Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 28-07-2016 10:04
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RD Congo-ADF-Ouganda : Kabila et le péril d’une opération « Umoja » bis – Boniface Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

RD Congo-ADF-Ouganda : Kabila et le péril d’une opération « Umoja » bis

Par Boniface Musavuli
Le ministre congolais de la Défense, Crispin Atama Tabe, a annoncé que l’armée ougandaise va être associée à la lutte contre les ADF, le groupe armé accusé de commettre des massacres en Territoire de Beni, dans l’Est de la République Démocratique du Congo. L’annonce est passée comme une lettre à la poste et n’a pas suscité de réaction de l’opposition à Kinshasa, ni même de la société civile, alors qu’elle devrait. En effet, le déploiement des troupes ougandaises sur le sol congolais a à la fois quelque chose d’injustifiable et de fondamentalement problématique, tellement il rappellerait le traumatisme de l’opération Umoja wetu ayant consisté à faire entrer l’armée rwandaise au Congo, en 2009, ouvrant la voie à la guerre du M23. Dans une forme de réédition de cette sinistre aventure, le gouvernement congolais envisage ainsi de faire entrer l’armée ougandaise, apparentée comme deux jumeaux à l’armée rwandaise, sur le sol congolais. On devine assez aisément les conséquences d’une décision de cette nature dans un futur proche.

Dans cette analyse, nous essayons d’expliquer qu’une telle alliance entre armée congolaise (FARDC) et armée ougandaise (UPDF) ne se justifie nullement et saisissons l’occasion pour clarifier l’affaire des ADF qu’une certaine désinformation a rendue incompréhensible dans l’opinion nationale.

I. Une alliance injustifiable

Une simple observation du rapport de forces sur le terrain amène à s’interroger sur les motivations du ministre Atama Tabe à justifier l’entrée des troupes ougandaises sur le sol congolais. En effet, les recherches entreprises par le GEC, un groupe de recherche indépendant basé à New York[1], nous apprennent que les effectifs des ADF oscillent entre seulement 100 et 260 maquisards[2]. Ils sont confinés dans un petit triangle d’une cinquantaine de kilomètres de côtés. En face, l’armada de l’armée congolaise, les FARDC. Les recherches de DESC-Wondo font état d’une présence à Beni d’environ 25.000 soldats FARDC opérant dans différentes unités : – une brigade[3] commando sous le commandement du général Kalonda, avec deux bataillons[4] déployés dans la zone dite « triangle de la mort » commandés par le colonel Ngadjole Tipi Ziro-Ziro ; – 5 régiments[5] d’infanterie venus de Kinshasa et de Dungu, – 4 brigades d’infanterie et – une unité d’appui-feux mixte de la Garde républicaine (les GR) qui a la taille d’un régiment (1.200 soldats). Elle est composée d’un bataillon d’artillerie avec des unités de lance-roquettes multiples et des unités d’artillerie anti-aérienne équipées de canons de DCA  déployés autour de l’aéroport de Beni-Mavivi.

Toujours au sujet de la puissance de feu dont dispose le Congo, il faut rappeler que les FARDC sont une force de 145.000 soldats, appuyés par la plus grande et la plus coûteuse mission de maintien de la paix au monde, la MONUSCO, forte de 19.815 casques bleus dont une brigade d’intervention créée en 2013 spécialement pour traquer et neutraliser les groupes armés[6]. Cette Brigade comprend trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une force spéciale et une compagnie de reconnaissance. En gros, avec 25.000 soldats déployés à Beni, un petit Territoire[7], et les divers appuis de la MONUSCO, le Congo dispose largement des moyens internes pour venir à bout d’une centaine de maquisards confinés dans un mouchoir de poche.

