Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 17-06-2017 12:38
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Rattrapés par le « glissement », les proches de Joseph Kabila sanctionnés par l’UE -JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Rattrapés par le « glissement », les proches de Joseph Kabila sanctionnés par l’Union Européenne

Par Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend

Tels des chiens lâchés par un chasseur à la poursuite d’un gros gibier, les collaborateurs de Joseph Kabila ont, chacun dans son rôle, rivalisé d’ardeur pour concevoir et veiller à l’application des stratégies tendant à lui obtenir le « glissement », synonyme de contournement des dispositions verrouillées de la Constitution en rapport avec le nombre et la durée des mandats présidentiels. Depuis le 20 décembre 2016, c’est chose faite. Le coup de sifflet final n’étant pas intervenu la veille, la CENCO et l’opposition ont été embarquées subtilement dans un schéma de dialogue improductif dont les interlocuteurs connaissaient l’objectif à atteindre. Avec les moyens de répression à leur disposition, ces derniers ont cependant oublié que dans la jungle, communément appelée communauté internationale, les intérêts se croisent et se mondialisent de telle sorte que des plus féroces qu’eux existent, observent et veillent à ce que, dans ce village planétaire, aucun déséquilibre ne vienne mettre en péril leurs propres intérêts.

Avec tout ce que le Congo a à offrir au monde, les diverses sanctions prises par cette communauté internationale à l’endroit des faucons du régime de Kabila, et peut-être bientôt à son endroit, sont à situer dans ce contexte. Parmi les Congolais, certains s’en réjouissent tout en souhaitant qu’elles soient renforcées, d’autres considèrent qu’elles n’ont aucun effet sur les concernés tandis que ces derniers, par regain d’orgueil, menacent de faire application du principe de la réciprocité, généralement utilisé en droit international, pour autant que les rapports de force le permettent. C’est le contexte et la portée de ces sanctions et certaines mesures judiciaires prises par la communauté internationale qui font l’objet de notre analyse de ce jour pour interpeller le peuple congolais au sujet du rôle qui lui revient de compter avant tout sur lui-même avant d’en appeler à la solidarité internationale.

Evariste Boshab, ancien ministre de l’Intérieur et Kalev Mutondo, Chef de l’ANR (les renseignements civils congolais)

1. Les sanctions et le contexte du glissement

Le glissement, demeuré longtemps une vue d’esprit pour de nombreux Congolais qui avaient cru que la Troisième République nous avait enfin apporté l’état de droit et la démocratie, est l’aboutissement d’une œuvre de longue haleine qui a mis à contribution plusieurs ouvriers politiques, judiciaires et sécuritaires (militaires et policières).

Officiellement, l’autorité morale de la MP, mieux l’auteur moral du glissement ne dit et ne fait rien qui puisse dévoiler son intention réelle de s’éterniser au pouvoir. Ce qui importe pour lui, c’est le résultat. Sur terrain, les membres de sa famille politique ainsi que ceux de toutes les institutions, instrumentalisées, se sont répartis les tâches et se rivalisent d’initiatives avec pour objectif : « obtenir pour le raïs un autre mandat à défaut de modifier la Constitution et, par conséquent, pour eux-mêmes, la prolongation des privilèges acquis ».

A. Au plan politique

Le point de départ fut la publication de l’ouvrage pseudo-scientifique[1] intitulé « Entre la révision de la Constitution ou l’inanition de la nation ». Bien qu’aucun scientifique sérieux n’ait appuyé cette diversion, les partisans de la violation de la Constitution n’ont pas désarmé. Il s’en est suivi une série de campagnes, de déclarations et de tentatives de modification, via le Parlement, de la Constitution dont la finalité consistait à élaguer toutes les dispositions considérées comme obstacles à la réalisation du projet antidémocratique. Pour André Mbata : « Au lieu de passer leur temps à fabriquer des arguments pseudo-scientifiques pour amener les Présidents à violer les Constitutions en se cramponnant au pouvoir, les thuriféraires et les tambourinaires du pouvoir devraient plutôt aider ces hommes, qui étaient déjà mal entrés dans l’histoire politique de leurs pays, à se réconcilier avec leurs peuples et en se retirant dignement à la fin de leurs mandats. L’histoire nous apprend qu’aucun mobutiste n’avait suivi Mobutu dans sa chute. Ils étaient les premiers à le renier et à le vilipender, en le présentant comme un vilain dictateur. »[2]

