Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 29-05-2015 03:55
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RD Congo – massacres : Obama et un incroyable Etat failli – Boniface Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

RD Congo – massacres : Obama et un incroyable Etat failli

Boniface Musavuli

Un groupe de députés congolais a adressé une lettre ouverte à Barack Obama, le président américain, pour le prier de s’impliquer dans l’affaire des massacres de Beni. Pour rappel, depuis octobre 2014, la population du Territoire de Beni, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, est la cible de massacres à répétition que ni le gouvernement, ni l’armée, ni la police, ni même la Monusco (Mission des Nations Unies au Congo) ne semblent en mesure d’arrêter. Les massacres se déroulent pourtant dans un secteur sous contrôle de l’armée et sur un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Mieux encore, en face, c’est un groupe d’assaillants armés de couteaux, de haches, de marteaux, de morceaux de bois. Mais l’Etat congolais et la Monusco n’arrivent pas à prendre le dessus. Il faut donc appeler le président américain à l’aide, la seule personne supposée encore être capable de faire quelque chose.

Hillary en RDC

Si la démarche des députés a quelque chose de désespéré, elle est incontestablement l’expression d’un Etat assez failli pour que ses dirigeants puissent être considérés comme démissionnaires. Ils n’assument pas la charge pour laquelle ils occupent leurs fonctions.

Beni ou un incroyable échec

Les massacres de Beni sont des tueries qui se déroulent dans un rayon d’une cinquantaine de Kilomètres entre la ville de Beni et la frontière ougandaise. C’est un secteur où sont déployés plus de six mille militaires FARDC (armée gouvernementale) et plusieurs centaine de casques bleus. Le groupe accusé de commettre ces massacres, les ADF, ne compte que quelques dizaines d’individus[1] selon les experts de l’ONU. Ils commettent les massacres à quelques dizaines de mètres des positions de l’armée ou de casques bleus et repartent sans que les soldats, congolais et onusiens, ne soient en mesure d’en capturer un seul. Il y a des massacres qui durent plusieurs heures. Par exemple, un massacre, à quelques kilomètres seulement de la ville de Beni, a pu durer tout un après-midi. Les massacreurs utilisent des machettes, des haches, des couteaux, des marteaux. Donc, des armes tout à fait rudimentaires en cas de face-à-face avec une armée moderne.

L’armée congolaise est une force de 140 mille soldats à laquelle il faut associer la police nationale forte de 107 mille hommes[2]. A ce dispositif national il faut ajouter les contingents de la Monusco (19.815 casques bleus) dont une brigade d’intervention, comprenant trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une force spéciale et une compagnie de reconnaissance.

Portrait d’un Etat failli

Derrière ce dispositif militaire opèrent des hommes et des femmes dont les fonctions, les charges et les missions sont la protection de la population, de ses biens et du territoire national. D’abord le président Joseph Kabila, commandant suprême des armées aux termes de l’article 83 de la Constitution, et qui a fait campagne aux présidentielles de 2006 et de 2011 sur la promesse de protéger la population et le territoire national. Aujourd’hui, les députés de son pays (de la majorité et de l’opposition) s’adressent à un président étranger, Obama, pour lui demander de ramener la paix au Congo, alors que le président congolais est toujours en fonction (le mandat de Kabila prend fin en décembre 2016). Ensuite un gouvernement, le gouvernement congolais. C’est un gouvernement composé de 48 membres (un Premier ministre, 3 vice-Premiers ministres, 2 ministres d’Etat, 32 ministres et 10 vice-ministres). Le Premier ministre s’appelle Augustin Matata Ponyo. Le ministre de l’Intérieur et numéro 2 du gouvernement s’appelle Evariste Boshab. Le ministre de la Défense s’appelle Aimé Ngoy.

