La RDC au CDH : Une victoire encombrante
Par Boniface Musavuli
La République Démocratique du Congo a été élue membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) à l’issue du vote de l’Assemblée générale le 16 octobre 2016 à New York. Elle faisait partie d’un groupe de 15 pays, dont 4 africains, qui rejoignaient les 32 autres. L’élection s’est opérée malgré une forte mobilisation menée par 157 organisations de défense des droits de l’homme, opposées à cette candidature. C’est donc un camouflet pour ces organisations tandis que, du côté des hommes au pouvoir, à Kinshasa, on célèbre une victoire diplomatique éclatante du président Kabila. Mais pour l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Nikki Haley, il est temps de réformer cet organe onusien pour éviter que des pays qui violent agressivement les droits de l’homme chez eux n’y décrochent un siège. En attendant, le Congo fait désormais partie du « visage international » des droits de l’homme dans le monde, pour une période renouvelable de trois ans.
Dans la présente analyse, nous tâcherons de rappeler ce que c’est que le CDH (1), les relations entre cet organe onusien et la RDC (2) et tâcherons de questionner la portée de l’entrée de la RDC dans cette institution (3).
Le Conseil des droits de l’homme, c’est quoi ?
Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental du système des Nations Unies dont les membres ont la responsabilité de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. Il est composé de 47 États membres élus directement au scrutin secret, à la majorité des membres de l’Assemblée générale. Selon les textes des Nations Unis, l’Assemblée générale tient compte de la contribution des États candidats à la promotion et à la protection des droits de l’homme, ainsi que des engagements qu’ils ont pris volontairement à cet égard. La composition du Conseil est basée sur le principe d’une répartition géographique équitable des sièges, dont 13 sièges sur 47 sont occupés par les États africains[1]. La RDC fait partie d’un groupe de quatre pays africains qui entraient au Conseil aux côté du Sénégal, de l’Angola et du Nigéria. Élus pour un mandat de trois ans, les membres du Conseil ne sont pas rééligibles après deux mandats consécutifs. Résultat d’un courant de réforme impulsé par le secrétaire général Kofi Annan, au cours des années 1997 à 2005, le Conseil a été créé par l’Assemblée générale de l’ONU, le 15 mars 2006, en remplacement de la Commission des droits de l’homme.
Pour rappel, de 1946 à 2006 la Commission des droits de l’homme fut le principal organe du système des Nations Unies en matière des droits de l’homme. Elle était composée de 53 États membres nommés. Elle a servi de cadre à la discussion et à l’adoption de nombreux instruments des droits de l’homme, comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou la Convention relative aux droits de l’enfant. Mais en raison de la présence en son sein de nombreux pays peu respectueux des droits de l’homme, la commission a été remplacée en 2006 par le Conseil des droits de l’homme.
Parmi les particularités du Conseil des droits de l’homme, on trouve le mécanisme d’examen périodique universel (EPU) qui permet d’évaluer les situations des droits de l’homme dans chacun des 192 États membres de l’ONU, à tour de rôle, et non plus dans quelques pays sélectionnés comme par le passé.
Le CDH, la RDC et les droits de l’homme
Avec le vote du 16 octobre 2017, la RDC entre dans une institution avec laquelle elle est presque en conflit ouvert sur de nombreux dossiers, que nous essayons de rappeler pour souligner le côté absurde de cette élection.
Il y a tout d’abord l’affaire des massacres dans le Kasai où plus de 3.000 civils et deux experts de l’ONU ont été tués. La crise a donné lieu à un véritable tollé international, notamment après la diffusion d’une vidéo dans laquelle on voit des militaires mitrailler des civils sans défense dans la localité de Mwanza Lomba. Deux projets de résolution furent déposés au Conseil des droits de l’homme de juin 2017. Ils ont donné lieu à une bataille rangée[2] au bout de laquelle le Conseil renonça à l’envoi d’une mission d’enquête[3] après que le régime de Kinshasa ait promis de ne pas accorder de visa aux membres de cette mission. Deux mois plus tard, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme publiait un rapport dans lequel il accusait le pouvoir congolais d’avoir créé une milice, les Bana Mura, qui aurait mené des attaques contre des villages encadrée par des autorités civiles et militaires. Un rapport qualifié d’« accusations infondées »[4] par le gouvernement congolais. C’est donc cette institution avec laquelle le Congo est quasiment en conflit ouvert qui voit ce dernier effectuer son entrée en son sein.