Ce conseil n’avait malheureusement pas ébranlé le défunt président de la CENI, l’abbé Apollinaire Malu Malu, qui sortit du bois pour suggérer le recensement préalable de la population avant toute élection. Son vœu/complot fut concrétisé par la création d’un organe mort-né dénommé Office National d’Identification de la Population (ONIP), au même moment que le Ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab, présentait au Parlement un projet de loi portant modification de la loi électorale afin de subordonner la tenue des élections à ce recensement. Sans la vigilance des Congolais, qui sortirent massivement dans les rues pour exprimer leur ras-le bol, le glissement aurait été légalement instauré, sous le nez et la barbe de l’opposition dite parlementaire.

B. Au plan judiciaire

Non sûrs de leur forfait et pour contrer les stratégies de l’opposition, de nature à mettre en échec les manœuvres dilatoires du camp présidentiel, les députés membres de la MP saisirent la Cour Constitutionnelle le 19 décembre 2015, en interprétation de l’article 70 de la Constitution, qui ne posait apparemment aucun problème même pour les étudiants de deuxième année en Droit. Abusant du caractère définitif et inopposable de ses arrêts, la Cour Constitutionnelle, sans réunir le quorum exigé par la loi pour siéger valablement, consacra le glissement par voie judiciaire en rendant son arrêt de la honte. Bien avant ça, la même Cour, malgré la saisine irrégulière, avait déjà autorisé la CENI à prolonger les délais de consultation populaire au motif que techniquement, les élections libres et transparentes ne pouvaient pas se tenir dans les délais constitutionnels.

Pendant que toutes ces décisions controversées se prenaient, des rafles s’opéraient dans les rangs de l’opposition pour l’empêcher de manifester ou de s’exprimer pour défendre la Constitution. Des parodies de procès furent organisées au pénal pour clouer le bec aux plus téméraires des opposants parmi lesquels Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, Vano Kiboko, Moïse Katumbi, Moni Della, Jean-Bertrand Ewanga, Franck Diongo, etc. Pour s’occuper du peuple, équation difficile à gérer, la police et l’armée étaient déployées pour réprimer dans le sang toute velléité de contestation.

C. Au plan sécuritaire

Pour la première fois depuis son accession au pouvoir, le régime de Kabila a fait face à la première grande manifestation populaire en janvier 2015 lorsque le peuple congolais est descendu massivement dans les rues de Kinshasa et des chefs-lieux de certaines provinces pour protester contre le projet de loi initié par Évariste Boshab, alors Ministre de l’Intérieur. Ce projet de loi prévoyait de subordonner la tenue d’élections au recensement préalable de la population, ce qui allait avoir pour conséquences de prolonger, sous-couvert de la loi, le mandat du Président Kabila et de renvoyer aux calendes grecques les élections à délai impératif prévues par la Constitution. Le bilan de la répression des trois jours de manifestations fut très lourd en termes de vies humaines disproportionnellement fauchées par la puissance de feu de la police et de l’armée.[3] « La fédération internationale des droits de l’homme dénombre au moins 42 morts, des dizaines de blessés et plusieurs personnes arrêtées ».[4]

