SOCIÉTÉ | 16-08-2023 10:25
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RDC : des obstacles culturels à la mise en œuvre de la santé publique

Auteur : Jean-Bosco Kongolo

Comme tous les peuples de la planète, nos ancêtres ont pu survivre aux intempéries, résister aux maladies, prévoir des catastrophes et des épidémies, mettre en place des mécanismes pour en atténuer les effets dévastateurs, partager des informations et transmettre de génération en génération leur savoir en matière de la santé. Ils avaient ainsi développé à leur manière un système de santé publique qui leur a permis de prolonger, sans hôpitaux, leur durée de vie. La colonisation, censée avoir révolutionné et modernisé le système de santé n’a pas réussi à déconstruire les croyances et les pratiques sanitaires ancrées pendant des millénaires dans les mentalités de la population. À ce jour, malgré des dizaines d’années de colonisation et des dizaines autres d’indépendance, la médecine dite moderne cohabite encore et toujours, en ville comme à la campagne, avec des soins et des pratiques traditionnels dans une sorte de dualité qui ne favorise pas la mise en œuvre des politiques réalistes en matière de santé publique.

L’école de santé publique a été ouverte au milieu des années 1970 à Kinshasa pour former des experts en la matière tandis que chaque province du pays est dotée actuellement subdivisée en plusieurs zones de santé pour un meilleur encadrement et une prise en charge efficace de la population. De la multitude des définitions de la santé publique, nous en avons retenu une qui nous paraît plus simple et plus englobante : « La santé publique est la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé et la vitalité mentale et physique des individus. »[1] Qu’il soit noté que c’est sans aucune formation en médecine ni en santé publique, mais simplement comme intellectuel et observateur, que nous abordons ce sujet pour décortiquer quelques croyances, attitudes et pratiques qui se dressent en obstacles à la bonne santé de la population et, par conséquent, amenuisent de façon inquiétante la durée de vie dans notre pays.

Le déni

 L’Africain bantou en général et le Congolais en particulier tiennent tellement à la vie que lorsque la maladie survient, tout est mis en œuvre pour en comprendre la cause en dehors d’une explication scientifique et cartésienne. Il faut absolument en rechercher un responsable qui pourrait se cacher dans l’entourage proche ou lointain. La première attitude étant le déni, l’on s’abstient d’aller consulter un professionnel de peur que les symptômes ressentis et même connus soient confirmés comme indices annonciateurs d’une maladie qu’on redoute et qui entraînerait la mort. Peu importe le niveau d’instruction de la personne concernée, cela amène souvent à entretenir un secret, qui se révèle souvent nuisible.

Entretien d’un secret absolu autour de la maladie

La maladie, comme la plupart des affaires familiales, est généralement tenue secrète parfois même au sein d’une famille nucléaire. Ne peuvent être tenus informés que des plus proches confidents, capables de garder le secret, parfois au détriment du malade qui verrait entretemps son état s’aggraver. En effet, parler de son état de santé même à des amis est généralement perçu comme étant une maladresse consistant à mettre les sorciers aux aguets. Il arrive ainsi, le plus souvent, que l’on cache son état de santé à quelqu’un qui détiendra même une information très utile sur l’orientation des soins. Pour des maladies aux effets amaigrissants ou handicapants, il arrive même que la famille feigne un voyage du malade alors qu’il est simplement en maquis chez lui ou en lieu sûr chez un proche, entrain de souffrir des douleurs non ou mal soignées au moyen de l’automédication.

 L’automédication : une pratique très répandue   

 Les professionnels de la santé nous disent que la fièvre n’est qu’un indicateur dominant pour la plupart des maladies, mineures et graves, rares et courantes. Selon certaines manifestations déjà vécues sur soi-même ou sur autrui, des gens en sont arrivés à développer un dangereux reflexe, hérité de nos ancêtres, de supposer des maladies. Et même si cela peut se vérifier dans certains cas, il n’y a que des examens de laboratoire ou un diagnostic sérieux qui peuvent préciser de quoi on souffre réellement. Comme diraient les latinistes « Medice, cura te ipsum. » (Médecin, soigne-toi, toi-même), un des réflexes dans la pratique consiste à se précipiter à une boutique de vente de médicaments, abusivement appelée pharmacie, pour s’y procurer quelques comprimés ou gélules selon ses moyens ou, souvent d’ailleurs, à une dose insuffisante. Aussitôt que la fièvre ou la douleur baisse, on croit avoir résolu le problème et l’on se vante de mieux connaître son corps. Le plus inquiétant, c’est lorsque pour n’importe quelle maladie, l’on se prescrit et l’on consomme des antibiotiques et autres produits piratés à des doses non conformes qui entraînent la résistance des bactéries et la résurgence de plusieurs maladies. C’est quand la fière revient ou persiste que l’on songe alors, au péril de sa vie, à consulter un praticien du village ou du quartier, membre de la Croix rouge ou le seul infirmier du coin se faisant passer et appeler parfois docteur.