A côté du gouvernement, il y a au Congo un Etat-major général de l’armée. Il a à sa tête le général Didier Etumba, un diplômé de l’Ecole royale militaire (ERM) de Belgique[3]. A Beni-même, l’opération contre le groupe armé de massacreurs (opération Sokola) est dirigée par trois généraux : le général de brigade Akili Muhindo, dit « général Mundos », officier de la Garde républicaine[4] ; le général-major Léon Mushale, commandant de la 3ème zone de défense ; et le général de brigade Fall Sikabwe, commandant de la 34ème Région militaire, en remplacement du général de brigade Emmanuel Lombe[5]. Il y a, bien entendu, à la tête de la Province du Nord-Kivu, un gouvernement provincial avec à sa tête le gouverneur Julien Paluku, qui se trouve être originaire de la partie nord de la province où, justement, se déroulent les massacres. Le président Kabila a aussi une police nationale. Son numéro 1 s’appelle général Charles Bisengimana et son numéro 2 est un illustre personnage, bien connu au Congo notamment en matière de répression. Il s’appelle général Célestin Kanyama, connu sous le pseudinyme « Esprit de mort ». Kabila a aussi un service de renseignement, très redouté par la population et les opposants au régime. Il s’appelle ANR (Agence nationale de renseignement), que dirige M. Kalev Mutond considéré comme le numéro 2 du régime.

ONU, Obama : aider comment et jusqu’où ?

A côté des autorités nationales, le Congo « bénéficie » d’une impressionnante force des Nations Unies avec à sa tête le diplomate allemand Martin Kobler, ancien Représentant spécial de l’ONU en Irak et en Afghanistan. Il a à ses côtés un chef militaire, le général brésilien Carlos Dos Santos Cruz, ancien commandant de la force de l’ONU en Haïti. Cette mission de l’ONU au Congo dure depuis 15 ans. Avec un budget annuel de 1.398.475.300 dollars US et un effectif – civil et militaire – total de 25.175 personnes, la Monusco est la plus grande et la plus coûteuse mission de maintien de la paix au monde. Mais il ne faut pas attendre d’une force étrangère qu’elle se substitue aux autorités d’un pays. Encore moins lorsque celles-ci sont démissionnaires, défaillantes voire complices des catastrophes qui frappent leurs populations[6]. Autrement dit, dans un Etat à peu près normal, les députés congolais auraient exigé et obtenu des explications sur les défaillances de l’armée, de la police, des services de renseignement, des ministres, voire du président de la République. Ils auraient obtenu la démission des ministres défaillants et des sanctions contre des commandants militaires fautifs. Dans un Etat à peu près normal. Le Congo n’y est pas encore… C’est peut-être ce qu’on devrait demander à Barack Obama. Aider les Congolais à bâtir un Etat à peu près normal. Car à supposer que le président américain reçoive l’appel des députés congolais, qu’il trouve, dans son agenda surchargé, le temps de s’en occuper ; qu’il parvienne à assurer le suivi pour que ces tueries ne se reproduisent plus. Il faudra bien qu’il se charge d’autres problèmes du Congo : l’armée, la police, la pauvreté, les élections, la corruption, la dette,… Il n’y arrivera pas, même s’il le voulait. Et même s’il y arrivait, il ne le ferait pas tout le temps.

La solution à la détresse exprimée par les députés congolais, à travers leur lettre à Obama, se trouve dans une sagesse chinoise : « si tu me donnes un poisson, je mangerai un jour. Si tu m’apprends à pêcher, je mangerai tous les jours ». Un peuple n’est pas supposé être aidé au coup par coup. Il lui faut un Etat qui se charge durablement de ses problèmes en interne. Un Etat animé par des gens responsables. De toute évidence, un Etat en remplacement de l’Etat actuel formé de démissionnaires, accrochés à leurs fonctions mais qui, tragiquement, ne s’acquittent pas des missions pour lesquels ils occupent ces fonctions. Reste à savoir si Obama est la bonne personne pour un chantier de cette nature.

Boniface MUSAVULI

[1] Selon les experts de l’ONU, l’effectif des ADF serait de 150 à 200 membres : une trentaine de soldats, 30 à 40 commandants (qui ne participent pas aux combats), plus des femmes et des enfants. Les soldats n’auraient ni armes ni munitions et seraient privés de sources de ravitaillement et d’équipement. Cf. Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts sur la RD Congo du 12 janvier 2015, § 14 p. 7.