Il en a été de même en septembre 2016, lorsque, obéissant au mot d’ordre de feu Etienne Tshisekedi, plusieurs Congolais furent abattus[5] comme du gibier pour avoir osé avertir Joseph Kabila que son mandat venait à expiration le 19 décembre de la même année. A en croire Human Right Watch : « 44 morts dont 37 personnes tuées par les forces de sécurité, et 7 policiers morts dans les affrontements avec des manifestants ; 32 morts selon la Police Nationale Congolaise. A cela s’ajoutent de nombreux blessés et des dégâts matériels considérables : plusieurs sièges ou bureaux des partis politiques incendiés, des écoles brûlées, des résidences privées et des commerces pillées et saccagés, des véhicules calcinés ou caillassés. »[6]

L’élan de répression sanglante fut maintenu jusqu’en décembre 2016 ce, en dépit du fait que les négociations se poursuivaient au siège de la CENCO entre le pouvoir et le RASSOP en vue d’aboutir à un accord politique plus inclusif devant baliser la voie vers les élections crédibles. « Environ 40 personnes ont été tuées et 147 autres blessées par les forces armées de la RDC et la police nationale congolaise au cours des manifestations allant du 15 au 31 décembre 2016 en RDC, a rapporté mercredi le Bureau Conjoint de l’ONU aux droits de l’homme. Dans ce rapport publié ce mercredi 1er mars, l’ONU reproche aux forces de défense et de sécurité congolaises d’user excessivement de la force allant jusqu’à « tirer à balle réelle sur les manifestants ».[7]

Malgré tous ces excès des « forces de l’ordre », aucun dossier judiciaire ne fut ouvert contre les donneurs d’ordres ni encore moins contre les exécutants. Par la bouche du Ministre de l’Intérieur, le gouvernement parla, sans aucune considération pour ces victimes, des inciviques et des pilleurs. Comme si cela ne suffisait pas, de nouveaux foyers de tensions se sont subitement allumés au centre du pays (Grand Kasaï) endeuillant de milliers de familles et occasionnant le déplacement de plus d’un million  de citoyens, dans l’indifférence totale de ceux qui ont parié de défier les Congolais et la Communauté internationale.[8]

2. La Communauté internationale a-t-elle enfin entendu les cris de détresse des Congolais?

Allant jusqu’à regretter l’époque du feu Marechal Mobutu, des Congolais se sont maintes fois adressé, comme à une personne physique, à la nébuleuse communauté internationale pour lui demander de reprendre Joseph Kabila, considéré comme un étranger qui leur aurait été imposé. En effet, durant ses seize de règne, ce dernier n’a jamais réussi à établir une connexion émotionnelle et empathique avec le peuple Congolais, qui lui reproche un bilan largement négatif sur presque tous les plans : démocratique, socio-économique et sécuritaire. Fallait-t-il que la communauté internationale s’en tienne à la souveraineté de l’État congolais et laisse la situation pourrir au risque de nuire aux pays voisins et de porter atteinte à leurs intérêts?

A. La souveraineté a des limites

Il est depuis longtemps révolu, ce temps où les États pouvaient vivre en autarcie et se prévaloir d’une souveraineté absolue. Dès lors qu’un État adhère à un grand ensemble comme l’ONU, il s’ouvre aux autres et donne automatiquement droit à ces derniers, selon les intérêts et les rapports de force, d’observer et d’avoir un droit de regard sur tout ce qui passe. Ainsi est né petit à petit ce qu’on appelle « Droit d’ingérence et devoir d’ingérence ». « Le droit d’ingérence » est la reconnaissance du droit des États de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits de la personne. Le devoir d’ingérence, quant à lui, est conçu comme plus contraignant. Il désigne l’obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d’urgence humanitaire. Ni le droit, ni le devoir d’ingérence n’ont d’existence dans le droit humanitaire international. L’ingérence elle-même n’est pas un concept juridique défini. Au sens commun, il signifie intervenir, sans y être invité, dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État. »[9] Face à la barbarie d’un État devenu voyou, qui commet des crimes d’État et massacre impunément ses propres citoyens, qui les enfuit dans des fosses communes et qui empêche même l’ONU, dont il est membre, d’enquêter pour découvrir la vérité, les sanctions ne peuvent être que bien accueillies par cette population martyrisée. Commentant la résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations Unies, Jean-Jacques Wondo aborde le  nouveau concept de « la responsabilité de protéger » en ces termes : « De la sorte, un État ne peut plus invoquer sa souveraineté pour refuser toute ingérence extérieure à l’intérieur de son territoire national et qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger une population contre des catastrophes ou des violences lorsque l’État dont elle relève n’est pas disposé à le faire ou en est incapable. »[10]

