RD Congo – Rwanda : L’épouvantail « FDLR » et les vérités inavouables
Boniface Musavuli
L’hebdomadaire Jeune Afrique a publié le témoignage d’un transfuge des FDLR recueilli par les autorités rwandaises. Selon ses dires, la rébellion hutue, opérant dans l’Est du Congo, compterait jusqu’à 5.000 combattants dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Et d’ajouter que le mouvement bénéficie de la complicité des FARDC, l’armée congolaise. Une telle information peut paraître anodine au premier abord, mais dans un contexte où Kagame trépigne d’impatience à l’idée de renvoyer son armée dans l’Est du Congo, il faut lire dans la publication de Jeune Afrique une opération de communication destinée à préparer les esprits pour que, le moment venu, un éventuel redéploiement de l’armée rwandaise sur le sol congolais soit considéré comme « légitime ».
Un pan de voile de cette stratégie a été levé lors de la rencontre des ministres rwandais et congolais de la Défense, les 23 et 24 septembre 2015 à Kigali. Une rencontre sanctionnée par un communiqué conjoint dans lequel les deux ministres ont résolu qu’« une réunion des chefs d’état-major généraux soutenue par les chefs des renseignements militaires se tiendra à Kigali le plus tôt possible et à une date qui sera communiquée ultérieurement (pour l’éradication des FDLR »[1].
La présente analyse a pour double objectif de battre en brèche les contrevérités véhiculées par certains médias et de rétablir certaines vérités sur la question des FDLR.
Les FDLR : combien sont-ils ?
Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) sont une rébellion hutue rwandaise opérant dans l’Est du Congo. Très actif à ses débuts, le mouvement a été considérablement affaibli et a rapidement cessé de représenter une menace crédible pour le régime de Kigali, de l’aveu même des autorités rwandaises. Dès 2002, les experts de l’ONU faisaient remarquer que la lutte contre les FDLR n’était pas la véritable motivation de l’engagement militaire du Rwanda dans l’Est du Congo. Cette motivation était ailleurs[2], nous y reviendrons.
Au sujet des effectifs, aucune estimation ne porte le nombre de ces rebelles à 5.000. En août 2015, le ministre congolais de la Communication, Lambert Mende, et le commandant de la troisième zone de défense[3], le général Léon Mushale, estimaient le nombre des FDLR à 400 éléments[4]. De leur côté, les experts de l’ONU, dans leur rapport de janvier 2015, ont retenu le chiffre de 1.500 éléments[5]. Affaiblis, mal équipés et convaincus qu’ils ne l’emporteront plus militairement, les FDLR ont, depuis, accepté de désarmer et de se regrouper sur différents sites dans la perspective de leur rapatriement au Rwanda ou leur installation dans un pays tiers. Mais pourquoi continuer d’agiter l’épouvantail FDLR ? Pour une raison simple : ce mouvement hutu est un allié objectif du régime tutsi-rwandais dans ses prétentions expansionnistes sur l’Est du Congo.
FDLR : les alliés de Kigali
Une question est restée longtemps taboue. Depuis deux décennies, le Rwanda s’est illustré en tant qu’un important exportateur de minerais dont on sait qu’ils ne se trouvent pas dans son sous-sol, mais bien dans le sous-sol du Congo voisin[6]. Les territoires où se trouvent les gisements étaient sous contrôle des FDLR, ce qui répond à la question de savoir à qui les FDLR vendaient (directement ou indirectement) les minerais qu’ils pillaient dans l’Est du Congo. Par moment, le Rwanda entreprenait d’aller s’approvisionner directement à la source, sans passer par… les FDLR. Pour que son engagement militaire dans l’Est du Congo soit présenté comme « acceptable », il fabriquait de « fausses rébellions tutsies » exploitant le filon émotionnel du génocide rwandais qui se poursuivrait sur le sol congolais avec les FDLR dans le rôle des « méchants ». Mais après les horreurs dont l’armée rwandaise s’est rendue coupable dans l’Est du Congo (voir Rapport Mapping – 2010), et la mort de six millions de Congolais, le mythe « Tutsis victimes – Hutus bourreaux » ne passe plus que dans les oreilles des naïfs.
Non, au Congo, Kagame fait des affaires, et, dans le business, l’argent n’a pas d’odeur. L’important n’est pas la tête du partenaire en face, mais le pactole qu’il permet d’encaisser au final. En réalité, dans cet environnement où se mêlent intérêts mafieux, ambitions stratégiques, intrigues et stratagèmes en tous genres, pour avoir accès aux richesses du Congo, la population congolaise est la seule vraie victime de la présence sur le sol congolais des FDLR, que d’autres acteurs utilisent au titre d’épouvantail pour des intérêts inavouables.
