Dans son discours, le 21 septembre 2021, lors de la 76ème assemblée générale des Nations unies, le président congolais a plaidé pour la levée de l’embargo sur les armes imposé à la RDC.
Voici en substance sa déclaration : « L’application à la République Démocratique du Congo des mesures de notification préalable au Comité des sanctions de l’ONU, imposées par le paragraphe 5 de la Résolution 1807, pour toute importation d’effets militaires par le Gouvernement de mon pays, ou toute prestation d’assistance, conseils ou formations liés aux activités militaires des Forces Armées et de sécurité de la République Démocratique du Congo, soit levée, et ce, d’autant plus que le gouvernement a la mission constitutionnelle d’assurer la sécurité des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire national ».
Selon lui, cela permettrait davantage à son gouvernement qui a la mission constitutionnelle d’assurer la sécurité des personnes et des biens, sur toute l’étendue du territoire national, de se doter des moyens conséquents devant l’aider à l’éradication de cette insécurité[1].
La lecture de cette déclaration laisse entendre que le Président congolais semble attribuer la contre-performance de l’armée congolaise au fait que le pays serait sous embargo des armes qui lui est imposé. De la sorte, cela empêcherait les forces de défense et de sécurité de se doter des moyens militaires adéquats afin de mieux lutter contre l’insécurité qui gangrène la partie orientale de la RDC.
La présente analyse vise à faire le point et à lever toute équivoque sur la problématique de l’embargo sur les armes qui concerne la RDC.
Mesures de l’ONU relatives à l’embargo sur les armes en RDC entre 2003 et 2008
L’embargo sur les armes en RDC a été imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2003 par la Résolution 1493/2003. Il concernait tous les groupes armés étrangers ou congolais opérant sur les provinces du Nord Kivu, du Sud Kivu et de l’Ituri, ainsi que les groupes qui ne faisaient pas partie de l’Accord Global et inclusif sur la transition en RDC.
En 2005, Par sa Résolution 1596/2005, le Conseil de sécurité a ensuite étendu l’embargo sur les armes à tout destinataire en RDC, à l’exception de l’armée et de la police congolaises. Cette Résolution 1596 prévoit de sanctionner les personnes ayant violé l’embargo sur les armes en leur imposant des mesures d’interdiction de voyage et un gel de leurs avoirs financiers. De plus, cette Résolution 1596 a élargi l’embargo sur les armes à l’ensemble de la RDC, tout en exemptant les FARDC et la PNC en cours des processus de brassage et d’intégration, néanmoins soumises à certaines restrictions.
En réalité, les restrictions auxquelles sont soumises, jusqu’à ce jour, les FARDC et la PNC concernent des clauses spécifiques qui permettent à la RDC d’acquérir une série d’armes et munitions, et d’équipements militaires de base (dont des avions, des hélicoptères, des chars, des véhicules blindés, des armes lourdes, des mortiers et du matériel de transmission : communications militaires…) pour autant que cela se réalise dans le cadre global et multilatéral défini dans le programme de la réforme des services de sécurité (RSS) des FARDC et que cela soit adéquat aux besoins militaires réels des FARDC et de la PNC et compatibles objectifs poursuivis dans le cadre de la RSS et de la mise sur pied d’une armée restructurée, intégrée et bien équipée.
Par ailleurs, en décembre 2005, le Conseil de sécurité a renforcé sa politique de sanction contre les violeurs de l’embargo par le vote d’une nouvelle résolution 1649 qui s’étend aux « responsables politiques et militaires des groupes armés étrangers opérant en RDC, ainsi qu’aux « responsables politiques et militaires des milices congolaises recevant un soutien de l’extérieur » de la RDC. A cette époque, le Conseil de sécurité visait presqu’explicitement les seigneurs de guerre des milices qui étaient soutenues par le Rwanda ou l’Ouganda.