Dès lors, un gouvernement disposant d’autant de moyens peut difficilement justifier, dans l’opinion nationale et internationale, qu’il a besoin de l’aide d’un pays de la taille de l’Ouganda. Ou bien l’Etat congolais considère que les 25.000 soldats FARDC déployés à Beni ne valent rien comme soldats, auquel cas il les renvoie à la vie civile pour les remplacer par des Ougandais qui feront le boulot à la place des Congolais, ou bien l’Etat congolais respecte ses  soldats et les laisse finir le boulot. D’autant plus qu’on ne sait vraiment pas ce que les Ougandais peuvent apporter de mieux à un pays comme le Congo, classé à la dixième place des armées les plus puissantes d’Afrique[8], tandis que l’Ouganda figure à la 16ème place. Pire, le recours à l’Ouganda devient carrément indécent lorsqu’on observe le comportement de ce pays depuis les vingt dernières années[9], et, particulièrement depuis le début de la crise des ADF. Nous saisissons cette occasion pour en rappeler les contours.

II. Lumière sur les ADF : Qui sont-ils ?

ADF-Nalu

1) La MONUSCO flouée

La version officielle consiste à présenter les ADF[10] comme des terroristes islamistes ougandais, en lien avec des groupes terroristes étrangers, et qui massacrent des civils dans le cadre de leur nouvelle stratégie. Selon cette version, les ADF feraient partie d’un réseau transnational d’islamistes qui s’étend jusqu’au Sahel, en passant par Boko Haram et les Al-Shebab somaliens, voire les talibans en Afghanistan. Cette version a été bâtie à partir des confidences d’un mystérieux personnage qui se présenta comme un transfuge des ADF et qui est connu sous le sobriquet, assez sommaire, de « Mr X ». C’est sous ce sobriquet que ce monsieur était apparu entièrement masqué pour témoigner à charge au procès sur l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, en octobre-novembre 2014, témoignage sur la base duquel la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu avait condamné à mort le lieutenant-colonel Birotsho Nzanzu Kosi, malgré les protestations de ce dernier[11]. Durant des mois, ce fameux Mr X sera l’informateur attitré de la MONUSCO sur les ADF jusqu’à ce que des recherches aboutissent à un constat accablant ! L’homme est un affabulateur qui inventait ses récits et racontait n’importe quoi aux responsables onusiens. Le chercheur américain Daniel Fahey, ancien coordinateur du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, l’a rencontré et a publié un article intitulé « L’homme qui a floué l’ONU »[12], dans lequel il énumère la litanie des mensonges sur les ADF que ce monsieur a réussi à faire avaliser par le gouvernement congolais et la MONUSCO.

En réalité, loin de la « version officielle » l’acronyme ADF ne désigne pas un même groupe d’assaillants. Pour comprendre l’affaire des ADF, il faut se situer dans le temps. L’histoire des ADF a en effet évolué passant d’une phase à l’autre : de 1995 à avril 2014 ; puis d’octobre 2014 à nos jours.

2) Les vrais ADF : de 1995 à avril 2014

En 1995, après avoir été chassés d’Ouganda d’où ils sont originaires, les ADF, un groupe armé de tendance radicale-islamiste, ont établi leur base arrière dans le Territoire de Beni suite à une alliance avec l’Armée nationale pour la Libération de l’Ouganda (NALU), un autre mouvement rebelle ougandais installé dans le Territoire de Beni depuis 1988. Cette fusion donna naissance à une coalition connue sous l’acronyme « ADF-NALU ». L’objectif commun de ces deux groupes était de renverser le gouvernement ougandais. En décembre 2007, les combattants de NALU se sont rendus, dans le cadre des pourparlers de paix avec Kampala. Le 17 mars 2008, le gouvernement ougandais a reconnu le Royaume du Lwanzururu, satisfaisant ainsi la principale revendication des combattants de NALU. Seuls les ADF sont donc restés dans les maquis de Beni[13].

