RD Congo – 2016 : Et si la présidentielle n’avait pas lieu ?
Par Boniface Musavuli
« On n’organise pas une élection pour la perdre », disait Omar Bongo. Herman Cohen va plus loin en précisant qu’en Afrique, « pour qu’un président perde une élection, il faut qu’il ait envie de la perdre ». Si les opposants congolais et les masses populaires ne prennent pas le contrôle des enjeux de 2016 en finançant le processus à 100%, il y a peu de chance qu’une alternance démocratique se produise à la tête du Congo. Joseph Kabila et ses deux prédécesseurs furent portés au pouvoir dans des scénarios qui ne laissaient aucune possibilité aux Congolais de décider du nom de leur président, parce qu’ils ne s’étaient pas approprié le processus électoral, ce qui risque, à nouveau, d’être le cas. L’explication à ces alternances en forme de hold-up est à rechercher dans le cynisme de la realpolitik, et tout le monde à la fois peut en être rendu responsable. En effet, l’arrivée à la tête du Congo d’un président démocratiquement élu est une perspective qui n’arrange les affaires de personne.
Kabila et son calendrier électoral
Tenaillé par l’angoisse d’une comparution en justice que lui promettent déjà ses opposants[1], Joseph Kabila semble avoir maintenant décidé de ne plus quitter le pouvoir. Il mise sur le glissement du calendrier électoral[2] jusqu’en 2018 sur fond d’un recensement de la population[3]. Si le calendrier peut glisser jusqu’en 2018, il pourrait tout aussi glisser jusqu’en 2020, voire au-delà. En effet, lorsque le calendrier électoral se met à glisser, il pourrait glisser indéfiniment. Le dernier mandat de Mobutu s’arrêtait en 1991. L’élection présidentielle promise au 4 décembre 1991 n’aura jamais lieu. Le calendrier avait « glissé » année après année jusqu’à la guerre de l’AFDL et le renversement de Mobutu le 17 mai 1997. La Côte d’Ivoire fit, elle aussi, les frais du glissement du calendrier électoral – jusqu’à cinq ans – et la fin brutale de la présidence de Laurent Gbagbo. Au Congo même, les membres actuels du sénat sont issus des élections de 2007. Ils devaient se représenter devant les électeurs en 2012. Leur calendrier électoral continue de « glisser ». En plus du glissement du calendrier électoral sur fond du recensement de la population, la présidentielle au Congo est annoncée pour être compromise sur fond de la nouvelle guerre qui s’annonce dans le Kivu après les massacres de Beni. On n’organise pas une élection dans un pays en guerre.
Mais Joseph Kabila n’est pas le seul que le jugement de l’histoire aura à rendre responsable du gâchis qui s’annonce. Les bailleurs occidentaux traînent les pieds pour financer le budget que réclame Malu Malu. D’un côté, ils ne savent toujours pas lequel des présidentiables fera leurs affaires dans l’après 2016, de l’autre, ils savent que si Joseph Kabila maintient sa candidature, le Congo sera plongé dans une crise pire que la crise de légitimité déclenchée après l’élection chaotique de novembre 2011. Que gagnerait-on à financer une élection pour engendrer un chaos dans le pays ? Ce serait un investissement en pure perte, et les dirigeants occidentaux ne raisonnent pas de cette façon-là.
Les bailleurs occidentaux et la logique comptable
Dans la logique des partenaires occidentaux, qui devraient garantir le processus devant mener à l’alternance, il faut savoir lire une opération fondamentalement de nature comptable, en termes d’investissement et de retour sur investissement. Ils ne s’investiront dans le processus que s’ils ont la certitude que le président qui en sortira leur fera gagner de l’argent au cours de son règne. En effet, contrairement aux apparences, les bailleurs occidentaux ne sont pas de dispendieux philanthropes. Ils ont, eux aussi, besoin d’argent. Il n’est pas envisageable qu’ils puissent financer une élection par altruisme.
Pour rappel, les Américains sont une nation surendettée[4], de même que les Européens. En prélevant sur leurs économies quelques millions de dollars pour financer les élections au Congo, ils ne donnent pas, ils investissent[5], et il ne saurait en être autrement. Ils font le pari que le président qui sortira des urnes sera « une bonne affaire », et ils n’hésitent pas à engager de gros moyens pour que le verdict des urnes en soit ainsi[6]. Suivant cette logique, aujourd’hui, aucun des trois ou quatre présidentiables congolais ne fait l’affaire. Ce sont des politiciens chevronnés qui, portés à la présidence à l’issue d’une élection démocratique, deviendraient des hommes difficiles à manœuvrer. On ne finance pas une élection qui produira des « dures à cuire ». Sinon, il y a longtemps qu’Etienne Tshisekedi aurait occupé le fauteuil présidentiel.
