La RDC autorise l’armée ougandaise à entrer en Ituri et au Nord Kivu pour lutter contre les ADF. Selon RFI qui a reçu l’information de la part d’une source de la MONUSCO, « le président Félix Tshisekedi a autorisé le vendredi 26 novembre aux forces armées ougandaises (UPDF) à pénétrer dans les territoires de l’est de la République démocratique du Congo ». « Le président congolais Félix Tshisekedi a accepté la demande formulée par son homologue ougandais Yoweri Museveni. L’objectif est notamment de poursuivre le groupe armé ADF qui sévit dans la zone. Mais au regard de l’histoire récente entre les deux pays c’est une décision sensible, qui n’a pas encore été annoncée officiellement par les deux chefs d’Etats »[1].
Cette autorisation fait suite à la double attaque-suicide à la bombe, attribuée aux rebelles ougandais ADF installés en RDC, qui a fait 3 morts et 33 blessés dans le quartier administratif de Kampala, le 16 novembre 2021. Déjà, il y a quelques mois, les autorités ougandaises avaient évalué un risque élevé d’attentat après les élections, en plus de l’escalade diplomatique conflictuelle avec le Rwanda. Elles pointaient déjà les rebelles ADF installés en RDC comme instigateurs de cette menace sécuritaire sur le territoire.
Selon d’autres sources ougandaises, ce double-attentat à la bombe serait un alibi conçu par les autorités ougandaises pour pouvoir intervenir en RDC, avec l’aval des autorités congolaises. Mais avec ce déploiement, les armées des autres pays de la région seraient également tentées d’intervenir en RDC. Telle est la substance de la présente analyse.
Risque de redéploiement des armées rwandaise et burundaise en RDC ?
Selon notre analyse prospective, le déploiement de l’armée ougandaise en RDC va inciter en toute logique le Rwanda à faire de même, sous l’œil impuissant des autorités congolaises obligées à accepter, la queue entre les pattes, les injonctions de Museveni et Kagame dont on connaît les rôles joués dans le développement politico-électoral post 2018. En effet, la situation sécuritaire globale de l’est de la RDC ne cesse de se détériorer et devient très volatile à cause de l’inefficacité de l’armée et les forces de sécurité de contenir les menaces multifactorielles dans la région. Les forces de défense et de sécurité de la RDC ont vite perdu le contrôle de la situation. Désormais, c’est la confusion totale qui règne dans les deux provinces placées sous l’état de siège.
Cette situation sert d’alibi aux armées de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi ainsi qu’aux groupes armés qu’ils ont créés et qu’ils soutiennent pour intervenir en RDC. C’est notamment le cas du Rwanda qui a intensifié les activités de son armée et de la faction rebelle du M23/Runiga qu’il soutient depuis Kigali, en RDC (Kibumba, Chanzu, Runyoni) dans la zone frontalière avec l’Ouganda.
Le 18 octobre 2021, le territoire de Kibumba, au Nord-Kivu, a été investi par les éléments de l’armée rwandaise avant d’en être délogés par les FARDC. Le 3 novembre 2021, c’était le tour de la ville de Bukavu, au Sud-Kivu, qui a été le théâtre d’une incursion d’un groupe armé dénommé CMC-A64. Moins d’une semaine plus tard, ce sont les villages de Chanzu et Runyoni, dans la zone frontalière avec l’Ouganda au Nord-Kivu, qui avaient subi les attaques dans la nuit du 7 au 8 novembre de la faction rebelle du M23/Runiga, soutenue depuis Kigali, selon les investigations approfondies menées par Afridesk[2].
La visite à Kigali le 10 novembre 2021 du général Célestin Mbala Munsense, Chef d’état-major général des FARDC[3], n’a visiblement servi à rien. Dans la nuit du 20 au 21 novembre 2021, la Direction provinciale du Nord-Kivu de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature, a publié un communiqué dénonçant une attaque violente menée par une centaine d’individus fortement armés identifiés comme étant des membres du M23 regroupés aux confins des frontières rwandaise et ougandaise. Cette attaque contre les gardes du Parc Virunga est survenue au village de Bukima, au sein du secteur de Mikeno dans le Territoire de Rutshuru[4].