Donc, lorsque les FDLR ne fournissent plus assez de minerais, Kigali crée une « rébellion tutsie » pour aller occuper les zones minières et assurer son approvisionnement à partir de la source. Mais le Congo n’étant pas un terrain vague, il arrive aux populations autochtones, par leurs milices d’auto-défense, de repousser les envahisseurs, ce qui entraîne un manque à gagner que le Rwanda se bat pour compenser. Il faut donc trouver un stratagème pour assurer le redéploiement de ses forces dans les zones minières du Kivu. Ainsi, soit en accord avec le régime de Kabila, qui est un allié de Kagame à Kinshasa, l’armée rwandaise obtient le droit de se redéployer dans l’Est du Congo, soit les « faux rebelles tutsis », mais « vrais agents du gouvernement rwandais » sont intégrés dans les rangs des FARDC, aux termes des mécanismes de brassage, de mixage et d’intégration[7]. Ces agents « étrangers » sont ensuite affectés, en tant que « citoyens congolais » dans les zones minières initialement convoitées par le Rwanda[8]. Le tour est joué. Au fil du temps, on a abouti au fait que la plupart des officiers FARDC dans l’Est du Congo sont soit des « Rwandais », soit des « Congolais », mais ayant des attaches filiales au Rwanda ou liés aux intérêts du régime de Kigali[9].
Un ennemi imaginaire ?
En fait, cette affaire des FDLR, son instrumentalisation et les complicités qui se trament là-dessus, impliquant les acteurs locaux, les présidents Kabila et Kagame et même une partie des puissances occidentales, ne peut être réglée que par un gouvernement responsable à Kinshasa. Si l’option militaire peut être envisagée, il faut aussi des volets politique, diplomatique et judiciaire ; le Rwanda devant être amené à ouvrir son espace politique à l’ensemble de ses opposants[10].
Sur le plan militaire, les FDLR ne représentent, à ce jour, qu’une force de 1 500 individus au maximum face à une armée congolaise forte de 140 mille soldats, appuyée par 20 mille casques bleus et 3 mille commandos de la brigade d’intervention de la MONUSCO. Au vu d’une telle armada, avec un rapport de forces largement en défaveur des FDLR, il faut bien reconnaître que la persistance de la présence des FDLR sur le sol congolais est sciemment entretenue[11]. Sur le plan politique, la solution au problème des FDLR, c’est leur retour dans leur pays, le Rwanda. Ils sont, dans leur écrasante majorité, des adolescents et des jeunes autour d’une vingtaine d’années. Autrement dit, soit ils n’étaient pas né à l’époque du génocide rwandais (1994) – ce dont on ne saurait, raisonnablement, les accabler – soit ils étaient trop jeunes pour pouvoir participer au génocide. Le Rwanda doit les accepter, ce sont ses citoyens, et, d’ailleurs, ils ne demandent qu’à rentrer dons leur pays[12]. Moyennant des garanties pour leur sécurité, qui peuvent être négociées en application de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba dont le Rwanda et le Congo sont signataires[13].
Dès lors, continuer d’agiter l’épouvantail FDLR, alors que militairement et politiquement les solutions sont pratiquement sur la table, amène à cette question simple : « de qui se moque-t-on ? ».
Boniface MUSAVULI
Coordinateur adjoint de DESC
Références
[1] http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=13273:rdc-rwanda-controverse-autour-de-la-reunion-des-ministres-de-la-defense-a-kigali-sur-l-eradication-des-fdlr&catid=90:online-depeches.
[2] Les experts publiaient ce témoignage d’un combattant hutu : « Nous pensons qu’ils (les soldats rwandais, ndlr) sont fatigués de cette guerre, comme nous. De toute façon, ils ne sont pas au Congo pour nous chasser, comme ils le prétendent. Je les ai vus exploiter les mines d’or et de coltan ici ; nous voyons comment ils volent la population. C’est pour cette raison qu’ils sont ici. Les soldats de l’APR viennent et tirent en l’air, et pillent les maisons des villageois, mais ils ne nous attaquent plus. Si vous avez de la chance et avez un grand frère dans l’APR, il arrivera peut-être à vous trouver quelques provisions et des munitions ». Cf. Rapport S/2002/1146 du Groupe d’experts de l’ONU du 16 octobre 2002, p. 16.
[3] (Regroupant entre autres les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu).
[4] http://afridesk.org/category/thematiques/statistiques-chiffres/.
[5] Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 12 janvier 2015, §50, p. 14.
[6] En 2013, le Rwanda est même devenu le principal exportateur mondial de tantale.
