Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 01-10-2024 12:20
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RDC : Lever l’état de siège au profit d’une zone opérationnelle unique biprovinciale

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Cette contribution est une libre réflexion rédigée sans support bibliographiques.

C’est depuis le 6 mai 2021 soit un peu plus de 4 ans que l’état de siège a été décrété dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, en proie à une insécurité et à l’activisme des groupes armés locaux et étrangers permanents.
A ce jour, cette mesure d’exception semble ne pas avoir atteint ses objectifs, à en croire plusieurs rapports d’experts et les évaluations parlementaires,voire la table ronde qui s’est tenue en 2023.

En 2023, le Chef de l’État Congolais avait même pris une mesure de levée progressive de l’état de siège dans les deux provinces concernées. Mais à la surprise générale, la mesure continue à être prorogée par le parlement Congolais, sans tenir compte de cette décision présidentielle, qui était censée s’accompagner de mesures transitoires visant à concrétiser la levée progressive de l’état de siège dans cette partie de la RDC.

État de siège,une mesure militaire exceptionnelle mal comprise ?

La législation congolaise donne une définition laconique et équivoque de la notion d’état de siège qu’elle n’arrive même pas à distinguer de l’état d’urgence. Celle-ci étant une notion sécuritaire générale alors que l’état de siège,comme nous l’avons dit au début, reste une mesure éminemment militaire exceptionnelle qui ne peut s’appliquer que dans des circonstances particulières d’une menace armée imminente.

L’article 85 de la constitution de la RDC dispose que « Lorsque des circonstances graves menacent d’une manière immédiate l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Il en informe la nation par un message. Les modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège sont déterminées par la loi. »

Les articles 144 et 145 précités donnent les modalités de la mise en œuvre de l’état d’urgence et de l’état de siège sans distinguer l’un de l’autre.

Même la loi organique de 2011 portant organisation et fonctionnement des Forces Armées de le RDC (FARDC) reste muette sur les définitions précises et détaillées de ces deux concepts.
Comme je l’ai évoqué plus haut la notion d’état de siège est purement militaire. En science militaire, l’état de siège, de mémoire, peut être défini comme une situation très exceptionnelle dans laquelle se trouve un État ou une portion du territoire de cet État qui est confrontée à une menace armée imminente visant à occuper ou à contrôler militairement le territoire concerné. En règle générale,selon la doctrine militaire majoritaire, l’état de siège fait référence à une invasion armée étrangère sur le territoire d’un pays donné. À y regarder de près, les conditions techniques et militaires de l’instauration de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu n’étaient pas vraiment réunies sans compter les lacunes constatées au niveau de l’analyse des menaces, de la planification et de la préparation des opérations, comme l’indique d’ailleurs le rapport d’évaluation de la mission parlementaire de 2022. En effet, ces deux provinces sont confrontées depuis plus de deux décennies à des situations d’insécurité permanentes qu’on ne peut qualifier de menace armée(=invasion) immédiate telle que prévue par l’article 85 de la constitution ou consacrée par la science militaire.

On peut même extrapoler la menace résultant d’un état de guerre provoquée par l’invasion imminente étrangère à la menace imminente d’une insurrection armée interne or les groupes armés locaux et étrangers sont restés actifs,sous une forme de guerre de basse intensité, dans ces deux provinces. Ce qui nécessitait d’ailleurs la mise en place des opérations militaires d’envergure dans cette région du pays.

L’état de siège consacre la mise en place d’une administration militaire distincte d’un commandement opérationnel militaire sur le terrain.

Comme évoqué supra l’état de siège est un régime exceptionnel qui octroie temporairement tous les pouvoirs administration territoriale à l’administration militaire(gouverneur militaire,maire militaire …) afin de faciliter le déroulement des opérations militaires et la défense militaire des territoires concernés. Outre les missions d’administration du territoire, les missions des autorités administratives des territoires sous état de siège consistent à veiller appliquer des mesures restrictives des droits et libertés fondamentaux des citoyens censés faciliter un bon déroulement des actions en rapport avec l’état de siège.

