Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 10-09-2015 09:50
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L’arrêt n°RConst.0089/2015, une référence incontournable dans l’histoire de la jeune Cour constitutionnelle congolaise – M. Wetsh’okonda Koso

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

L’arrêt n°RConst.0089/2015, une référence incontournable

dans l’histoire de la jeune Cour constitutionnelle congolaise

 Marcel Wetsh’okonda Koso

Remarque de DESC

La présente réflexion reprend quelques commentaires à chaud sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 septembre 2015 sur les élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces. Concernant ce premier arrêt, nous avons recueilli la lecture d’un juriste congolais qui est familier avec le droit constitutionnel.

Cour Constitutionnelle RDC_0807

Commentaires de maître Marcel Wetsh’okonda Koso

Installée le 4 avril 2015, la Cour constitutionnelle a déjà prononcé près d’une dizaine d’arrêts. Aucun d’entre eux ne peut, cependant, présenter autant d’intérêt que celui n°RConst.0089/2015 prononcé le 8 septembre 2015, à la requête de la Commission électorale indépendante (CENI). La doctrine ne s’y est pas trompée. Ainsi, sans avoir pris connaissance des termes de la requête précitée, Marcel Yabili avait-il, sur le site www.afridesk.org, mis la Cour en garde contre le danger qui la guettait, celui de se brûler[1]. Abondant dans le même sens, dans une réflexion publiée dans les colonnes du quotidien Le Potentiel paraissant à Kinshasa, Christophe Lutundula Apala soutenait qu’à travers la même requête, la Cour était soumise à un test assez difficile : soit elle allait en sortir agrandie, soit alors, elle allait y perdre sa crédibilité[2].

A suivre les informations diffusées par les médias, deux questions de fond étaient soumises à la Cour. La première consistait à interpréter l’article 10 de la loi déterminant les modalités d’installation des 21 nouvelles provinces et l’article 168 de la loi électorale pour appliquer le délai d’organisation des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces. L’avis de la Cour sur la suite du processus électoral au regard du dépassement du délai précité constitue l’objet de la seconde question.

Sur le premier point, la Cour a soutenu qu’il ne lui appartient pas à elle d’interpréter les lois mais la Constitution. Cette position ne peut qu’être approuvée. S’inscrivant dans la droite ligne de l’arrêt de la Cour suprême de justice (CSJ), toutes sections réunies, n°RConst.044/TSR du 3 janvier 2007, elle a le mérite de clore, définitivement, la controverse suscitée par l’avis de la section de législation de la même Cour n°RL 09 du 20 janvier 2004.

Sur le second point, bien qu’aucune disposition de la Constitution et/ou de la loi portant son organisation et la procédure applicable devant elle ne consacre sa compétence en la matière, la Cour a estimé qu’elle est en droit d’émettre son « avis » sur les questions constitutionnelles. Les guillemets s’expliquent par le fait que, selon la Cour, en application de l’article 168 de la Constitution, entre autres, même dans ce cas de figure, c’est toujours par voie de requête qu’elle doit se prononcer et non celle d’avis. Il faut s’attendre à ce que cette position jurisprudentielle provoque une controverse animée entre les partisans d’une interprétation maximaliste des compétences de la Cour et ceux qui s’en tiennent plutôt à une interprétation minimaliste. Une situation similaire a été observée notamment à la suite du prononcé, par la CSJ (Cour suprême de justice) faisant office de la Cour constitutionnelle, de son arrêt RConst.38/TSR du 1er septembre 2006 relatif à la prorogation du délai du second tour de l’élection présidentielle de 2006. Avant d’y revenir, avec force détails, dans une étude plus élaborée, il nous suffira de relever que la Cour constitutionnelle s’est ici démarquée du Conseil constitutionnel sénégalais, en faisant preuve d’une audace remarquable là où celui-ci est critiqué sévèrement par une partie de la doctrine pour ce qu’ elle décrit comme une « certaine pusillanimité » ou une « pusillanimité certaine » .

Pour la jeune Cour constitutionnelle, les élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces n’ayant pas été organisées dans le délai légal faute d’installation des bureaux définitifs desdites provinces et de budget conséquent, il y a lieu de retenir, à la décharge de la CENI, un cas de force majeure, ce qui ouvre le droit, pour celle-ci, d’organiser ces élections à une autre date à déterminer à la suite de la réévaluation, en toute indépendance et impartialité, du processus électoral. Le caractère « imprévisible » des faits constitutifs de la force majeure a été omis, mais l’arrêt sous examen cite ceux d’ »irrésistible et insurmontable ». Sous réserve de cette faiblesse, il est heureux de constater que la Cour soit allée plus loin que la CSJ dans son avis RL 013 du 27 avril 2006 dans lequel aucun de ces caractères n’avait été évoqué. Toutefois, à l’avenir, il serait souhaitable que la motivation de la Cour soit plus étoffée de manière à démontrer que la force majeure résulte de faits qui sont vraiment, et à la fois, imprévisibles et irrésistibles. Ce qui aurait l’avantage, non seulement de ne pas prêter le flanc à la critique, mais aussi et surtout, de faire preuve de pédagogie dans un contexte où la culture du constitutionnalisme est encore en construction.