[7] Mécanismes de triste mémoire qui se sont soldés par une infiltration massive des agents rwandais et ougandais dans les rangs de l’armée congolaise et ses institutions.
[8] C’est ce qu’a révélée l’« arnaque » de l’opération Umoja wetu, une opération conjointement menée en 2009 par les armées du Rwanda et de la RDC, officiellement contre les FDLR, mais qui s’est avérée être une opération visant à permettre au Rwanda et à l’Ouganda de reprendre le contrôle des zones minières et des circuits économiques qu’ils avaient mis en place dans l’Est du Congo durant la longue occupation du pays (1998-2003). Cf. B. Musavuli, « RD Congo – 2016 : Les derniers atouts de Kabila », afridesk.org, 03 octobre 2015, http://afridesk.org/rd-congo-2016-les-derniers-atouts-de-kabila-boniface-musavuli/.
[9] Cf. « Les révélations du Colonel Mankesi sur l’infiltration des FARDC + Addendum », afridesk.org, 15 mai 2014, http://afridesk.org/les-revelations-de-linfiltration-des-fardc-par-le-colonel-makensi/#sthash.Ltf5894O.dpuf.
[10] JJ. Wondo, « L’opération Sokola 2 contre les FDLR : Quand le bluff tactique tourne au ridicule », afridesk.org, 18 février 2015, http://afridesk.org/loperation-sokola-2-contre-les-fdlr-quand-le-bluff-tactique-tourne-au-ridicule-jj-wondo/#sthash.Qi9pSNQt.zn58UzCI.dpuf
[11] Pour le moment, la présence des FDLR sur le sol congolais « arrange un peu tout le monde (Les autorités congolaises principalement, le Rwanda et même la MONUSCO dans une certaine mesure) ». Cf. JJ. Wondo, « L’opération Sokola 2 contre les FDLR : Quand le bluff tactique tourne au ridicule », op. cit.
[12] C’est ce qu’ils affirment dans leur lettre au Secrétaire général de l’ONU (http://ikazeiwacu.fr/2014/12/27/lettre-des-forces-democratiques-de-liberation-du-rwanda-fdlr-a-lintention-du-secretaire-generale-des-nations-unies-monsieur-ban-ki-moon/).
[13] Cet accord, signé en février 2013, astreint ses signataires à ne pas héberger ou entretenir des groupes armés sur leurs territoires respectifs, ni servir de base-arrière aux mouvements armés hostiles à leurs voisins.


6 Comments on “RD Congo – Rwanda : L’épouvantail « FDLR » et les vérités inavouables – Boniface Musavuli”
Jean-Bosco Kongolo
says:Merci, cher compatriote Musavuli pour cet éclairage pouvant permettre aux responsables politiques et militaires congolais de prendre conscience des enjeux géopolitiques et géostratégiques.
GHOST
says:« EBO »
Même ceux qui ne sont pas des militaires peuvent retrouver cette théorie militaire très utile sur Wikipedia ** Effect Based Operation !
Ce que les FDLR, fable ou menace réelle ne peuvent survivre que si les congolais..surtout ceux de la classe politique ne se decident pas á étudier profondement les methodes qui peuvent apporter la « dissuasion » au Congo*
Le fond d´EBO, c´est les « effets » qu´on peut obtenir avec l´usage militaire..Dans le cas des FDLR, l´approche de l´admnistration Obama dans sa guerre contre le terrorisme où liquider systematiquement les « leaders » des organisations terroristes a été très efficace..peut beaucoup inspirer les congolais*
Ce qu´en Afghanistan, Pakistan, Yemen ect.. la CIA recherche les « effets » au lieu d´une guerre frontale* Un sniper qui liquide un leader militaire local, un drone qui liquide un leader politique local ect…apporte plus d´effet psychologique sur le reste des membres de l´organisation*
Si les congolais se concentraient sur cette approche en liquidant en priorité les leaders politiques et militaires des FDLR, dans moins de six mois, cette organisation va cesser d´exister*
Ce que tous ceux des rwandais qui vont accepter de « commander » politiquement ou militairement les FDLR vont savoir qu´ils sont « condamnés á mort » au Congo, il n´y aura ni jugement, ni arrestation, ni procès..rien qu´une santion finale; la mort, une mort violente et spectaculaire*
Etudiez la théorie d´EFFECT BASED OPERATION.. et revenez partager avec nous vos réflexions*
Musavuli
says:Ghost, l’option militaire a toujours montré ses limites. Par ailleurs, moralement, je me demande pourquoi défendre l’idée qu’il faut continuer de tuer ces populations qui ne demandent qu’à rentrer dans leur pays. Sachant que le plus important pour la nation rwandaise n’est pas la victoire des uns sur les autres, mais bien la réconciliation entre les différentes composantes, il faut, comme je dis dans l’article, activer, en plus de la dissuasion militaire, d’autres volets (politiques, diplomatiques, judiciaires).
