Dissolution de l’Assemblée nationale et crise politique persistante
En marge de sa visite officielle à Londres, Félix Tshisekedi a affirmé qu’il pourrait dissoudre l’Assemblée nationale, une prérogative qu’il tient de la Constitution, mais qui est assortie des conditions. Les réactions n’ont pas tardé, entre autres, de la part de la principale concernée, la présidente de l’Assemblée nationale, Madame Jeanine Mabunda. S’appuyant sur les dispositions de la Constitution, Mme Mabunda a rappelé que les conditions d’une telle démarche du président ne sont pas actuellement remplies, brandissant même la menace de sa mise en accusation pour haute trahison.
L’occasion de rappeler que si une crise institutionnelle n’est pas en cours en RDC, au sens de l’article 148 de la Constitution(I), une crise interne au sein de la coalition FCC-CACH au pouvoir est bien réelle(II). La question qui se pose est de savoir à quels scénarios elle pourrait mener durant le mandat de Félix Tshisekedi.
I. La dissolution de l’Assemblée nationale
Aux termes de l’article 148 de la Constitution, « En cas de crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Aucune dissolution ne peut intervenir dans l’année qui suit les élections, ni pendant les périodes de l’état d’urgence ou de siège ou de guerre, ni pendant que la République est dirigée par un Président intérimaire.
A la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale, la Commission électorale nationale indépendante convoque les électeurs en vue de l’élection, dans le délai de soixante jours suivant la date de publication de l’ordonnance de dissolution, d’une nouvelle Assemblée nationale ».
A la lecture de cet article, il est évident que les conditions de la dissolution de l’Assemblée nationale ne sont pas réunies, et pourraient difficilement l’être au point de nécessiter l’intervention de Félix Tshisekedi, dès lors que la majorité des membres de l’Assemblée nationale et du Gouvernement sont des fidèles de l’ancien président Joseph Kabila, qui contrôle toujours efficacement la discipline au sein de sa plate-forme politique, le FCC. Cependant, envisager cette dissolution est, pour Félix Tshisekedi, une façon d’envoyer le message selon lequel il est le seul garant du fonctionnement des institutions et qu’il n’est pas disposé à subir indéfiniment les entraves dont il fait l’objet de la part de ses partenaires du FCC-CACH.
En effet, si le chef de l’Etat doit consulter les présidents des deux chambres du parlement, il n’est pas tenu de se conformer à leurs avis dans sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale. La consultation prévue à l’article 148 de la Constitution est obligatoire mais n’est pas assortie d’un avis conforme ou obligatoire. Par ailleurs, le chef de l’Etat est la seule autorité habilitée à apprécier de l’existence ou nom d’une crise institutionnelle persistante, conformément à l’article 69, qui l’institue en tant que garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, des institutions ainsi que de la continuité de l’Etat.
Un pouvoir partagé ?
Pour autant, la validité de l’ordonnance de dissolution, en application de l’article 148, est soumise au contreseing du Premier ministre (article 79 al. 4 de la Constitution)[1]. Félix Tshisekedi ne peut donc décider de dissoudre l’Assemblée nationale qu’avec le concours directe du Premier ministre Ilunkamba, et donc indirectement avec le concours du FCC de Joseph Kabila.
Pour revenir à la réaction de la présidente de l’Assemblée nationale, il y a lieu de relever que si elle est fondée sur le plan strict des textes, elle étale en même temps sur la place publique les désaccords entre animateurs des institutions au plus haut sommet de l’Etat. Des désaccords alimentés par des loyautés conflictogènes qui lézardent, au fil du temps, la coalition entre le FCC de Joseph Kabila et CACH de Tshisekedi et son directeur de cabinet Vital Kamerhe. Une coalition que Tshisekedi lui-même a qualifiée d’accident de l’histoire.
II. FCC-CACH, une coalition lézardée et en crise
La coalition FCC-CACH est née du « deal » conclu entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila peu avant la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Un deal confirmé par la suite par un document co-signé par les coordonnateurs des deux plateformes politiques en vue de s’assurer une écrasante majorité parlementaire. Pour autant, les militants des bases sont demeurés divisés et même, par moment, en conflit ouvert comme à l’époque des luttes contre la présidence de Joseph Kabila. Il n’est pas rare d’assister à des violences entre militants de l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi, et partisans de Joseph Kabila.
La crise va même plus loin puisqu’elle oppose, entre eux, les militants de l’UNC de Vital Kamerhe et ceux de l’UDPS qui réclament ouvertement la révocation du Directeur du cabinet du chef de l’Etat et qui n’ont cessé d’exiger la rupture du pacte entre Tshisekedi et Kabila.
Au-delà des militants de base, les principaux partenaires extérieurs de la RDC ont plusieurs fois demandé à Félix Tshisekedi de se désolidariser de l’ancien président Kabila dont le départ de la présidence fut une exigence unanime qui amena ce dernier à organiser l’élection présidentielle après deux reports et une grave crise politique interne. Tourner la page Kabila et l’éloigner du jeu politique est ainsi une demande permanente, non seulement de la base électorale de Tshisekedi, mais aussi des partenaires extérieurs de la RDC et d’une grande partie de l’opinion nationale. Mais encore faut-il que Tshisekedi soit assez déterminé pour imposer un état de fait qui lui soit favorable en termes de rapport de force. Car ses partenaires disposent, eux aussi, d’atouts, en termes de capacité de nuisance, s’ils perçoivent la dissolution de l’Assemblée nationale comme une audace inexcusable.
