Crise à l’Université de Kinshasa : l’irresponsabilité à tous les niveaux
A cause d’un mouvement incontrôlé et mal encadré auquel se seraient mêlés des inciviques, au regard des images ayant circulé sur le Net, les étudiants de l’Université de Kinshasa(UNIKIN) ont écopé d’une fermeture déguisée annoncée comme étant une suspension temporaire de toutes les activités académiques. Cette grave décision a été annoncée par le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire lisant un communiqué de presse signé par lui-même et prenant à témoins différents partenaires, dont les professeurs et le Comité de gestion de l’université, associés de manière consensuelle à la hausse des frais académiques.
Ce n’est qu’une semaine après cette décision que, visitant le site universitaire, le Ministre a enfin découvert les conditions inhumaines dans lesquels les étudiants sont logés depuis plusieurs années déjà, en même temps que les dégâts matériels causés aux infrastructures par des étudiants déguerpis. Cette université ayant été fermée à trois reprises, en 1971, en 1980 et en 1982, n’aurait-il pas fallu s’inspirer de l’histoire pour éviter de punir des innocents et, par ricochet, des parents dont les revenus demeurés bas ne font que subir la dépréciation de la devise nationale ?
1. De Lovanium à l’Unikin : les revendications estudiantines ont changé d’objectifs
La première contestation majeure, connue, et qu’on tend à oublier est celle de 1969. Deux ans avant cela, le MPR, non encore institutionnalisé, venait d’être créé. Mobutu, qui avait encore besoin de consolider son pouvoir, ne pouvait tolérer aucune contestation et ne pouvait pas non plus imaginer que cela arrive après la pendaison publique d’Évariste Kimba et ses compagnons de fortune en 1966. Les étudiants, eux, ne furent apparemment pas intimidés ni dissuadés par ces méthodes fortes, utilisées en pleine guerre froide et non dénoncées par les « champions » des droits de l’homme. En 1969, les revendications des étudiants ne visaient pourtant pas le pouvoir de Mobutu: « A l’époque, les revendications des étudiants se résumaient à peu près à ceci: décolonisation de l’Université Catholique Lovanium (« Louvain » en latin) par rapport à la métropole belge, africanisation des cadres, adaptation des contenus d’enseignement, et co-gestion avec les représentants des étudiants. Étant donné la résistance des autorités académiques de Lovanium, les comités des Étudiants (soutenus plus ou moins ouvertement par certains professeurs « de gauche ») se sont référés au gouvernement pour arbitrage, avec l’illusion d’avoir d’avance gain de cause, étant donné l’état de grâce entre le régime Mobutu et les étudiants au lendemain du coup d’État. »[1] La réaction du pouvoir fut impitoyable : des dizaines d’étudiants massacrés, plusieurs autres blessés. Il convient de noter que le 4 juin 1971, à l’occasion du deuxième anniversaire de cette barbarie, des étudiants considérés comme meneurs furent emprisonnés tandis que tous les autres furent enrôlés de force dans l’armée.
En lieu et place des reformes que les étudiants revendiquaient, les trois universités de l’époque furent fusionnées en une seule, UNAZA[2], comprenant trois campus et tous les instituts d’enseignement supérieur. Motif : unité de commandement, cher au Président fondateur du MPR.
Tête d’affiche des contestations estudiantines, le Campus de Kinshasa fut de nouveau fermé en 1980 et en 1982. Pour l’histoire, nos revendications en 1980 tournaient autour de la gouvernance générale du pays, centralisée à outrance par le MPR devenu l’unique institution du pays, avec un chef adulé comme un dieu terrestre. Un mémorandum dont les idées furent discrètement récoltées durant un mois auprès de quelques étudiants sélectionnés dans toutes les facultés de l’époque et dont la rédaction fut confiée à un comité restreint choisi tout autant discrètement par le Dirigeant révolutionnaire de la JMPR[3], fut adressé aux instances supérieures du pays. Les étudiants revendiquaient entre autres la démocratisation du régime, avec notamment la suppression de multiples organes du MPR, Parti-État, considérés comme inutilement budgétivores, et aussi la suppression de l’animation politique caractérisée par les danses à la gloire du chef, qui « fatiguaient inutilement les hanches.»[4] Le soir même du dépôt de cette texte au Bureau politique du parti, le 13 avril 1980, et sa lecture devant le Home IV abritant les étudiants finalistes de la faculté de droit, la décision fut prise de fermer le Campus. Le lendemain, tous les étudiants furent regroupés au plateau et dispersés par goupe de trente sous la supervision du Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité, Seti Yale.
