Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 21-11-2016 07:20
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RD Congo-Badibanga : Vers un État anticonstitutionnel – B. Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

RD Congo-Badibanga : Vers un État anticonstitutionnel

Par Boniface Musavuli
Les Congolais ont découvert, le 17 novembre 2016, le nom du nouveau Premier ministre en la personne de Samy Badibanga, député de la circonscription de Mont-Amba/Kinshasa. La nomination est intervenue trente-deux jours avant la fin du second et dernier mandat du président Kabila, et trente jours après la signature, au Camp Tshiatshi, d’un accord politique entre le pouvoir et une frange minoritaire de l’opposition. Sur la forme, l’acte de nomination intriguait par l’absence de signature du président de la République, comme pour tenir le nouvel hôte en piètre estime. C’était la première écharde dans le pied d’un gouvernement à venir, dont l’histoire retiendra qu’il fut ostensiblement dépourvu de toute forme de légitimité, devenant de fait, l’incarnation d’un « État anticonstitutionnel ». Né dans les méandres des conciliabules et des trahisons en tout genre, ce gouvernement serait une mise au défi d’un peuple dont le pouvoir en place attendrait la résignation face aux violations scandaleuses et répétées de sa Constitution.

Dans cette analyse, nous allons rappeler les fondements de la légitimité du Premier ministre, conformément à la Constitution, et la dérive amorcée par l’acte de nomination du nouveau Premier ministre. Il s’agit de ne pas laisser libre court à un discours insidieux qui voudrait que les arrangements politiques et les conciliabules se substituent désormais aux lois fondamentales, et que la marche amorcée vers un ordre anticonstitutionnel, c’est-à-dire la jungle[1], serait devenue une fatalité à laquelle nous devrions tous nous résigner.

Un Premier ministre sans bases de légitimité

Lorsqu’en décembre 2005, les Congolais adoptent la Constitution par référendum, ils ont passé des mois à débattre, et à identifier les responsables de leurs malheurs : les institutions du pays et les hommes au pouvoir. Ces derniers furent longtemps illégitimes et contestés au point que le pays fut plongé dans des guerres interminables et des souffrances indicibles. La « légitimité des institutions et de leurs animateurs » est ainsi le premier principe fondamental qui sera gravé dans le marbre de la nouvelle loi fondamentale[2]. La formule qui résume le mieux la Constitution de la RDC est que « plus jamais le pays ne sera entre les mains des dirigeants dont la légitimité est contestée ! » Mais onze ans seulement après le référendum, voici M. Samy Badibanga ! Un Premier ministre dont la légitimité, au regard de la Constitution, tient tout simplement du néant.

Pour rappel, l’article 78 de la Constitution dresse le profil du Premier ministre en tant que personnalité dont le pouvoir repose sur plusieurs bases de légitimité[3]. Il doit être issu de la coalition majoritaire au parlement, ce qui n’est pas le cas du nouveau Premier ministre[4]. Ensuite, il doit être nommé conformément à la Constitution. C’est-à-dire une ordonnance dûment signée par le Président de la République à qui la Constitution impose de choisir uniquement dans les rangs de la majorité parlementaire[5]. La nomination d’un opposant est un acte ouvertement anticonstitutionnel, ce qui signifie que le nouveau Premier ministre congolais commence ses fonctions dans une violation ostentatoire de la Constitution. Par ailleurs, il n’est pas vain de rappeler qu’au regard du contexte politique, cette nomination intervient dans une période où un président en fin de mandat n’est pas en situation d’engager la nation sur des sujets aussi graves qui affectent l’équilibre des institutions.

En effet, malgré une forme de sourde oreille, il faut rappeler que le 19 décembre 2016 est toujours la date à laquelle le président Kabila quitte le pouvoir conformément à la Constitution. L’accord politique du Camp Tshiatshi n’est pas supposé se substituer à la loi fondamentale. C’est un document qui a été signé par un groupe de partenaires politiques en dehors de tout cadre institutionnel. Ce texte n’est ni une loi[6], ni un décret[7], ni un accord international, et n’est pas publié au journal officiel. Il n’est pas supposé avoir force de loi et s’appliquer en tant que « norme juridique » sur l’ensemble des Congolais. Il n’est opposable qu’à ses seuls signataires. Un gouvernement ne saurait, sans froid aux yeux, revendiquer le droit d’exercer les pouvoirs régaliens, en s’appuyant sur un texte signé en dehors des institutions. Sauf dans un scénario de coup d’État. L’accord du 18 octobre n’offre donc au nouveau Premier ministre qu’une illusion de légitimité, face à la Constitution actuelle dont les Congolais continuent de revendiquer le respect dans toutes ses dispositions.

