Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 26-01-2022 11:30
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RDC : entre le verrouillage népotique de la CENI au profit de Tshisekedi et le chaos ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Félix Tshisekedi clone-t-il la stratégie électorale de Joseph Kabila ?

En RDC, les jours passent et se ressemblent. Le président Tshisekedi tient mordicus à rempiler en 2023 après avoir pris le goût du pouvoir pour le pouvoir. Le contraire aurait étonné plusieurs observateurs et surtout déçu ses nombreux partisans et autres courtisans qui se verraient trahis en pleine consommation de leur part du gâteau et ceux en attente de leur tour de passer à table.

Dans un article analysant les processus électoraux d’avant 2018, publié en 2019 par l’expert électoral congolais Alain-Joseph Lomandja, ce dernier paraphrasait les propos suivants du feu Son Éminence Laurent Cardinal Monsengwo concernant les élections de 2011 : « les résultats desdites élections n’ont pas été « conformes à la vérité ni à la justice ». Ainsi, dans l’élan général post-électoral du genre « plus jamais ça !», politiciens et acteurs de la société civile s’étaient promis des réformes électorales majeures. Tous voulaient des élections crédibles et incontestables. C’était pourtant sans compter avec les calculs politiciens de conservation non démocratique du pouvoir qui ont mené aux élections du 30 décembre 2018, deux ans après la fin constitutionnelle du dernier mandat de M. Kabila[1].

Et l’auteur d’insister sur l’importance du questionnement éthique sur les réformes électorales en se posant la question suivante : A quoi servent des réformes procédurales dépourvues de toute éthique politique et de sens de responsabilité et d’équité républicaine ? Selon lui, une réforme électorale n’a de sens que si elle permet l’expression la plus crédible et la plus transparente de la volonté du Peuple[2].

Avec un bilan aux indicateurs socio-économiques au rouge à deux ans de la fin du mandat présidentiel et le retour en force des antivaleurs cautionnées par des séries sans fins des cas de corruption et de détournement de deniers publics par son entourage direct, dont il serait également un des bénéficiaires indirects, c’est au niveau de la CENI que Félix Tshisekedi, clonant la gouvernance électorale de Kabila, planifie sa réélection à la prochaine présidentielle prévue en 2023. Vraisemblablement, l’homme ne semble pas avoir mis à profit le retour d’expérience négative de son élection chahutée en 2019. Ainsi, il compte sur la CENI pour mettre en place un stratagème visant à verrouiller la centrale électorale congolaise par des personnes qui lui sont très proches politiquement, si elles ne le sont pas ethniquement.

Et comme le souligne M. Lomandja, « dans un tel environnement amoral et/ou anomique, il est illusoire d’envisager des réformes électorales efficaces, contraignantes et impersonnelles. En effet, les acteurs politiques instrumentalisent les institutions et leurs majorités factices et celles-ci, à leur tour, transforment les indispensables réformes électorales en une des stratégies politiciennes de conservation au pouvoir. Conservation non démocratique du pouvoir, quand elle n’est pas carrément anti-démocratique. Il s’agit ainsi, comme on le voit, d’un environnement de corruption politique officialisée et établie en mode de gouvernance et d’acception au pouvoir »[3].

Concernant les élections de 2023, les indices factuels de cette stratégie de fraude électorale sont légions et promettent des élections chaotiques de nature à déstabiliser davantage le Congo, déjà exsangue dans tous les domaines.

Denis Kadima, président de la CENI
Des nominations népotiques (tribales et politiques) pour la conservation du pouvoir

C’est dans cette optique que Denis Kadima, fruit de la corruption d’une frange des confessions religieuses, a été imposé à la tête de la CENI. Un choix-diktat qui s’est opéré à la suite d’un processus illégal ayant notamment mécontenté la CENCO, l’Ensemble pour la République et plusieurs organisations de la société civile. En effet, selon Albert Moleka, ancien Directeur de cabinet d’Etienne Tshisekedi : « Kadima est proche du clan présidentiel et très proche de l’UDPS. »[4]

Ainsi, au niveau de la Justice, les hauts magistrats de la Cour Constitutionnelle et de la Cour d’Appel, chargés de traiter du contentieux électoral sont dans la grande majorité originaires du Kasaï, le fief électoral du président Tshisekedi. Il en est de même de la garde de Sceaux, ministre de la Justice, Rose Mutombo Kiese qui est Luba du Kasaï-Oriental comme le président Tshisekedi. Quant au pouvoir organisateur et de sécurisation des élections, il est placé sous les mains du Vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires coutumières, Daniel Aselo Okito wa Koyi, originaire du Sankuru dans le Grand Kasaï, M. Aselo est également cadre de l’UDPS de Tshisekedi. Pour ce qui concerne les aspects financiers du processus électoral, ils sont gérés par deux autres Luba du Kasaï le ministre des Finances Nicolas Kazadi ainsi que la Gouverneure de la Banque Centrale, Malangu Kabedi Mbuyi.

