Une table ronde sur l’évaluation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri s’est tenue à Kinshasa du 14 au 16 août à l’initiative du Président Félix Tshisekedi. Pour le présidet congolais, la table ronde sur l’état de siège permettra une « orientation concertée » en vue de « pacifier définitivement les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu ».
Cette table ronde avait pour mission de décider sur l’avenir de l’état de siège, notamment pour ce qui est de son maintien, de sa levée ou de sa requalification, plus de deux ans après sa mise en place.
Les travaux de cette table ronde se sont clôturés le 16 août. Selon l’Agence congolaise de presse (ACP) et Radio Okapi, les participants à la table ronde sur l’évaluation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri sont, à majorité, favorables à la levée de cette mesure d’exception[1]. Les résolutions des travaux de cette table ronde ont été transmises au Président Tshisekedi afin de se prononcer en dernier lieu. En attendant, le Chef de l’Etat congolais a réuni les chefs des institutions pour avoir leurs avis, notamment sur l’état de siège et échanger sur d’autres questions sécuritaires ainsi que sur le processus électoral[2].
Consulter les professionnels experts pour étoffer les recommandations de la table ronde
Nous estimons que le président de la République devrait approfondir l’analyse de la situation sécuritaire générale du pays, au-delà des résolutions de l’état de siège et de la consultation des chefs des institutions. Cela pourrait se faire en procédant à une analyse froide, objective et approfondie de l’état de siège, des résolutions de la table ronde et de la situation sécuritaire générale du pays, en recourant à la méthodologie dite du retour d’expérience (RETEX). Cette étape, différente d’un audit, devrait impliquer les professionnels (militaires principalement) et des experts externes.
L’implication des professionnels et des experts semble impératif pour la simple raison que la notion d’« état de siège » renvoie à une situation qui correspond à un fait réel, de nature purement militaire et non politique. En science militaire, l’état de siège est une décision qui peut être déclarée par une autorité suprême d’un État dans un espace géopolitique déterminé de cet État, menacé par les forces militaires ennemies. En temps de guerre, un état de siège (réel) est la situation dans laquelle se trouve une place forte assiégée ou menacée par une armée ennemie et après que tous les pouvoirs ont été remis aux autorités militaires. En temps de paix, l’état de siège (fictif ou politique) est un régime exceptionnel et temporaire proclamé par un gouvernement pour faire face à un péril national imminent (insurrection armée, rébellion ou invasion étrangère), en vue du maintien de l’ordre public. Des prérogatives exceptionnelles sont octroyées au gouvernement avec, notamment, un transfert des compétences des autorités civiles aux autorités militaires, une suspension de l’effet des lois ordinaires et une restriction des libertés individuelles[3].
L’état de siège est donc un régime exceptionnel et temporaire mettant en place une réglementation qui confie à une autorité militaire la responsabilité du maintien de l’ordre public et de l’administration d’un pays ou d’une partie de son territoire confrontée à une menace sécuritaire très grave. Dans ce cas, il entraîne un transfert de compétences car les pouvoirs de sécurité et d’administration du territoire, normalement exercés par les autorités civiles, sont exceptionnellement transférés, pour une durée limitée dans le temps, aux autorités militaires, sans que ce transfert soit absolu et automatique, puisqu’il faut que l’autorité militaire suprême le juge nécessaire et indispensable[4].
D’où l’importance d’associer les professionnels et les experts externes à une phase ultime de réflexion. En effet le RETEX permet d’établir un diagnostic froid et honnête du déroulement de l’état de siège, loin des pressions politiques ; d’identifier les erreurs commises, des échecs et des éventuels succès par des constats documentés ; de déterminer la meilleure façon de les corriger et de proposer les pistes de solutions opérationnelles argumentées, pragmatiques et efficaces en tenant compte des capacités de nuisance des forces adverses. Il ne faut pas perdre de vue que les plus importantes débâcles sécuritaires et militaires puisent souvent leurs sources dans un refus têtu de prendre en compte les évolutions de l’adversaire ou simplement les indices contraires à la ligne officielle.
Dans le cas de l’état de siège, on a l’impression que ceux qui ont été à la base de cette décision, s’obstinent mordicus à le maintenir sans parvenir à faire une évaluation objective en profondeur des actions de gestion de l’état de siège entreprises. L’état de siège avait pour objectif de juguler l’insécurité qui prévalait dans les deux provinces concernées. L’évaluation devrait répondre à la question de savoir si cet objectif est atteint. L’argument avancé par les officiels militaires et politiques congolais de l’invasion du Congo par le M23 est absurde et insensé. Car en plaçant les deux provinces concernées en état de siège, l’objectif était de sanctuariser ces deux provinces en vue d’empêcher que la situation sécuritaire se détériore ou que ces provinces subissent d’autres attaques internes et externes. Or le fait que la province du Nord-Kivu ait été attaquée en étant sous l’état de siège, est un indice de l’inefficacité du dispositif opérationnel de l’état de siège. Cela ne devrait pas être une excuse, au contraire un indicateur des objectifs non atteints. Il en est de même de même de la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire en Ituri[5]. Evoquer des performances économiques, comme l’ont fait certains officiels militaires et politiques, c’est du pur sophisme visant à faire diversion sur les faibles résultats opérationnels de l’état de siège qui n’a pas été instauré pour des motifs économiques.