Mais il faut bien admettre qu’il en faudra beaucoup depuis que même la Cour constitutionnelle est devenue un acteur zélé de la marche vers un « ordre » affranchi des contraintes de la Constitution.

badibanga-samy

Une Constitution « trahie »

Tout ceci n’a pas pu se produire à l’insu de la plus haute institution du pays en charge de veiller au respect de la Constitution. La Cour constitutionnelle a vu venir la crise de légitimité et le basculement dans la « jungle », mais a laissé faire, au mieux. Au pire, elle a rendu des arrêts qui sont de nature à consacrer le triomphe d’un environnement conflictogène, qui, pourtant, la desservait, elle aussi. Puisqu’elle perdait le contrôle sur la conduite des institutions. Le juriste Jean-Bosco Kongolo rappelle les trois actes par lesquels la Cour aura activement œuvré pour le glissement vers cet ordre affranchi de la loi fondamentale[8].

Pour commencer, elle rend un arrêt contestable en septembre 2015[9], sur saisine de la Commission électorale nationale (CENI), une institution qui n’avait même pas qualité[10], comme pour annoncer sa servilité face aux « caprices » du pouvoir en place. En mai 2016, la Cour rend un deuxième arrêt aux termes duquel elle assure au président Kabila de rester en fonction si les élections ne sont pas organisées dans les délais constitutionnels[11]. Elle achève d’assurer le glissement en accordant à la CENI le droit de reporter la convocation et l’organisation des élections[12] à une date indéterminée. Ce fut une décision surréaliste[13] puisque dès février 2017, toutes les institutions de la RDC seront entre les mains des dirigeants hors mandats, faute d’élections organisées dans les délais prescrits par la Constitution. En effet, le mandat du président de la République aura expiré depuis le 19 décembre 2016. Celui des sénateurs, faut-il le rappeler, a expiré depuis une éternité : février 2012. Restaient les mandats des députés qui, eux aussi, auront donc expiré en février 2017. Le pays devra fonctionner suivant des règles floues entre acteurs politiques. Des règles et des acteurs politiques sur lesquels la Cour constitutionnelle n’aura pas de prise. Naturellement, parmi ces acteurs politiques – sur lesquels la Cour constitutionnelle n’aura pas de prise – figurera « le peuple congolais » dans toute sa dimension insaisissable, revendiquant le droit de contester la légitimité des institutions et de leurs animateurs[14]. Une contestation à laquelle devraient se joindre des puissances étrangères, dont les efforts pour mener le Congo dans sa situation actuelle de relative pacification, justifient, à bien des égards, leurs interférences dans les affaires internes de la RDC. Nous y reviendrons.

Légitime contestation et rendez-vous avec l’histoire

Le non-respect de la Constitution assure au président Kabila, à son nouveau gouvernement (à venir) et à leurs alliés une certaine capacité d’agir les mains libres, mais ce confort est, pour l’essentiel, hypothétique. La Constitution actuelle, qui a ses défauts comme toutes les autres, continuera de bénéficier de ses deux atouts : une légitimité internationale et une légitimité populaire. Sur le plan international, cette Constitution est l’aboutissement de gros efforts pour mettre fin aux conflits armés qui ravageaient le pays et à l’instabilité politique. De nombreux États et institutions internationales furent impliqués dans ces efforts que seuls les Congolais ne pouvaient consentir. Dès lors, les partenaires extérieurs de la RDC considèrent, à juste titre, que toute démarche visant à saboter « les fruits de leurs efforts » est une prise de risque inacceptable qui pourrait plonger le Congo dans une nouvelle crise qui les obligera à revenir, pour fournir les mêmes efforts de pacification[15]. L’autre pilier de la légitimité de la Constitution est qu’elle est considérée par la majorité des Congolais comme un acquis, le socle structurant de l’État de droit auquel ils aspirent. En 2005, ils ont été 85% à l’approuver par référendum. Bafouer cette Constitution signifie consacrer une situation de jungle qu’ils ne sont pas disposés à cautionner. En deux reprises, les Congolais ont été dans les rues pour exiger le respect strict de leur Constitution, jusqu’au sacrifice suprême[16]. Ils se sont, à nouveau, donnés rendez-vous en décembre 2016, et au-delà, jusqu’au départ du président Kabila qui, visiblement s’inspire de la fin du règne de Mobutu.

En effet, lorsqu’un régime mal-en-point tente d’assurer sa survie, une certaine perversion dans les calculs machiavéliques consiste à débaucher des « opposants » et les nommer au gouvernement pour leur faire endosser la responsabilité de la répression à venir. Le Congo serait ainsi au point de rééditer la douloureuse expérience des années 90, lorsque le régime finissant de Mobutu, se servit du gouvernement de l’ancien opposant Nguza Karl-I-Bond, pour réprimer dans le sang la marche populaire des chrétiens dans les rues de Kinshasa. Les Congolais ont de nouveau rendez-vous avec l’histoire, peu importe la conduite du nouveau Premier ministre.