Par ailleurs, compte tenu de la généralisation de l’insécurité à l’est de la RDC, notamment au Sud-Kivu, le Burundi, qui subit également des menaces au départ des groupes armés installés dans la zone d’Uvira, entretenus principalement par le Rwanda, risque d’intervenir à son tour en RDC. Le Burundi a récemment fait l’objet d’une série d’attaques au mortier et à la grenade contre l’aéroport de Bujumbura et le centre-ville de Bujumbura, respectivement le 18 septembre et le19 septembre 2021. Les autorités sécuritaires burundaises ont attribué ces attaques aux rebelles Red Tabara qui opèrent depuis le Sud-Kivu avec le soutien armé de Kigali[5].
Vers le retour de l’ordre géopolitique d’avant 2003 et risque de confrontation militaire des armées régionales en RDC ?
La RDC reste un terrain de confrontation militaro-géoéconomique[6] potentiel entre le Rwanda et l’Ouganda. Jusqu’à à la conclusion des négociations politiques inter-congolaises dans l’Accord global et inclusif de Pretoria le 17 décembre 2002, adopté à Sun City le 1er avril 2003, la RDC était dépendante de l’ordre géopolitique imposé militairement par le Rwanda et l’Ouganda via la projection de leurs armées en RDC et les soutiens respectifs aux rebellions du RCD-Goma, d’une part, et du MLC et RCD/K-ML de l’autre. Il est d’ailleurs curieux de constater que les deux provinces congolaises placées sous état de siège sont dirigées par deux généraux issus du RCD-Goma et du MLC. L’initiative d’adhésion forcée de la RDC à l’EAC[7], la Communauté de l’Afrique de l’Est, reste l’enjeu principal pour le Rwanda est de remettre la RDC sous l’ancien ordre géopolitique régional qui a prévalu entre 1997 et 2003, dominé par le Rwanda, l’Ouganda et les pays de l’Afrique de l’Est[8]. Ces pays ont perdu leur influence depuis l’intervention militaire des armées de la SADC au sein de la brigade d’intervention de la MONUSCO ayant causé la défaite du M23 en 2013 et l’élimination des bases de l’ADF de Jamil Mukulu en 2014. C’est ce qu’ils essayent de récupérer au travers de récentes et futures initiatives diplomatiques et militaires qu’ils imposent aux autorités congolaises.
En effet, en scrutant les activités récentes des armées rwandaise et ougandaise en RDC, il y a lieu d’émettre de sérieuses inquiétudes sur les objectifs latents de cette autorisation. Les récentes manœuvres de l’armée rwandaise et du M23 dans la zone annoncent les couleurs pendant que le véritable objectif du déploiement de l’armée ougandaise en RDC reste économique. En effet, en mai 2021, les négociations entre les autorités ougandaises et congolaises avaient abouti à la décision de mettre sur pied une opération militaire conjointe en vue d’éliminer les groupes armés nuisibles et de faciliter le développement des infrastructures dans l’est de la RDC[9]. C’est ici que l’alibi du double attentat à la bombe à Kampala trouve le fondement pour accélérer le processus de ce déploiement militaire ougandais.
Pour rappel, l’armée ougandaise s’apprête à sécuriser la construction de la route Bunagana- Goma (environ 100 km), initialement prévue dans le courant du mois de novembre 2021. Selon des sources rwandaises, cette une initiative est très mal vue du côté de Kigali. Notons que ces deux pays entretiennent actuellement des relations diplomatiques qui sont loin de connaitre une désescalade. Selon Africa Confidential, les deux pays s’accusent mutuellement de velléités de déstabilisation réciproque et d’allégations d’assassinats politiques, d’espionnage et de sabotage commercial[10]. En outre, le Rwanda accuse l’Ouganda de soutenir les rebelles du Congrès national rwandais (RNC). Une rébellion basée au Sud-Kivu, dirigée par des transfuges tutsis du FPR de Kagame, dont ferait partie Kayumba Nyamwasa, autrefois l’un des généraux les plus fiables du pouvoir rwandais actuellement exilé en Afrique du Sud[11]. Depuis, leurs frontières communes de ces deux pays sont sur pied de guerre. La fermeture par le Rwanda de la frontière de Katuna avec l’Ouganda – le point de passage le plus fréquenté – a réduit considérablement les échanges commerciaux entre les deux pays début 2019.
En effet, la construction de cette route ouvrirait un nouveau corridor d’acheminement des produits miniers, bousiers et agricoles de la RDC vers l’aéroport logistique d’Entebbe (Ouganda) et le port de Mombasa (Kenya), au départ de Goma via le poste frontalier de Bunagana. Ce qui mettrait en difficulté les recettes douanières du Rwanda, un pays dépendant principalement du transit des marchandises en provenance de Goma via ses frontières.