Mais il faut souligner que les ADF (les vrais) n’étaient pas une « rébellion ougandaise » à proprement parler. Ils ne menaient aucune attaque contre l’Ouganda, mais plutôt contre les populations congolaises[14]. Par ailleurs, les produits de contrebande, du bois et de l’or principalement[15],  qu’ils s’octroyaient au Congo, ils les écoulaient sur le marché ougandais. Ils utilisaient même des comptes dans les banques ougandaises pour financer leurs activités criminelles[16]. En gros, les ADF et l’Ouganda étaient des partenaires dans le cadre d’une économie mafieuse qu’ils entretenaient sur le dos des Congolais. Et ça, le gouvernement congolais ne peut pas ne pas le savoir. Dès lors, faire venir l’armée ougandaise au Congo pour combattre ses propres alliés économiques revient à permettre à l’Ouganda de reprendre le contrôle des circuits économiques et des filières qu’exploitaient les ADF, faussement présentés comme un mouvement hostile au pouvoir de Kampala. Une telle concession de la part du gouvernement congolais rappelle celle octroyée à Kigali en 2009, lorsque Joseph Kabila avait autorisé l’entrée des troupes rwandaises au Congo, officiellement pour traquer les FDLR. En réalité, cette entrée des troupes rwandaises fut, pour Kagame, l’occasion de relancer les réseaux de trafics de minerais qu’il avait mis en place durant la longue occupation de l’Est du Congo (1998 – 2003)[17], de reprendre le contrôle des zones minières[18], d’augmenter le nombre des agents rwandais infiltrés dans les rangs des FARDC[19] et d’assurer le maintien de Kabila au pouvoir, à l’élection de 2011[20]. Umoja wetu sera un échec sur le plan militaire, mais une juteuse affaire pour le Rwanda[21] qui réclame à nouveau de renvoyer ses troupes au Congo[22]. On imagine aisément que c’est le même scénario auquel pense le ministre congolais de la Défense lorsqu’il envisage de faire venir sur le sol congolais l’armée ougandaise qui se trouve être, aux yeux des Congolais, « une jumelle interchangeable » de l’armée rwandaise. En tout cas poursuivant les mêmes objectifs stratégiques, à savoir, la balkanisation du Congo.

Pour revenir aux ADF, fin 2013, après la victoire sur le M23, les FARDC et la MONUSCO ont été déployées en Territoire de Beni pour mener des opérations contre ce groupe armé. Malgré l’assassinat de l’officier qui devait piloter la première phase des opérations, le colonel Mamadou Ndala, le 2 janvier 2014, la campagne militaire fut menée avec succès sous le commandement du général Jean-Lucien Bahuma. Elle fut achevée en avril 2014 avec la prise de toutes les localités que contrôlaient les ADF, dont Medina, leur centre de commandement. Le leader des ADF, Jamil Mukulu avait fui Beni dès février 2014, abandonnant ses troupes en pleine débandade. Il sera arrêté en Tanzanie en mars 2015 puis transféré en Ouganda où, depuis, il croupit en prison[23]. Dans leur rapport du 12 janvier 2015, après le succès de l’Opération Sukola 1, les experts de l’ONU ont décrit les ADF comme une organisation finie. Il n’en restait qu’une trentaine d’individus sans armes ni munition, et privés, par ailleurs, de sources de ravitaillement[24]. C’est ici, en réalité, que s’achève l’histoire des ADF, « les vrais », le mouvement de Jamil Mukulu qui croupit en prison en Ouganda. Dès lors, d’où sont donc venus les ADF dont on parle aujourd’hui ?