Les bailleurs occidentaux sont confrontés à une deuxième difficulté. Si Joseph Kabila maintient sa candidature, le Congo est parti pour s’enfoncer dans une nouvelle crise de légitimité, une crise qui devrait être plus dévastatrice que la crise actuelle, née de l’élection chaotique de 2011. Elle aura assez usé les nerfs des diplomates pour qu’ils acceptent, de gré, de recommencer les navettes entre Kabila, les opposants, Kinshasa et les capitales occidentales. Un Congo plongé dans une nouvelle crise ne serait pas une « bonne affaire », une perspective qui expliquerait la tiédeur des bailleurs à s’engager financièrement derrière une élection dans laquelle Joseph Kabila s’inviterait en candidat.
Dès lors, le péril sur le Congo est que, face aux blocages énoncés ci-haut (et bien d’autres), des « mains secrètes » n’entreprennent d’orchestrer une alternance à la tête du pays en dehors du processus électoral. Le cynisme de la realpolitik est qu’une alternance en dehors d’un processus démocratique sera toujours une opération peu coûteuse mais très rentable, si l’on considère ce que peut rapporter, en termes de profits, un président non issu d’un processus électoral. Et l’histoire des alternances à la présidence du Congo en est une tragique illustration.
Le péril des « mains secrètes »
En 1965, le président Joseph Kasa-Vubu, ses opposants et les masses populaires congolaises sont incapables d’assurer au pays un processus démocratique et apaisé devant mener à l’arrivée au pouvoir d’un président démocratiquement élu. Un jeune homme de 35 ans surgit et prend les commandes du pays avec l’aide des « forces de l’ombre ». Il écrasera tour à tour les opposants de l’époque, les masses populaires congolaises ; éliminera son prédécesseur et les anciens fidèles du régime Kasa-Vubu. Trente-deux ans plus tard, le Congo, devenu Zaïre, est un pays exsangue et ruiné jusqu’à la corde. Le 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir. Les opposants zaïrois, les masses populaires et Mobutu lui-même n’ont pas réussi à mettre le pays dans un processus électoral qui devait déboucher sur l’élection d’un président démocratiquement. Laurent-Désiré Kabila et les « rebelles » qui continueront de déferler sur le pays vont signer des accords officiels et secrets qui continuent de faire le bonheur des multinationales et des maffieux de tous poils, hypothéquant, depuis l’avenir du Congo. Pourquoi a-t-on bâclé le processus de démocratisation amorcé en marge de la Conférence nationale souveraine ? Trop de gens peuvent être considéré comme coupables à titre personnel, mais ça n’a plus d’importance. Le Zaïre devint la proie des « forces de l’ombre ».
Le 17 janvier 2001, Joseph Kabila arrive au pouvoir dans les conditions qu’on connaît. Ni son prédécesseur Laurent-Désiré Kabila, ni les opposants à l’époque, ni les masses populaires n’étaient en situation de mettre en route un processus d’alternance démocratique. Aujourd’hui les Congolais vivent l’enfer sur terre. Jusqu’à 600 mille déplacés au Katanga, la province dont la population aurait pu être la prunelle des yeux du pouvoir. Un président démocratiquement élu aurait protégé son peuple des violences de toute sorte, garanti l’intangibilité des frontières, redistribué aux familles congolaises les revenus tirés de l’exploitation de leurs richesses minières et dialogué en permanence avec ses opposants et les différentes composantes des populations congolaises pour assurer une gouvernance apaisée. Un président comme celui-là pourrait ne jamais arriver au Congo si les Congolais ne prennent pas le contrôle du calendrier électoral.
Déjà, les bénéficiaires du régime actuel ont juré qu’ils se battraient à mort pour assurer le maintien de Joseph Kabila au pouvoir. Evidemment. Ils n’organiseraient pas de gré une élection qu’ils sont sûrs de perdre. Les Congolais sont donc condamnés à subir des blocages orchestrés par les dirigeants actuels. L’environnement rêvé dont profitent les forces de l’ombre pour orchestrer un coup de force. Mais il ne faut pas se faire d’illusion. Tout le monde y perdrait (ancienne majorité, opposants et le peuple lui-même). Pour une raison simple : les forces de l’ombre ne changent pas les présidents dans l’intérêt des peuples. A qui la faute ?