Avec le déploiement annoncé de l’UPDF en RDC, le Rwanda serait en toute logique également incité à faire de même, sous l’œil impuissant des autorités congolaises dont les populations civiles risquent de subir de nouveau les effets néfastes de ces cycles de guerre apocalyptique sans fin.
En effet, une forte délégation militaire rwandaise a séjourné le 23 novembre 2021 à Kinshasa où elle a eu des entretiens avec les autorités militaires congolaises. Cette visite fait suite à la rencontre qui s’est déroulée le 10 novembre 2021 à Kigali entre le général Célestin Mbala et son homologue rwandais, le général Jean Bosco Kazura. Si la situation sécuritaire de la région et lutte contre le terrorisme était au centre de leurs discussions, des sources militaires nous indiquent plutôt de la planification d’une nouvelle intervention militaire de l’armée rwandaise en RDC. Et ce n’est pas la première fois que les autorités des deux pays, malgré la réticence affichée des Congolais, tentent d’inviter l’armée rwandaise en RDC. En janvier 2021, lors d’une visite à Kigali,, François Beya, le Conseiller spécial du Président Tshisekedi en matière de sécurité, avait évoqué la possibilité d’effectuer une opération militaire conjointe entre les deux armées dans l’Est du Congo[12].

L’échec de l’état de siège et risque d’intensification de l’insécurité dans la région
Le déploiement de l’armée ougandaise en RDC fait partie de la stratégie géopolitique ougandaise, imposée aux autorités congolaises face à l’impuissance entretenue des FARDC de contenir l’insécurité à l’est, d’étendre sa sphère d’influence géostratégique dans la région, particulièrement en RDC. Le Rwanda, qui lorgne sur la RDC, sa cave minière, pour exporter à moindre coûts (suppression des barrières douanières) les produits tirés de la contrebande minière en RDC[13], ne va pas hésiter dans les prochains mois à imposer au président Tshisekedi le redéploiement de son armée. Le Burundi n’hésitera pas non plus de franchir les frontières congolaises pour contenir les attaques des rébellions en amont de leur survenance.
Face à ces scénarios du pire qui s’annoncent, ce sont une fois de plus les populations congolaises, déjà exsangues de l’insécurité actuelle et qui ont encore en mémoire les atrocités infrahumaines causées en RDC par les armées de ces pays, actuellement en conflits mutuels, notamment lors delà guerre de six jour à Kisangani en juin 2000, vont subir de nouveau les effets néfastes de ces cycles de guerres eschatologiques non consommées.
Enfin, l’arrivée annoncée de l’armée ougandaise en Ituri et au Nord-Kivu est une preuve supplémentaire qui montre l’incapacité de l’armée congolaise de contenir la menace sécuritaire dans la région. Cela consacre ni plus ni moins l’échec patent de l’état de siège. Une mesure exceptionnelle, sur le plan de la doctrine militaire, mais prise dans l’ignorance et sans aucune planification, que les autorités congolaises tendent à banaliser en le prorogeant systématiquement.
Conclusion : mettre fin à l’état de siège et amorcer le processus de réforme de l’armée
Voilà pourquoi nous partageons la récente position de la CENCO qui recommande au président Tshisekedi de requalifier ce concept militaire mal conceptualisé et calibré par rapport à la situation sécuritaire de ces deux provinces et incompris par les autorités politiques et militaires de la RDC. L’armée congolaise reste une armée assez faible, peu équipée, peu outillée, peu formée, avec un leadership et commandement militaire très défaillant à cause du manque manifeste de volonté politique pour la doter de moyens adéquats pour la moderniser et la rendre performante sur le plan opérationnel[14].
Voilà encore pourquoi nous soutenons le rapport du parlement sur l’évaluation de l’état de siège qui constate entre autres que la proclamation de l’état de siège n’a pas été sous-tendue par une planification d’actions stratégiques de l’état de siège. Tout comme AFRIDESK, ce rapport recommande au Gouvernement (surtout au Président[15]) de définir une politique nationale de sécurité avec toutes ses composantes dans un schéma de plan de réforme de la sécurité adaptée et révisée par une loi de programmation militaire à soumettre au Parlement[16].
C’est à ce niveau précis que l’on pourrait évaluer le degré de volonté politique du Commandant suprême des forces armées de vouloir instaurer la sécurité effective en RDC. En effet, les armées étrangères ne peuvent assurer de manière pérenne la sécurité des Congolais aussi longtemps que les autorités congolaises se montreront incapables de doter la RDC d’une armée républicaine, professionnelle et dissuasive. Il arrivera un moment où ces armées seront appelées à quitter la RDC pour laisser aux forces de défense et de sécurité congolaises la charge d’assurer la sécurité de leurs concitoyens. A moins que les présentes manœuvres ne rentrent dans le stratagème d’accélérer l’occupation durable d’une partie du territoire congolais par des forces ennemies étrangères.