La souveraineté est d’autant plus limitée que le régime de Joseph Kabila est mal placé pour s’en prévaloir. En effet, tous les Congolais savent que dans les circonstances normales d’alternance démocratique, Kabila ne serait JAMAIS devenu Président de la République ni en 2001, ni en 2006 ni encore moins en 2011. On ne parlerait pas non plus de lui comme Président de la République au-delà du 19 décembre 2016 s’il avait respecté son serment constitutionnel. C’est dommage que des témoins « survivants » (Yerodia, Mwenze Kongolo, Eddy Kapend…) n’aient jamais eu le courage patriotique de dire aux Congolais la vérité sur la désignation de Joseph Kabila comme successeur de L.D. Kabila.

C’est donc grâce à cette communauté internationale que le régime de Joseph Kabila a pu survivre tant aux contestations des forces politiques et sociales qu’aux différentes rébellions qui ont failli l’emporter plus d’une fois. Ceux qui prétendent invoquer la souveraineté de l’État congolais ignorent ou feignent d’ignorer que le budget national bénéficie presque chaque année des perfusions financières des puissances étrangères, fruit des sacrifices de leurs contribuables. Dans ces pays, les contribuables ont le droit d’exiger des comptes à leurs dirigeants et, au besoin, de réclamer des sanctions contre ceux qui abusent de leur générosité. Enfin, on ne peut pas non plus sans se gêner invoquer la souveraineté de l’État congolais quand sa population est quasi prise en charge par une multitude d’ONG dans tous les domaines de la vie.

Alexis Thambwe Mwamba, ministre congolais de la Justice mis sous examen judiciaire en Belgique, avec des mesures de restrictions de ses mouvements et d’expression

B. Souveraineté et respect des engagements internationaux

En tant que membre à part entière de l’ONU et de l’Union Africaine, le Congo/Kinshasa a ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux, qui font partie intégrante de la Constitution et qu’il est tenu de respecter comme normes ayant primauté sur celle-ci. Ces instruments juridiques internationaux sont entre autres la Déclaration universelle de droits de l’homme, la Charte de l’ONU et la Charte de l’Union africaine. Dans les préambules de tous ces textes ratifiés par le Congo/Kinshasa, les droits de l’homme et la dignité de la personne sont des valeurs qui occupent une place de choix et dont il est fait la promotion. Mais sur le plan politique, il y a surtout la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance, dont on ne parle presque jamais et pourtant adoptée le 30 janvier 2007 et ratifiée le 29/06/2008, sous le régime de Joseph Kabila[11]. Les paragraphes 8, 9 et 10 du préambule énoncent ce qui suit :

« Soucieux d’enraciner dans le continent une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux, indépendants, compétents et impartiaux ;

Préoccupés par les changements anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l’une des causes essentielles d’insécurité, d’instabilité, de crise et même de violents affrontements en Afrique ;

Résolus à promouvoir et à renforcer la bonne gouvernance par l’institutionnalisation de la transparence, de l’obligation de rendre compte et de la démocratie participative ».

Si elle était observée, cette charte aurait pu éviter au peuple congolais les drames qu’il vit aujourd’hui comme conséquences du glissement. Voici ce qu’elle dit de ses objectifs, de ses principes, de l’alternance politique, des institutions démocratiques, des élections et des sanctions :

Objectifs (article 2 : 3 et 4) :

  1. Promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement.
  2. Interdire et rejeter tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Étant membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement.