Comme si cela ne suffisait pas, les velléités de verrouillage du prochain cycle électoral vont s’accentuer par les choix des deux autres Luba du Kasaï. Il s’agit notamment du rapporteur Patricia Nseya, qui, avec Denis Kadima, devra signer le procès-verbal des résultats des prochaines élections et en assurer la publication. En effet, Mme Nseya était députée nationale, élue sur la liste de l’UDPS dans la circonscription de Likasi dans la province du Haut-Katanga.

C’est toujours dans cette intention non trompeuse (malhonnête) de s’assurer le contrôle effectif de la CENI que le député Ditu Monizu, exclu de l’ECIDE après avoir rallié l’Union sacrée pour la nation, la coalition politique au pouvoir, s’est miraculeusement retrouvé parmi les membres de la CENI pour le compte de l’opposition.

Pour sceller cette tendance népotique au sein de la CENI, une autre Luba, Marie-Josée Kapinga Bondoa, a été nommée secrétaire exécutive nationale adjointe de la CENI[5], comme si les compétences n’étaient trouvables que chez les Luba du Kasaï. Elle aura comme chef au poste de Secrétaire National Exécutif de la CENI, M. Thotho Mabiku Totokani. Ce dernier est un membre actif et ultra de l’UDPS ayant appartenu au cabinet de Félix Tshisekedi lorsqu’il assumait les fonctions de président de l’UDPS en 2018.

Thotho Mabiku, Secrétaire exécutif national de la CENI

Le choix de Thotho Mabiku a fait l’objet d’une polémique. Certains observateurs disaient qu’il était notamment proche de Martin Fayulu qui a signé un document désignant Mabiku comme expert de la Dynamique de l’opposition, une plateforme électorale dirigée par Fayulu en 2018. AFRIDESK a contacté Serge Welo, un haut cadre de l’ECIDE pour en être éclairé. Voici ce qu’il nous a répondu :

« La signature de Fayulu est apposée sur ce document du fait que c’était lui qui dirigeait le groupe UDPS, MLC, D,O. pour ce qui est de la révision du Fichier électoral. Mais les fanatiques de Tshisekedi ont voulu manipuler et distraire l’opinion publique. En effet, Thotho Mabiku était membre de l’UDPS recommandé à la Dynamique de l’opposition (D.O) par l’Asbl APRODEC. Avant la création de Lamuka à Genève en novembre 2018, la D.O. s’était mise ensemble avec les autres partis de l’opposition dont l’l’UDPS pour assurer ensemble le monitoring du processus électoral. L’ASBL APRODEC, alors très proche de l’UDPS, nous l’avait présenté comme un grand expert et nous avions suivi ses recommandations. Pour finir, nous avions désigné 5 délégués : un membre pour l’UDPS (Thotho Mabiku), un membre pour le MLC, un membre pour l’UNC, un membre pour l’Ensemble et un membre pour la D. O. de Fayulu, qui était un démographe. Ce n’était pas le fameux Thotho Mabiku. C’est Fayulu qui fut à la tête de 5 groupes de l’opposition sur la question de l’audit du fichier électoral. C’est ce qui explique d’ailleurs l’objet de la lettre ci-dessous. Thotho Mabiku est bien membre de l’UDPS. Il avait publiquement soutenu les faux résultats de Félix Tshisekedi aux élections de 2018 selon la  RFI. Martin Fayulu m’a d’ailleurs dit qu’il ne connait même pas ce Thotho Mabiku en personne. C’est bien Benjamin Stanis Kalombo de l’APRODEC qui avait proposé de présenter ce nom pour le compte de l’UDPS de Tshisekedi ».

Avec ce maillage tribal et politique des institutions impliquées dans le prochain processus électoral, les intentions du président Tshisekedi transparaissent au grand jour. Même si quelques défenseurs de Tshisekedi avancent l’expertise de certaines personnes retenues, le doute reste de mise auprès de l’opinion publique. C’est ce que note notamment Jean-Claude Katende  de l’ASADHO sur la nomination de Thotho Mabiku au poste de Secrétaire exécutif national de la CENI par Denis Kadima :  »La nomination d’un membre actif de l’UDPS au poste de secrétaire exécutif national de la Ceni ne fait que renforcer le discrédit qui pèse sur cette institution. Il existe d’autres congolais qui pouvaient bien occuper ce poste sans trop de casse  ».