Craignant que les étudiants se rassemblent à travers la ville et entraînent la population dans leurs revendications, le Bureau politique du MPR se ravisa en annonçant le rapatriement volontaire de tous les étudiants originaires de l’intérieur du pays, qui le souhaitaient. A notre retour, de longues carrosseries furent fabriquées faisant office d’autobus pour le transport gratuit des étudiants tandis que la qualité du régime alimentaire fut sensiblement améliorée et élargie aux étudiants non logés, pour le repas de midi. Sur le plan politique, le MPR fut plutôt renforcé avec la création du Comité central auquel fut dévolu les prérogatives du Bureau politique.[5] Autre retombée le plan de la restructuration de l’enseignement supérieur et universitaire, l’UNAZA fut éclatée et les trois Campus universitaires redevinrent des universités autonomes par Décision d’État n° 09/CC/81 du 3 juin 1981 et l’Ordonnance-loi n° 25/81 du 3 octobre de la même année. Afin de décourager des velléités de contestations, des étudiants considérés comme meneurs furent enrôlés dans l’armée et envoyés à Kotakoli pour leur formation de para commandos.
Les revendications de février 1982 furent à peu près les mêmes, accentuées par la baisse du régime alimentaire et les conditions précaires de logement consécutives au nombre de plus en plus croissant des étudiants, non suivi par la construction des nouvelles infrastructures. Cette fois, le temps ne fut pas laissé aux étudiants de s’organiser et d’étendre leur mouvement jusqu’à tous les établissements d’enseignement universitaire et supérieur. Tout en décidant de la fermeture comme en 1980, le pouvoir de l’époque prit les précautions d’encercler toutes les résidences estudiantines, avec ordre d’évacuer nuitamment vers l’aéroport de N’djili tous ceux qui ne pouvaient pas rester à Kinshasa jusqu’à la reprise des cours à une date non déterminée. Pour mieux diviser les étudiants et casser l’élan vindicatif, les facultés de médecine et de pharmacie, de même que l’Institut supérieur des techniques médicales(ISTM) et l’Institut pédagogique national (IPN[6]) furent épargnés. Comme en 1980, les navettes pour l’évacuation des étudiants jusque dans leurs villes et localités d’origine fut effectuée à charge des pouvoirs publics. Afin de décourager des velléités de contestations, des étudiants considérés comme meneurs furent enrôlés dans l’armée et envoyés à Kotakoli pour leur formation de para commandos.
Au retour, en novembre 1982, la restauration fut maintenue mais progressivement la bourse ne fut octroyée qu’aux étudiants ayant satisfait l’année précédente avec 60% des points sur l’ensemble des épreuves académiques. Ce fut le début de la prise en charge des parents pour les études de leurs enfants, coïncidant avec le désintéressement du régime de Mobutu à l’égard de l’enseignement pour « ingratitude ». Cette situation n’a fait que se dégrader durant tout le règne de Joseph Kabila, complètement indifférent en ce qui concerne la relève
2. Une hausse irresponsable des frais académiques
D’année en année, des promesses n’avaient cessé d’être annoncées pour soulager les parents en supprimant la prise en charge des enseignants, depuis le primaire jusqu’à l’université. Sur terrain, cela arrangeait tout le monde, y compris les ministères de tutelle concernés, qui n’avaient pas hésité d’ouvrir des comptes pour en tirer profit.
La gratuité de l’enseignement de base, décrété par le nouveau Président de la République, Félix Tshisekedi, a été salué par la majorité de la population, particulièrement les parents qui ont commencé à espérer que plus tard, cela s’étende à l’enseignement secondaire, supérieur et universitaire.