Principes (article 3 : 1, 2, 4, 8, 10 et 11)

  1. Le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques.
  2. L’accès au pouvoir et son exercice, conformément à la Constitution de l’État partie et au principe de l’État de droit.
  3. La tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes.
  4. La transparence et la justice dans la gestion des affaires publiques. 10. Le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement.
  5. Le renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle, des droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y compris les partis politiques d’opposition qui doivent bénéficier d’un statut sous la loi nationale.

Démocratie, État de droit et droits de l’homme

(Article 4:1 et article 5)

Les États prennent l’engagement de promouvoir la démocratie, le principe de l’État de droit et les droits de l’homme.

Article 5 : Les États prennent les mesures appropriées afin d’assurer le respect de l’ordre constitutionnel, en particulier le transfert constitutionnel du pouvoir.

Élections (article 17 : 1 et 3) :

  1. Créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections.
  2. Faire en sorte que les partis et les candidats qui participent aux élections aient un accès équitable aux médias d’État, pendant les élections.
Sanctions (article 23 : 5)
Les États parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union :
  1. Tout changement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique.

L’Union africaine étant malheureusement devenue un syndicat des dictateurs, cela donne des ailes au Ministre congolais des Affaires Étrangères, Léonard She Okitundu, qui sillonne les capitales africaines à la recherche des soutiens pour le maintien au pouvoir de Joseph Kabila en violation de la présente charte. Mais les valeurs de démocratie, des droits de l’homme, de l’alternance démocratique et de la bonne gouvernance étant universelles, l’Union européenne, après avoir usé des voies diplomatiques, s’est résolue à prendre des sanctions ciblées contre des personnalités jugées dangereuses pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme.

3. Fondement juridique des sanctions de l’Union Européenne

L’Accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000, révisé le 25 juin 2005 et le 22 juin 2010 a été amandé en décembre 2013. C’est cet accord qui met d’un côté l’Union européenne et de l’autre côté les pays ACP (Afrique, Caraïbe et Pacifique), qui ont besoin de l’assistance, essentiellement en matière de développement. Tout en respectant, sur papier, l’indépendance, la souveraineté et l’égalité des États signataires, l’assistance de l’UE aux États ACP est subordonnée au respect par ces derniers de certaines valeurs universellement incontournables dans la gouvernance moderne. Aussi, la personne humaine étant au centre de cette coopération Nord-Sud, l’article 9 de cet accord privilégie le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la démocratie basée sur l’État de droit ainsi qu’une gestion transparente des affaires publiques. Il est écrit au point 2 de cette disposition ce qui suit : 

« Les parties se réfèrent à leurs obligations et à leurs engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme. Elles réitèrent leur profond attachement à la dignité et aux droits de l’homme qui constituent des aspirations légitimes des individus et des peuples. Les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants. Les parties s’engagent à promouvoir et protéger toutes les libertés fondamentales et tous les droits de l’homme, qu’il s’agisse des droits civils et politiques, ou économiques, sociaux et culturels. L’égalité entre les hommes et les femmes est réaffirmée dans ce contexte. »

Les sanctions récemment infligées à quelques personnalités du régime de Kabila ne sont que des mesures d’urgence prises conformément aux dispositions de l’article 96, § 2 dont voici un point :

Article 96 (point b)

Éléments essentiels – Procédure de consultation et mesures appropriées concernant

les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’État de droit.

  1. b) Les termes « cas d’urgence particulière » visent des cas exceptionnels de violations

particulièrement graves et évidentes d’un des éléments essentiels visés à l’article 9, paragraphe 2, qui nécessitent une réaction immédiate.

Habitués à violer leurs propres lois, à ignorer le sens de la parole donnée, à ne rendre compte à personne, à croire que la force des armes suffit à leur assurer la pérennité du pouvoir, Kabila et ses irréductibles fanatiques ont surtout ignoré que leur gestion calamiteuse du pays porte atteinte à ces valeurs universelles et met en péril la paix, la sécurité et les intérêts des autres États, en Afrique et dans le monde. D’où, à notre avis, le problème n’est pas de savoir quelle peut être l’efficacité de ces sanctions sur les personnes concernées mais plutôt quel est le fond du message (les non verbaux) qu’elles contiennent.

