En philosophie, un sophisme est un raisonnement faux, malgré une apparence de vérité, qui est délibérément conçu avec l’intention de tromper ou de faire illusion. C’est l’exercice de communication auquel les porte-paroles du gouvernement, de l’armée et de la police congolais se sont adonnés la semaine dernière face à un parterre de journalistes congolais, profanes en matière de sécuritaire et militaire de la RDC.
A la suite du double attentat-suicide qui a fait au moins quatre morts et 32 blessés le 16 novembre dernier à Kampala et face à l’analyse de la menace après la réélection de Museveni, les autorités ougandaises avaient pris la ferme décision d’intervenir en RDC, avec ou sans l’aval de leurs homologues congolais, contre les ADF que les FARDC peinent à neutraliser. Ainsi, afin de ne pas humilier les autorités congolaises, les autorités militaires ougandaises ont laissé croire à une opération conjointe avec les FARDC alors que jusqu’à présent on n’a rien vu du côté congolais, à l’instar du meeting aérien de novembre 2020 entre l’Angola et la RDC à Kinshasa[1]. Le constat actuel est qu’aucune armée de la région n’accepte de mener des opérations en parfaite collaboration et confiance avec les FARDC. Autre preuve est que même la MONUSCO n’a pas été informée de cette décision unilatérale ni consultée en amont.
Les opérations militaires ougandaises en cours en RDC sont lancées de manière unilatérale en mettant les autorités congolaises devant le fait accompli. D’où le discours alogique, inconstant et schizophrénique du ministre des Communications et des porte-parole de l’armée et de la police, se cachant dans un verbiage incohérent et ridicule derrière le secret-défense sur le moment de lancement des frappes aériennes et des tirs d’artillerie par l’UPDF, l’armée ougandaise et le franchissement des frontières. Les autorités congolaises, dans leur rhétorique mensongère, lors d’un point de presse, voulaient faire croire au public que c’est le secret des opérations qui les a poussées à ne pas informer sur la date de lancement des opérations et d’entrée des troupes ougandaises en territoire congolais de peur de voir les ADF quitter les lieux de leur cantonnement. Faux et archi-faux, d’autant que dès que l’information avait fuité de l’accord présidentiel d’accepter l’intervention militaire ougandaise en territoire congolais, les autorités et la presse ougandaises commençaient déjà à diffuser des informations et des images qui contredisaient le déni affiché par le ministre Patrick Muyaya, le général Léon Kasonga et le commissaire supérieur principal Pierrot Mwana Mputu, respectivement porte-paroles du Gouvernement, de l’armée (FARDC) et de la Police nationale congolaise (PNC).

Par ailleurs, l’armée ougandaise, qui n’a aucune considération l’égard des FARDC dont elle sait qu’elles sont infiltrées par des éléments en connivence avec les ADF, ne pouvait nullement se fier aux informations des renseignements militaires congolais. Or pour mener des frappes aériennes et des tirs d’artillerie ciblés, il faut absolument des informations au sol en plus de celles obtenues par des moyens d’observation comme les drones. Pour ce faire, cela nécessite une présence préalable des équipes de reconnaissance (Recce en jargon militaire) qui seront analysées par la suite. C’est ce travail effectué par des équipes de reconnaissance ougandaises en territoire congolais dans les jours qui ont suivi le double attentat du 16 novembre qui a permis la planification des actions menées depuis le 30 novembre.
Les communicateurs politique, militaire et policier congolais ont en outre inoculé le mensonge selon lequel c’est l’armée congolaise qui a fourni les informations sur les lieux de localisation des ADF. Une absurdité car si elles savaient localiser les bastions des ADF, qu’est-ce qui les empêchaient de mener des opérations similaires avec des unités au sol pour les y déloger ?
Lorsqu’on fait venir une force militaire étrangère pour opérer en RDC, cette force étrangère est invitée pour mener une guerre au Congo. Et lorsqu’il y a des forces armées qui sont en guerre en Congo, c’est ce que disent les autorités ougandaises, la doctrine militaire assimile cette situation à celle décrite aux articles 85 et 143 de la constitution (que vous pouvez lire).
La défense nationale, un domaine de collaboration entre le Chef de l’Etat et le Gouvernement responsable devant le Parlement
La Constitution congolaise[2] consacre un régime politique semi-présidentiel ou mixte en ce sens que ce régime présente à la fois des caractéristiques du régime présidentiel et, par ailleurs, les mécanismes habituels du régime parlementaire (droit de dissolution et responsabilité politique du gouvernement). Ainsi, le régime semi-présidentiel est doté d’une part, d’un chef de l’Etat élu au suffrage universel et, d’autre part, d’un gouvernement qui est responsable politiquement devant un Parlement qu’il peut dissoudre comme c’est le cas dans un régime parlementaire classique[3].