De prochaines élections à haut risque et sous-tensions

Les récentes nominations en force des proches de Félix Tshisekedi à la tête de la CENI suscitent déjà une levée de boucliers dans plusieurs états-majors politiques et au sein de la société civile. Si l’Ensemble pour la République de Katumbi reste apparemment aphone, il nous revient de plusieurs sources que sa foi en un processus électoral transparent et crédible est nulle.

Par ailleurs la nomination de Mabiku est aussi à la base des frustrations au sein de l’Union sacrée. D’après une source qui a requis l’anonymat au sein du mouvement de libération du Congo (MLC), plusieurs responsables du parti de Jean Pierre Bemba fustigent le fait que Mabiku, membre de l’UDPS, prenne ce poste alors que les négociations entre partis politiques au sein de l’Union sacrée octroyaient à la formation politique du MLC ce poste[6].

Les églises catholique romaine et protestante (ECC) ont quant à elles opté pour une posture de méfiance et de non coopération active avec la CENI[7]. Quant à Lamuka de Martin Fayulu et Adolphe Muzito, il accuse ouvertement Félix Tshisekedi de placer les membres de l’UDPS au Secrétariat général de la CENI et interpelle la communauté internationale afin de prévenir le chaos électoral qui se profile. Lamuka interpelle les partenaires traditionnels de la RDC à se pencher sur le danger que court le processus électoral qui doit déboucher à l’organisation des élections générales en décembre 2023[8]. Du côté de la société civile, les esprits s’échauffent également. La Lucha et plusieurs activistes engagés dans la promotion de la démocratie s’activent déjà pour mobiliser la population à ne pas se faire voler ses élections comme en 2006, 2011 et 2018. Les hommes en armes de leur côté, fatigués des promesses non tenues des responsables politiques, sont à bout de leur patience selon des échos qui reviennent des casernes. Leurs épouses avaient d’ailleurs exprimé leur indignation lors du passage de président Tshisekedi à Lodja[9].

Conclusion : un chaos annoncé ?

La gestion non consensuelle du processus électoral et des institutions chargées d’organiser les élections en 2023 crée des frustrations qui, du point de vue des partenaires politiques de Tshisekedi, de l’opposition et de la société civile, ouvre la porte à la fraude, accroît la méfiance à l’égard du processus électoral. Une mauvaise gestion du processus électoral présente d’énormes risques d’impacter la stabilité de la RDC. Tous les ingrédients d’une période préélectorale chahutée pouvant entrainer une déstabilisation de la RDC semblent réunis.

D’après plusieurs informations à notre disposition, le président Tshisekedi, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, prépare un forcing électoral. Une des premières stratégies sera de disqualifier ses adversaires les plus redoutables en se taillant une loi électorale sur mesure ou  en donnant les injonctions à la justice pour les mettre hors course électoral à l’instar de ce qu’avait fait le régime de Kabila en 2018.

Cette stratégie condescendante et arrogante d’exclusion et de gouvernance par défi risque de pousser les adversaires de Tshisekedi et d’autres acteurs déçus de la gouvernance tribale et néopatrimonialiste de Tshisekedi à leur dernier retranchement. En effet, personne ne veut subir l’expérience malheureuse de 2018. Dans ce scénario du pire, certains n’hésiteront pas à recourir à d’autres manœuvres de contre-attaque qui risquent de mettre la RDC à feu et à sang.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu/Exclusivité AFRIDESK

Références

[1] AJ Lomandja, Quand les réformes électorales se muent en stratégies de conservation du pouvoir en RDC – DESC, 28 novembre 2019. https://afridesk.org/quand-les-reformes-electorales-se-muent-en-strategies-de-conservation-du-pouvoir-en-rdc-aj-lomandja/.

[2] AJ Lomandja, Ibid.

[3] AJ Lomandja, Ibid.

[4] https://twitter.com/jeanmarckabunda/status/1464549616888782848?s=24.

[5] https://actualite.cd/2022/01/11/rdc-marie-josee-kapinga-bondo-nommee-secretaire-executive-nationale-adjointe-de-la-ceni.

[6] https://cas-info.ca/2022/01/ceni-clash-entre-denis-kadima-et-les-6-confessions-religieuses-plus-rien-ne-va/.

[7] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_rdc-les-eglises-catholique-et-protestante-vent-debout-contre-le-president-de-la-commission-electorale-independante?id=10871814.

[8] https://www.actualite.cd/index.php/2022/01/10/rdc-lamuka-accuse-felix-tshisekedi-de-placer-les-membres-de-ludps-au-secretariat-general.

[9] https://www.radiookapi.net/2022/01/06/actualite/societe/lodja-les-epouses-des-policiers-et-militaires-interpellent-felix.

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