Lambert Mende, ministre des la Communication et Médias, porte-parole de Kabila et du Gouvernement congolais

4. La portée réelle des sanctions infligées à l’entourage de Joseph Kabila

La tendance générale qui se dégage chez bon nombre de Congolais, est de considérer ces sanctions comme insuffisantes et n’ayant aucun effet sur les concernés, cas de Gédéon Kyungu[12]. Irresponsables, les concernés eux-mêmes minimisent ces sanctions et vont jusqu’à menacer d’appliquer le principe de réciprocité, en sous-estimant les conséquences, à court ou à moyen terme, sur leur propre sort et sur leur régime[13]. Pourtant, bien décryptées, ces sanctions renferment plusieurs messages, dont voici les plus significatifs :

  • Dans les relations internationales, il n’y a que les intérêts qui comptent. Pour avoir trop misé sur le soutien extérieur au détriment de la légitimité intérieure, Kabila apprend à ses dépends, n’en déplaise aux faucons du régime, qu’il n’est plus l’interlocuteur valable de l’UE et des États-Unis pour assurer leurs intérêts. A travers ses collaborateurs sanctionnés, c’est lui-même qui est personnellement et poliment visé. D’où les actions concertées que nous observons et qui paraissent irréversibles. D’ici le 31 décembre 2017, il n’a pas d’autre choix que de rendre le tablier en laissant les élections se dérouler conformément à la loi et selon le schéma tracé par l’accord de la CENCO.
  • Ces sanctions, apparemment sans grand effet, ne sont qu’un arbre qui cache la forêt. En effet, contrairement à ceux qui croient que la « souveraineté » leur permet d’abuser impunément de la puissance publique (services de sécurité, police, armée et justice), la plupart de leurs actes sont suffisamment documentés, archivés et prêts à être orientés vers les instances judiciaires internationales au cas où il n’y aurait pas de changement d’attitude. Selon les révélations d’Edward Snowden, « La République Démocratique du Congo serait le pays le plus espionné par l’Occident. Ainsi, en mars 2009, alors que le gouvernement de la RDC et la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (NCDP) ratifiaient un traité de paix, les deux camps étaient espionnés par le système de surveillance satellitaire du Government Communications Headquarters* (GCHQ) britannique. De nombreux numéros de portable se trouvaient sur la liste des cibles à surveiller, parmi ceux-ci, celui du Président congolais Joseph Kabila. Emails, numéro de fixe et de portable des conseillers politiques et militaires ne furent pas épargnés non plus. L’armée et les services de renseignement congolais furent eux aussi espionnés. On découvre par ailleurs, à la lecture des documents du GCHQ, que les forces armées régulières de la RDC n’ont plus aucun secret pour les Britanniques ».[14] Un proverbe ivoirien illustre bien ce qui arrive aux dirigeants congolais : «  Si tu te comporte comme un crabe, tu seras mangé avec bruit. ». C’est pourquoi, Gédéon Kyungu a été listé parmi les personnes sanctionnées pour montrer à Joseph Kabila que ses anciens partenaires n’ont pas apprécié qu’il soit allé si loin en admettant ce redoutable criminel dans sa famille politique, de même que John Numbi qui est fait héros national alors que plusieurs charges criminelles pèsent sur lui, notamment l’assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya.
  • Pour toutes ces personnes sanctionnées et pour d’autres qui seraient sur les listes d’attente, il n’est pas encore tard pour réfléchir et prendre la seule bonne décision qui consiste à quitter le bateau de la mort avant qu’il ne sombre définitivement avec tous ses passagers récalcitrants.  
  • Plus spécialement pour les professeurs d’université et tous les hommes de sciences qui aspirent à assumer des charges publiques, ils doivent désormais apprendre à mettre leur science au service de l’humanité et de leur peuple plutôt que suivre l’exemple du « constitutionnaliste » Évariste Boshab qui a mis la sienne au service de la dictature et de la violation de la Constitution. Les spécialistes en synergologie[15] et tous ceux qui ont suivi attentivement le Journal Afrique de France 24 du 19 mai dernier, ont pu lire sur son visage, défiguré, toute son angoisse sur son sort. Faisant semblant d’ignorer les torts causés à la démocratie et aux droits de l’homme, de minimiser la sanction qui lui est infligée et de ne rien se reprocher, il s’est étonné du caractère inquisitoire de la procédure et a regretté ne pas avoir été entendu ni informé. Évariste Boshab peut-il dire aux Congolais quelle justice avait été rendue aux victimes fauchées le 02 janvier 2012 sur le Boulevard du 30 Juin par sa jeep que conduisait son fils et pourquoi ce dernier ne vit plus au Congo depuis lors ?[16] « En effet, le fils Boshab au volant de sa jeep Navigator a causé ce mardi 2 janvier sur le boulevard du 30 juin au niveau de l’ambassade sud-africaine, un grave accident de circulation. Cet accident a entrainé la mort de 5 personnes et plusieurs autres sont grièvement blessées. Selon des témoins, le fils Boshab, en compagnie du fils Muzito, roulait à tombeau ouvert et revenait d’une boîte de nuit. Il semble qu’il était ivre. C’est donc dans cet état qu’il a percuté de plein fouet une voiture, tuant au passage tous ces passagers dont un avocat. Bien avant de percuter cette voiture, il avait déjà fauché des piétons car il avait grillé un feu. Après ce terrible accident, il a pris fuite et sa jeep a été enlevée du boulevard par la police avec une rapidité jamais vue. »[17]
  • Enfin, même s’ils ne sont pas ou pas encore concernés, les membres du pouvoir judiciaire (juges et magistrats du parquet), à tous les échelons, sont au premier chef interpelés par ces sanctions, eux qui se sont laissé instrumentaliser par les politiques et, par conséquent, ont consacré l’impunité. En cas de changement de régime et pour moraliser la vie publique et garantir les investissements, une refonte rigoureuse de la magistrature sera nécessaire (nous y contribuerons) pour débarrasser du pouvoir judiciaire tous ceux qui ont contribué à bloquer la démocratie et à retarder l’avènement d’un État de droit.