Rester unis malgré les fractures internes
Jeanine Mabunda a déjà brandi la menace d’une mise en accusation de Félix Tshisekedi pour haute trahison[2], une procédure extrême jamais initiée au Congo, tout comme, d’ailleurs, celle de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Parmi les leçons à retenir de cette sortie médiatique de Tshisekedi, il y a la quasi-certitude qu’il n’initiera pas la procédure de dissolution mais la dégradation du climat politique se poursuivra au sein de la coalition FCC-CACH. Créée dans un contexte d’accession opportuniste au pouvoir, cette coalition, sans convergence d’idées, devrait néanmoins durer tant que durera la peur, pour ses membres, de tout perdre en cas de rupture définitive. Embarqués dans un même bateau, les partenaires de la coalition au pouvoir restent conscients des lignes rouges à ne point franchir au risque d’occasionner un naufrage collectif dont ils pourraient ne jamais se relever, individuellement et au niveau de leurs formations politiques respectives.
Boniface MUSAVULI, Coordinateur de DESC / Exclusivité DESC
Références
[1] Les ordonnance du chef de l’Etat sont soumis au contreseing du Premier ministre, à l’exception de celles prévues aux articles 78 al.1, 80, 84 et 143.
[2] La mise en accusation du président pour haute trahison est prévue aux articles 164 à 166 de la Constitution. La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du président de la République sont votées à la majorité des deux tiers des membres du parlement composant le Congrès.
2 Comments on “RDC : Dissolution de l’Assemblée nationale et crise politique persistante – B. MUSAVULI”
GHOST
says:DISSOLUTION « POPULAIRE » INNELUCTABLE
Mr Musavuli devrait ecouter le podcast de http://www.rfi.fr/podcasts/20200124-rdc-an-1-presidence-Felix-tshiskedi-vital-kamerhe-afrique
On y decouvre une menace ou un chantage quand Kamerhe affirme entre les lignes que la présidente de l´Assemblée nationale Mabunda devrait demissioner… comme lui l´avait fait suite á la crise de l´invasion de l´Est.
Si la « ligne rouge » est celle là? Si on exige la « tête » de Mabunda pour obtenir le « respect » de la part du FCC? Croyez-vous que Kabila va se faire tordre le bras et sacrifier Mabunda ? Wait and see
https://www.politico.cd/la-rdc-a-la-une/2020/01/23/rdc-si-la-dissolution-devient-inneluctable-elle-aura-lieu-html
Cette fois ici, c´est le porte parole de Felix qui lance le message.. Si vous completez ce message avec le speech de Kamerhe y compris le message de le bras « gauche » de l´Église Catholique qu´est la fameuse coordination des laics.. Alors ce « respect » que Felix exige va faire tomber Mabunda ou faire imploser l´alliance.
KATUMBI
Lisez le message de O Kamitatu qui disait que la « dissolution est populaire ».. ce que Katumbi était au Departement d´État aux USA où il a eu des rencontres avec le Sécretaire d´État chargé des Affaires Africaines. Simple visite ou consultation au cas où il ya dissolution et que les USA souhaitent voir LAMUKA gagner l´élection législative anticipée?
1 AN.. alliance contre nature qui ne fonctione pas, un président ridiculisé qui a le dos contre le mur et doit faire quelque chose..
GHOST
says:LE VATICAN, COMBIEN DES DIVISIONS ?
C´est la question qu´Hitler avait posé aux généraux de l´armée NAZI ? Felix « combien des divisions » ? Etrange question selon une frange des lecteurs, mais un analyste militaire devrait toujours se demander qu´elle est la réaction de l´armée et de la police quand les deux responsables du Parlement parlent explicitement de la « revocation » du président au cas où ce dernier va dissoudre le Parlement sans respecter les textes.
Il ne suffit pas de « dissoudre » ce Parlement, il faut aussi posseder les moyens « physiques » pour faire appliquer cette dissolution quand on sait que la Garde Républicaine non seulement peut executer la decision de la « revocation » du Président Felix en faisant de lui un prisonier en attendant un jugement pour haute trahison, mais pire cette armée privée possede les capacités opérationnelles pour « isoler » la République de Gombe, proteger le Parlement et les parlementaires, faire face á une manifestation populaire des kinois et imposer toute option en provenance du FCC et son leader.
Felix, combien des « divisions » ? Possede-t-il assez d´influence dans l´armée et la police? Souvenons de Mobutu avec ses trois coup d´État.. deux dans les années ´60, une dernière dans les années ´90 quand il avait quitté le MPR qui faisait de lui le Président du Zaire.. sans l´armée, Mobutu ne pouvait pas faire ces coup d´État..
Au Congo où les gens recitent la Constitution comme un texte de la Bible, prendre en compte l´aspect « physique » de l´application de ce texte devrait devenir un facteur á prendre en compte dans nos réflexions..