particulier.

1. Les atouts du nouveau Premier ministre et de son gouvernement

 Au vingt et unième siècle et dans tout État normal, un Premier ministre, selon le régime constitutionnel, est jugé par sa capacité à résoudre les problèmes de développement et surtout à satisfaire aux aspirations de la population, en rapport avec le projet de société et le programme de gouvernance du parti au pouvoir. Dans le Congo à démocratiser, au rythme et dans le contexte de l’Union sacrée de la nation, aucun parti politique ne peut prétendre imposer son projet de société, de même qu’il n’est pas aisé, en plein quinquennat, de trouver un programme consensuel de gouvernance. Passant outre les prescrits de la Constitution, le Premier ministre nommé ainsi que plusieurs compatriotes parlent de la vision du Chef de l’État comme si nous étions dans un régime présidentiel.

Il ne serait pas étonnant ni surprenant que comme certains de ses prédécesseurs, le Premier ministre et son gouvernement passent le plus gros de leur temps à gérer les crises et les conflits politiques. Ses atouts sur ce plan peuvent se résumer de cette manière :

Sa formation universitaire   

Le moins que l’on puisse dire à ce sujet c’est qu’il bénéficie d’une formation au-dessus de la moyenne. Combinée à son expérience de gestion dans le secteur minier, cet ingénieur est en mesure, comme n’importe quel universitaire bien formé, d’appréhender les problèmes qui se posent à la société et d’y trouver des remèdes adéquats.

Absence d’antécédents négatifs       

Tel que présenté, dans son court passage au ministère des sports ainsi qu’à la tête de la Gécamines, le Premier Ministre est non seulement sans histoire fâcheuses, mais semble appartenir à cette génération dont rêve la majorité de Congolais. En effet, alors que la classe politique congolaise est infestée de vieux et des jeunes prêts à n’importe quelle compromission pour occuper n’importe quelle place autour de la mangeoire, Sama Lukonde, qui s’y trouvait déjà et qui aurait pu y rester, n’avait pas hésité de claquer la porte du gouvernement en signe de protestation contre la volonté de Joseph Kabila de briguer un troisième mandat non prévu par la Constitution. Sans scrupule, on remarque une grande effervescence parmi des vieux et des jeunes qui ne juraient à cette époque et jusqu’à tout récemment que par le FCC et le retour du Raïs au pouvoir. C’est curieusement ces mêmes jeunes et vieux acteurs politiques qui se bousculent aujourd’hui pour servir partout où des fonctions leur seront confiées.

Le Choix du Chef de l’État  

Contrairement à son prédécesseur Ilunga Ilunkamba, Sama Lukonde est nommé après la rupture entre le FCC et le CACH. Il bénéficie de ce fait de tout le soutien du Chef de l’État, du parti présidentiel, de toutes les formations politiques et des personnalités « idéologiquement » proches du Président de la République. Pour les mêmes raisons que le professeur Évariste Mabi Mulumba, nous n’avons pas jugé pertinent de retenir la jeunesse du Premier ministre parmi les atouts à mettre en évidence.  Selon le professeur Mabi Mulumba « Le fait que l’on ait nommé un jeune est une bonne chose. Mais l’on doit savoir que ce n’est pas un fait favorable pour la réussite. La réussite n’est pas liée à la jeunesse, mais à l’exécution réussie d’un programme pour donner des résultats sur le plan social, économique, sur la paix sociale, la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie des citoyens ». Et d’ajouter « que depuis l’accession de la RDC à l’indépendance, le pays a été dirigé par beaucoup de jeunes à tous les niveaux. »[1]

Loin d’apparaître ou d’être perçus comme des obstacles qui seraient insurmontables, les faiblesses que nous tentons de décortiquer ci-dessous doivent plutôt être considérés comme des défis susceptibles d’éclairer le Premier ministre et d’orienter l’action gouvernementale.

2. Les faiblesses du choix du Président

Le caractère hétéroclite de l’Union sacrée de la nation          

Pour déchoir Jeannine Mabunda et Ilunga Ilunkamba respectivement de l’Assemblée nationale et du gouvernement, il a été clamé haut et fort que les regroupements politiques n’étaient plus nécessaires dans l’optique de l’union sacrée et qu’en plus, dans l’exercice de son mandat national, le député n’était plus assujetti à la discipline de son parti. C’est ainsi que pour la formation de son gouvernement, le Premier Ministre reçoit des délégations conduites par des autorités morales des regroupements politiques censés ne plus exister. Selon le journal Forum des As « la jurisprudence le montre si bien, c’est le tout-puissant président et incontestable autorité morale du parti, qui est lui-même candidat à un poste ministériel proposé à sa formation. Et, lorsqu’on ne le prend pas, c’est alors que commence tout le problème. »[2]

Comme résultats de cette orientation, on a en chiffres une majorité dont les membres, sans repère idéologique ni leader de référence, sont susceptibles d’être plus indisciplinés et difficiles à gérer toutes les fois qu’il s’agira de passer au vote pour des questions d’importance nationale. Habitués à être « motivés », ils ne manqueront pas de faire chanter de temps en temps le gouvernement pour lui faire sentir leur existence et pour lui exprimer qu’ils sont incontournables. Quoiqu’on en dise donc, l’influence de ces leaders continuera de peser tant sur l’Union sacrée que sur l’action gouvernementale.