Réfléchir, planifier, mettre des moyens appropriés, agir puis évaluer périodiquement les opérations, restent la bonne approche que nous recommandons en toute humilité aux autorités congolaises pour mieux s’attaquer à la gangrène sécuritaire qui ravage l’est de la RDC. Il faudrait éviter de continuer de gouverner la RDC par défi et par entêtement.
Les guerres des Grands-Lacs imposée au Congo restent invariablement une continuation de l’économie par d’autres moyens.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions de défense et de sécurité
Références
[1] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211128-la-rdc-autorise-l-arm%C3%A9e-ougandaise-%C3%A0-entrer-en-ituri-et-au-nord-kivu-pour-lutter-contre-les-adf.
[2] https://afridesk.org/six-mois-apres-linstauration-de-letat-de-siege-linsecurite-ravage-lest-de-la-rdc-jj-wondo/.
[3] https://www.radiookapi.net/2021/11/11/actualite/securite/visite-du-chef-detat-major-general-des-fardc-au-rwanda.
[4] https://www.politico.cd/la-rdc-a-la-une/2021/11/21/parc-national-des-virunga-un-ecogarde-tue-dans-une-attaque-menee-par-des-ex-membres-du-m23.html/97904/.
[5] https://afridesk.org/burundi-tentative-de-putsch-avortee-et-risque-descalade-militaire-regionale-jj-wondo/.
[6] La géoéconomie fait de l’économie un des fondements de la puissance, à côté des forces militaires, diplomatiques et symboliques. Il parait évident que les intérêts économiques, les conflits autour de l’accès aux ressources et les pouvoirs liés aux contrôles des richesses sont des déterminants essentiels des rapports de force et des conflits. Les enjeux économiques sont au cœur de la géopolitique pétrolière, énergétique, environnementale et les captations des rentes sécuritaires, démocratiques, économiques fondent les jeux et les stratégies politiques. Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, 3è Ed., Sedes, Paris, Septembre 2012, p.104.
[7] East African Community est une organisation sous-régionale constituée de six pays de l’Afrique de l’est comprenant le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud et la Tanzanie. Paul Kagame, le président du Rwanda, est le dirigeant actuel de la Communauté d’Afrique de l’Est. Le 22 novembre 2021, la RDC a reçu le feu vert du conseil des ministres des Etats-membres de l’EAC pour rejoindre l’EAC.
[8] https://afridesk.org/ladhesion-de-la-rdc-dans-leac-les-raisons-dun-agenda-geostrategique-cache-dicte-par-le-rwanda-jj-wondo/.
[9] http://french.peopledaily.com.cn/Afrique/n3/2021/0524/c96852-9853020.html.
[10] https://afridesk.org/burundi-tentative-de-putsch-avortee-et-risque-descalade-militaire-regionale-jj-wondo/.
[11] https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/democratic-republic-congo/b150-averting-proxy-wars-eastern-dr-congo-and-great-lakes.
[12] A l’issue de sa mission, François Beya a déclaré : « Nous sommes ici pour défier le monde, en particulier l’Occident, qui ne veut pas que nous parlions et travaillions ensemble » – https://actualite.cd/2021/02/14/francois-beya-kigali-nous-sommes-ici-pour-defier-le-monde-en-particulier-loccident-qui.
[13] https://afridesk.org/ladhesion-de-la-rdc-dans-leac-les-raisons-dun-agenda-geostrategique-cache-dicte-par-le-rwanda-jj-wondo/.
[14] https://www.dw.com/fr/arm%C3%A9es-africaines-etat-des-lieux/a-59872385.
[15] La défense est un domaine de collaboration entre le Président et le Gouvernement. En réalité, en RDC, la défense reste un domaine de chasse gardée du Président. Le ministre de la Défense reste sans portefeuille. Il ne dispose d’aucun droit d’initiative sur l’affectation de ce budget et son contrôle. Ce sont d’autres personnes de l’entourage direct du chef de l’Etat, notamment de la Maison militaire du Président, qui se chargent d’actionner les lignes budgétaires de l’armée.
[16] https://afridesk.org/six-mois-apres-linstauration-de-letat-de-siege-linsecurite-ravage-lest-de-la-rdc-jj-wondo/.