Sur le plan militaire, la mission du gouverneur militaire n’est pas opérative,mais bien d’appui logistique,en facilitant la mise à disposition des moyens nécessaires au bon déroulement des opérations militaires, sans prendre ou cumuler la fonction opératique de commandement des opérations militaires stratégiquement,faire cumuler les fonctions d’administration territoriale avec celles de commandement opérationnel des actions militaires sur le terrain est une erreur dans la conception de la notion de l’état de siège. Cela est source de confusionnisme opératique et tactique observé sur le terrain. C’est comme si,par exemple,on demandait au Président de la République d’exercer à la fois la fonction politique et administrative de chef de l’État et la fonction militaire e chef d’état-major général des FARD. C’est incompatible et incongru en termes de charge de travail.
D’ou notre proposition de lever l’état de siège dans les deux provinces concernées pour créer une zone opérationnelle unique biprovinciale.

Créer une zone opérationnelle unique biprovinciale.

Les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu ne font pas l’objet d’une menace armée imminente. Elles sont plutôt confrontées à l’activisme permanent de plusieurs groupes armées générant une insécurité endémique, aux causes endogènes et exogènes.

Cette situation exige la mise en place d’une stratégie militaire appropriée visant à réorganiser la structuration et le commandent des opérations sur le terrain selon le principe tactique « unité de terrain,unité de commandement » afin d’éviter des chevauchements de commandements contre-productifs à la réussite des opérations sur le terrain,comme on le constate actuellement avec l’éclatement et la multitude des centres de commandement des opérations militaires.
Pour ce faire, nous proposons humblement les mesures suivantes :

  • Lever définitivement l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu
  • Dissoudre les secteurs opérationnels instaurés en Ituri et au Nord-Kivu
  • Créer une zone opérationnelle unique englobant l’ensemble des territoires administratifs des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu,placée sous le commandement d’un commandant de la zone opérationnelle unique. Ce dernier sera assisté par les commandants des 32èmes et 34èmes régions militaires,agissant chacun respectivement dans les limites territoriales de leur espace géographique.
    La Zone opérationnelle unique biprovinciale sera une structure militaire interarmes devant répondre du principe d’unité de terrain ,unité de commandement.
    Le commandant de la 3ème zone de défense aura une fonction stratégique et d’appui logistique dans l’organisation des opérations, sans avoir de fonction opératique de la mise en œuvre dans l’agencement des unités sur le terrain des opérations
  • Procéder au relèvement,au recomplètement organique et à la réorganisation des troupes combattantes sur le terrain.

Pourquoi ôter le commandement des opérations aux gouverneurs des provinces et lever l’état de siège ?

C’est juste une question de logique comme mentionné plus haut, visant l’efficacité des opérations sur le terrain. Le retour d’expérience(Retex) de la victoire sur le M23|RDF en 2013 nous donne une bonne jurisprudence opératique et tactique que l’on pourrait réexploiter dans la situation actuelle. En effet,après la prise de Goma par la coalition M23|RDF en décembre 2012, un changement de paradigme stratégique s’est imposé à l’état-major général des FARDC commandée par le Général d’armée Didier Etumba Longila dans le cadre de l’opération dénommée « pomme-orange »,mise en place dès avril 2013 sous la supervision stratégique du chef d’état major ad intérim de la Force terrestre, le Général Francois Olenga Tete, le commandement des opérations militaires sur le terrain était conféré au feu Général-Major Lucien Bahuma Ambamba,qui était en même temps commandant de la 34ème Région militaire correspondant à l’entité territoriale administrative de la province du Nord-Kivu. Les détails du déroulement de ces opérations,appuyées par les éléments de la Brigade d’intervention de la Monusco provenant des troupes de la SADAC, sont largement explicités dans notre ouvrage : «Les Forces Armées de la RDC:une armée irréformable ?
Livre disponible sur amazon.com,qui reste d’actualité.

Voilà quelques grandes lignes de ma modeste contribution à la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC.

JeanJacques Wondo Omanyundu

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2 Comments on “RDC : Lever l’état de siège au profit d’une zone opérationnelle unique biprovinciale”

  • GHOST

    says:

    Notre tristesse de voir JJ Wondo si loin de sa famille et le voir á la porte de la « mort » quand il ne cesse d´apporter sa contribution aux réflexions sur la défense de la RDC.
    Malgré cette situation psychologiquement difficile, JJ Wondo démontre une fois de plus son importance au sein de la communauté militaire congolaise avec cette réflexion sur l´état de siège.

