Le samedi 5 février 2022, Kinshasa a été agitée par l’information de l’interpellation et l’audition par l’ANR[1] du tout-puissant Conseiller spécial du président en matière de sécurité, François Beya dit « Fantomas ».
Dans une communication à la RTNC, le porte-parole de la présidence a confirmé ce mardi 8 février les soupçons d’atteinte à la sûreté de l’état à la base de l’interpellation de François Beya, le Conseiller spécial du président en matière de sécurité. La présidence de la République a invité la population congolaise à la vigilance.
Pendant que François Beya est en détention dans les locaux de l’ANR, le président Félix Tshisekedi s’est entretenu le 7 février 2022 dans la soirée avec Jean-Claude Bukasa, l’assistant de Beya en charge de la sécurité extérieure au sein du CNS, le Conseil national de sécurité. Selon nos sources, il été question de lui donner des consignes pour assurer son intérim et rassurer le personnel du CNS, inquiet de la situation. Sa nomination pour assurer l’intérim a été entérinée dans la nuit du 8 février. Cette nomination fait partie de la procédure administrative provisoire classique. C’est le principe de continuité du service. Jean-Claude Bukasa était un des adjoints de Beya (numéro 2) au sein du CNS, en charge de la sécurité extérieure. A l’instar d’Eberande Kolongele après l’arrestation de Vital Kamerhe en 2020, Jean-Claude Bukasa assure provisoirement – à titre intérimaire – la fonction de conseiller spécial du président en matière de sécurité, en attendant une nomination définitive à ce poste. Bukasa peut être soit définitivement maintenu à ce poste soit remplacé par une autre personne tant ce poste est très convoité actuellement par plusieurs proches collaborateurs du Président. Des détails sur le profil de Bukasa seront probablement donnés dans nos prochaines publications.
Outre Bukasa, les noms suivants sont les plus cités pour remplacer Beya. Il s’agit de Fortunat Biselele (actuellement Conseiller privé du Président), Samy Badibanga (ancien Premier ministre et Vice-président du Sénat), Roland Kashwantale (Directeur Général de la Direction Générale de Migration (DGM) depuis février 2020), François Muamba Tshishimbi (coordonnateur du Conseil présidentiel de veille stratégique), Gilbert Kankonde (Ancien ministre de l’Intérieur du Gouvernent Ilunkamba) et Roger Kibelisa (Assistant principal au CNS en charge de l’Intérieur).

Par ailleurs, le personnel du CNS est interdit d’accès aux locaux de celui-ci jusqu’à nouvel ordre. Des perquisitions sont actuellement menées par les agents de l’ANT dans tous les bureaux de François Beya, à ses différentes résidences et aux domiciles de certains de ses collaborateurs. Les noms suivants sont cités et pourraient faire objet d’arrestation par les services spéciaux en raison de leur implication supposée dans le dossier en cours : Djoko Bale Kongolo (Directeur de cabinet de François Beya), Guy Vanda (Assistant personnel de Beya), Bosolo, Tshibangu, Tshinay, Ekwaki.
Pour tenter de décrypter cette situation, nous avons recouru à une méthodologie de questions – réponses, à la suite d’un échange privé avec un journaliste d’un média occidental, il y a deux jours.
1. Monsieur Wondo, quelle analyse faites-vous de l’arrestation de François Beya ?
JJW : Cette question est vaste et peut être difficile à synthétiser en quelques mots.
Grosso modo, il faudrait d’abord interpréter l’arrestation de François Beya comme une partie d’une guerre de clans que se livrent depuis plusieurs mois les proches collaborateurs de Tshisekedi pour occuper la très stratégique fonction de conseiller spécial du président en matière de sécurité, mais aussi pour gagner la confiance du Président.
Ces derniers mois, on a assisté à une sorte de passe d’armes entre François Beya et certains proches collaborateurs dont :
– Yane Fumuatu, Assistant principal du Conseiller Spécial sécurité, en charge des questions politiques (suspendu le 22 décembre 2020 par Beya avec interdiction de quitter le territoire pour insubordination, usurpation de qualité, trafic d’influence, indiscipline, etc).
– Fortunat Biselele dit « Bifort », conseiller privé du chef de l’Etat qui a fait l’objet d’une audition au sein du Conseil National de Sécurité (CNS), l’organe de coordination de tous les services de sécurité et de renseignement que chapeaute Beya.
On a également assisté à des attaques par médias interposés entre le général-major Franck Ntumba Buamunda[2], le chef de la maison militaire du Président et Beya pour gagner la confiance exclusive de Félix Tshisekedi. Il y a aussi dans le lot d’autres personnes qui convoitent cette fonction en argumentant que Beya est au service de Kabila avec pour mission de saboter la présidence de Tshisekedi. C’est le cas notamment de Jean-Claude Bukasa, assistant de Beya.