En juillet 2006 par sa Résolution 1698/2006, le Conseil de sécurité des Nations unies a reconduit pour un an l’embargo, puis par les Résolutions 1771/2007 et 1799/2008 jusqu’au 31 mars 2008.
Le 31 mars 2008, une nouvelle Résolution 1807/2008 a de nouveau reconduit cet embargo jusqu’au 31 décembre 2008. Elle a limité son application uniquement aux forces non gouvernementales[2].
La particularité de la Résolution 1807/2008[3] a été de supprimer l’obligation faite au Gouvernement congolais suivant laquelle tout envoi autorisé d’armes devait se faire exclusivement sur les sites désignés par le gouvernement en concertation avec la MONUSCO en RDC. Cependant, l’article 5 de cette résolution précisait que tous les Etats pourvoyeurs d’armes à la RDC doivent notifier au Comité des sanctions du Conseil de sécurité sur la RDC, tout envoi d’armes et de matériels connexes en RDC et toute fourniture d’assistance, de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d’activités militaires dans le pays.
Selon cette résolution, le Conseil de sécurité confirme également que les restrictions sur les importations d’armes ne s’appliqueraient plus au Gouvernement de la RDC : « les mesures sur les armes (…) ne s’appliquent plus à la fourniture, à la vente ou au transfert au gouvernement de la RDC d’armes et de matériels connexes ni à la fourniture d’une assistance ou de services de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite des activités militaires destinées au gouvernement de la RDC (Résolution 1807, 31 mars 2008)[4].
En conséquence, par la Résolution 1807/2008, il a été formellement mis fin aux obligations découlant de la résolution 1596 (2005) qui limitait drastiquement la possibilité pour la RDC d’acquérir de l’armement et du matériel militaire et imposait une procédure lourde qui devait passer par une minutieuse coordination de la MONUC. Cela veut dire que les forces armées et la police de la RDC ne sont plus sous embargo des armes depuis 2008. L’embargo dont il est question dans cette résolution est exclusivement destiné à couper des approvisionnements (militaires) aux groupes et milices armés opérant en RDC. La notification aux experts de l’ONU vise surtout à identifier les auteurs des violations de l’embargo en vue de les sanctionner compte tenu de l’état défaillant de la justice militaire en RDC et de la collusion de plusieurs responsables militaires et politiques congolais dsans le trafic illégal d’armes.
Depuis, cet embargo est systématiquement prolongé jusqu’à ce jour. En effet, la dernière résolution 2582 (2021), a été adoptée à l’unanimité le 29 juin 2021. Elle reconduit jusqu’au 1er juillet 2022 l’embargo sur les armes, l’interdiction de voyager et le gel des avoirs imposés à la République démocratique du Congo (RDC). Cependant, le Conseil de sécurité réaffirme que l’embargo sur les armes ne s’applique plus depuis la résolution 1807 (2008) au Gouvernement congolais mais bien aux personnes et entités que le Comité des sanctions créé en vertu de la résolution 1533 (2044) aura désignées lesquelles sont également la cible des autres mesures de sanction[5].

Quelle est la situation concrète actuellement en RDC ?
De manière concrète, la situation aujourd’hui est que les forces de défense et de sécurité congolaises de la RDC ne sont pas sous embargo sur les armes. L’embargo sur les armes concerne uniquement tous les groupes rebelles et les groupes armés qui opèrent sur l’ensemble du territoire de la RDC. Cela veut explicitement dire que les FARDC peuvent acquérir toutes sortes d’armes pour autant que cela soit notifié à la MONUSCO. Il est juste exigé au Gouvernement congolais de coopérer intensément avec le Groupe d’experts de l’ONU en leur notifiant des informations sur la livraison d’armes.
L’obligation faite au Gouvernement congolais de notifier l’importation des armes à la MONUSCO a pour but d’éviter qu’elles se retrouvent entre les mains des groupes armés. Par ailleurs, ces armes doivent obligatoirement être achetés auprès des pays qui ne sont pas sous embargo d’exportation d’armes (Corée du Nord, Zimbabwe, Soudan).