3) Les faux ADF : d’octobre 2014 à nos jours

a) Des tueurs à la machette en provenance du Rwanda

Entre avril 2014 et août 2014, le calme règne à Beni où l’activité économique reprend progressivement. Mais plusieurs signaux annoncent une menace sécuritaire imminente. Tout d’abord, on observe une arrivée massive des populations rwandaises qui disent venir s’installer à Eringeti (Territoire de Beni), Boga et Tchabi en Territoire voisin d’Irumu, Province d’Ituri. Selon les autorités provinciales, ces populations sont des Hutu du Masisi qui migrent vers le nord à la recherche des terres. Elles ont la particularité de voyager avec des machettes, ce qui aurait dû attirer l’attention des services de sécurités. Elles voyagent avec des laissez-passer signés par les autorités provinciales et, parfois, avec des cartes d’électeurs neuves, ce qui, également, aurait dû attirer l’attention des autorités. En effet, les cartes d’électeurs au Congo datent des élections de 2006. Les nouvelles cartes sont fabriquées au Rwanda où le M23 avait fui avec du matériel permettant de fabriquer des cartes d’électeur, et en fabrique notamment pour les rebelles burundais qui transitent par le Sud-Kivu. En réalité, ces populations n’étaient pas des Congolais mais des sujets rwandais expulsés de la Tanzanie.

Le président Jakaya Kikwete, pressentant un risque de déstabilisation de son pays par le Rwanda, sur le même scénario que l’affaire des « Tutsi congolais »/Banyamulenge/AFDL, avait pris les devants et expulsé ces populations, malgré la durée de leur séjour sur le sol tanzanien. En 2012-2013, ces populations tenteront de s’installer dans les territoires sous contrôle du M23, mais durent fuir après la défaite de ce mouvement. Elles vont alors passer par un centre de formation militaire à Kagera, au Rwanda, puis envoyées au Congo avec la complicité des autorités congolaises[25]. Leurs effectifs, à ce jour, tournent autour de 60.000 dans les secteurs où, justement, pullulent des tueurs qu’on appelle les « ADF », à savoir les forêts d’Eringeti avec pour base de repli le Territoire voisin d’Irumu. Ces assaillants sont évidemment des faux ADF, et n’ont jamais connu le chef du mouvement, Jamil Mukulu. Il s’agit de tueurs rwandais injectés dans la région, dans le cadre d’un complot régional, visant à anéantir les populations autochtones par la terreur et les actes d’extrême cruauté[26] pour les contraindre à fuir, à abandonner leurs terres qui sont réoccupées par des populations allogènes, affluant du Rwanda et de l’Ouganda voisins[27]. D’où la qualification de « génocide » retenue par les hautes autorités de l’Eglise catholique de la région, dans leur déclaration finale de mai 2015[28]. Le « génocide des Nande », selon la lettre du 18 février 2016 adressée au Secrétaire général de l’ONU par les députés du caucus Grand Nord[29].

b) Les « ADF-FARDC »

Le deuxième signe annonçant la dégradation de la situation sécuritaire à Beni est la mort du général Jean-Lucien Bahuma[30]. Le général Bahuma fut remplacé à la tête de l’opération Sukola 1 par le général Akili Muhindo dit « général Mundos », officier de la Garde républicaine et réputé proche du président Kabila. Il sera l’homme par qui le malheur s’est abattu sur Beni. Non seulement on assiste à une remobilisation des anciens éléments ADF, jusqu’alors dispersés dans la brousse, pour qu’ils reprennent du « service »[31], et à la création des groupes armés jusqu’alors inconnus, sous étiquette ADF ; mais, pire, on voit arriver des hordes de tueurs dans le sillage des bataillons commandés par le général Mundos. Les tueurs opèrent librement. Ils tuent pendant des heures sans être inquiétés. On ne les arrête pas. Les rares qui sont appréhendés, notamment par de courageux habitants, sont systématiquement remis en liberté. Comme s’il y avait une volonté d’État de les laisser « finir le boulot ». Les experts de l’ONU, malgré leurs insistances, affirment que le gouvernement congolais n’a pas expliqué pourquoi les tueurs de Beni étaient systématiquement remis en liberté[32].