[2] JJ. Wondo, « Tableau comparatif des données militaires des pays régionaux et limitrophes de la RD Congo », afridesk.org, 21 août 2013

[3] Pour en savoir davantage sur « qui est qui » (who is who) dans la hiérarchie militaire au Congo, lire JJ. Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Bilan – Autopsie de la défaite du M23 – Prospective, Ed. www.afridesk.org, pp. 173 – 207.

[4] La Garde républicaine (GR) est l’unité en charge de la sécurité du président Kabila. C’est l’unité la plus équipée et la plus choyée par l’Etat et la plus écoutée. Elle compte, selon les sources, entre 10 mille et 18.700 soldats. JJ. Wondo, Ibid., p. 105.

[5] JJ. Wondo, Ibid., p. 59.

[6] Dans un article, l’analyste des questions militaires Jean-Jacques Wondo estime que les massacres de Beni sont fomentés par le président Kabila et son bras droit sur place, le « général Mundos ». Cf. JJ Wondo, « Joseph Kabila et le Général « Mundos » créent-ils des faux ADF/Nalu ? », afridesk.org, 15 mai 2015.

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5 Comments on “RD Congo – massacres : Obama et un incroyable Etat failli – Boniface Musavuli”

  • lol

    says:

    ¨LE GENERAL KANYAMA N EST PAS LE NUMERO DEUX DE LA POLICE¨.

    Vous dites ¨Le président Kabila a aussi une police nationale. Son numéro 1 s’appelle général Charles Bisengimana et son numéro 2 est un illustre personnage, bien connu au Congo notamment en matière de répression. Il s’appelle général Célestin Kanyama, connu sous le pseudinyme « Esprit de mort ». – See more at: http://afridesk.org/rd-congo-massacres-obama-et-un-incroyable-etat-failli-boniface-musavuli/#sthash.f8butKRK.dpuf

  • Cher Boniface, votre analyse est magnifique. Dans mon texte « Dix raisons pour le départ de Kabila » sur DESC a aussi abordé d’une autre façon cette question de faillite de l’état dans ce même cadre. Il y a une chose forte que vous avez ajoutée ici : la complicité. Beaucoup ont déjà compris que les troubles à l’Est sont entretenus par le pouvoir. Il m’a été dit la même chose au département d’état des américains. Je disais:

    « 2. De la défense et la sécurité du pays

    Dans son discours d’investiture le 17 janvier 2001, c’est-à-dire il y a treize ans, le président Joseph Kabila dit ceci (texte traduit de l’anglais) : « Ensemble,- parlant de chers compatriotes-, sans exceptions, nous devons nous armer avec courage, détermination et esprit de sacrifice pour confronter et gagner les présents challenges qui sont à la fois nombreux et complexes ». Il poursuit, «parmi ces challenges, j’aimerais mentionner avant tout l’établissement de la paix et la consolidation de la cohésion nationale ». Il promet d’amener la paix par des voies militaires, politiques et diplomatiques et de préserver les attributs qualifiés par lui-même de la république à savoir l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité nationale.

    Par ailleurs dans son interview avec Mr Jeffrey Gettleman publié le 3 avril 2009 (New York Times), à la question de savoir le type d’obligations et promesses au peuple congolais, il répond : l’obligation de protéger la population.

    Si l’on ne peut pas douter de son engagement d’avoir accepté le devoir d’accéder à la magistrature suprême et de remplir cette obligation avec ‘responsabilité, fidélité et amour de la mère-patrie’ comme il a souligné lui-même alors , une seule lecture de l’actualité du Congo en ce seul jour du 16/10/2014, est une indication claire que Mr Joseph Kabila, malgré quelques succès indéniables, est entrain d’échouer dramatiquement dans l’exercice des responsabilités liées à la fonction de chef de l’état de la RDC. «It is not good enough Mr President ! », dirait un opposant au parlement britannique. Sa promesse de ‘protéger la population’ est encore élusive. Loin de nous l’idée de prétendre que sa tache est facile. Nous faisons seulement un constat d’échec sur ce plan basé sur les faits.

    Une lecture pour référence de la Radio Okapi on-line sur leurs pages telles que publiées en ce jour de 16/10/2014 comprends ces informations :

    -‘Nord-Kivu : 27 morts dans une nouvelle incursion armée à Beni. La société civile de Beni attribue ces attaques aux rebelles ougandais des ADF’. Nous en avons vu les cadavres sur différents medias.