Plusieurs rapports de chercheurs et du Groupe d’experts des Nations unies sur la RDC ont démontré récemment, preuves à l’appui, que la RDC a acquis plusieurs armes de ces pays sans en informer la MONUSCO. En outre, la plupart de ces matériels militaires des FARDC et de la PNC se sont retrouvés entre les mains des rebellions. Un article de François Misser – RDC : Qui arme les rebelles ? – publié dans La Libre Belgique du 4 octobre 2019, fournit quelques détails sur le trafic d’armes en RDC[6].
Un plaidoyer présidentiel en faveur des groupes armés en RDC ?
Nous trouvons incongru le discours du président Tshisekedi plaidant en faveur de la levée du régime actuel de l’embargo qui touche les groupes armés, même s’il avance des mobiles de souveraineté nationale. Rien n’empêche aujourd’hui les forces de défense et de sécurité congolaises de se doter des armes appropriées pour lutter efficacement et correctement contre l’insécurité endémique qui ravage l’est de la RDC.
Une mesure de levée du régime actuel de l’embargo sur les armes en RDC risque de brouiller le mécanisme de traçabilité des armes. Elle est perçue comme un moyen de légaliser implicitement le ravitaillement de la centaine de groupes armés en armes et autres matériels militaires
En effet, Georges Berghezan, chercheur au GRIP avance que depuis plus d’une douzaine d’années, les experts de l’ONU chargés de surveiller l’embargo sur la RDC alertent sur les carences dans la gestion des armes étatiques qui en faciliteraient le détournement ou l’usage illégal. En particulier, la majorité des armes et munitions des groupes armés proviendrait des stocks nationaux, notamment par des attaques ou des achats. Si elles sont volontaires, ces fuites constituent des violations à l’embargo auquel sont soumis les groupes armés actifs en RDC. Une enquête de terrain qu’il a coordonnée a montré que ce problème reste aigu en 2019, puisqu’une majorité des personnes interrogées y a fait allusion. Selon les répondants, ce sont surtout les FARDC, dans une moindre mesure la PNC, qui seraient responsables de ces « fuites ». Elles prendraient de nombreuses formes différentes, notamment le vol et la perte au combat, mais aussi l’abandon dans un combat simulé, la vente (au détail ou en gros), le troc, la « dotation », le prêt ou la location. Les bénéficiaires de ces détournements seraient surtout les groupes armés, mais aussi des bandits et, de manière générale, toute personne désireuse à se procurer une arme à bon marché[7].
Investir dans la gestion et la traçabilité des stocks d’armes de l’Etat
Plutôt que de plaider pour la levée du régime actuel de l’embargo sur les armes, nous recommandons au Président Tshisekedi de s’investir dans la poursuite et l’amplification du programme en cours de sécurisation et de gestion des stocks d’armes gouvernementaux par le marquage des armes des forces gouvernementales[8]. Ce marquage a débuté en 2015, en application des engagements internationaux de la RDC (Protocole de Nairobi). Le Protocole de Nairobi vise à prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC). La prolifération des ALPC contribue fortement à l’insécurité et aux violations des droits humains. Selon Berghezan, actuellement, un peu plus de 20 % des armes des FARDC auraient été marquées. Le marquage permettra de tracer les armes détournées et d’identifier les auteurs car de premiers résultats encourageants sont déjà constatés.
Cela doit se faire concomitamment avec un vaste programme de réforme du secteur de la sécurité ainsi que l’actuel Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire (P-DDRCS) dont le coordonnateur, Tommy Tambwe, fait l’objet de contestation du fait de son passé rebelle.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Expert des questions militaires et de sécurité
Exclusivité AFRIDESK.