Les massacres avaient commencé le 2 octobre 2014, le jour-même où s’ouvrait le procès sur l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, avec le général Mundos sur la liste des accusés à la barre. Les tueurs s’expriment en kinyarwanda, font remarquer les experts de l’ONU, une langue que ne parlent pas les « vrais » ADF[33]. Ils portent des uniformes FARDC et tuent à proximité des positions tenues par l’armée. Il s’avère rapidement qu’il s’agit des soldats rwandais versés dans les rangs des FARDC en application des mécanismes de brassage et de mixage[34]. Dans le rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), trois régiments FARDC sont cités nommément : Le 808ème régiment impliqué dans le massacre de  Tenambo-Mamiki, le 809ème régiment impliqué dans le massacre de Ngadi et le 1006ème régiment impliqué dans le massacre de Mayangose[35]. Ces régiments sont formés majoritairement d’anciens miliciens du CNDP[36], l’ancêtre du M23[37]. Ce dévoiement de l’armée amena la population de Beni à désigner ses tueurs sous l’appellation sarcastique d’« ADF-FARDC ».

Le rôle du général Mundos, à la tête de cette-armée-qui-tue-la-population, devient rapidement flagrant[38], quasiment dès les premières semaines des massacres[39]. Ça dure depuis[40]. Les experts de l’ONU, après l’avoir soupçonné, dans leurs précédents rapports, ont fini par l’accuser ouvertement dans leur rapport du 23 mai 2016[41]. Ces soldats FARDC (ADF-FARDC) qui tuent la population, sous le masque ADF, sont, évidemment, des faux ADF et n’ont rien à voir avec Jamil Mukulu.

Et l’Ouganda dans tout cela ?

III. La main ougandaise

Kabila_Museveni

Au-delà des assaillants rwandais qui migrent vers Beni avec des machettes et des infiltrés issus des mécanismes de brassage et de mixage, Beni enregistre depuis décembre 2013 des infiltrations armées à partir du territoire ougandais. Des noms célèbres sont mêmes revenus dans de nombreux témoignages. Il s’agit notamment du colonel Richard Bisamaza, un Tutsi, ancien du CNDP et ancien commandant du 1er Secteur FARDC basé à Beni. Il avait fui Beni et tenté de rejoindre le M23 mais n’avait pas réussi à atteindre Ishasha. Il prit alors la route de l’Ouganda, pays dont les autorités annoncèrent que le déserteur a été arrêté en septembre 2013. Un mensonge parce que la présence du colonel Bisamaza dans les zones de massacres, à Beni, a été attestée par de nombreux rapports et témoignages[42]. L’homme ne peut pas effectuer ces incursions en territoire congolais sans la complicité des autorités ougandaises. Et c’est l’armée d’un pays comme celui-là que le gouvernement congolais veut faire entrer au Congo ?

Au-delà de ce cas, il faut toujours rappeler qu’après leur défaite, les combattants du M23 s’étaient repliés au Rwanda et surtout en Ouganda. Depuis, ils se sont dispersés du lieu de leur regroupement. La société civile de Beni a plusieurs fois signalé des infiltrations des anciens du M23 en territoire de Beni à partir des frontières de l’Ouganda. Mais il y a plus grave. En effet, plusieurs fois, après les combats entre FARDC et des assaillants, on retrouve sur le champ de bataille des cadavres de soldats portant des uniformes, des casques et des armes identiques à ceux des UPDF, l’armée ougandaise. De quoi se demander qui sont « ces soldats ougandais » qui se battent contre l’armée congolaise à Beni.

En définitive, l’Ouganda et le Rwanda sont tellement impliqués dans les violences de Beni, et du reste de la province, d’ailleurs, qu’il est assez surréaliste qu’un ministre congolais envisage la présence militaire de ces deux pays sur le sol congolais. Un acte de haute trahison. On imagine assez aisément ce qui va arriver aux survivants des massacres, à leurs familles et aux personnes qui ont eu le courage de témoigner à visage découvert. Assassinat, exil forcé,… A titre d’image, faire entrer les armées de l’Ouganda ou du Rwanda sur le territoire congolais fait penser à un berger qui, après s’être aperçu qu’une de ses brebis a été mordue par un loup, décide de casser la clôture pour que toutes les meutes de loups rentrent dans sa bergerie.