C’est, paradoxalement le moment que trouve propice le ministre en charge de l’enseignement supérieur et universitaire pour opérer une majoration presqu’à 100% des frais académiques, comme si la situation sociale des parents des étudiants s’était brusquement améliorée par rapport à celle des jeunes enfants. Ils n’ont pas du tout tort, ceux qui ont trouvé en cette majoration une façon de provoquer des troubles et de tendre le piège au Président de la République, même si le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire a argué que plusieurs partenaires, dont les représentants des étudiants ont été associés ou consultés. La légèreté et la précipitation avec lesquelles les « sanctions » ont été prises n’ont fait que dévoiler au grand jour l’irresponsabilité des autorités tant politiques qu’administratives de l’Université de Kinshasa depuis plusieurs années.
3. Suspension ou fermeture déguisée ?
Dans le communiqué de presse lu par lui-même, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire a parlé de la suspension, jusqu’à nouvel ordre. Le vandalisme et la présence parmi les étudiants des inciviques des alentours ont été les motifs invoqués pour arriver à la décision annoncée. Mais c’est en visitant le site universitaire, une semaine après ces tristes évènements, que le Ministre a pu se rendre compte qu’au-delà des voitures des particuliers brûlées, de la succursale de la BCDC vandalisée, du bâtiment administratif endommagé, toute l’université est presque dans un état de ruine qui nécessite de grands travaux avant la reprise des cours. Sur le plan social, les conditions de logement sont à déplorer. « Thomas Luhaka souligne qu’en tant que parent, en tout amour parental, les conditions dans lesquelles les enfants étudient ne sont pas acceptables. « On ne peut pas accepter que nos enfants reviennent habiter dans ces conditions. Il y a nécessité de lancer les travaux qui ne vont pas s’arrêter là-bas. »[7]
Pour sa part, le Secrétaire général administratif de l’UNIKIN dégage sa responsabilité concernant la présence des non étudiants dans les résidences universitaires. Dans une correspondance adressée à un de ses collègues, qui nous est parvenue par les réseaux sociaux et que nous avons pris soin de vérifier auprès de nos contacts à l’UNIKIN, il écrit entre autres ceci : « Depuis que je suis Secrétaire général administratif, de l’Unikin, je ne cesse d’évoquer la situation dans les caves des homes des étudiants. Ces caves sont habitées par des non étudiants logés avant moi. Certains vivent dans ces caves depuis 25 ans. Logés par qui? Chacun a son document signé par plusieurs autorités, même de la Croix Rouge….Maintenant qui habite dans les caves des homes? Les anciens étudiants qui ont terminé il y a plusieurs années, les agents de l’administration de l’UNIKIN dont la majorité est constituée d’éléments de la police universitaire qui ont aussi leurs locataires, les scientifiques, les sportifs non autrement identifiés, les acheteurs des contrats dont les bandits de tout bord, les veuves des agents décédés, les déplacés de l’Est, les membres des familles de ces agents dont les enfants(filles et garçons, parents et parfois grands parents), les éléments de la Croix rouge. Bref, tout le monde et dans des conditions inacceptables. »
Il convient d’en déduire que sans ces tristes et déplorables évènements, les autorités administratives de l’UNIKIN auraient continué d’assister impuissantes à la colonisation et à l’occupation de l’université par des non étudiants et pour sa part, l’autorité de tutelle n’aurait même pas su que les étudiants, relève de demain, vivent dans la promiscuité et dans conditions infrahumaines. Mais toutes ces années, particulièrement sous le règne de Joseph Kabila, pourquoi a-t-on ainsi laissé se dégrader la situation et pourquoi ne cherche-t-on pas à établir les responsabilités tant au niveau des gestionnaires de l’université que de l’autorité de tutelle?
Comment une décision d’un tel impact social à l’échelon national a pu être prise et annoncé dans un simple communiqué de presse sans être discutée au Gouvernement et surtout sans que l’avis du Président de la République ait été recueilli ? Était-ce pour le mettre devant un fait accompli vis-à-vis des étudiants et de leurs parents? Avec un budget déjà maigre et qui nécessite des soutiens extérieurs, où faudra-t-il aller chercher des millions de dollars pour réfectionner toutes ces infrastructures immobilières presqu’en ruines de l’Université de Kinshasa et, par extension, de plusieurs autres établissement d’enseignement en général? Que dire enfin de la qualité même de l’enseignement, à tous les niveaux, qui laisse à désirer et qui ne permet pas à la nation de compter sur sa jeunesse?