Toujours en matière des droits de l’homme, et des relations mouvementées entre la RDC et le CDH, on se souvient de l’affaire Scott Campbell, chef du bureau de l’ONU pour les droits de l’homme en RDC. En 2014, le diplomate onusien fut purement et simplement déclaré persona non grata au Congo, après avoir publié un rapport de ses services qui dénonçait des crimes graves commis par des policiers dans le cadre de l’opération Likofi (coup de poing en lingala). Cette opération contre le banditisme urbain à Kinshasa, entre novembre 2013 et février 2014, avait tourné au carnage et à des disparitions forcées. Dans son rapport, l’équipe onusienne signala la mort ou la disparition de plusieurs dizaines de civils assurant que le nombre des victimes pourrait être bien plus élevé. En réaction, le gouvernement congolais, par la bouche de son ministre de l’Intérieur, Richard Muyej, après avoir déclaré le rapport d’« information malveillante et mensongère », déclara Scott Campbell « persona non grata » au Congo. L’homme quitta le pays et n’y est plus jamais revenu.
Au-delà de la crise du Kasai et de l’affaire Scott Campbell, la RDC est connue pour être le théâtre de pires violences contre les civils au cours des vingt dernières années, des violences dont on prend la mesure en parcourant le rapport Mapping 2010. Il affirme que ces attaques systématiques et généralisées « révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide ». Le rapport signé Navanethem Pillay, alors Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, engageait le gouvernement congolais à créer une juridiction spécialisée chargée de poursuivre les responsables de ces crimes graves. En octobre 2013, dans un discours prononcé devant les deux chambres du Parlement, le président Kabila fit la promesse de créer des chambres spécialisées au sein du système judiciaire congolais[5], à défaut d’un tribunal pénal international pour le Congo. Une promesse qu’il ne peut plus tenir puisqu’en fin mandat depuis décembre 2016, et ne pouvant plus se présenter à la prochaine élection.
En gros, la RDC est un cas notoire des violations massives des droits de l’homme, ce que l’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil des droits de l’homme ne pouvaient pas ne pas savoir en laissant sa candidature cheminer jusqu’au jour du vote. L’institution va donc apprendre à faire avec ce discrédit et ne va pas tarder à être embarrassée compte tenu de l’évolution de la crise politique liée à l’illégitimité du pouvoir et à l’enlisement du processus électoral. En effet, la Commission nationale électorale a déjà annoncé par la voix de son président, M. Corneille Nangaa, que les élections qui devaient se tenir en 2016, conformément à la Constitution, ou en 2017, conformément à l’accord politique de la Saint-Sylvestre, n’auront finalement pas lieu, même pas en 2018, une période de 504 jours étant, selon lui, nécessaire entre la fin des opérations d’enrôlement des électeurs et le lancement du scrutin[6]. et risque de ne même pas suffire pour organiser les élections[7] .
Crise de légitimité et hôte encombrant
Cette absence de lisibilité sur les perspectives électorales place le pays sur la voie des contestations de plus en plus croissantes, et, parallèlement, d’une répression toujours plus accrue[8] visant des citoyens qui ne réclament que le respect de la Constitution de leur pays.
Les violations massives des droits de l’homme au Congo sont pour l’essentiel la conséquence de la crise de légitimité dont souffre le régime de Joseph Kabila depuis l’élection frauduleuse de 2011 dont les résultats furent contestés par son principal opposant, Etienne Tshisekedi[[9]. La répression qui avait accompagné le scrutin, et qui perdure, consiste entre autres aux tirs à balles réelles sur des manifestants, aux enlèvements d’opposants et des militants associatifs, aux assassinats politiques et à l’organisation des massacres à répétition à travers le pays (Kasai, Beni,…). La violence répressive s’est accrue parallèlement aux manœuvres visant à modifier la Constitution et à une série de stratagèmes ayant abouti à la non organisation des élections législatives et présidentielle. C’est ainsi que depuis février 2017, toutes les institutions en RDC sont entre les mains des personnes hors mandats[10], faute d’élections organisées dans les délais prescrits par la Constitution. Il y a même lieu de se demander, au passage, quel peuple sera représenté par la personne qui occupera le siège de la RDC, du moment où le pays n’a plus de gouvernement légitime, parce qu’il entrave le droit au vote, un des droits les plus emblématiques consacré dans la charte de l’ONU[11].
Cet État, qui ne respecte même pas ses propres lois, va donc avoir la responsabilité de promouvoir les droits de l’homme dans le monde. C’est l’histoire d’un alcoolique qui décroche un poste de médecin addictologue dans un centre de sevrage, et qui va travailler tous les jours bourré comme un coing.
Un certain nihilisme a consisté à relever que des pays comme l’Arabie saoudite font, eux aussi, partie du Conseil des droits de l’homme[12]. Non loin de la RDC, le Rwanda de Paul Kagame était membre du Conseil des droits de l’homme[13] alors que son armée, sous couvert du M23, ravageait l’est du Congo en y commettant des viols et des massacres. Ce qui implique qu’au cours des trois prochaines années, il va falloir ajouter le Congo sur la liste des canards boiteux de cet organe onusien et achever de ruiner sa crédibilité. Mais aussi fournir un argument inépuisable au cynisme de la realpolitik qui voudrait que les idées prônant la promotion des droits de l’homme et la démocratie, et les valeurs éthiques sont illusoires ; et que seuls les intérêts comptent.