Boniface MUSAVULI

Analyste politique et militant des droits de l’homme.

Auteur de l’ouvrage  LES GÉNOCIDES DES CONGOLAIS – De Léopold II à Paul Kagame,

Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Vevey, mars 2016 (328 pages).
Coordonnateur de DESC-Wondo.

Références

[1] GEC (Groupe  d’étude sur  le  Congo), un centre de recherche indépendant dirigé par Jason Stearns, ancien Coordinateur du Groupe d’experts de l’ONU sur la République Démocratique du Congo.

[2] GEC, « QUI SONT LES TUEURS DE BENI ? », Rapport d’enquête N°1, mars 2016, p. 16.

[3] Une brigade compte environ 2.500 soldats.

[4] Un bataillon compte environ 900 soldats.

[5] Un régiment compte environ 1.200 soldats.

[6] La brigade d’intervention de la MONUSCO est une force de 3.069 soldats dotée d’un mandat offensif. Elle a été créée par la Résolution 2098 (2013) du Conseil de sécurité de l’ONU du 28 mars 2013. Composée de soldats sud-africains, tanzaniens et malawites, elle vient en appui aux 17.000 casques bleus et aux unités FARDC dans les zones de combats.

[7] Le Territoire de Beni a une superficie de 7.484 km²  avec une population de 1.273.583 habitants, soit une moyenne d’1 soldat pour 50 habitants, c’est-à-dire 11 fois plus que la moyenne nationale (1 soldat pour 566 habitats).

[8] Selon le classement 2016 des armées dans le monde publié par le site américain spécialisé dans la défense Global Fire Power (GFP). Jean-Jacques Wondo est revenu sur ce classement dans son article du 27 juin 2016 : « Les FARDC sont-elles réellement la 10ème armée la plus puissante d’Afrique ? », http://afridesk.org/fr/les-fardc-sont-elles-reellement-la-10eme-armee-la-plus-puissante-dafrique-jj-wondo/.

[9] L’Ouganda a fait l’objet d’une requête du gouvernement congolais devant la Cour Internationale de Justice (CIJ). Dans son arrêt du 19 décembre 2005, reconnu plus tard par la Cour pénale internationale (CPI), la CIJ a condamné l’Ouganda à réparer les conséquences de son invasion de l’Est du Congo et accepté l’évaluation des dommages proposée par les autorités congolaises à hauteur de 6 à 10 milliards de dollars. Cf. « La CIJ condamne l’Ouganda à réparer les conséquences de son invasion de l’Est de la RDC », http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=11572&Cr=CIJ&Cr1=RDC.

[10] ADF : Allied Democratic Forces (Forces Démocratiques Alliées).

[11] Le lieutenant-colonel Birotsho est, depuis, enfermé dans la prison de Makala à Kinshasa.

[12] Daniel Fahey, “Congo’s “Mr. X” – The Man who Fooled the UN”, http://wpj.dukejournals.org/content/33/2/91.abstract.

[13] B. Musavuli, Les Génocides des Congolais – De Léopold II à Paul Kagame, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, mars 2016, p. 157.

[14] Ils commettaient des assassinats ciblés, notamment pour « punir » les gens qui les flouaient en affaires et ceux qui étaient soupçonnés de renseigner les FARDC. Ils enlevaient des gens pour les soumettre en esclavage dans leurs exploitations agricoles et du bois, et exigeaient des rançons et des taxes dans la zone qu’ils contrôlaient. Parmi leurs nombreuses victimes, les trois prêtres de la paroisse de Mbau enlevés le vendredi 19 octobre 2012 (le Curé Anselme Wasukundi et les prêtres Jean-Pierre Ndulani et Edmond  Kisughu) qu’on n’a plus jamais revus. En fin 2013, on estimait à plus de 1.000 le nombre des personnes kidnappées par les ADF.