Boniface Musavuli

Coordonnateur de DESC

Exclusivité DESC

Références

[1] La jungle est un environnement où les individus les plus forts imposent leur volonté et où les moins aptes à lutter sont sacrifiés. En sortant du cadre posé par la Constitution, le régime du président Kabila entraîne le Congo dans un environnement politique et géopolitique régi par les aléas des affrontements permanents et les équilibres précaires. En effet, même des puissances étrangères vont être amenées à s’impliquer de plus en plus ouvertement dans le jeu politique congolais. Pour le meilleur et pour le pire.

[2] EXPOSÉ DES MOTIFS DE LA CONSTITUTION DU 18 FÉVRIER 2006 : Depuis son indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette contestation a pris un relief particulier avec les guerres qui ont déchiré le pays de 1996 à 2003. En vue de mettre fin à cette crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire, les délégués de la classe politique et de la Société civile, forces vives de la Nation, réunis en Dialogue-inter congolais, ont convenu, dans l’Accord Global et Inclusif signé à Pretoria en Afrique du Sud le 17 décembre 2002, de mettre en place un nouvel ordre politique, fondé sur une nouvelle Constitution démocratique sur base de laquelle le peuple congolais puisse choisir souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles.

[3] Article 78 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois. Le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre ».

[4] M. Badibanga siège au parlement dans les rangs de l’opposition (UDPS et alliés).

[5] « Majorité parlementaire » à ne pas confondre avec « Majorité présidentielle » qui est « un super amalgame des partis politiques sans idéologie et n’ayant comme dénominateur commun que la personne de Joseph Kabila pour autant qu’il est encore Président de la République ». Cf. JB Kongolo, « Des raisons de s’inquiéter de la médiocrité d’une certaine élite congolaise », http://afridesk.org/fr/des-raisons-de-sinquieter-de-la-mediocrite-dune-certaine-elite-congolaise-jb-kongolo/#_ftn2.

[6] Le parlement n’en a pas été saisi.

[7] Le président ne l’a pas signé.

[8] JB Kongolo, « Alerte DESC : Majorité présidentielle – CENI – Cour Constitutionnelle : le triangle de la haute trahison », http://afridesk.org/fr/alerte-desc-majorite-presidentielle-ceni-cour-constitutionnelle-le-triangle-de-la-haute-trahison/.

[9] Arrêt R. Const. 0089/2015 du 08 septembre 2015, commentaire Jean Baudouin MAYO MAMBEKE, 7sur7.cd/new/le-depute-mayo-relance-le-debat-la-cour-constitutionnelle-a-mal-juge/.

[10] L’article 161 de la Constitution attribue de façon limitative le pouvoir de saisine au Président de la République, au Gouvernement, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée nationale, à un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, aux Gouverneurs de province et aux présidents des Assemblées provinciales. La CENI ne figure pas sur la liste.

[11] Arrêt RCONST/262 du 11 mai 2016, Commentaire JP Kasusula, jpkasusula.over-blog.com/2016/06/analyse-critique-de-l-arret-de-la-cour-constitutionnelle-sur-la-fin-du-mandat-de-joseph-kabila-y-a-t-il-eu-haute-trahison.html.

[12] http://groupelavenir.org/a-la-cour-constitutionnelle-la-ceni-obtient-le-report-de-la-convocation-et-de-lorganisation-des-elections/.

[13] La Cour constitutionnelle avait fait scandale en siégeant avec seulement cinq juges sur le quorum minimum de sept prescrit par la loi. Deux juges de la haute juridiction, les professeurs Vundwawe Te Pemako et Jean-Louis Esambo avaient été signalés absents de la séance alors qu’ils se trouvaient à Kinshasa.

[14] Article 64 : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’État. Elle est punie conformément à la loi ».

[15] C’est ce qui explique l’activisme des pays comme les États-Unis et la France qui exigent une alternance démocratique et exercent des pressions qui vont continuer de croitre d’ici à décembre 2016, et au-delà, si Kabila se maintient au pouvoir. Les États-Unis ont commencé à adopter des sanctions contre les membres du régime considérés comme étant les principaux responsables de la répression et du blocage du processus électoral. Cf. « RDC. Pas d’effet Trump pour Joseph Kabila », www.parismatch.com/Actu/International/RDC-Victoire-de-Trump-fausse-bonne-nouvelle-pour-Joseph-Kabila-1118456

[16] Les soulèvements populaires de janvier 2015 et de septembre 2016 ont fait l’objet de répressions dont les bilans cumulés avoisinent les 100 morts.

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