Des charlatans à l’œuvre

En ville comme à la campagne, plusieurs malades prennent inconsciemment le risque de confier leurs problèmes de santé entre des mains inexpertes. Il peut s’agir d’un agent de santé exerçant sans qualification requise mais supervisé par un médecin ou même d’un médecin autoproclamé « spécialiste en tout » et qui ne refuse aucun malade, quel que soit la complexité du cas reçu. Ce qui compte avant tout c’est l’argent. C’est souvent lorsque la situation s’aggrave et devient inespérée que, pour éviter le fardeau de la responsabilité civile, l’on établit dans la précipitation un document de transfert du malade vers une institution médicale plus équipée.

Parmi les malades transférés dans ces conditions, les moins chanceux arrivent vivants à l’hôpital de destination, d’autres ne n’y font que quelques jours avant qu’on informe la famille qu’aucun acte médical n’est plus possible pour sauver le malade. Dans la plupart des cas, c’est dans ces circonstances que la diaspora est sollicitée en catastrophe, pour des transferts de fonds qui peuvent s’avérer sans objet. Il est important de noter qu’en matière de responsabilité médicale, la jurisprudence est rare qui signale la condamnation des médecins et autres professionnels de la santé pour des actes médicaux mal posés et des erreurs évitables ayant entraîné la mort là où elle aurait pu être évitée. Dans l’imaginaire populaire, on croit qu’un médecin est intouchable et que ça serait peine perdue que d’oser le traîner en justice. Et pourtant chaque jour, des gens meurent à cause de l’incompétence et des erreurs inadmissibles de certains professionnels de la santé.

Je me souviens encore de cet infirmier d’un village du territoire de Kongolo, dans le Tanganyika, que j’avais arrêté en 1990 sur plainte du médecin chef de Zone de santé et fait condamner au Tribunal de grande instance de Kalemie entre autres pour exercice illégal d’art de guérir. En fait, il s’était permis, avec toute arrogance et sous-prétexte d’expérience, de pratiquer la césarienne sur une femme dans une maison (en chaume) inappropriée, avec du matériel non stérilisé, sans anesthésie et sans observance des conditions aseptiques. Comme il fallait s’y attendre, mort s’en était suivie, causée par une grave infection consécutive à cette intervention chirurgicale effectuée par quelqu’un qui n’en avait pas qualité.

Mais parmi les intervenants dans les soins de santé, il faut également compter les voyants, les hommes et les femmes « de Dieu » ainsi les tradi-thérapeutes

Intervention des voyants, des prophètes et des tradi-thérapeutes 

On rencontre les voyants, les hommes et les femmes de Dieu ainsi que les soignants traditionnels presque qu’à toutes les étapes de la maladie au Congo. Chacun y joue un rôle qu’il cherche à mettre en exergue.

– Les voyants et les hommes de Dieu  

Les rôles des voyants se confondent parfois avec ceux des hommes Dieu, surtout lorsqu’ils agissent en amont. La maladie n’étant souvent considérée que comme le résultat d’un mauvais sort infligé à quelqu’un par un jaloux ou un sorcier, certaines personnes préfèrent d’abord aller consulter un voyant pour qu’il désigne le sorcier et détermine la raison de son acte. Il peut s’agir d’une simple jalousie, d’un règlement de compte, d’une dette impayée, de l’adultère avec une femme d’autrui,etc. S’il n’est pas celui qui est capable de retourner le mauvais sort à son expéditeur, le voyant peut néanmoins orienter la famille vers quelqu’un d’autre, plus outillé sur le plan mystique, qui peut s’en charger. Cela peut prendre beaucoup de temps et de cérémonies, avec comme conséquence des conflits parfois sanglants qui divisent des familles et des communautés. Faute d’informations suffisantes sur la génétique et certaines maladies susceptibles d’entraîner l’infécondité, l’arrêt cardiaque, la cécité, la paralysie…, l’on met en danger la vie du patient et l’on se précipite chez un voyant, en même temps que l’on confie le malade à un intercesseur, un groupe de prières ou un exorciste. Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya, avait raison de rire « Il est difficile d’être Africain et Chrétien. »

