C’est que l’on peut déduire d’une citation à prévenu adressé au Brigadier Tonton Twadi Sekele, invité à comparaître devant la Haute Cour Militaire, dont le procès débute le 3 juin 2022 à la prison de Makala. L’information a été confirmée par la suite par le magazine d’information Jeune Afrique qui a eu accès aux détails des charges retenues contre François Beya Kasonga, l’ex-tout-puissant conseiller spécial du président en matière de sécurité.
Cette citation à prévenu invite le Brigadier Twadi à comparaître devant la Haute Cour Militaire comme auteur, co-auteur ou complice d’une participation criminelle à un « complot contre la vie ou contre la personne du Chef de l’Etat », une infraction punissable par les articles 21 et 23 du Code pénal congolais.
En effet, cette citation à prévenu mentionne le nom de François Beya Kasonga, le Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité, comme ayant directement coopéré dans ce projet infractionnel. La citation à prévenu mentionne que les faits retenus à charge de l’accusé s’étalent de la période allant de l’année 2020 jusqu’au 4 février 2022.
Selon le même document susmentionné, les indices de commission d’actes visant à porter atteinte à la vie ou à la personne du Président Tshisekedi se résument dans un message vocal adressé au lieutenant-colonel Pierre Kalenga Kalenga : « Nzambe azo sala ba rumeurs ya makambo yango ya malonga ebimi te, on est dans le bon » (Dieu est à l’œuvre. Il n’y a aucune fuite des rumeurs des histoires gigantesques en préparation. On est dans le bon).
D’autres noms sont cités dans cette affaire. Il s’agit de
Guy Vanda Nowa Biama, l’assistant principal et directeur de protocole de François Beya
David Cikapa Tite Mokili, assistant de François Beya
Lily Tambwe Mauwa Lily, Secrétaire de François Beya
Lieutenant-Colonel Pierre Kalenga Kalenga, officier de la Garde républicaine et garde du corps
Le document invite également les responsables militaires et civils suivants à être entendus comme témoins lors de ce procès. Il s’agit de :
Général-major Michel Mandiangu Mbala, Sous-chef d’état-major des renseignements militaires, c’est-à-dire le responsable des renseignements militaires communément connus sous le patronyme de la DEMIAP
Général de brigade Makombo de l’état-major des renseignements
Commissaire Divisionnaire Adjoint Sylvano Kasongo Kitenge, le commissaire provinciale de la ville de Kinshasa
Général de brigade John Mulongo Djibwe. Cet ancien commandant en second en charge des opérations et renseignements de la 22ème région militaire (ex-grand Katanga), dont on dit qu’il était proche des Généraux Numbi et Jean-Claude Yav, a été placé sous le statut de mise à la disposition (mise à dispo) de l’Auditorat militaire le 11 juillet 2021 pour désertion simple, violations des consignes et refus d’obéissance, après avoir été rappelé en vain à plusieurs reprises à Kinshasa. Il a été arrêté en Zambie où il s’était enfui et extradé en RDC le 11 janvier 2022 et détenu dans les cachots de l’ANR.
En effet, l’arrestation de François Beya, le puissant conseiller spécial de Tshisekedi, a surpris plus d’un observateur de la vie politique congolaise et a suscité divers commentaires. Certains ont évoqué une guerre d’influence et une affaire de règlement de comptes avec des collaborateurs du pré-carré du Président, dont le conseiller privé Fortunat Biselele (Bifort), Jean-Claude Bukasa qui assume actuellement l’intérim de Beya et Jean-Pierre Mbelu, l’administrateur général de l’ANR, un service autrefois superpuissant qui était placé sous l’ombre de « Fantomas » depuis l’arrivée de Tshisekedi au pouvoir. D’autres qualifient Beya d’agent kabiliste ayant reçu la mission d’affaiblir l’action politique du président Tshisekedi ou de le neutraliser physiquement. D’où probablement cette accusation dont le contenu ne manque pas de susciter des questionnements sur les preuves matérielles et intentionnelles de ce qu’on reproche aux accusés. Jeune Afrique révèle que parmi les faits reprochés à Beya, ses liens avec le général en cavale John Numbi au Zimbabwe où il a voyagé en 2021, des conversations WhtasApp où il aurait insulté le président Tshisekedi.
Il faut par ailleurs noter que depuis l’arrestation de Beya, l’ANR semble progressivement prendre le dessus sur le CNS[1] et devient très influente au sein de la présidence congolaise.
François Beya a été arrêté le 5 février 2022 à son domicile, par les agents de l’ANR (Agence nationale de renseignements), le service de renseignements civils dépendant directement de la Présidence de la République, pendant que le président Félix Tshisekedi se trouvait à Addis-Abeba au sommet de l’Union africaine où il clôturait son mandat de la présidence tournante de cette organisation. Le président Tshisekedi avait interrompu son séjour en Éthiopie pour rentrer d’urgence à Kinshasa.
Beya a été détenu pendant près de deux mois dans les locaux de l’ANR, le service de renseignements civil. Il a ensuite été transféré le 4 avril 2022 au Centre pénitentiaire et de rééducation de Makala, à Kinshasa, après que le « Collectif Free François Beya Kasonga », une plateforme de soutien à l’ancien Conseiller spécial du Chef de l’Etat, ait mené une campagne pour dénoncer les conditions de sa détention, l’illégalité de la procédure judiciaire utilisée par l’ANR pour le transférer à la prison de Makala, sans être passé par le parquet.

