Initialement publié dans e-activist.com
Il faut arrêter ce chef de guerre et ses commandants responsables d’exactions, et enquêter sur leurs soutiens au sein de l’armée.
(Goma, le 20 octobre 2020) – Les autorités congolaises n’ont toujours pas arrêté un chef rebelle recherché pour nombre de crimes en vertu d’un mandat d’arrêt émis en juin 2019, alors même que ses forces ont continué à commettre des meurtres, des viols, à extorquer de l’argent, et à pratiquer l’esclavage sexuel et le recrutement forcé d’enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 7 juin 2019, les autorités judiciaires congolaises ont émis un mandat d’arrêt contre le chef de milice Guidon Shimiray Mwissa (communément appelé Guidon), pour participation à un mouvement insurrectionnel, recrutement d’enfants soldats et crimes contre l’humanité par viol dans l’est de la République démocratique du Congo. Les autorités n’ont pas non plus fourni d’assistance adéquate aux survivantes de violences sexuelles. Les autorités congolaises devraient mettre en œuvre le mandat d’arrêt et traduire en justice les officiers de l’armée nationale qui l’ont soutenu.
« Le mandat d’arrêt délivré en 2019 n’a pas empêché Guidon de commettre d’horribles exactions contre des civils dans les zones qu’il contrôle », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo à Human Rights Watch. « Les individus qui le soutiennent au sein de l’armée congolaise devraient faire l’objet d’une enquête et de poursuites judiciaires pour s’être appuyés sur une milice responsable d’abus. »
Guidon commande une faction du Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R) qui, jusqu’à sa scission en juillet 2020, contrôlait davantage de territoire que tous les autres groupes armés actifs dans l’est de la RD Congo. De fait, une large part des territoires de Walikale, Lubero, Masisi et Rutshuru, dans le Nord Kivu – soit une zone à peu près aussi vaste que le Rwanda voisin – était sous son contrôle administratif. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de répertorier la moindre tentative d’arrêter Guidon de la part des autorités congolaises ou des forces de maintien de la paix des Nations Unies. Au contraire, des preuves attestent que des éléments de l’armée congolaise ont collaboré avec le NDC-R. Toutefois, depuis que le groupe s’est scindé en deux factions en juillet, les troupes congolaises ont effectué des opérations militaires contre les forces de Guidon et affirment qu’elles cherchent à l’arrêter.
Entre janvier 2016 et septembre 2020, Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 100 personnes, parmi lesquelles des victimes et des témoins d’attaques perpétrées dans les quatre territoires, d’anciens enfants soldats, des sources au sein des services de sécurité congolais, des membres du personnel de l’ONU et des activistes locaux. Human Rights Watch a également analysé et authentifié bon nombre de séquences filmées par des résidents locaux avec des caméras non-divulguées, montrant des abus perpétrés par les miliciens du NDC-R et prouvant l’existence d’une collaboration entre l’armée congolaise et le groupe armé. Étant donné le caractère généralisé des abus commis et les zones reculées dans lesquelles le NDC-R opère, cette recherche ne couvre seulement qu’une fraction des abus commis.
Depuis 2014, les forces du NDC-R ont tué des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans ces quatre territoires, pour la plupart à coups de machette ou par balles. Lors de ces attaques, les combattants ont pillé et incendié des habitations et torturé des hommes et des femmes avec des couteaux et des machettes, selon témoins et victimes, dont d’anciens enfants soldats.
En janvier, des hommes du NDC-R ont détenu une douzaine de personnes dans une bananeraie du territoire de Rutshuru. « [Les miliciens] nous ont fait asseoir ensemble et ont commencé à nous taillader à coups de machette », a affirmé un garçon de 17 ans. Au moins deux hommes ont été tués.
Les combattants du NDC-R ont également commis des violences sexuelles généralisées contre des femmes et des filles, qu’il s’agisse de viols ou d’esclavage sexuel. Des femmes et des filles ont décrit avoir été violées, parfois en même temps qu’elles étaient battues, poignardées ou ligotées. Certaines survivantes ont déclaré avoir été violées à maintes reprises, parfois par plusieurs miliciens.
