RD Congo – Félix Tshisekedi : La victoire arrangée et l’embarras politique ?
Par Boniface MUSAVULI
Au Congo-Kinshasa, le candidat de l’opposition Félix Tshisekedi a été proclamé « Président élu » par la Commission électorale nationale le 10 janvier 2019 à l’issue de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Cette victoire intervient une semaine après la communication aux représentants diplomatiques accrédités à Kinshasa du rapport des évêques catholiques, dont la presse belge et américaine avait conclu que le vainqueur de l’élection présidentielle était plutôt l’opposant Martin Fayulu[1].
Les coulisses d’un hold-up électoral
Des tractations de coulisse avaient alors été entreprises par le camp Kabila qui s’était rendu compte que le candidat du pouvoir, Ramazani Shadary, était d’un score trop faible pour être imposé comme Président élu, ce qui risquait de provoquer un soulèvement populaire, en plus d’une pression diplomatique convergeant sur le régime. La seule alternative qui s’imposait à Joseph Kabila, c’était de « couper la poire en deux » : sacrifier son dauphin Shadary et priver l’opposant radical, Fayulu, de l’accession au fauteuil présidentiel. Félix Tshisekedi a saisi la balle au bond et s’est fendu en déclarations élogieuses pour Kabila jusqu’à promettre de tirer un trait sur les crimes de la kabilie ; autrement dit, garantir la totale impunité à l’ex-président, à qui, de plus, hommages devront être rendus à l’avenir[2]. Marché conclu, pour Kabila !
Plusieurs sources proches de Félix Tshisekedi et de l’entourage de Joseph Kabila ainsi que des diplomates à Kinshasa, en contact avec les cadres de l’UDPS et de l’UNC, ont fourni à DESC les détails du contenu concret de ces tractations.

Le processus d’arrimage de l’UDPS sur la kabilie : trois ans de tractations
Si les contacts entre l’UDPS et le régime de Kabila remontent à 2015, c’est au début de 2018 qu’ils ont atteint la vitesse de croisière avec l’arrivée surprise de Claude Ekolomba Ibalanky dans l’entourage du président de l’UDPS. Cet ancien représentant du PPRD en Afrique australe, catapulté mystérieusement en avril 2018 comme Conseiller spécial de Félix Tshisekedi, fraîchement élu président du parti le 31 mars 2018, le marque désormais à la culotte. On l’a vu à ses côtés en novembre 2018 lors de la rencontre avec le président Ougandais, Yoweri Museveni, tout comme lors des négociations de Genève et de Nairobi. Plusieurs recherches approfondies menées par Jean-Jacques Wondo, responsable de DESC, et plusieurs enquêteurs africains et internationaux sur les activités mafieuses du clan Kabila en Afrique du Sud convergent vers Claude Ekolomba Ibalanky. Ce dernier, selon des documents comptables rassemblés par Jean-Jacques Wondo, est à la tête de pas moins de 30 sociétés écran[3] et des sociétés offshores, presque toutes aux noms farfelus, établies en Afrique du Sud et appartenant au clan direct de la famille biologique de Joseph Kabila. On peut citer par exemple: Bantu Networks, Bantu Exploration, Bantour, Coralinx, Congas Commodities International, Invest in Congo. Bantuvest Development Projects, Mega Circle Congo, Dimona Capital, Dimona Group, etc. M. Ekolomba Ibalanky est très proche du milliardaire sud-africain Patrick Motsepe dont Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, est le beau-frère, précise Jean-Jacques Wondo. Outre Claude Ekolomba Ibalanky, François Mwamba Tshishimbi, ancien Secrétaire général du MLC de Bemba débauché par Kabila puis reconverti mystérieusement à l’UDPS, et Fortuna Biselele, connu sous l’acronyme de BiFor, ont été les artisans du rapprochement entre Kabila et Tshisekedi. BiFor, dont DESC suit les activités nébuleuses depuis quelques années, a un réseau de lobbying influent au Rwanda, en Ouganda et en Afrique du Sud dans les milieux proches des frères Gupta et de Jacob Zuma. Quant à Vital Kamerhe, c’est depuis ses négociations avec le pouvoir en septembre 2016 qu’il s’est rapproché davantage de son ancien camp politique dont il éprouve des difficultés à rompre le cordon ombilical. Sa collusion avec Jaynet Kabila, la demie-sœur du président sortant, n’est plus qu’un secret de Polichinelle dans les hautes sphères politiques et diplomatiques de Kinshasa.

Victoire négociée, résultats contestés
Plusieurs témoignages affirment que des tripatouillages des résultats ont alors été entrepris au sein de la Commission nationale électorale présidée par Corneille Nangaa, un fidèle du président Joseph Kabila. Internet a été coupé sur décision du Gouvernement, et les Congolais se sont retrouvés dans une « obscurité numérique informationnelle », ne sachant pas à quelle sauce ils étaient en train d’être mangés. Une semaine après les scrutins, la cérémonie de proclamation des résultats était organisée. Mais à quelques heures de la proclamation des résultats, les représentants de l’opposant Martin Fayulu à la Commission électorale ont claqué la porte pour ne pas avoir à endosser cette imposture électorale[4]. Félix Tshisekedi a ainsi été proclamé Président élu.
Sur le plan politique, à première vue, Joseph Kabila peut se réjouir d’avoir divisé l’opposition, et les Congolais dans une certaine mesure, en les mettant devant une situation kafkaïenne. Si les soutiens de Martin Fayulu contestent avec détermination les résultats, c’est une crise post-électorale dont le principal bénéficiaire ne devrait être que Joseph Kabila, qui se maintiendrait au pouvoir, notamment dans le scénario où la Cour constitutionnelle déciderait d’annuler les élections pour un ensemble de motifs tout à fait justifiés. S’ils avalisent les résultats, ils rentrent dans la voie de l’inconnu, parce que pas grand-monde n’est au courant d’autres aspects détaillés des accords effectifs secrets conclus entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi.