De l’autre côté, Beya ayant eu vent de cela, il avait commencé subtilement à piéger ses concurrents potentiels.
Il faut aussi dire que depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi, Beya était incontournable et omnipotent dans les prises de décisions politiques et sécuritaires de Tshisekedi, en plus d’être omniprésent dans toutes les apparitions publiques de Président, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Rien ne pouvait quasiment se faire sans passer par lui.
Par ailleurs, Beya, connu pour sa proximité et sa loyauté envers Joseph Kabila a joué un rôle très important dans le rapprochement entre les deux personnalités politiques du pays, notamment dans le « deal » qui a scellé le passage du pouvoir entre le deux.
De ce fait, plusieurs cadres de l’UDPS, le parti présidentiel, lui ont reproché, à tort et à raison, de rouler pour Kabila plutôt que de travailler au profit de Tshisekedi. En outre, Beya a suscité la méfiance des proches de la famille biologique du Président dont Jacques Tshibanda Tshisekedi, un des frères de Félix Tshisekedi qui travaille dans le cabinet de Roland Kashwantale, le DG de la DGM. Jacques Tshisekedi a probablement un rôle important dans la dénonciation des faits reprochés à François Beya.
Enfin, le climat délétère qui a empoisonné récemment les relations entre le camp de Kabila et celui de Tshisekedi n’est pas étranger à ce qui se passe actuellement.
Il n’est pas exclu que l’inquiétude de plus en plus manifeste des proches de Kabila de perdre complètement leur influence politique soit à la base de ce que l’on tente de reprocher à Beya qui, à mon avis, n’aurait pas vraiment coupé de cordon ombilical avec son ancien chef.
Toutefois, la thèse d’un coup monté ou d’un plan échafaudé par les adversaires de Beya n’est pas non plus à exclure à ce stade, au vu des éléments avancés plus haut, même si selon certaines informations parcellaires que j’ai recueillies auprès des sources militaires haut placées, il est question mentionnent d’indices sérieux d’une tentative de coup d’Etat qui devrait s’opérer à la fin de l’exercice du mandat tournant de Tshisekedi à la tête de l’UA.
La prudence reste de mise à ce stade où les informations sont très peu distillées au public et que les rumeurs vont dans tous les sens, jusqu’à évoquer l’influence des services occidentaux compte tenu des liens étroits qu’entretient Beya avec les autorités de la Centrafrique où le régime est soutenu par les Russes dans un contexte de psychose pandémique du syndrome sahélien des coups d’Etat.
Tout cela illustre en définitive la situation fragile dans laquelle évolue le régime de Tshisekedi qui semble marcher sur les œufs dès le début de son mandat présidentiel, même si politiquement, il a toujours réussi à tirer son épingle du jeu, jusqu’à présent.

2. Est-ce que son interrogatoire est nécessaire ?
JJW : Du moment où on lui reproche des griefs en rapport avec la sûreté de l’Etat, il parait tout-à-fait normal qu’il soit interpellé et auditionné par l’ANR, l’Agence nationale de renseignement. Celle-ci est un service placé sous l’autorité du président de la République qui a pour mission de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’État. La procédure me semble bien légale au vu des compétences de l’ANR dont l’une des missions consiste en « la recherche et la constatation, dans le respect de la loi, des infractions contre la sûreté de l’État », conformément au décret-loi n° 003-2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de l’Agence nationale de renseignements (ANR).
Tout dépend des faits infractionnels qu’on lui reproche. Son poste ne lui confère aucune immunité judiciaire à ma connaissance.
3. Jugé proche de Kabila, est-ce que la théorie du coup d’état se justifie ?
JJW : A ce stade, nous ne disposons pas suffisamment d’éléments pour affirmer ou infirmer quoi que ce soit. Mais comme je l’ai mentionné plus haut, cette thèse reste plausible au vu de l’évolution inquiétante de la situation politique. Surtout si Beya avait des informations annonçant qu’il était en voie de perdre sa place, selon plusieurs informations concordantes à notre disposition. Ce qui signifierait pour lui (et pour la galaxie Kabila en perte de vitesse et de contrôle des affaires de l’Etat), la perte totale de l’influence considérable qu’il a sur la gestion du pays dont il était quasiment l’homme-orchestre, presque l’équivalent du numéro 2 du régime.