    UNICITE DE COMMANDEMENT?
    « Commander n’est pas apporter une expertise. C’est écarter le superflu, avoir une vision d’ensemble et assurer l’interaction des différents leviers pour atteindre un objectif. « J’ai le don de simplifier les problèmes » aimait à dire Napoléon. »
    L´histoire récente de la guerre au Kivu démontre les avantages de l´ »unicité de commandement ». Un article cite le général Bahuma comme une référence dans ce domaine. Most credit for the improvement must go to the new commander of North Kivu’s 8th Military Region, Maj. Gen. Bahuma Ambamba, and his subordinate unit commanders. Following the embarrassing loss of Goma last year, DRC President Joseph Kabila recalled most of the 8th Military Region’s commanders back to Kinshasa and replaced them with a trusted team led by Maj. Gen. Ambamba. https://www.africandefence.net/analysis-how-m23-was-rolled-back/
    In less than 12 months, Maj. Gen. Ambamba has transformed the forces under his control, cracking down on ill-discipline, improving training especially for combined operations, raising morale and earning a good reputation both amongst his soldiers and the MONUSCO forces in North Kivu.
    Nous soutenons les arguments de JJ Wondo en ce qui concerne la création d´une zone opérationnelle « unique ». Nous trouvons que cette « zone » devrait inclure (aussi) le Sud Kivu en plus du Nord Kivu et l´Ituri.

    LA FIN DE L´ÉTAT DE SIÈGE ET L´INNOVATION AVEC LA PROTECTION DES FRONTIÈRES?
    Opter pour une zone opérationnelle unique implique une volonté politique qui apporte des innovations en matière de la défense territoriale.
    Á notre avis, le concept des « provinces militaires » hérité de Mobutu ne correspond pas á la nécessité d´une défense de « proximité ». Il ne suffit pas de transformer les 2 provinces sous état de siège en une seule zone opérationnelle. Il est plus important d´apporter plus d´innovation avec le concept de la protection des frontières.
    En effet, depuis plus de 20 ans, la RDC est déstabilisée avec des invasions par ses voisins de l´Est. Notre système de défense n´a pas évolué vers la création des unités de la police et de l´armée chargée exclusivement pour la protection des frontières.
    ->Á suivre

  • GHOST

    says:

    Juste un extrait du travail de réflexion qui attend la libération de JJ Wondo.

    DEFENDRE LES FRONTIERES : LA “JAMBE DE BOIS” ET LA “JAMBE DE FER”

    Nimy M Ngimbi affirme (Je ne renie rien…Je raconte page 384) que le Congo a un problème de la programmation des priorités. Selon lui, toutes les recettes proposées ressemblent á un emplâtre sur une jambe de bois. Il continue en disant que pour résoudre, le problème de l´absence de l´”Etat”, il faut mettre en place une armée républicaine et apolitique grâce á un véritable “programme d´ajustement structurel militaire”. Sur base des retours d´expériences (RETEX) des guerres d´agression contre le territoire national, les chercheurs congolais en matière de défense tentent de trouver un consensus afin d´appliquer une doctrine militaire unique dont le but est d´assurer la protection des frontières, car une armée républicaine n´est qu´une “jambe de bois” si elle n´assure pas la protection des frontières.

    Le grand Dictionnaire universel du XIXe siècle consacre le mot “frontière” une très courte notice et reprend tout d´abord la définition militaire de Littré : L´ancien sens de “frontière”, dit M. Littré, est front d´une troupe et façade, faire frontière signifie se mettre en bataille pour combattre, se défendre ; et comme on faisait frontière particulièrement sur les limites des pays, le mort a pris le sens de “limites d´État á État” (Sylvie Aprile. Expériences et représentations de la frontière. Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires. 1321/2018) ‪Expériences et représentations de la frontière‪ | Cairn.info

    Albrecht Funk indique que la notion d´État est liée avec la surveillance des frontières. Il cite Lucien Febre qui affirme que “la constitution et la surveillance des frontières territoriales sont étroitement liées á la formation de l´État-nation moderne et á sa revendication d´un ordre public exclusif et unique imposé á tous ses habitants”. (Les mythes du contrôle : la frontière orientale de la République Fédérale d’Allemagne au tournant des années 1990 on JSTOR.)

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