  – La Bible en action

Depuis que les Africains se sont  fièrement approprié la Bible, des versets du livre saint sont invoqués au chevet des malades hospitalisés ou en ambulatoire pour les exorciser non seulement du péché à la base de la maladie, mais surtout implorer le Seigneur pour qu’il ordonne à son armée céleste de dégager les esprits maléfiques présents dans l’entourage familial ou professionnel du malade. Des témoignages existent des cas où il a été démontré la puissance de la prière sur la guérison des malades. Ce qu’il convient cependant d’être dénoncé et qui ne concourt pas à la bonne santé de la population c’est le fait pour certains « hommes et femmes de Dieu » de rivaliser avec les autres autour d’un même malade pour prétendre détenir la clé « spirituelle » de la guérison.

Pas étonnant que dans une même famille, chacun des membres qui la composent ait son église et son Dieu qu’il prie. A tour de rôle, chacun invite son pasteur, à l’hôpital ou à la maison, pour épater avec des prières en « langues » et prétendre à avoir reçu seul le message de guérison. Le pire, c’est lorsqu‘à tout prix, un membre de la famille est innocemment désigné sorcier et livré à la vindicte populaire. Beaucoup d’enfants de la rue, communément appelés « Shégués » ou devenus « kuluna » sont les conséquences de ce phénomène. Les moins croyants ou les croyants moins pratiquants choisissent carrément de conduire leur malade chez des guérisseurs traditionnels ou d’inviter ces derniers au domicile à du malade. Toujours présente et active, la médecine traditionnelle côtoie encore la médecine dite moderne.

Caption here (Merveille Kavira Lungehe, GPJ Democratic Republic of Congo)

– Quel est l’apport ancestral en matière de santé publique ?     

Toujours présente et active, la médecine traditionnelle côtoie encore la médecine dite moderne. En parallèle de la médecine dite moderne, il subsiste encore un système sanitaire ancestral dont le savoir-faire est détenu par quelques initiés qui continuent de l’entourer des pratiques mystiques et qui le transmettent de manière ésotérique. Toutefois, la disparition de plusieurs détenteurs de ce savoir, la méfiance des jeunes christianisés à l’égard des soins traditionnels et la survenance de certaines maladies « de civilisation » jadis rares ou inconnues de nos ancêtres ne permettent plus à une grande partie de la population, démunie, de vivre longtemps en bonne santé ou de se faire soigner convenablement en cas de maladie.

Parmi les plus grands reproches formulés contre la médecine ancestrale, il y a entre autres l’imprécision du diagnostic, le dosage (posologie) de la médication et les tabous (interdits) qui, non seulement ne se justifient pas, mais surtout s’apparentent à des menaces d’ordre mystique. De nos jours, particulièrement dans des milieux urbains, une catégorie de soignants traditionnels a pris le malin plaisir de mêler à leur art le goût du lucre et des pratiques d’escroquerie pour se faire de l’argent au détriment de la santé de leurs patients. Et pourtant cette médecine, mieux encadrée par les pouvoirs publics et scientifiquement théorisée par nos chercheurs, peut apporter énormément à la médecine moderne.

Conclusion   

Une population en bonne santé et laborieuse est un atout majeur pour le développement de son pays. Il va falloir pour cela que les pouvoirs publics, à travers les structures de santé publique et les zones de santé, aident cette population à maintenir et à façonner des comportements et des habitudes favorables à la bonne santé. Le contraire, c’est ce qui constitue des obstacles relevés à travers cette analyse et que nous avons qualifiés de culturels. Pour surmonter ces obstacles et espérer renverser la tendance qui s’observe, nous suggérons, si ce n’est pas fait, d’intégrer les connaissances médicales ancestrales dans la formation des professionnels de la santé, d’ouvrir des émissions permanentes radiodiffusées et télévisées sur des bonnes habitudes alimentaires (manger bien ne signifie pas manger des aliments importés) et sur des comportements hygiéniques sains à adopter, sur les attitudes favorables au dépistage de certaines maladies (cancers, diabètes) ainsi que sur la régularité d’un bilan de santé (check up) pour ceux qui peuvent en avoir les moyens. Il faut enfin que le Parlement actualise le Décret du 19 mars 1952 (du Gouverneur général de la colonie) relatif à l’exercice de l’art de guérir pour l’adapter à l’évolution des temps modernes.


Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend

Référence

[1] In https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=D%C3%A9finition+de+la+sant%C3%A9+publique+selon+l%27OM

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