Le budget insignifiant   

Au moment où il accède à ses fonctions, le Premier Ministre trouve un budget ridicule de 4 milliards de dollars élaboré par son prédécesseur et massivement adopté par les mêmes députés autoproclamés membres de l’Union sacrée. Privé des moyens de sa politique, sans programme propre à présenter devant l’Assemblée nationale en cours d’exercice budgétaire, le Premier Ministre n’aura de choix, malgré sa volonté et sa détermination, que de revoir ses ambitions à la baisse, lui qui est responsable devant les élus du peuple. Le moins qu’il puisse faire, c’est de sélectionner des projets à impact social visible et faciles à exécuter au lieu de tenter une autre aventure sensationnelle calquée sur le programme de cent jours.

L’ombrage présidentiel  

Tout le règne de Joseph Kabila a été marqué par l’existence d’un gouvernement parallèle situé au Palais de la nation et qui faisait ombrage à l’action gouvernementale. Il n’est un secret pour personne que de Muzito à Bruno Tshibala, en passant par Matata Ponyo et Samy Badibanga, les Excellences Premiers Ministres étaient plus des exécutants des ordres venant de la présidence. Comme au vieux temps du Président Fondateur du MPR ou simplement dans un régime présidentiel, l’expression « Vision du chef de l’État » était dans la bouche de tous les membres du gouvernement. Dans le sillage de ces prédécesseurs, le Premier Ministre Sama Lukonde a déjà annoncé les couleurs des rapports que son gouvernement aura à entretenir avec l’institution Président de la République. « Je tenais à avoir la vision du chef de l’État. Vision qui s’inscrit dans l’union [nationale] « C’est la toute première déclaration faite, lundi 15 février, par le nouveau « Premier » Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge (JMSLK). C’était à l’issue d’un entretien de plus d’une heure avec le président Felix Tshisekedi Tshilombo.[3]

En effet, bien que la collaboration soit prévue par la Constitution entre le Président de la République et le gouvernement, une des causes du rejet du régime précédent était la confiscation de la quasi-totalité des prérogatives gouvernementales par l’Institution Président de la République rendant paradoxalement le gouvernement irresponsable devant l’Assemblée nationale. Comme conséquence, l’Assemblée nationale était réduite à une simple chambre d’enregistrement et une caisse de résonnance, composée d’applaudisseurs incapables de faire aboutir les contrôles parlementaires. Dans l’euphorie de la création de l’Union sacrée de la nation, Ils sont pourtant nombreux, ceux qui souhaitent et encouragent le Chef de l’État d’user de ce monstre idéologique pour faire la même chose que son prédécesseur. Le premier Ministre/choix du président aura-t-il suffisamment de ressources morales, psychologiques et matérielles pour s’affirmer comme responsable de la gestion quotidienne de la chose publique? En ce qui le concerne, le Président de la République acceptera-t-il de réduire la taille de son cabinet et d’y mettre suffisamment d’ordre pour éviter le télescopage entre ses conseillers et les membres du gouvernement?

Le temps, un allié insaisissable 

S’il y a quelque chose qu’on ne peut ni suspendre, ni arrêter pour recommencer, c’est le temps. C’est d’autant plus vrai en matière de mandat électif que toute tentative de suspendre le temps ou de le prolonger au-delà des règles convenues débouche inévitablement sur la violation intentionnelle de la Constitution. De 2016 à 2018, tout le combat de l’opposition et de la société civile, avec son cortège de victimes directes et collatérales, n’a consisté qu’à empêcher Joseph Kabila à disposer à sa guise du temps qui lui était constitutionnellement accordé pour servir la nation. Pour quiconque observe objectivement la scène politique congolaise et les perspectives d’avenir, on a la nette impression le quinquennat présidentiel et législatif ne va véritablement commencer (kisalu me banda) qu’à l’issue de la restructuration complète des deux chambres du Parlement et de la mise en place du gouvernement. Dans cette effervescence, le temps mis pour déboulonner le système Kabila est déjà considéré par certains comme une excuse pour un probable glissement qui s’annonce. Le premier Ministre, qui avait claqué la porte à la kabilie pour protester contre le glissement, en est-il conscient ? Et comment compte-t-il gérer le temps qui reste en sachant que 2023 est une année électorale ? 

