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Le président congolais a provoqué une crise politique majeure en se maintenant au pouvoir après l’expiration de son mandat en 2016. Mais le président tient bon, grâce à ses forces de sécurité qui maintiennent une violente répression sur ses opposants. Jusque quand ?
Accusé de vouloir se maintenir au pouvoir en retardant volontairement le processus électoral, Joseph Kabila fait face à l’une forte contestation en réprimant dans le sang chaque manifestation de l’opposition. Un récent rapport de Human Rights Watch a accusé le pouvoir congolais d’avoir recruté d’anciens miliciens du M23 pour réprimer les manifestations de décembre 2016, et « protéger » son président. Mais jusque quand cette armée congolaise, fragmentée, soutiendra son chef ? Jean-Jacques Wondo est sans doute le meilleur analyste des questions sécuritaires congolaises. Diplômé de l’École Royale Militaire de Belgique, il a écrit deux ouvrages (1) sur l’armée de République démocratique du Congo (RDC).
Afrikarabia : Comment expliquez-vous que Joseph Kabila fasse appel à des ex-rebelles du M23 pour réprimer les manifestations d’opposants et protéger son pouvoir ?
Jean-Jacques Wondo : L’explication est historique. Joseph Kabila est tout simplement resté fidèle aux mouvements rebelles qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont ensuite conforté dans ce pouvoir : l’AFDL, puis le RCD-Goma, le CNDP et enfin le M23, qui étaient tous soutenus par le Rwanda et l’Ouganda voisins. Joseph Kabila a ensuite toujours été « en intelligence » avec des groupes armés ou des milices parallèles à connotation rwandaise. Avec les différents accords de paix qui ont été conclus, ces rébellions ont été intégrées au sein de l’armée régulière. C’est ce qu’on a appelé le « brassage ». On a alors assisté à une sorte de dédoublement structurel de l’armée, principalement à l’Est du Congo. Joseph Kabila a fait appel à des miliciens de l’ex-M23 car il n’est pas sûr que le reste de l’armée le suive dans les opérations de répression. La plupart des militaires congolais sont d’ailleurs aujourd’hui désarmés. Ils n’ont plus d’armes, car le pouvoir n’en a plus confiance. Dans les récents massacres des Kasaï, ce sont les unités rwandophones qui étaient aux avant-postes. Joseph Kabila fait donc travailler ses milices dans des structures parallèles au sein même de l’armée régulière.
Afrikarabia : Cela veut dire que pour se maintenir au pouvoir, Joseph Kabila peut aujourd’hui compter sur la partie de l’armée rwandophone, mais aussi sur une partie de la police et de la Garde républicaine ?
Jean-Jacques Wondo : Concernant la police, il peut en effet compter sur la LENI, la Légion nationale d’intervention (l’ancienne PIR), où on trouve beaucoup de Katangais. Tout comme au sein de la Garde républicaine, qui n’a pas subi les opérations de « brassage ». On peut citer le Bataillon Simba, l’unité spéciale commandée autrefois par John Numbi.
Afrikarabia : John Numbi, l’ancien chef de la police congolaise, a été mis au vert depuis son implication dans l’assassinat du militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya en 2010. Est-ce qu’il continue à tirer les ficelles de l’appareil sécuritaire pour le compte de Joseph Kabila ?
Jean-Jacques Wondo : Oui. Selon mes informations, John Numbi revient en force. Pas encore officiellement, mais on voit sa touche dans les récentes nominations au sein de la police. Notamment concernant le tout nouveau chef de la police de Kinshasa, Sylvano Kasongo, qui a remplacé Célestin Kanyama. C’est clairement un homme de confiance de John Numbi qui continue de contrôler toute la sécurité au Katanga.
Afrikarabia : Le nouveau report des élections pour fin 2018 a créé de nouvelles tensions au Congo. Mais le pouvoir semble toujours tenir bon et l’opposition peine à mobiliser dans la rue ? Pour quelles raisons ?
Jean-Jacques Wondo : D’abord à cause de la forte répression. Les Congolais n’étaient pas habitués à ce type de répression. Joseph Kabila a en effet envoyé quelques éléments de sa garde républicaine se former à l’étranger aux techniques très violentes de guérilla urbaine. Notamment en Egypte et en Israël. 8.000 à 10.000 militaires de la garde républicaine ont été formés et directement intégrés au sein de la police, car l’armée ne peut plus normalement agir dans des opérations de maintien de l’ordre.
Afrikarabia : Est-ce qu’un scénario à la Zimbabwéenne, où l’armée a décidé de renverser le pouvoir, est possible à Kinshasa ?
Jean-Jacques Wondo : Pour l’instant cela me paraît difficile au Congo. Au Zimbabwe, nous avions une armée unifiée avec un commandement centralisé. En République démocratique du Congo, nous avons une armée fragmentée, qui n’est qu’une juxtaposition de plusieurs milices. Il est donc difficile de créer ce qu’on appelle une unité de commandement. Mais attention, au sein de cette armée congolaise, certains groupes peuvent entrer en conflit. Il faut savoir que la majorité des militaires sont déçus de Joseph Kabila et ne voient pas leur avenir avec l’actuel président congolais. Il y a également une guerre ouverte entre certains généraux et il ne faut pas exclure que cela puissent provoquer des scissions au sein de l’armée et amener un officier à mener une action de neutralisation du président Kabila.
Afrikarabia : … un risque de coup d’Etat ?
Jean-Jacques Wondo : Ce n’est évidement pas à exclure. Soit par un groupe de militaires qui prendrait le dessus sur les autres, ou par ce que j’appellerai un « loup solitaire ». Il faut dire que dans cette armée, peu de militaires sont prêts à mourir pour Joseph Kabila.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(1) Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC (2013) et Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ? (2014).
One Comment “RDC : Joseph Kabila peut-il encore compter sur son armée ? – Christophe RIGAUD”
GHOST
says:QUESTION D´AVENIR ?
Ceux des militaires congolais qui souhaitent continuer leur existence dans l´armée (y compris la police) se demandent certainement quel avenir le président Kabila peut leur offrir?
Ils savent très bien que ce « président » ne possede plus un mandat et ne peut continuer á l´infinie demeurer á la tête de l´État dans un pays où les ressources naturelles constituent une « balance sécuritaire » de toute la planète.
Leur engagement auprès du président Kabila est une question de leur avenir et de leur survie comme militaire ou policier.
S´il faut renverse la question, alors quel avenir offre l´opposition aux membres de l´armée et surtout de la Garde Républicaine? On a pas encore lu un « programme politique » specifiquement orienté pour apporter des propositions concrètes et crédibles pour l´avenir des militaires quand Kabila quitte le pouvoir.