On peut prudemment avancer qu’il est possible qu’il ait tenté d’anticiper les choses. Mais dans cette affaire encore nébuleuse, il ne faudrait pas non plus exclure l’influence géostratégique des puissances internationales qui lorgnent sur la RDC. Beya dispose de solides réseaux sécuritaires régionaux et internationaux qui peuvent agir derrière lui. J’ai parlé de ses liens avec la RCA contrôlée par les Russes qui sont dans une dynamique d’expansionnisme géostratégique en Afrique et dont la RDC est une des cibles stratégiques. Il n’est pas exclu que les services occidentaux aient mis les activités de Beya sous surveillance et aient informé les services spéciaux congolais de ses intentions. Une tentative d’action échouée de représailles du Rwanda, avec lequel Beya entretiendrait également de bons rapports, n’est pas à exclure. Ces derniers temps, Paul Kagame ne cesse de manifester son mécontentement sur les médias internationaux envers la gouvernance politique et sécuritaire de Tshisekedi. Nous savons que Kagame n’a pas du tout apprécié le fait que Tshisekedi ait laissé Museveni faire intervenir l’armée ougandaise dans l’est de la RDC dans une région dont il convoite également les ressources économique et où il exerce une influence depuis des décennies après que leurs deux armées se soient combattues en juin 2000 à Kisangani. C’était pour Kagame, un des soutiens de Tshisekedi dans la région, un franchissement d’une ligne rouge par ce dernier. C’est possible que Kagame ait voulu utiliser Beya pour sanctionner Tshisekedi. On sait que depuis l’entrée des troupes ougandaises en RDC, les relations entre Kagame et Tshisekedi se sont quelque peu refroidies. On en a pour preuve le fait que Kagame ait décliné l’invitation de la RDC pour participer au sommet des chefs d’Etat signataires de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba prévu à Kinshasa, le 24 février prochain, au cours duquel la RDC succédera à l’Ouganda à la tête du mécanisme régional de suivi dudit Accord signé le 24 février 2013[3].
Toutefois, on nous signale plusieurs interpellations et/ou arrestations dans les milieux sécuritaires, militaires et des hautes sphères politiques selon plusieurs sources concordantes. Les noms de Modeste Bahati Lukwebo, Président du Sénat et du lieutenant-général Jean-Claude Yav Kabej, le chef d’état-major général des FARDC en charge des renseignements et des opérations, sont de plus en plus cités par nos sources comme étant parmi les personnes qui seraient interpellées par les services d’enquête de l’ANR.
Les différentes thèses évoquées par-ci par-là restent ouvertes à ce stade où très peu d’éléments d’investigation filtrent.
4. A quels scénarios s’attendre ?
JJW : Il est prématuré de prédire les scénarios à venir, mais cette affaire, compte tenu du poids politique et sécuritaire de Beya, va à coup sûr rebattre les cartes de l’échiquier sécuritaire du pays. Quelle que soit l’issue de l’interpellation de Beya, on peut considérer qu’il n’occupera plus sa fonction actuelle. C’est une fonction qui exige une pleine confiance mutuelle avec le Président. Or, Beya ne peut être auditionné par l’ANR sans l’aval du Président qui, pour donner le feu vert à son interpellation, a suffisamment pris la mesure de son impact. Et si jamais Beya est maintenu à son poste, il risque de passer l’essentiel de son temps à régler de comptes avec ses adversaires. Ce qui affaiblirait le fonctionnement optimal de son service et des services de sécurité qui rentreraient cette fois-ci à une guerre ouverte des « services ». Or l’histoire récente de la RDC, sous Mobutu, a démontré que ces guerres d’influence ont généralement eu pour conséquence l’effondrement des services de sécurité et de renseignements du pays.
Il faudrait également s’attendre à une purge dans l’armée, dans la police et dans les services de renseignements avec le risque de pousser certains au dernier retranchement et d’augmenter cette fois-ci le risque d’un coup d’Etat dans un contexte politique préélectoral déjà tendu par le choix des animateurs de la CENI, si tout cela n’est pas géré avec tact. La tentative à une dérive paranoïaque sécuritaire et à un régime autoritaire est également à craindre et ses conséquences en termes de violations des droits humains si tout cela n’est pas géré avec tact.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste et Expert des questions sécuritaires, militaires et géostratégiques
Références
[1] Agence nationale de renseignements créée par le décret-loi n° 003-2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de l’Agence nationale de renseignements (ANR).
[2] https://afridesk.org/que-cachent-les-attaques-mediatiques-contre-le-general-franck-ntumba-le-chef-de-la-maison-militaire-du-president-jj-wondo/.
[3] http://voiceofcongo.net/sommet-accord-cadre-daddis-abeba-paul-kagame-a-decline-linvitation-de-kinshasa-le-rwanda-a-t-il-perdu-pied-en-rdc
One Comment “RDC : L’affaire Beya en questions – JJ Wondo”
ASUMANI
says:Bonjour
Je ne vois pas la différence entre Bifort et fantômes au vu 2 leurs proximités avec Paul kagame.
Entre les 2 qui a + d’influence auprès 2 P.Kagame et 2 Fatshi. Le conflit minier au tour 2 la vente d’uranium en iran et en Corée, ça profite à qui et qu’en dit les câbles yankees. (Questionnements)