Références
[1] https://depeche.cd/2021/09/22/onu-felix-tshisekedi-appelle-a-la-levee-de-lembargo-sur-les-armes-impose-a-la-rdc/.
[2] C’est-à-dire aux seuls groupes armés et milices évoluant en RDC) et personnes opérant sur le territoire de la RDC.
[3] La Résolution 1807/2008 élargissait notamment le régime des sanctions des résolutions précédentes aux responsables de violences dirigées contre les femmes dans des situations de conflit armé ».
[4] Georges Berghezan et Xavier Zeebroek (sous la coordination), Armes légères dans l’Est du Congo – Enquête sur la perception de l’insécurité, GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), Bruxelles, 2011.
[5] https://www.un.org/press/fr/2021/cs14565.doc.htm.
[6] https://afrique.lalibre.be/41799/rdc-qui-arme-les-rebelles/.
[7] Georges Berghezan (GRIP), FARDC, principal facteur d’insécurité en RDC, Exposé lors de la présentation du Livre « Essentiel de la sociologie politique militaire africaine » de JJ Wondo, Bruxelles, 12 octobre 2019.
[8] Ces opérations sont supervisées par la CNC-ALPC et soutenues par le RECSA et UNMAS.


3 Comments on “RDC – Levée de l’embargo sur les armes : ce qu’ignore le Président Tshisekedi – JJ Wondo”
GHOST
says:QUI CONSEILLE LE PRESIDENT FELIX?
Simple curiosité, nous avons consultés les sites de Grip et Wikipedia en recherchant les noms des pays sous embargo dese armes decidé par l´ONU. La RDC ne figure pas sur la liste comme mr JJ Wondo le démontre avec des réferences fiables du Conseil de sécurité de l´ONU.
OFFSET
Etrange que le speech du président Felix puisse mentioner un « embargo sur les armes » qui n´existe pas. On se demande de la fiabilité de ceux qui conseillent le président en matière de défense (ministres de la défense et des AE?).
La RDC n´a jamais eu pour tradition d´importer les armes avec une approche de « gouvernance » transparente où le Parlement ratifie les accords de défense et le gouvernement présente un programme « offset » où le Congo accède á une « compensation » industrielle et financière comme l´exige le marché international sur les armes.
TECHNOLOGIE MILITAIRE?
Les images des vehicules incendiés pendant les « convoyages » par les FARDC indiquent explicitement que la RDC n´a jamais fait le choix d´acquerir des technologies militaires du genre « drones » qui assurent la reconnaissance ou qui surveillent électroniquement les communications des milices qui attaquent les FARDC.
Sur la liste des équipements des FARDC, on ne trouve pratiquement pas mention des hélicoptères de transport ou de combat pouvant assurer la mobilité des trouves et la « multiplication » des forces avec une superiorité aérienne.
Quand le président de la RDC se trompe dans son speech, depuis 2 ans et 10 nous les congolais attendent un programme militaire respectable où nous pouvons lire son ambition de faire de l´armée le vecteur qui impose la paix á l Est.
Si le gouvernement pouvait présenter un vrai programme d´acquisition des équipements militaires accompagné d´une liste des « offset », le président n´allait pas se tromper dans son speech.
Kazadi Beneki TSHIBINGU
says:Il y a l’officiel (pas d’embargo comme vous le dites) et la réalité, et ce qui se pratique.
C’est comme les 10 millions de morts en RDC, tués, massacrés et des viols massifs, mais on en fait pas un drame.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
says:Avez-vous les statistiques scientifiques de ces 10 millions de morts congolais, me^le si on ne peut remettre le drame congolais ?
Voici un lien pour vous édifier sur ces chiffres fantaisistes dont personne n’est en mesure de démontrer aujourd’hui :
https://www.liberation.fr/checknews/2020/10/23/y-a-t-il-actuellement-un-genocide-au-congo-ayant-deja-provoque-plusieurs-millions-de-morts_1803262/.