Que savoir sur la Haute Cour Militaire qui va juger François Beya et ses co-accusés ?
L’organisation de la justice militaire en RDC va de la plus haute juridiction des Forcées Armées qu’est la Haute Cour Militaire, passe par les juridictions intermédiaires, que sont les Cours Militaires, les Cours Militaires Opérationnelles, les Tribunaux Militaires de Garnison et se termine par les Tribunaux Militaires de Police. Les compétences d’attribution reconnues aux juridictions militaires concernent les matières et le territoire sur lesquels elles s’exercent ainsi que les personnes qui leur sont justiciables.
La Haute Cour Militaire est une des juridictions judiciaires militaires congolaises[2] instituée par la LOI N°023/2002 DU 18 NOVEMBRE 2002 PORTANT CODE JUDICIAIRE MILITAIRE.
Selon l’article 6 du Code judiciaire militaire, le siège de la Haute Cour Militaire est établi dans la Capitale[3]. Son ressort ou sa compétence territoriale s’étend sur tout le territoire de la République.
La Haute Cour Militaire est composée d’un Premier Président, d’un ou de plusieurs Présidents et des Conseillers.
Ils sont nommés et, le cas échéant, relevés de leurs fonctions par le Président de la République, conformément au Statut des Magistrats.
Le Premier Président est nommé par le Président de la République parmi les membres de la Haute Cour Militaire ou du Parquet militaire près celle-ci.
Selon l’article 82 du code judiciaire militaire congolais : La Haute Cour Militaire connaît, en premier et dernier ressort, des infractions de toute nature commises par les personnes énumérées à l’article 120 du présent Code. Article 83 : La Haute Cour Militaire connaît également de l’appel des arrêts rendus au premier degré par les Cours Militaires. Les arrêts de la Haute Cour Militaire ne sont susceptibles que d’opposition, conformément à la procédure du droit commun. Toutefois, les recours pour violation des dispositions constitutionnelles par la Haute Cour Militaire sont portés devant la Cour Suprême de Justice siégeant comme Cour Constitutionnelle. La Haute Cour Militaire peut, à la requête de l’Auditeur Général des Forces Armées ou des parties, rectifier les erreurs matérielles de ses arrêts ou en donner interprétation, les parties entendues.
Selon l’article 120 du code judiciaire militaire congolais : Sont justiciables de la Haute Cour Militaire :
a) les officiers généraux des Forces Armées Congolaises et les membres de la Police Nationale et du Service National de même rang ;
b) les personnes justiciables, par état, de la Cour Suprême de Justice, pour des faits qui relèvent de la compétence des juridictions militaires ;
c) les magistrats militaires membres de la Haute Cour Militaire, de l’Auditorat Général, des Cours Militaires, des Cours Militaires Opérationnelles, des Auditorats Militaires près ces Cours ;
d) les membres militaires desdites juridictions, poursuivis pour des faits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions de juge.
On peut donc admettre que le cas de François Beya rentre dans la catégorie des justiciables mentionnés dans le point b) ci-dessus en raison de la nature des frais infractionnels auxquels il est poursuivi, à savoir la participation à un complot avec les militaires qui sont d’office justiciables devant les juridictions militaires.
Selon l’article 10, la Haute Cour Militaire est présidée par un officier général, magistrat de carrière.
Conclusion
Même si les civils, comme Beya, peuvent être poursuivis par des juridictions militaires en RDC, le fonctionnement des juridictions militaires en RDC laisse à désirer et suscite de nombreuses critiques dans certains milieux des juristes congolais. Ils pointent notamment des violations graves des droits fondamentaux de la personne, suite à la politisation de la justice militaire, à l’absence des voies de recours devant les juridictions militaires et aux dérives de la cour d’ordre militaire.
La politisation des juridictions militaires est tributaire du faible degré de démocratisation du pays. Les juridictions militaires permettent aux autorités de contourner le respect des droits fondamentaux des justiciables par le biais d’une justice expéditive. La justice militaire, dans des Etats faiblement démocratiques et où la culture de l’Etat de droit est faiblement ancrée, est souvent utilisée à des fins politiciennes par les tenants du pouvoir pour neutraliser des adversaires politiques et des personnes – civiles et militaires – jugées encombrantes pour leurs ambitions politiques en fomentant de vrais faux coups d’état, à l’instar de ce que la RDC a connu sous Mobutu. Nous y reviendrons dans un prochain article consacré à la justice militaire congolaise.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions militaires et sécuritaires
Références
[1] Le Conseil national de sécurité. Un organe créé par le président Mobutu en 1979 afin de mieux assurer la coordination des « services » – civils et militaires. Le CNS est directement rattaché à la présidence de la République et dont le Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité est le responsable.
[2] Les juridictions militaires congolaises sont : les Tribunaux Militaires de Police ; les Tribunaux Militaires de Garnison ; les Cours Militaires et les Cours Militaires Opérationnelles et la Haute Cour Militaire.
[3] Selon l’article 7 :
Dans le cas de circonstances exceptionnelles, le siège de la Haute Cour Militaire peut être fixé en un autre lieu, par le Président de la République.
En temps de guerre, la Haute Cour Militaire tient des chambres foraines en zones opérationnelles.