[15] Rapport S/2011/738 du 2 décembre 2011, §§ 57 et 59.

[16] Ibidem, § 61.

[17] Pierre Jacquemot, Économie politique des conflits en République Démocratique du Congo. CAIRN.INFO/Afrique contemporaine, De Boeck Supérieur – numéro 230, 2009/2, p.195.

[18] (Cas de la mine de cassitérite de Bisié/Walikale), Ibidem.

[19] Plus de 12 mille soldats rwandais vont tout simplement « disparaître » dans la nature.

[20] L’Opération Umoja wetu fut menée par une coalition formée des RDF (armée rwandaise) et des FARDC (armée congolaise) entre janvier et mars 2009. Non seulement, elle ne permit pas de neutraliser les FDLR, mais elle permit au Rwanda de faire entrer des milliers de ses soldats sur le territoire congolais. Ces soldats vont jouer un rôle décisif dans la réélection controversée de Joseph Kabila en 2011 en couvrant des fraudes massives. Leur aile politique, le CNDP, ancêtre du M23, devint membre de la Majorité présidentielle, la coalition politique au pouvoir à Kinshasa.

[21] Dans son rapport 2011, l’ONG britannique Global Witness, a révélé que le Rwanda est devenu un important exportateur des minerais qu’il n’a pas dans son sous-sol alors que les autorités « refusent de publier les données complètes sur la production nationale. En décembre 2014, le Rwanda a été déclaré premier exportateur mondial de coltan avec 28 % du total de tantale produit dans le monde. Cf. « Rwanda Has Become World’s Largest Coltan Exporter, Reports KT Press », PRNewswire-US Newswire, December 16, 2014.

[22] Le principe de ce redéploiement des soldats rwandais au Congo a été acquis aux termes de l’accord conclu le 24 septembre 2015 à Kigali par le ministre congolais de la Défense, Aimé Ngoy Mukena, et son homologue rwandais, le général James Kabarebe. Kigali et Kinshasa envisagent donc de lancer une nouvelle opération conjointe contre les FDLR, un prétexte puisque des FDLR, il ne reste que quelques poignées d’individus : 400 éléments, selon Lambert Mende. Mais les Rwandais tiennent toujours à « leur opération » comme l’a récemment rappelé le brigadier général Ferdinand Safari : www.makuruki.rw/UMUTEKANO/article/Imigambi-yo-kurandura-FDLR-nikomeza-guhera-mu-mpapuro-twe-tuzigirayo-Brig-Gen-Safari.

[23] Daniel Fahey, op. cit.

[24] Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts de l’ONU du 12 janvier 2015, p. 7, § 14.

[25] « L’heure des révélations sur l’assassinat du père Vincent Machozi et les massacres de Beni », 3 avril 2016, www.benilubero.com/lheure-des-revelations-sur-lassassinat-du-pere-vincent-machozi-et-les-massacres-de-beni/.

[26] https://www.facebook.com/benigenocide/.

[27] Le processus d’occupation du Kivu, d’élimination de ses populations autochtones et de son repeuplement par des populations en provenance du Rwanda est un secret de polichinelle. Le sujet est abordé dans ‘Les Génocides des Congolais’, op. cit., pp. 235-239.

[28] « Notre cri pour le respect absolu de la vie humaine », Message de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB), Butembo, 23 mai 2015. http://www.africamission-mafr.org/Declaration_ASSEPB_23_05_2015.pdf.