Le RETEX qu’AFRIDESK propose au président Tshisekedi a pour but d’offrir une approche structurée pour les organisations impliquées dans la planification, la préparation, la gestion et la réponse aux événements sécuritaires leur permettant de réfléchir à leurs expériences et leurs perceptions sur la réponse donnée à l’événement. Le RETEX aide à identifier de manière systématique et collective ce qui a et ce qui n’a pas fonctionné, et pourquoi et comment s’améliorer dans le but d’y apporter des mesures correctives efficaces.
Le RETEX n’est pas seulement une démarche d’inspection, mais bien aussi une véritable évaluation des menaces sécuritaires et des forces négatives génératrices de l’insécurité sous l’angle de leurs structurations, leurs capacités opérationnelles et leurs modes opératoires. Les questions posées sont généralement d’ailleurs assez simples et classiques : les difficultés rencontrées sont-elles le fait d’un choc avec des forces ennemies supérieurement préparées ou révèlent-elles principalement des insuffisances internes : mauvaise doctrine, mauvais commandement, mauvaise planification des opérations, mauvaise conditionnement/motivation de nos forces, mauvais équipement des intervenants, mauvaise coordination, mauvaise organisation/structuration/déploiement des forces, moyens peu ou pas adaptés, voire insuffisants ?[6]
Conclusion
En définitive, le RETEX aide à identifier de manière systématique et collective ce qui a et ce qui n’a pas fonctionné, et pourquoi et comment s’améliorer en tirant des enseignements (leçons identifiées en termes de pratiques à améliorer et/ou de bonnes pratiques à consolider). Le recours aux professionnels et aux experts externes visent à développer et opérationnaliser une méthodologie rigoureuse (RETEX) objective et autonome. C’est-à-dire d’analyser froidement un événement et son déroulé, de tirer les enseignements positifs et négatifs de la situation actuelle afin de promouvoir ou créer des réflexes, des procédures et des références dans une double perspective de prévention des risques et dissuasive d’amélioration des réponses opérationnelles et tactiques, et des pratiques d’organisation et de fonctionnement des unités sur le terrain. Cela ne doit pas s’improviser, mais doit faire l’objet d’une analyse sérieuse et approfondie où rien n’est mis de côté.
L’objectif final de cette démarche, devenue un impératif dans les grandes armées du monde, vise à aider et à accompagner efficacement le Président de la République, en sa qualité de Commandant suprême des forces armées, à prendre des décisions adéquates et bien réfléchies en amont, pour permettre, par une montée en puissance des FARDC, d’apporter des réponses appropriées à la situation sécuritaire dégradée à l’est et dans l’ensemble du territoire de la RDC. Le RETEX doit être réalisée avec la plus haute exigence intellectuelle et rigueur méthodologique afin de comprendre les échecs – mais aussi les succès, qui ne sont jamais parfaits et reposent parfois sur la chance[7] afin de les capitaliser. C’est seulement ainsi que les décisions prises dans les déroulées des activités de l’état de siège et les éventuels dysfonctionnements constatés peuvent être contextualisés, expliqués, et plus tard corrigés. La pratique du RETEX est donc un facteur managérial de performances organisationnelles et institutionnelles (humaines, techniques, matérielles).
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Références
[1] https://www.radiookapi.net/2023/08/16/actualite/politique/rdc-les-participants-la-table-ronde-sur-letat-de-siege-au-nord-kivu.
[2] https://www.radiookapi.net/2023/08/22/actualite/politique/rdc-felix-tshisekedi-consulte-les-chefs-des-institutions-sur-letat-de.
[3] JJ Wondo, Quelle armée pour appliquer l’état de siège décrété en Ituri et au Nord-Kivu ? – AFRIDESK, 3 mai 2021. https://afridesk.org/quelle-armee-pour-appliquer-letat-de-siege-decrete-en-ituri-et-au-nord-kivu-jj-wondo/.
[4] JJ Wondo, Quelle armée pour appliquer l’état de siège décrété en Ituri et au Nord-Kivu ? – AFRIDESK, 3 mai 2021. https://afridesk.org/quelle-armee-pour-appliquer-letat-de-siege-decrete-en-ituri-et-au-nord-kivu-jj-wondo/.