Le chantage de certains politiciens katangais

S’exprimant le plus souvent en leur propre nom et pour leur positionnement, certains politiciens de l’ex-province du Katanga ont pris l’orgueilleuse habitude de se comporter à l’égard de la nation comme si cette province avait échappé au démembrement, qu’ils avaient pourtant soutenu. Brandissant sournoisement la menace de la sécession lors des grands enjeux, c’est au nom du « Grand Katanga » que certains occupent des postes et/ou font croire qu’ils sont les plus méritants ou que certains postes, au gouvernement et ailleurs ne peuvent revenir exclusivement qu’à « l’espace katangais ».

D’où, il est légitimement permis de s’interroger si c’est à cause de ce chantage qu’un « Katangais » succède à un autre à la tête du gouvernement et quelle attitude le Premier Ministre Sama Lukonde adoptera vis-à-vis des actes et comportements frisant le chantage.

Conclusion

Vantée au départ comme modèle et résultat de l’alternance pacifique et civilisée du pouvoir, l’alliance FCC-CACH n’a en réalité produit pour le peuple congolais que des scènes de ménage et d’interminables querelles qui ont paralysé deux ans durant toute l’action gouvernementale. En lieu et place d’une révolution, à laquelle le peuple n’était pas malheureusement préparé, ni de la dissolution de l’Assemblée nationale aux conséquences imprévisibles pour tous les acteurs politiques, la rupture ce mariage contre-nature a été trouvée comme voie médiane mêlant révolution et droit. De ce laboratoire de fortune est sortie l’union sacrée de la nation dont les effets, à expérimenter d’ici 2023, sont le renouvellement des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que la mise sur pieds d’un nouveau gouvernement compatible avec la vision du Chef de l’État.

Autant les espoirs sont permis du fait de la mise à l’écart de Joseph Kabila, présenté et reconnu comme le principal obstacle, autant des interrogations persistent quant à la réussite de l’opération déboulonnage et à la création d’une union sacrée qui ressemble à une voiture montée dans un garage de N’djili avec des pièces d’occasion récoltées dans les carcasses de plusieurs marques. Le gouvernement qui en sera bientôt l’émanation, dirigé par un choix du Président de la République, risque d’en porter toutes les tares et de ressembler à ceux qui l’ont précédé, c’est-à-dire sans solution significative pour le peuple. C’est pourquoi, en plus des atouts objectifs dont dispose le Premier Ministre Sama Lukonde, les faiblesses énumérées ci-dessus doivent à notre avis être prises en compte comme défis à relever s’il veut laisser positivement son nom dans l’histoire du Congo-Kinshasa.

Jean-Bosco Kongolo Mukangaluend
Juriste & Criminologue / Gatineau-Canada

Références

[1] 7sur7.CD, 17 février 2021, In https://7sur7.cd/2021/02/17/mabi-mulumba-sur-le-1er-ministre-la-reussite-nest-pas-liee-la-jeunesse-mais-lexecution.

[2]In https://www.radiookapi.net/2021/02/24/actualite/revue-de-presse/forum-des-criteres-de-selection-des-candidats-ministrables-lego.

[3] Congo indépendant, 16 février 2021, In https://www.congoindependant.com/sama-lukonde-premier-100-jours-pour-convaincre/comment-page-1/.

0

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

This panel is hidden by default but revealed when the user activates the relevant trigger.

Dans la même thématique

DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 06:27:39| 162 0
RDC : Jean-Jacques Wondo dépose plainte en Belgique pour menace de mort
Il y a dix jours, un journaliste congolais critique du régime Tshisekedi a été violemment agressé à Tirlemont. “Les menaces… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 06:27:39| 649 0
Un hommage poignant de JJ WONDO à sa fille MAZARINE WONDO en ce jour d’anniversaire, malgré l’injustice de son incarcération
"Joyeux Anniversaire à la très inspirée et exceptionnelle MAZARINE WONDO. Je t'envoie plein de Bisous,d'Amour et de Bénédictions. Nous sommes… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 06:27:39| 1530 0
RDC : Dossier Jean-Jacques Wondo, la défense contre-attaque et démonte toute l’accusation
Le dossier de la téléphonie sur lequel repose l’accusation apparaît comme un enorme montage pour accuser l’expert belge. Le procès… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 06:27:39| 780 0
HONORABLE PATRIOTE SERGE WELO OMANYUNDU DANS NOS COEURS
Ce 5 novembre 2024, cela fera un an que le Député Honoraire Serge Welo OMANYUNDU nous a quittés.Nous, sa famille… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK