Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 02-05-2013 13:49
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RDC : Géostratégie internationale : des rivalités bipolaires à la concurrence tripolaire (1960-2008) – Lambert Opula

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

RDC : Géostratégie internationale : des rivalités bipolaires à la concurrence tripolaire (1960-2008)

 

Par Lambert Opula

 

Sommaire

I. Des rivalités bipolaires à la concurrence tripolaire.. 1

I.1. La stratégie du « containment » et le Congo indépendant. 1

I.2. Vains espoirs de l’ère post-Mur de Berlin. 2

I.3. Du néocolonialisme à la globalisation, passant par l’ajustement structurel. 4

I.4. La rupture de l’ordre, les Accords de Lusaka et de Sun City. 5

I.5.  Émergence au Congo des intérêt du troisième pole économique. 6

II. Le tribalisme : ennemi public numéro un au Congo.. 7

III. Des incertitudes sur des questions clés. 9

IV. D’autres incertitudes au terme de 40 ans d’indépendance.. 10

V. Une coalition entre l’intelligentsia et la jeunesse pour créer un moteur de transformation du Congo ?. 11

 

I. Des rivalités bipolaires à la concurrence tripolaire

Au Congo, les polémiques politiciennes ont occulté la réflexion géostratégique. Pourtant, l’émergence des intérêts du troisième pole économique mondial introduit

I.1. La stratégie du « containment » et le Congo indépendant

Au moment où PE Lumumba célébrait la victoire du nationalisme congolais sur le colonialisme belge l’implication de la CIA américaine dont Léopoldville abritait le siège pour l’Afrique noire, a permis, au néocolonialisme encore en restructuration, d’enrailler l’option progressiste du paysage géopolitique congolais. Mais, le Congo transformé en bastion africain du «containment», une stratégie américaine de résistance à l’option internationaliste du communisme, ne parvint pas à amorcer même un développement selon le schéma capitaliste comme le firent d’autres pays comme le Kenya, la Côte d’Ivoire et le Nigeria.

En effet, l’effritement à l’aube de la décolonisation du Congo, de la puissance diplomatique de la Belgique, a entraîné une vive compétition en Occident entre, d’un  côté, les puissances latines, et de l’autre, des puissances anglo-saxonnes, qui cherchaient à substituer leur contrôle à celui des Belges. Les zones Est et Sud du périmètre minier congolais a été transformée en champ opérationnel des rivalités entre les complexes militaro-industriels occidentaux et les visées expansionnistes chinois, voire soviéto-cubaines.

Si à cette époque le conflit Est-Ouest était évoqué comme étant  la cause essentielle de l’instabilité, les rivalités entre les puissances européennes et les Etats-Unis étaient perceptibles dans les cercles diplomatiques sur toutes les tentatives de résolution de la crise congolaise.

I.2. Vains espoirs de l’ère post-Mur de Berlin

Une décennie avant la Chute du Mur de Berlin, la RDC opéra un volte-face dans sa politique diplomatie vis-à-vis du Moyen-Orient, à la suite des engagements nord-coréens et chinois pour la coopération. Cela provoqua une réaction ferme du siège de la CIA à Langley (Washington ). Pour se protéger Kinshasa s’insérera dans les réseaux de la DGSE du célèbre Jacques Foccart, s’attirant ainsi une rancœur qui ne prendra fin qu’avec l’entrée des armées rwandaises, lourdement équipées et conseillées par le Pentagone. Les tiraillements entre Paris et Washington face à la progression des colonnes chères à Kabila en étaient l’expression.

Intervenant une décennie après la crise de la grande industrie manufacturière, cette rupture va consacrer un changement du territoire de conflits au Congo. Les champs miniers du Sud-Ouest, domaines des métaux destinés à l’industrie lourde seront plus ou moins épargnés. Par contre, les gîtes miniers  de l’Est, riches en in put spéciaux de l’ère technologique, sont devenus un théâtre d’opération pour des foyers stratégiques établis de part et d’autre de l’Atlantique. La RDC a ainsi été soumise à un cycle continu d’instabilité depuis 1996.

Ainsi, au Congo, la chute du Mur de Berlin  n’a donc pas mis fin à la violence infernale inaugurée avec l’assassinat violent de son Premier ministre en 1961. À la compétition Est-Ouest, s’est succédée la compétition transatlantique.

L’échec du développement du Congo a été constaté. Au lieu de l’édification nationale proclamée le 3 juin 1960, les Congolais se contenteront de s’entredéchirer en vain sur les causes de la dégradation des infrastructures héritées d’une colonisation pourtant sanguinaire et humiliante.

I.3. Du néocolonialisme à la globalisation, passant par l’ajustement structurel

Lors de la transition, du néocolonialisme vers la globalisation, la Banque mondiale, une institution dont la mission initiale visait la reconstruction post-guerre et de la lutte contre la pauvreté (BIRD), s’est alliée au Fonds monétaire international dans une nouvelle mission consistant à assurer le triomphe de la libre entreprise dans l’ère post-soviétique. Les programmes d’ajustement dont la RDC était parmi les premiers demandeurs avaient provoqué l’extinction des activités à travers une stratégie de stabilisation sans croissance.

Véritable démolition du collectif, l’ajustement structurel entrepris dans un contexte d’instabilité politico-militaire et financier, aura contribué à une déconstruction radicale du tissu industriel et des infrastructures hérités de la colonisation. C’est qu’autant la concurrence entre partenaires globaux ont plongé le Congo dans la misère et l’instabilité, autant les institutions multilatérales qui constituent des résurgences de leurs intérêts ont contribué à ruiner l’économie congolaise.

Au cours de la dernière décennie, des alliances menaçantes sont apparues par valais locaux interposés, entre certains compétiteurs globaux et des foyers rivaux de la région, dans un contexte où la construction d’un leadership national était déjà rendue difficile par une double émergence, celle des réseaux globaux de circulation de l’information et celle de l’expression ouverte des identités locales.

«Ingouvernabilité consécutive à l’hétérogénéité de sa population, absence de tradition de gouvernance pour un territoire aussi bien vaste que riche, et déficit de patriotisme », sont autant d’ingrédients dont s’étaient servis les ennemis du Congo dans leur tentative de théoriser l’entreprise de démantèlement de notre cher pays, à travers ce qu’ils ont qualifié de Conférence de Berlin II.

I.4. La rupture de l’ordre, les Accords de Lusaka et de Sun City 

Pour se départir d’une invasion perçue comme prélude au démantèlement du Congo, les politiciens congolais connus des Occidentaux pour leur « déficit de patriotisme », ont dû avaler une couleuvre à travers un schéma calqué sur des antithèses à la position des patriotes. Deux exemples suffisent pour s’en convaincre. Premièrement, le principe inclusif dont l’extension vidait de son sens le mobile du conflit de l’Est du pays : l’établissement d’une autorité transitoire inclusive réglait avant débat la question de la nationalité au Kivu, à tel point qu’au niveau internationale, les massacres perpétrés par les bandes du généralissime rebelle Nkundabatware, à l’Est, sont perçus comme une épisode interne de l’«ingouvernabilité du Congo».

Deuxièmement, les pourparlers de Lusaka et de Sun City légalisaient la présence (jusque-là niée) des armées d’invasion sur le territoire congolais. On peut constater que si des forces hétéroclites rassemblées spontanément  pour combattre l’invasion du Congo n’ont pas subie une défaite totale, les politiciens et leurs intellectuels de conseillers l’ont subie autour de la table de négociation à Lusaka et à Sun City.

I.5.  Émergence au Congo des intérêt du troisième pole économique

Aujourd’hui, nous abordons une autre période d’incertitude. En effet, dans un premier temps, à la compétition bipolaire géostratégique Est-Ouest de l’ère communiste qui avait menacé l’unité du Congo, il s’est substitué une bipolarité transatlantique, qui a fait croiser des intérêts économiques nord-américains et anglo-saxons à ceux d’autres puissances de l’Union européenne  sur le sol congolais. Dans un second temps, le troisième pole économique constitué de la Chine et le Japon, a surgi sur la scène africaine en générale et congolaise en particulier. Avec l’émergence de ces derniers intérêts, la compétition impérialiste devient tripolaire. La capitalisation de ses effets devient plus complexe. Le potentiel de conflit est, en conséquence, plus important qu’à l’époque de la compétition bipolaire.

Face à une conflictualité aussi prévisible, seul un sentiment d’appartenance allié à un puissant courant d’éthique pourrait renforcer la capacité de résistance du peuple congolais. Néanmoins, le Congo doit combattre un ennemi public.

II. Le tribalisme : ennemi public numéro un au Congo

Le tribalisme et son corollaire, le déficit du patriotisme,  entravent la recherche du consensus national sur des questions capitales. Ainsi, le salut des Congolais ne proviendra que d’une action pragmatique ou d’un courant intellectuel puissant qui réussira à imprimer une onde de choc sur le tribalisme.

Aussi loin que soient tombés le pays et son peuple, l’intelligentsia congolaise n’a pas produit ses Montesquieu et ses Camus. À quelques exceptions près, même les esprits les plus brillants sont demeurés, comme nous l’avons dit, de simples caisses de résonance de leurs leaders tribaux. Même dans les cercles académiques ou dans les institutions internationales, les travaux de nos compatriotes sur la crise nationale se démarquent rarement des prises de position faites par des leaders politiques proéminents de leurs tribus respectives. Dans les conférences et autres manifestations patriotiques, ce phénomène d’affrontements entre partisans à base tribalisée a engendré un désintérêt collectif dans la diaspora, et particulièrement parmi les jeunes. 

Le tribalisme obstrue toute voie de recherche de compromis sur des questions collectives. Le consensus national n’est plus connu qu’à travers un seul exemple historique, celui des participants congolais à la Table-Ronde politique de Bruxelles, en janvier 1960. Il est plus que temps que dans toutes les réflexions, le génie intellectuel des Congolais combatte le tribalisme de toutes ses énergies.

III. Des incertitudes sur des questions clés

De nombreuses incertitudes sont encouragées aujourd’hui par le leadership congolais sur des question clés, ce qui a porté un coup de grâce aux aspirations autrefois puissantes de mobilisation nationale post-guerre. Par celles-ci, la question de la nationalité des dirigeants, par exemple. Si jusque-là, les versions sur la nationalité de certains hauts dirigeants sont très contradictoires, le silence des personnalités concernées fait pencher l’opinion en faveur de la contestation. En 2006-2007,  cette question même occulté tout le débat au cours des premières élections post-indépendance, le peuple congolais n’a pas eu droit à des projets concurrents de société. Aujourd’hui, à quelque chose près, elle a consacré la rupture entre le gouvernement congolais et la nombreuse et remuante diaspora de ce pays. L’image et les prétentions du Congo post-électoral en sont affectées.  Même la construction annoncée des infrastructures nouvelles tant discutées dans les milieux des élites ne semble plus séduire cette diaspora, tant qu’elles sont l’œuvre de ce qu’elle appelle, selon les versions qui les ont frappés, un «étranger», voire un «Rwandais» ou un «Tanzanien». 

Nul n’oubliera que la rivalité entre puissances occidentales autour des ressources congolaises s’exprime par un long répertoire de crises majeures intervenues depuis l’indépendance. Ces ressources existant aussi, parfois dans des proportions plus considérables, dans d’autres pays africains, voire du tiers-monde, notre procès des avidités de l’Occident devrait s’accompagner d’une sérieuse remise en question de nous-même. Notre déficit de patriotisme et notre difficulté à atteindre un consensus sur des questions clés ont jusqu’ici facilité la tâche aux ennemis du Congo.

IV. D’autres incertitudes au terme de 40 ans d’indépendance

  • Nul ne sait qui d’une armée constituée des milices non formées qui ont semé la terreur pendant les dernières guerres, d’une classe politique gangrenée par la corruption ou des intellectuels dépendant des mouvances tribales, constituerait une planche de salut pour une transformation qualitative de l’espace socio-politique et économique congolais ;
  • La confusion règne partout quant à savoir si, en raison des évolutions récentes, la meilleure solution à l’impasse congolaise actuelle réside en la rupture de l’ordre plutôt que par la régénérescence de la base démocratique (opposition fonctionnelle) au sein des institutions;
  • Nul n’ignore l’incapacité de la diaspora congolaise, d’une part, à réaliser un consensus sur une question d’intérêt national, d’autre part, à mobiliser des partenariats clés de l’intelligence globale autour d’une cause réellement patriotique;
  • Certaines expériences récentes ont permis de noter  que le progrès ne réside pas nécessairement à l’atterrissage massif, au sein des institutions nationales, des compétences en provenance de la diaspora en vue de leur substitution aux cadres hérités de l’expérience du mobutisme.

V. Une coalition entre l’intelligentsia et la jeunesse pour créer un moteur de transformation du Congo ? 

Au regard du contexte international du moment, une rupture de l’ordre par une intervention militaire ne résoudra pas durablement le problème du développement démocratique et économique du Congo, pas plus qu’elle ne le résoudrait d’une manière optimale.

À moins de croire à la génération spontanée, il ne semble pas que le politicien congolais soit réellement préparé à se réformer dans son attitude vis-à-vis de la chose publique.

Il ne reste qu’à penser à l’émergence d’un puissant courant d’éthique politique et économique, produit des éléments de l’intelligentsia nationale, non intéressés à une promotion politique individuelle. Une alternative politique, à moyen terme, dans laquelle la jeunesse congolaise jouerait un rôle de moteur de transformation, sur fond d’une éthique politique et économique produite par l’intelligentsia congolaise, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur,  ne constituerait- elle pas une antidote à la crise congolaise ?

Des deux maux, le moindre, le développement d’une coalition stratégique entre l’intelligentsia et la jeunesse congolaises permettrait à la première de se réhabiliter devant une opinion nationale devenue critique envers elle, comme la jeunesse nationale devrait se réhabiliter au nom de certaines de ses fractions qui ont participé aux massacres et au pillage de la population.

S’il est vrai que, par son comportement, l’intellectuel a globalement déçu la nation, il reste aussi vrai que le Congo compte parmi sa matière grise, des compétences distinctives capables de rivaliser celles à provenance d’autres foyers nationaux. La révolution que tout le monde devrait appeler en perspective du cinquantième anniversaire du Congo indépendant, c’est la déconnection relative de notre intelligentsia d’avec les politiciens de leurs tribus respectives. L’espérance placée aux parrains politiques de la tribu pour la promotion individuelle muselle l’intellectuel, lorsqu’elle ne structure pas son discours contre la nation. L’établissement d’une liaison fonctionnelle entre les idées des intellectuels déconnectés des intérêts tribaux et une jeunesse congolaise exténuée par la misère, les barrières à son éducation et l’extinction du marché de l’emploi constitueraient des ferments d’une transformation qualitative du cadre institutionnel et de vie de notre peuple.

Contre les prédateurs occidentaux qui se livrent une compétition violente au Congo, et contre les politiciens inclinés vers la corruption, nous interpellons l’intellectuel congolais, certes, jusqu’ici décevant. Au seuil du premier demi siècle d’indépendance, un puissant courant rassembleur autour des valeurs d’éthique politique et économique constituera un pas de géant vers un réveil des jeunes pour une alternative politique. Aucune force ne pourrait résister à la mobilisation qui en découlera

Dr Lambert Opula

Montréal

2008

0

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