Dans le domaine de la défense, la Constitution congolaise consacre le caractère mixte du régime, bien qu’en réalité, depuis 2006, c’est le Président qui garde le monopole de la gestion des questions de défense et de sécurité. Selon l’exposé des motifs de la Constitution : « Bien plus, les affaires étrangères, la défense et la sécurité, autrefois domaines réservés du Chef de l’Etat, sont devenus des domaines de collaboration ».
L’article 91 de la Constitution consacre le partage des compétences entre le Président et le Gouvernement : « Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la Nation et en assume la responsabilité.
Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement.
Le Gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité. Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90, 100, 146 et 147. (…). »
Le parlement doit-il être consulté ou non par le président lorsqu’il autorise l’entrée des troupes étrangères pour mener une guerre en RDC ?
Malgré le caractère semi-présidentiel de la Constitution congolaise, nombreux sont les articles de cette Constitution qui soulignent la prédominance de l’institution Président dans les domaines de la défense et de la sécurité. Ainsi, le Président de la République est le commandant suprême des Forces armées. Il préside le Conseil supérieur de la défense (article 83). Le Chef de l’Etat est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux (article 69). Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres : (…) les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu ; le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le Conseil supérieur de la défense entendu (article 81).
Lorsque des circonstances graves menacent d’une manière immédiate l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, l’article 85 confère au Président de la République la possibilité de proclamer l’état d’urgence ou l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Il en informe la nation par un message…
Concernant la déclaration de guerre, les articles 86 et 143 prévoient les procédures auxquelles le Président de la République et le Parlement doivent se soumettre, en conférant au Parlement la compétence de l’autorisation de la déclaration de guerre.
Article 86 : « Le Président de la République déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat conformément à l’article 143 de la présente Constitution. »
Article 143 : Conformément aux dispositions de l’article 86 de la Constitution, le Président de la République déclare la guerre sur décision du Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de deux Chambres. Il en informe la Nation par un message. Les droits et devoirs des citoyens, pendant la guerre ou en cas d’invasion ou d’attaque du territoire national par des forces de l’extérieur font l’objet d’une loi.
Pour pouvoir mieux interpréter le rôle du Parlement dans les articles ci-dessus, il est crucial de définir la notion de guerre.
L’article 2 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des forces armées de la RDC définit la guerre en ces termes : « La guerre est le recours légal et ultime à tous les moyens militaires ou non militaires de défense nationale pour mettre un terme à la menace ou à l’agression contre les intérêts fondamentaux du pays ».
Aujourd’hui en RDC, les ADF constituent effectivement une menace contre les intérêts fondamentaux internes du pays et ensuite contre la sécurité de l’Ouganda. Et lorsque l’armée ougandaise s’amène en RDC, c’est pour mener des opérations militaires assimilées à une guerre – conjointement – avec les FARDC. Ainsi, lorsqu’on laisse intervenir des troupes militaires étrangères en RDC afin de mettre fin à une menace telle que prévue par la loi congolaise, on peut affirmer haut et fort que ces troupes étrangères sont invitées pour mener une guerre au Congo. C’est d’ailleurs ce qu’affirment les autorités ougandaises. Ainsi, lorsqu’il y a des forces armées qui sont en guerre en Congo, la doctrine juridico-militaire assimile cette situation à celle prévue dans les articles 86 et 143 de la Constitution, c’est-à-dire à une guerre. Dans ce cas, le Président Tshisekedi est tenu d’actionner les mécanismes prévus par l’article 86 de la Constitution qui lui impose de requérir l’avis du Conseil supérieur de la défense et surtout l’autorisation de deux Chambres du Parlement avant d’en informer la Nation par un message. Rien de tout cela n’a été fait.
C’est probablement pour les raisons évoquées ci-dessus que la MONUSCO s’est abstenue de se mêler des opérations de guerre qui ne relèvent pas de son mandat, selon son porte-parole, Mathias Gillmann. Ce dernier a appelé à une coordination très étroite entre les acteurs pour plus d’efficacité et pour la sécurité de toutes les parties[4].

Conclusion
La question ne se pose pas dans le sens de savoir si le fait d’inviter une armée étrangère est-il prévu ou non dans la Constitution. Il s’agit d’un raccourci en termes d’analyse. Le raisonnement se pose plutôt en termes de missions des troupes ougandaises en RDC. Si ces troupes viennent faire la guerre au Congo (contre les rebelles ADF), la nature de leur mission est une guerre. Et lorsqu’il y a guerre, ce sont les articles 86 et 143 de la Constitution qui doivent s’appliquer. C’est cela l’esprit de ces articles. Pour le cas d’espèce, on est dans une situation de flagrante violation de la Constitution par le Président.