Au-delà des soutiens de Martin Fayulu, l’Eglise catholique représentée par la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo). Elle avait déployé 40 mille observateurs électoraux à travers le pays et recueilli les données considérées comme les plus fiables. Dans sa conférence de presse du janvier 2019, le Comité Permanent de la CENCO a déclaré que « les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la CENI ne correspondent pas aux données collectées par (sa) mission d’observation à partir des bureaux de vote et de dépouillement« . Elle avait promis de les confronter avec celles de la CENI en cas de nécessité. C’est d’ailleurs, notamment, sur la base de son rapport préliminaire que les diplomates étrangers, la presse belge et la presse américaine avaient annoncé le nom de Martin Fayulu. C’est toujours sur la base des mêmes données que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré le jeudi 10 janvier que les résultats de l’élection présidentielle en République Démocratique du Congo n’étaient « pas conformes » aux attentes et que l’opposant Martin Fayulu en était « a priori » le vainqueur. Son homologue belge, Didier Reynders, a quant à lui émis de sérieux doutes sur la crédibilité de ces résultats. La Commission européenne a dit « prendre note des résultats et du fait qu’ils sont contestés ». Les États-Unis vont plus loin et exigent de la CENI « la clarification des questions » concernant le dépouillement du scrutin présidentiel. Le gouvernement canadien s’attend à ce que « le choix exprimé par le peuple congolais à cette occasion soit respecté. » L’Union européenne recommande à la CENI de publier les procès-verbaux de chaque centre local de compilation des résultats des élections du 30 décembre. Cela est important pour la crédibilité du processus et la sincérité du scrutin, conformément à la loi électorale, selon un communiqué de l’UE publié ce vendredi 11 janvier. Il est à relever que toutes ces déclarations diplomatiques, contestant ouvertement les résultats partiels publiés par la CENI, renforcent non seulement la position de la CENCO, mais aussi la déclaration de Martin Fayulu qui refuse catégoriquement de reconnaître sa défaite présumée et parle d’un hold-up électoral.
Le calme avant la tempête ?
Si on peut observer une accalmie générale un peu partout dans le pays, malgré une dizaine de morts à Maï-Ndombe et à Kinshasa, les prochains jours risquent de plonger le pays vers l’inconnu, si la situation reste en l’état et surtout si ces tripatouillages s’étendent aux résultats des élections provinciales et législatives. Les forces américaines et françaises déployées au large des côtes gabonaises ont fait progression vers les côtes de la république du Congo. La Belgique a également envoyé un contingent de sa nouvelle Brigade intégrée motorisée à titre préventif. Une source sécuritaire africaine signale à DESC la possibilité d’une intervention de l’armée angolaise en RDC en cas de persistance de la crise post-électorale.
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit à nouveau ce vendredi 11 janvier sur la crise post-électorale en RDC. Cette réunion se tient à la demande de la France après un report sollicité par l’Afrique du Sud. L’issue de cette rencontre sera déterminante sur les plans diplomatique et politique. Que vont faire Martin Fayulu et ses deux principaux alliés, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, ainsi que les organisations régionales africaines et la communauté internationale ? Que vont faire l’Eglise catholique et la société civile congolaise ? Que feront la CENI et les autorités congolaises sortantes ? Mais surtout quelle posture politique prendra Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président proclamé par la CENI, dans la gestion de cette crise ?… Il faut toujours garder à l’esprit le fait que les électeurs de Beni, Butembo et Yumbi n’ont pas voté le 30 décembre 2018.
Il est prévu qu’ils votent en mars 2019. Problème : si Tshisekedi est crédité officiellement de 7 051 013 voix et Martin Fayulu de 6 366 732 voix, l’écart entre les deux candidat n’est que de 684 281 voix, soit la moitié des électeurs des trois entités exclues du vote du 30 décembre 2018 pour des raisons contestées. Ces régions, qui comptent 1 256 177 électeurs, sont très majoritairement favorables à Martin Fayulu qui y a recueilli plus de 90% des voix selon les résultats d’une élection parallèle organisée par la population en signe de défi au pouvoir. Si ces électeurs sont effectivement appelés à voter en mars 2019, et s’ils s’expriment à peu près de la même façon, le fauteuil présidentiel devrait échapper à Félix Tshisekedi, ce qui exposerait le pays à une crise politique aux conséquences imprévisibles.
Boniface MUSAVULI , Coordonnateur DESC /Exclusivité DESC
Auteur des ouvrages :
– Les Génocides des Congolais – De Léopold II à Paul Kagame,
– Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes.
Avec les précieux apports de Jean-Jacques Wondo
Références :
[1] https://www.levif.be/actualite/international/rdc-martin-fayulu-serait-le-vainqueur-de-l-election-presidentielle-selon-l-eglise-catholique-congolaise/article-normal-1074997.html?cookie_check=1547095773.
[2] http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2019/01/06/la-main-tendue-de-felix-tshisekedi/.
[3] Une société écran est, pour faire simple, une société ayant une activité fictive, et créée dans le but de dissimuler, les activités et les flux financiers, de sociétés ayant, elles, une réelle activité. Ceci, à des fins d’optimisation fiscale, ou parfois de blanchiment d’argent.
[4] https://www.lesoir.be/199707/article/2019-01-09/rd-congo-un-parti-soutenant-martin-fayulu-quitte-la-commission-electorale?fbclid=IwAR1Ki3ZTzqF_L4-4h4akUGlswzTTFJdoywFvwHMe2CxoZTWbDAMmWCJIvic.