[5] https://www.rtbf.be/article/rdc-la-crise-humanitaire-se-degrade-encore-en-ituri-et-dans-le-nord-et-sud-kivu-salarme-lonu-11236472.
[6] « Retour d’expérience : réfléchir ou périr », Défense & Sécutité Internationale, Numéro pp, Juillet-Août 2023, pp.8-11.
[7] « Retour d’expérience : réfléchir ou périr », Défense & Sécutité Internationale, Numéro pp, Juillet-Août 2023, p.9.
3 Comments on “RDC – Etat de siège : Après la table ronde, une approche de RETEX s’impose aux autorités congolaises”
GHOST
says:RETEX
La question centrale est la protection permanente des frontières par l´armée. Depuis les 2 guerres du Shaba et la « grande invasion » lors de la chute de Mobutu, nous n´apprenons rien, nous n´avons pas encore pris conscience qu´il nous faut adopter un concept où la première mission de l´armée nationale est la « protection » des frontières.
ETAT DE SIEGE ET M23
Exactement comme lors de la seconde invasion du Shaba, l´offensive du M23 pendant l´état de siège nous retourne vers les guerres du Shaba où nous n´avons jamais eu l´idée de former une unité spécialement formée pour assurer la protection des frontières. Malgré la tentative de la « brigade spéciale garde frontière » avec la Garde Civile, le concept n´a pas encore fait un progrès dans les recherches sur la question de l´armée au Congo.
GARDES FRONTIERES, UNE « ARME »?
L´innovation « révolutionaire » devrait consister á fonder une « ARME » du genre Marines des USA qui devrait remplacer la Force Navale qui n´est « navale » que de nom.
En effet, une « arme » dédiée exclusivement á la protection des frontières comprenant des forces spéciales qui vont intégrer la « force fluviale » dans sa mission est l´innovation la plus révolutionaire depuis la fin de la Force Publique au Congo.
INFRASTRUCTURES ET DEFENSE DE PROXIMITE
L´autre aspect du RETEX est aussi une question capitale de la configuration des infrastructures militaires héritées de la Force Publique quand la « menace permanente » á l´Est exige la construction de plusieures grandes bases militaires.
Pré-positioner des unités d´intervention rapide dans des bases militaires situées non loin des zones sous menace permanente est l´un des enseignements de cette RETEX.
En effet, cette option qui consiste á projeter des forces á partir de Kitona ou Kinshasa dans des circonstances où notre armée n´a plus des avions de transport et les aéroports militaires á l´Est n´existent pas est un concept qui n´a plus de sens.
Afin de « racourcir » le temps d´intervention et mieux, d´assurer une dissuasion envers les pays agresseurs, la construction des grandes bases militaires est une option politique et militaire incontournable.
Un partenariat militaire avec l´UE/USA/Chine/OTAN n´aura de sens que le jour où nous allons inclure la construction des bases militaires á l´Est dans ces accords.
SOYONS CONSTRUCTIFS ?
Avant l´indépendance = après l´indépendance. En lisant l´article qui fait état de la présence des mercenaires au Kivu, on se retrouve face aux propos du général Janssen.
En effet, faire venir des mercenaires au Congo en l ´an 2023 nous retourne vers cette parole historique où l´officier de la Force Publique disait que les congolais ne seront que des simples executants tant que le niveau des connaissances des officiers vont les contraindre á faire appel á des « mercenaires »
GHOST
says:https://www.jeuneafrique.com/1466570/politique/dans-lest-de-la-rdc-felix-tshisekedi-privatise-t-il-la-guerre-contre-le-m23/
Encore de quoi á augmenter nos réflexions avec cette lutte entre la Maison Militaire, l´EMG des FARDC et le ministère de la défense
GHOST
says:CONFIGURATION DES INFRASTRUCTURES MILITAIRES
La défense de la RDC repose sur une configuration vétuste des infrastructures militaires héritée de la Force Publique. Kitona, Kamina et Kinshasa sont la face visible de cette configuration qui ne correspond pas aux menaces hybrides et aux invasions du pays á l´Est où curieusement on ne trouve aucune base militaire digne de ce nom.
ROMPRE AVEC LA FORCE PUBLIQUE
La configuration héritée de la Force Publique était orientée vers la « repression » de toute contestation de la population. Ainsi, cette approche d´une défense urbaine où les camps et casernes militaires se trouvaient (se trouvent encore) dans les grandes villes du Congo a démontrée ses limites lors de 2 guerres du Shaba et la grande invasion permanente á l´Est.
Si la doctrine d´une défense des frontières nationales est incontournable, cette option d´une « défense de proximité » repose sur une nouvelle configuration réaliste basée sur la construction des grandes bases militaires á l´Est du pays.