Conclusion

Gouverné avec un minimum de respect de la Constitution, des lois de la République et des valeurs universellement admises en matière des droits de l’homme, le Congo/Kinshasa jouerait le rôle de locomotive qui lui revient naturellement et géo-stratégiquement en Afrique et pèserait lourd dans le concert des nations. A cause d’un groupe d’individus, anciens mobutistes et leurs alliés de la nouvelle génération des jouisseurs, c’est toute la nation qui est humiliée par des sanctions infligées par d’autres États aussi membres de l’ONU. Inutilement têtus, refusant de comprendre que ce sont eux les pyromanes et ne se donnant aucune peine d’évaluer les rapports de force, ces individus devraient assumer les conséquences du glissement plutôt que de recourir à la démagogie et à la victimisation[18] pour comparer le Congo à la Libye et à la Syrie, que les Occidentaux, les mêmes qui les avaient pourtant soutenus jusque-là, voudraient faire imploser.

C’est peine perdue car, à cause de ce glissement tant recherché et obtenu en versant le sang des Congolais, cette fois, ils risquent de ne trouver nulle part une terre d’accueil pour un exil paisible et doré comme ce fut le cas en 1997.

C’est le moment pour ce qui reste de l’opposition de changer de stratégies en abandonnant le partage du pouvoir pour se focaliser sur la tenue d’élections libres, justes et réellement transparentes, gage de la stabilité, de la paix et de la sécurité. Quant aux futurs dirigeants du pays, ils devront retenir une fois pour toutes que la vraie souveraineté est celle issue de la légitimité interne, conséquence du respect du souverain primaire et de l’observance de la Constitution et des lois de la République.