C’est déjà le cas dans l’essentiel des relations entre l’Occident et les dictateurs africains, la différence avec ces derniers étant que les Occidentaux protègent leurs populations et font respecter les droits de l’homme dans leurs pays.
Boniface Musavuli
Coordonnateur DESC et militant des droits de l’homme.
Auteur des ouvrages :
– « Les Génocides des Congolais (2016) »,
– « Les Massacres de Beni (2017) ».
Références :
[1] Les sièges sont répartis comme suit : États africains : 13 sièges ; États d’Asie-Pacifique : 13 sièges ; États d’Amérique latine et des Caraïbes : 8 sièges ; États d’Europe occidentale et autres : 7 sièges ; États d’Europe de l’Est : 6 sièges. Cf. « Assemblée générale : 15 États rejoignent les 32 autres du Conseil des droits de l’homme », http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22248&LangID=F.
[2] L’un prônant la création d’une mission d’enquête internationale ; l’autre, porté par le groupe Afrique , prônant juste un soutien technique de l’ONU aux enquêtes du gouvernement. Le premier projet était porté par l’Union européenne, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique. Le second par Projet porté par L’Union africaine, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Tunisie, l’Égypte.
[3] « RDC : pas d’enquête internationale, mais des experts onusiens envoyés au Kasaï », http://www.rfi.fr/afrique/20170622-rdc-pas-enquete-internationale-mais-experts-onusiens-envoyes-kasai.
[4] « RDC : la milice Bana Mura plus féroce que les Kamuina Nsapu dans le Kasaï, selon l’ONU », http://www.jeuneafrique.com/463828/politique/rdc-la-milice-bana-mura-plus-feroce-que-les-kamuina-nsapu-dans-le-kasai-selon-lonu/.
[5] « RD Congo : La justice ne peut plus attendre (déclaration conjointe) – Il faut adopter les lois sur les Chambres spécialisées mixtes et la mise en œuvre du Statut de la CPI lors de la session parlementaire en cours », https://www.hrw.org/fr/news/2014/04/01/rd-congo-la-justice-ne-peut-plus-attendre-declaration-conjointe.
[6] Corneille Nangaa : « En 2006, il y a eu 500 millions de dollars donnés par la communauté internationale. Il y avait aussi 450 experts internationaux, 108 avions mis à la disposition par la MONUSCO et par les pays voisins pour déployer le matériel électoral pour 25 millions d’électeurs. Aujourd’hui, nous sommes à 45 millions d’électeurs, 2 avions, et nous n’avons pas assez d’argent! Donnez plus d’avions, plus de moyens, et nous pourrons aller à moins de 504 jours ». Et même à l’issue de la période de 504 jours, indique-t-il, les élections seront toujours impossibles à organiser pour des raisons logistiques. Cf. www.politico.cd/encontinu/2017/10/19/corneille-nangaa-donnez-plus-de-moyens-pourrons-aller-a-de-504-jours.html.
[7] Processus électoral: « les 504 jours ne vont pas suffire», Corneille Nangaa, Cas-Info.ca, octobre 2017. http://cas-info.ca/processus-electoral-les-504-jours-ne-vont-pas-suffire-corneille-nangaa/.
[8] Dans son rapport de décembre 2015, le BCNUDH avait déjà établi un lien entre le blocage du processus électoral et la flambée des violations des droits de l’homme, ce qui devrait, à nouveau, être le cas dans les mois à venir. Cf. « RAPPORT DU BUREAU CONJOINT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE
L’HOMME SUR LES DROITS DE L’HOMME ET LES LIBERTES FONDAMENTALES EN PERIODE PRE-ELECTORALE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, ENTRE LE 1ER JANVIER ET LE 30 SEPTEMBRE 2015 », https://www.radiookapi.net/sites/default/files/2015/bcnudh_rapport_sur_les_vdh_en_lien_avec_le_processus_electoral_decembre_2015.pdf
[9] Décédé en Belgique en février 2017.
[10] Le mandat du président de la République a expiré le 19 décembre 2016 ; celui des députés, en février 2017 alors que celui des sénateurs a expiré depuis une « éternité » : en 2012.
[11] Le droit de vote est consacré à l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».
[12] Les autres membres du Conseil des droits de l’homme sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Belgique, Brésil, Burundi, Chine, Côte d’Ivoire, Croatie, Cuba, Égypte, Émirats arabes unis, Équateur, États-Unis, Éthiopie, Géorgie, Hongrie, Iraq, Japon, Kenya, Kirghizistan, Mongolie, Panama, Philippines, République de Corée, Royaume-Uni, Rwanda, Slovénie, Suisse, Togo, Tunisie et Venezuela.
[13] Il en est toujours membre jusqu’en 2019.