Ainsi la Cour s’est reconnue le droit d’émettre son « avis » sur les questions constitutionnelles liées au calendrier électoral et elle a adjugé la force majeure en renvoyant à la CENI à sa copie sans, cependant, lui fixer de délai butoir pour s’exécuter.

Enfin, en attendant l’organisation des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces, la Cour a ordonné au Gouverneur de prendre les mesures exceptionnelles qui s’imposent en vue d’assurer l’administration de celles-ci. On peut se demander s’il n’y a pas ici un nouveau nid à contentieux. Des gens peu informés pourraient croire qu’en application de l’arrêt, le Président de la République et/ou le gouvernement pourraient prendre des mesures inconstitutionnelles, par exemple, en nommant des Gouverneurs et vice-gouverneurs ad intérim. Une nouvelle requête pourrait alors être déposée au greffe de la Cour. Celle-ci aurait pu faire œuvre utile en étant plus claire. Mais on ne peut pas se permettre de déduire que la Cour ait autorisé implicitement la violation de la constitution. De plus, les textes sont clairs en matière de désignation des gouverneurs par les assemblées provinciales, même lorsque le président de la République arrive à les révoquer.

Une dernière observation mérite d’être faite. Dans son avis, le Procureur général près la Cour a soutenu que la décision de la CENI portant calendrier électoral est inconstitutionnelle en ce qu’elle ne prévoit pas l’enrôlement des jeunes majeurs, ce qui revient à leur priver l’exercice de leurs droits civiques. Curieusement, ce moyen ne semble pas avoir été rencontré par la Cour. En cela, son arrêt ne manquera pas d’être accusé de manquer de motivation ou de motivation suffisante, ce qui, en droit, revient au même. Allant encore plus loin, d’aucuns se demanderont si, entre le droit constitutionnel de vote et la sécurité de l’Etat, la Cour n’a pas choisi celle-ci, au détriment de celui-là. Seuls les arrêts ultérieurs de la Haute permettront de répondre à cette interrogation.

En guise de conclusion, il y a lieu de noter que l’arrêt n°RConst.0089/2015 constituera une référence incontournable dans l’histoire de la jeune Cour constitutionnelle congolaise. On l’approuvera sur tel ou tel autre point, on déplorera sa position sur telle question ou telle autre question de droit. Mais on ne pourra rester indifférent à son égard.

L’incompétence de la Cour constitutionnelle en matière d’interprétation des lois, son audace jurisprudentielle consistant à reconnaître sa compétence consultative et le fait que dans l’exercice de cette compétence comme dans celui de sa compétence contentieuse, elle se prononce toujours par voie d’arrêt, sans oublier le rappel de quelques caractères des faits constitutifs de la force majeure ne manqueront pas d’être salués, tout au moins par une partie de la doctrine.

En revanche, le manque de fondement explicite de sa compétence consultative, l’omission du caractère imprévisible des faits constitutifs de la force majeure et surtout le manque de motivation suffisante de celle-ci autant que la méconnaissance du moyen du Procureur général du parquet près la Cour relatif à l’inconstitutionnalité de la décision de la CENI portant calendrier électoral seront, à coup sûr, stigmatisés par une autre. Il en va de même de l’imprécision qui entoure les mesures exceptionnelles attendues du Gouvernement pour assurer la gestion de nouvelles provinces en attendant les élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces.

Ainsi se consolide la démocratie constitutionnelle.

Fait à Kinshasa, le 9 septembre 2015

Marcel Wetsh’okonda Koso

Marcel ‎Wetsh’okonda est juriste constitutionnaliste.

Avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe

Diplômé d’études supérieures et doctorant en Droit public à l’Université de Kinshasa

Tél : 0815086968

E-mail : marcwetshk@yahoo.fr

Références

[1] http://afridesk.org/chronique-de-desc-rdc-la-cour-brule-t-elle-marcel-yabili/.

[2] http://www.lecongolais.cd/cour-constitutionnelle-de-la-rdc-bapteme-de-feu-et-epreuve-de-credibilite/.

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