Boniface MUSAVULI
[1] « Tshisekedi, Kamerhe et Fayulu exigent la mise en accusation de Kabila devant la CPI », 7sur7.cd, 16 juillet 2014 ; « RDC : une coalition de l’opposition veut voir Kabila à la CPI », Jeune Afrique, 17 juillet 2014.
[2] Même si le président de la Commission électorale (Ceni), Apollinaire Malu Malu, a martelé que « La Ceni ne peut jamais planifier une élection qui va au-delà de 2016 et qu’elle ne sera jamais dans le club des gens qui veulent aller au-delà de 2016 ».
[3] Dans un entretien accordé le 19 octobre 2014 à Afrikarabia, l’opposant Vital Kamerhe estime à 3 ou 4 ans la durée que prendraient, au minimum, les opérations de recensement de la population.
[4] Les Américains croulent sous une dette monumentale de près de 60.000 milliards de dollars. Les Européens sont dans une situation moins alarmante avec, tout de même, 11.000 milliards d’euros de dette publique. Ils présentent à la Commission de Bruxelles des budgets systématiquement déficitaires.
[5] Et pour se faire une idée de ce que cet « investissement » doit rapporter, sous diverses formes, souvenons-nous toujours de ce paradoxe révélé par Mobutu dans un de ses discours : « 1 dollar investi en Afrique rapporte 5 dollars à l’Europe». Le président zaïrois n’a jamais été contredit. Un récent article a confirmé le paradoxe.
[6] En 2006, l’Union européenne qui avait financé l’essentiel des 500 millions de dollars que coûta le scrutin envoyant la force européenne (l’Eufor) pour assurer l’élection de Joseph Kabila au détriment de Jean-Pierre Bemba.
4 Comments on “RD Congo – 2016 : Et si la présidentielle n’avait pas lieu ? – B. Musavuli”
Foxtrot
says:Perspective sombre pour notre pays mais très probable.
Je me suis toujours demandé pourquoi les dirigeants ne sont pas inspirés par leurs prédécesseurs. La plupart des dirigeants qui ont servis sous la Deuxième République et qui sont aux affaires actuellement n’ont absolument pas retenus la leçon de l’exil et de la justice populaire; ils veulent s’éterniser au pouvoir et induisent le Président dans l’erreur comme ils l’ont fait avec le Maréchal Mobutu, tout en sachant que celui-ci sera le seul comptable des ses erreurs politiques.
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, dit-on.
KASEREKA MUKAMA
says:Belles analyses mon compatriote.
C’est à nous les élites de mobiliser la population pour que cela n’arrive pas, car on a tant souffert avec les autorités actuelles, les massacres de Beni ville et Territoire illustrent cette souffrance.
MUTSY
says:Cher ami.
En dépit de la pertinence que soulève la problématique du choix de la personne qui dirigera la rdcongo, vous vous perdez un peu dans vos analyses scolaires. Ne pas organiser les élections dans le délai risque de plonger ce pays dans le chaos, cela est impensable pour les pays occidentaux. D’autre part, les investisseurs que ce pays a connu jusqu’à ces jours sont de simples débrouillards arrivés sans sous au pays et les grands investisseurs ne viennent qu’avec les soutiens de leur gouvernement et celui des sociétés d’assurance donc ils ne perdent pas leur argent. Savez-vous quelque chose sur les FONDS D’INVESTISSEMENT ? Citer moi un seul au congo
Troll
says:2016? Sans élections en l´an 2016, la RDC risque de se retrouver dans une grande instabilité..bien avant 2016.. Ce que dès l´an prochain (2015), sans des « preuves » solides d´un commencement de la preparation des élections, l´instabilité va s´installer au pays. ¤ Il ya un facteur majeur qui peut soit accelerer ce processus d´instabilité soit attenuer les effets de l´instabilité: ** le dialogue basé sur la résolution de l´ONU¤¤
Ce « dialogue » est une porte de sortie diplomatique et politique pour ceux qui dirigent le Congo en ce moment. Une possibilité qu´ils peuvent saisir pour accepter de facto qu´il y aura « altenance » de gré ou de force. L´an 2015 risque d´être la fin de l´ère « AFDL » soit par une violence politique, soit pacifiquement** Ceux qui tentent de « repousser » l´alternance en 2016, devraient se dire qu´ils peuvent-être forcés par des circonstances exterieures et interieures dès 2015 á quitter le pouvoir.
Refuser les élections ne fera qu´accelerer le processus.**