Human Rights Watch a documenté 15 cas de viol, sur 11 femmes et 4 filles, et a entendu des récits fiables de nombreux autres cas. Une fille de 14 ans du territoire de Masisi a raconté avoir été violée par un combattant du NDC-R alors qu’elle revenait des champs, début 2020 : « Il m’a saisie et m’a forcée à m’allonger sur le sol. Il m’a dit: ‘Si tu refuses, je te tire une balle dans le ventre.’ »
Les combattants du NDC-R ont également recruté de force de nombreux jeunes hommes et garçons et ont imposé des travaux forcés et des « impôts » illégaux aux habitants des zones sous leur contrôle. Les personnes qui n’obéissaient pas ou ne payaient pas ont été enlevées, sévèrement battues et maltraitées alors qu’elles étaient détenues dans des fosses souterraines des bases du NDC-R. Depuis l’émission du mandat d’arrêt contre Guidon, le Baromètre sécuritaire du Kivu – un projet conjoint de Human Rights Watch et du Groupe d’étude sur le Congo basé à l’Université de New York – a recensé une centaine de civils tués par ses forces.
Guidon, 40 ans, est un Nyanga originaire du territoire de Walikale, et ancien militaire de l’armée nationale congolaise qui a déserté en 2007 pour entrer en rébellion. Peu après, il a rejoint le groupe Nduma Defense of Congo (NDC) commandé par Ntabo Ntaberi Sheka. En 2014, Guidon a rompu avec Sheka et a créé le groupe NDC-R. Sheka s’est rendu aux autorités en 2017 et a été inculpé de viols massifs, de meurtres, de pillages, de recrutement d’enfants soldats et de tortures. Son procès s’est déroulé devant un tribunal militaire de Goma qui doit désormais rendre son verdict. Human Rights Watch a, par le passé, documenté de graves abus commis par les forces de Sheka.
En janvier 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a ajouté Guidon à la liste des sanctions onusiennes, gelant ses avoirs et lui imposant une interdiction de voyager. Des rapports du Groupe d’Experts de l’ONU et du Groupe d’étude sur le Congo, ainsi que des vidéos obtenues par Human Rights Watch, ont montré que des unités de l’armée congolaise ont continué à soutenir et à collaborer avec le NDC-R, de la planification d’opérations militaires à la fourniture au groupe d’armes et de munitions.
Un porte-parole de l’armée congolaise pour le Nord Kivu a affirmé par téléphone à Human Rights Watch, en octobre, que les troupes gouvernementales « cherchaient activement à arrêter Guidon. » « Nous voulons mettre la main sur lui vivant pour le remettre entre les mains de la justice », a affirmé le major Guillaume Njike Kaiko. « Nous n’avons pas vu de preuves, mais s’il s’avère que des officiers [de l’armée] ont collaboré avec le groupe armé [NDC-R], ils seront déférés devant les autorités compétentes car c’est aller à l’encontre de la mission de l’armée. »
Le gouvernement congolais devrait intensifier ses efforts pour arrêter Guidon et mettre fin à sa capacité de commettre des exactions, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient exhorter, publiquement et en privé, l’administration du président Félix Tshisekedi à agir.
Aux termes de l’article 190 de la constitution congolaise, soutenir des groupes armés non étatiques relève de la haute trahison. En février 2013 à Addis Abeba, 11 pays africains ont signé l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RD Congo et la région, dans lequel ils s’engagent à ne pas tolérer ni fournir un soutien quelconque à des groupes armés. Les autorités congolaises devraient enquêter sur les sources de soutien aux forces abusives du NDC-R – quelle que soit la faction – et agir pour y mettre un terme. Les commandants militaires impliqués devraient être suspendus et sanctionnés ou poursuivis de manière appropriée.
« Des commandants congolais ont aidé les rebelles de Guidon à contrôler de vastes portions de territoire, alors même qu’ils tuent des civils, violent des femmes et des filles et causent des déplacements massifs de populations », a affirmé Thomas Fessy. « Les autorités congolaises devraient non seulement stopper Guidon, mais aussi tous les officiers de l’armée qui lui ont permis de se soustraire à la justice. »
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À New York, Ida Sawyer (anglais, français) : +1-917-213-0939 (portable) ; ou sawyeri@hrw.org. Suivez-la sur Twitter : @ida_sawyer