    – ‘Sud-Kivu, recrudescence de l’inscrite à Kiliba et ses environs’.

    – ‘Les habitants de Mutarule qui ont trouvé refuge à Sange et ses environs à cause de l’insécurité refusent de retourner dans leur localité’.

    – ‘trois fosses communes ont été découvertes à Nyakabila, un village situé à environ 35 km au sud de Beni (province oriental). Elles contiendraient trente-et-un corps de personnes tuées par des miliciens de la FRPI de Cobra Matata’.

    Et la série macabre continue.

    Ce sont ici des faits qui traduisent de façon indéniable la faillite de régime dans les engagements déjà pris en 2001 de restaurer l’intégrité territoriale du pays et la protection des populations. Si treize années de pouvoir n’ont pas suffit au régime de remplir ces engagements pris solennellement, 2016 est l’année de passer le pouvoir à une personne qui a la prétention de faire mieux même au sein du PPRD.

    – See more at: http://afridesk.org/dix-raisons-justifiant-le-depart-du-president-joseph-kabila-en-2016-dr-florent-pumu/#sthash.VFBe7HBX.dpuf
    Thank you Dear Fellow. Keep the flag high.

  • Musavuli

    says:

    « Il y a une chose forte que vous avez ajoutée ici : la complicité. Beaucoup ont déjà compris que les troubles à l’Est sont entretenus par le pouvoir. Il m’a été dit la même chose au département d’état des américains ». Ça, Dr Pumu, c’est plus qu’une évidence. C’est quasiment une certitude. Oui, la fonction présidentielle est lourde, mais lorsqu’un président travaille contre la sécurité de la population qu’il est supposé protéger, on se retrouve devant des situations aussi invraisemblables que celles qui se passent à Beni. Les témoignages de la population de Beni sont terribles. Les massacreurs viennent des bataillons de l’armée, massacrent, puis retournent dans leurs bataillons. Ensuite les autorités arrivent et demandent à la population de faire confiance à l’armée… la même armée qui envoie les massacreurs. Un Etat qui fait des choses aussi atroces, à sa propre population, n’est pas un Etat qui a échoué. C’est un Etat criminel. Ceux dont on doit considérer qu’ils ont échoué ce sont les hommes et les femmes qui servent cet Etat-là. Ils ont échoué de protéger leurs propres frères et sœurs massacrés par l’Etat au service duquel ils travaillent. C’est pourquoi j’ai tenu à citer leurs noms pour que l’histoire se souvienne de ces enfants indignes du peuple congolais.

  • TSHIBANGU

    says:

    Il faut appeler un chat un chat ! Cette belle analyse est riche intellectuellement ! Mais il faut dire au monde que nous sommes ici face à un génocide avec comme objectif la substitution de la population autochtone par une population allogène en vue d’ une balkanisation programmée de l’ Est du Congo ! La complicité est évidente : les rapports divers et variés de l’ ONU ont dénoncé cette complicité à travers des officiers dont on ne sait s’ ils sont réellement congolais ou pas ! Les identités de ces officiers ont été dénoncées , ils sont connus de tous ! La MONUSCO avait même demandé leurs remplacements dans cette région ! Un président Kabila qui reste invisible et sourd à tant des souffrances n’ est-il pas complice de ces massacres ! Dans aucun pays au mode une telle situation ne peut perdurer ! C’ est une spécificité congolaise ! Tout est fait pour intérioriser la médiocrité chez les Congolais à travers la télé nationale RTNC et des télés religieuses dont l’ objectif est de drainer le plus de monde en vue ramasser le plus d’ argent ! Tout ceci consolide l’ appellation qualifiant les Congolais de BMW=Bière Musique et Femmes ! Que fait on à Kinshasa pendant qu’ on massacre à Béni ? Danse, Musique et Femmes ! La boucle est bouclée !

  • mika tresor

    says:

    Très bonnes analyse, emprunt de professionnalisme,et d,une visions claire,bravo Boniface musavuli,cet fois tu ma vraivraiment convaincu et éclairé.

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