La question de la guerre touche à la souveraineté, à l’intégrité et même à la survie d’un État. Cette question ne doit pas être traitée avec autant de légèreté ni être banalisée. Concernant l’intervention militaire ougandaise en RDC, le mutisme affiché par le Président Tshisekedi, Commandant suprême des forces armées laisse transparaître un malaise. Nous condamnons également le silence du Gouvernement qui cogère avec le Président le domaine de la défense, en omettant de tenir un Conseil des ministres extraordinaire pour statuer sur cette intervention militaire étrangère en RDC. De même, nous nous insurgeons contre le Parlement qui manifeste un silence complice face à cette question brulante d’actualité qui mérite un débat transparent afin de rassurer les Congolais sur les finalités réelles ainsi que les conséquences multiformes éventuelles de cette intervention de l’armée ougandaise qui semble être imposée aux autorités congolaises. Surtout lorsqu’on connait l’activisme hégémonique passé de l’armée de Museveni en RDC ayant causé des crimes de guerre et de graves actes de traitements cruels, inhumains ou dégradants envers les victimes congolaises qui n’ont jamais obtenu justice ni réparation des préjudices subis.
Les Congolais attendent que le Président Tshisekedi saisisse l’occasion de son discours sur l’état de la nation du 13 décembre 2021 pour leur expliquer les raisons qui l’ont poussé à inviter les troupes ougandaises en RDC.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Diplômé de l’Ecole royale militaire (Belgique) et breveté des Hautes études de sécurité et de défense de l’Institut royal supérieur de défense (Belgique) – Criminologue de profession
Texte relu par Jean-Bosco Kongolo ; Juriste et Criminologue
Références
[1] https://afridesk.org/drole-de-meeting-militaire-aerien-solitaire-angolais-a-kinshasa-quelles-retombees-pour-tshisekedi-jj-wondo/.
[2] La République Démocratique du Congo est actuellement régie par la Constitution du 18 février 2006, modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006.
[3] http://www.congo-autrement.com/blog/le-regime-congolais-est-semi-presidentiel-qu-est-ce-que-cela-veut-dire.html.
[4] M. Gillmann a précisé : « Notre mandat nous autorise à soutenir l’armée congolaise dans ses opérations. Notre mandat ne nous permet pas de soutenir une coalition régionale. Mais, ça ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire. Ça veut dire simplement que nos efforts doivent être coordonnés »Radio Okapi: 01/12/21, In https://www.radiookapi.net/2021/12/02/actualite/securite/rdc-la-monusco-respecte-les-operations-conjointes-fardc-updf-contre.
One Comment “RDC – Ouganda : Déconstruire le changement de narratif sophiste de Patrick Muyaya – JJ Wondo”
GHOST
says:BATTLE DAMAGE ASSESSMENT REPORT
Quand notre gouvernement autorise l´Ouganda a bombarder notre territoire avec les avions de combat et de l´artillerie lourde, les chercheurs congolais en matière de défense devraient se pencher activement sur ce concept afin de vérifier si dans l´accord il est bien indiqué qui fait le « battle assessment report » pendant ces opérations militaires.
Ce concept vise » to provide a timely and accurate estimate of damage resulting from the application of miltary force ».. (nous excuses pour l´anglais..)
Ce concept devrait figurer dans les directives opérationnelles conjointes.. comme on le constate avec la mission militaire de l´ONU.
S´il faut lire entre les lignes la récente recommandation des USA qui demandent d´inclure la MONUSCO dans les opérations conjointes entre les FARDC et l´armée ougandaise, il existe des craintes du « battle damage ».
L´Ouganda s´est illustré dans la destruction des maisons et des infrastructures dans la ville de Kisangani en tirant avec l´artillerie lourde sans discernement.
24 MOIS
Aucun analyste militaire ne peut accorder du « crédit » á un gouvernement qui ne semble pas se soucier du « battle damage » de ses options en matière de défense.
Kengo mettait en garde Mobutu quand ce dernier avait accepté la demande de la France á faire entrer l´armée de Habyarimana au Kivu. Kengo disait explicitement que « il ne faut pas faire du Kivu un autre Liban » où l´OLP et Tsahal avaient transférer leur guerre. Plus de 20 ans après, tous les congolais ont compris le message de Kengo.
L´option du président Felix de faire venir l´armée ougandaise en Ituri et au Nord Kivu pour combattre les milices ADF n´est qu´une mauvaise repetition répétition de la bourde de Mobutu.
Il est trop tard pour l´actuel président.. en effet, il ne lui reste que 12 mois dans son mandat quand l´an 2023 sera l´année de la campagne électorale et des élections. Pendant 3 ans, il n´a pas été capable de mettre en musique une ambition respectable en matière de défense. Au contraire, il multiplie les bourdes et ne semble pas se soucier de « battle damage » de ses options…
Quand nous lisons l´article de David Robarge « CIA´s Covert Operations in the Congo, 1960-1968: Insights from Newly Declassified Documents, on se demande pourquoi le président en fonction au Congo n´apprend rien de l´histoire et ne peut pas tirer profit de la présence d´un ambassadeur des USA qui semble le soutenir depuis 3 ans? Ne faut-il pas s´inspirer des « Covert Operations » de la CIA afin de combattre les milices terroristes de l´Est avec un back up plus fiable des USA? Trop tard..24 mois ou 12 mois.. trop tard