[29] CENTRE D’ETUDES JURIDIQUES APPLIQUEES-CEJA-UCG, « Nord Kivu : les députés nationaux du Caucus Grand Nord alertent les Nations Unies sur « Génocide contre la communauté Nande à l’Est de la République Démocratique du Congo », ceja.overblog.com/2016/02/nord-kivu-les-deputes-nationaux-du-caucus-grand-nord-alertent-les-nations-unies-sur-genocide-contre-la-communaute-nande-a-l-est-de-l

[30] Le général Bahuma est décédé le 31 août 2014 des suites d’un malaise qu’il avait ressenti au cours d’une mission officielle en Ouganda. Pour la petite histoire, le général Bahuma, héros avec Mamadou Ndala, de la campagne contre le M23 et contre les ADF, deux groupes armés liés au Rwanda et à l’Ouganda, s’apprêtait à parler dans un micro lorsqu’il fut pris de malaise.

[31] Plusieurs noms d’officiers FARDC sont cités dans les rapports onusiens pour leur rôle dans le recrutement de tueurs sous masque ADF, la remobilisation des anciens ADF qui avaient fui dans la brousse, la fourniture d’armes, de munitions et de renseignements. Voir notamment Rapport S/2016/466 du Groupe d’experts de l’ONU du 23 mai 2016, §§ 208-212.

[32] Ibidem, § 213.

[33] Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts de l’ONU du 12 janvier 2015, §§ 41 et 42.

[34] Dans sa lettre du 14 mai 2016, la Société civile de Beni-Lubero réclame de départ de ces soldats. Cf. « RDC : lettre ouverte au président Kabila sur les massacres à Béni », http://www.rfi.fr/afrique/20160517-rdc-kabila-adf-massacres-beni-lettre-ouverte-gilbert-kambale.

[35] Rapport GEC, op. cit., pp. 27-31.

[36] Mouvements que dirigeaient les généraux Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda.

[37] Ils avaient été versés dans les rangs des FARDC durant la période préélectorale de 2011 pour appuyer la Majorité présidentielle.

[38] Jean-Jacques Wondo, « Joseph Kabila et le général ‘Mundos’ créent-ils des faux ADF/Nalu ? », afridesk.org, 13 mai 2015, http://afridesk.org/fr/joseph-kabila-et-le-general-mundos-creent-ils-des-faux-adfnalu-jj-wondo/.

[39] Par exemple, le 15 octobre 2014, le général Mundos  a retiré les soldats de leur position habituelle une demi-journée avant le massacre de Ngadi. Les assaillants sont arrivés tranquillement, ont regardé un match de football et bu de la bière dans un bar avant de commencer à tuer la population, pendant des heures, seulement quelques distances des positions de l’armée qui laissa le massacre se commettre jusqu’au bout.

[40] Plusieurs voix s’étaient élevées à pour réclamer le départ du général Mundos et des militaires issus des mécanismes de brassage et de mixage (en gros des militaires rwandais versés dans les rangs des FARDC et déployés à Beni). Le régime Kabila a alors organisé un « tour de magie ». Le général Mundos a été envoyé dans l’ex-Katanga, à Kalemie. Puis, lorsque la vigilance de la population a baissé, il a été discrètement ramené près de Beni, à Mambasa, dans la province voisine de l’Ituri. Il a été placé à la tête de la 32ème Brigade mécanisée de la force de défense principale, tout en cumulant les fonctions de commandant du secteur opérationnel FARDC Mambasa-Nyanyi-Komanda-Nyakunde, en Territoire d’Irumu. C’est justement dans ce secteur que les migrants-rwandais-voyageant-avec-des-machettes ont été installés par dizaines de milliers et d’où partent désormais des attaques contre la population du Territoire voisin de Beni (attaques sur Eringeti, Oicha, Mavivi,…).

[41] Rapport S/2016/466, op. cit. §§ 201 et 203.

[42] Rapport du GEC, op. cit. p. 38.

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One Comment “RD Congo-ADF-Ouganda : Kabila et le péril d’une opération « Umoja » bis – Boniface Musavuli”

  • kongoman

    says:

    « Kabila » est au congo grace a ces deux pays( Rwanda et l Ouganda) c est avec la mort des congolais qu ils gagnent l argent il nous (congolais) faut stopper cet imposture au sommet de l etat congolais pour decourager ces criminels transnationaux

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