Troll
says:Mr MUSAVULI
La reconciliation rwandaise ne peut figurer en tête de la liste des options sur la sécurité des congolais. Nous sommes un peu surpris de cette « morale » dont vous parlez ici.
La RDC a dèjà payée assez en vie humaine…et va continuer á voir ses citoyens être victimes du terrorisme rwandais.
Après un long sejour en Europe, nous avons appris une chose importante: même les pays « neutres » comme la Suisse, la Finlande, la Suède ou l´Autriche ne peuvent jamais laisser des groupes terroristes venir massacrer leur peuples. Tous ces pays neutres possedent des capacités militaires respectables et ne vont jamais hésiter de repondre avec les armes en cas d´agression*
Mr Musavuli, nous ne partageons pas cette approche « pacificiste » après autant des morts chez nous au Congo. Pire, nous ne voyons pas un parti politique gagner les élections et diriger le Congo s´il ne possede qu´une approche politique ou diplomatique*
Le plus grand enseignement provient de la Russie et des USA.. Ces deux pays se reservent toujours une réponse militaire respectable en cas d´agression* La RDC si vaste ne peut reposer la survie de ses citoyens avec la diplomatie, la justice ou la politique*
La question de l´insécurité sur le territoire congolais sera au centre des débats et programmes politiques l´an prochain* Le conflit rwandais sur le territoire congolais n´a pour réponse qu´une politique de défense agressive capable de dissuarder toutes les factions rwandaises de transferer leurs guerres au Congo*
Combien des membres des FDLR trouve-t-on en prison au Congo? Combien des plaintes contre les FDLR trouve-t-on devant la CPI? La RFA est l´unique exception où un jugement a recement envoyé des leaders des FDLR en prison*
Pour les congolais victimes des exactions et des crimes, liquider systematiquement les leaders des FDLR est de loin la solution preferable á la « diplomatie » ou á la justice*
L´option militaire n´a pas encore été appliquée au Kivu. La seule fois que cette option a été appliquée face au M23, la question a été reglée en moins d´un mois*
Effect Based Operation avec l´élimination ciblée des leaders politiques et militaires des FDLR ou toute autre milice étrangère au Congo est une approche que les leaders politiques congolais vont aborder avec attention* La vie de notre peuple n´a pas de prix et défendre l´existence de notre peuple n´est pas une question morale* Au contraire un devoir incontournable*
Kandolo
says:Moi je suis tout à fait d’accord avec Troll et je dirais meme que l’EBO devrait être envisagée et élargie au délà de nos frontières contre toutes les tetes commanditaires des atrocités dans notre pays sans exception. C’est possible; mais il faut une classe politique visionnaire et engagée! Comme Troll l’a fait remarqué, la guerre contre le M23 est un précedent qui montre qu’avec un minimum de motivation, il y a moyen que cette armée fasse des exploits! Un grand état comme le Congo doit avoir une politique sécuritaire et de défense que je dirais meme « agressive » afin d’annihiler toutes velléités de nos voisins et gardons toujours à l’esprit que nous sommes entourés de 9 voisins et ça peut venir de partout.
Musavuli
says:Chers Troll et Kandolo, voici ce que j’écris au sujet de l’option militaire : « Sur le plan militaire, les FDLR ne représentent, à ce jour, qu’une force de 1500 individus au maximum face à une armée congolaise forte de 140 mille soldats, appuyée par 20 mille casques bleus et 3 mille commandos de la brigade d’intervention de la MONUSCO. Au vu d’une telle armada, avec un rapport de forces largement en défaveur des FDLR, il faut bien reconnaître que la persistance de la présence des FDLR sur le sol congolais est sciemment entretenue ».
Rassurez-vous, je ne suis pas un pacifiste (au sens d’un homme qui croit que tous les problèmes se règlent uniquement par des voies pacifiques). Sinon je ne serais pas chez DESC. Lorsque je parle des capacités militaires de la RDC face aux FDLR, j’interpelle les décideurs politiques qui ne veulent pas actionner l’option militaire pour forcer les parties en présence (Rwanda et FDLR) à accepter de libérer notre territoire national. Je précise enfin que seul un gouvernement responsable à Kinshasa s’attaquera de façon crédible aux FDLR, mais aussi aux prétentions expansionnistes du Rwanda voisin qui se sert du prétexte FDLR pour continuer à violer la souveraineté de notre pays.