Conclusion
L’engouement des compatriotes congolais pour des postes ministériels et pour d’autres postes de gestion contraste bien souvent avec l’amateurisme et l’incompétence des heureux promus. Depuis plus de vingt ans, l’enseignement en général et l’enseignement supérieur et universitaire en particulier ont été le cadet des soucis des dirigeants politiques. Autant les autorités politiques se sont dérobées de leur devoir de préparer la relève de demain, autant les gestionnaires des établissements d’enseignement se sont rendus complices de l’exploitation des parents et, pire, de la destruction des infrastructures.
Les récents évènements survenus sur le site de l’Université de Kinshasa ont étalé au grand jour l’irresponsabilité et l’incompétence à tous les niveaux des uns et des autres. Si la volonté était d’améliorer la qualité de l’enseignement et de préparer la relève, il y a longtemps que les autorités politiques, autant que les gestionnaires des établissements d’enseignement supérieur et universitaires se seraient concertées, non pas pour exploiter les parents et les étudiants mais plutôt pour examiner en profondeur et sans complaisance les causes de la baisse de la qualité de notre système éducatif.
Ce qui s’est passé sur le campus de l’Université de Kinshasa montre à suffisance que cet ancien fleuron du savoir n’était plus qu’un lieu de promiscuité, de débauche et un foyer de criminalité. En effet, jamais les mouvements des étudiants n’avaient conduits ceux-ci à détruire les infrastructures universitaires comme on l’a vu dans des images qui ont circulé. Sous d’autres cieux, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, de même que les gestionnaires de l’UNIKIN auraient été contraints à la démission et une enquête ouverte pour établir les niveaux de responsabilités.
Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Juriste & Criminologue / Administrateur-Adjoint de DESC
Références
[1] ExcelAfrica.com, In https://www.excelafrica.com/2011/02/03/rdc-4-juin-19694-juin-2009-massacres-des-etudiants-de-luniversite-lovanium/.
[2] Université nationale du Zaïre.
[3] Jeunesse du Mouvement populaire de la Révolution.
[4] Expression utilisée dans le Mémorandum et qui énerva le Guide.
[5] Organe de conception, d’orientation et de décision du MPR.
[6] Actuellement Université pédagogique nationale (UPN).
[7] DiaspoRDC, 16 janvier 2020, In https://www.diaspordc.com/unikin-les-etudiants-etaient-loges-dans-des-conditions-infrahumaines-sur-le-campus-thomas-luhaka/.
One Comment “RDC – Crise à l’Université de Kinshasa : l’irresponsabilité à tous les niveaux – JB Kongolo”
GHOST
says:UNIVERSITÉ, VERS UNE OPTION RESTRICTIVE OU SELECTIVE ?
Après un sejour de plus de 20 en Occident, la grande majorité des lecteurs savent que les occidentaux ne possedent pas les universités rien que pour le prestige. L´université en Occident assume une fonction capitale pour l´acquisition des technologie. Ainsi les « facultés » dans les universités en Occident n´existent que sur base des besoins de la societé.
Pour quelle raison l´UNIKIN peut posseder une « faculté de philosophie » quand non loin du site universitaire, les erosions menacent l´unique centre nucléaire qui est plus utile et plus important que cette faculté? L´université á Kin est comme une roue qui tourne..sans but, sans rectification de trajectoire… une roue folle.
Pour quelle raison l´UNIKIN continue á former une masse des juristes quand les routes á Kin sont en si mauvais état et que la ville a grandement besoin des ingenieurs capables de construire de nouvelles routes et trouver des solutions intelligentes pour combattre les erosions?
Avant de nous lancer dans ce débat des « frais á payer » pour faire des études universitaires, il est temps de fermer plusieures facultés et d´imposer des restrictions selectives limitant le nombre des étudiants dans des facultés qui peuvent apporter des solutions pratiques pour le pays.