Jean-Bosco Kongolo M., Juriste&Criminologue

Exclusivité DESC

Raférences

[1] La qualification est du professeur constitutionnaliste André Mbata Mangu.

[2] Diascongo.com, In http://www.diascongo.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1305:l-entre-la-revision-constitutionnelle-et-linanition-de-la-nation-r-evariste-boshab-contredit-par-un-autre-juriste-et-pr-de-droit&catid=53:actualite&Itemid=216.

[3] Selon plusieurs témoignages recueillis, des éléments de la garde républicaine étaient déguisés en policiers.

[4] Radio Okapi, 22/01/2015, In http://www.radiookapi.net/actualite/2015/01/22/loi-electorale-controverse-sur-le-bilan-des-manifestations-en-rdc/.

[5] JJ Wondo O., Septembre rouge en RDC : Joseph Kabila dévoile son ADN politique sanguinaire – DESC, 22septembre 2016. http://afridesk.org/fr/septembre-rouge-en-rdc-joseph-kabila-devoile-son-adn-politique-sanguinaire-jj-wondo/.

[6] Cymimeboya, 29 septembre 2016, In http://cymimeboya.blogspot.ca/2016/09/.

[7] ACTUALITÉ.CD, 01/03/2017, In https://actualite.cd/2017/03/01/fin-mandat-de-kabila-larmee-pointee-doigt-repression-manifestations-decembre/.

[8] La crise dans le Grand Kasaï a un effet dévastateur sur les enfants, affirme l’UNICEF, dans un communiqué de presse. Plus de 1,5 million d’enfants, dont 600.000 déplacés, sont affectés par la crise, déplore le Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Forum des As, 26 avril 2017, In  http://forumdesas.org/spip.php?article11345.

[9] Réseau de recherche sur les opérations de la Paix(ROP), In http://www.operationspaix.net/41-resources/details-lexique/devoir-et-droit-d-ingerence.html

[10] JJ. Wondo, 2013. La résolution 2098 et l’effondrement du monopole de l’État congolais-Analyse d’un pétard mouillé, In http://afridesk.org/fr/la-resolution-2098-et-leffondrement-du-monopole-de-letat-congolais-analyse-dun-petard-mouille-jean-jacques-wondo/.

[11] Voir le tableau de ratification, In http://www.achpr.org/fr/instruments/charter-democracy/ratification/.

[12] Lire Kongolo, JB, 2017. Joseph Kabila-Gédéon Kyungu : une alliance dangereuse à dénoncer, In https://afridesk.org/fr/oseph-kabila-gedeon-kyungu-une-alliance-criminelle-a-denoncer-jb-kongolo-m-20747-2/.

[13] Lire JJ Wondo, La diplomatie appliquée : Vers un remake de l’isolement  diplomatique de la RDC des années 1990 ? http://afridesk.org/fr/la-diplomatie-appliquee-vers-un-remake-de-lisolement-diplomatique-de-la-rdc-des-annees-1990-jj-wondo/. 3 juin 2017.

[14] Actu Cameroun, 26 Déc. 2016, In https://actucameroun.com/2016/12/17/rd-congo-le-pays-le-plus-espionne-par-loccident-est-la-republique-democratique-du-congo/.

[15] La synergologie, dont nous sommes présentement étudiant autodidacte, est une discipline du champ de la communication basée sur les communications non verbales. C’est une méthode de lecture spécialisée dans le décryptage des mouvements corporels inconscients. In http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=10710.

[16] Parmi ces victimes, se trouvait un avocat, Me Mimi Lokonga.

[17] Overblog, 5 janvier 2012, In http://jpkasusula.over-blog.com/article-affaire-fils-boshab-la-justice-rd-congolaise-a-l-epreuve-de-son-in-dependance-96200857.html.

[18] Terme employé dans les sciences criminelles dans le champ de la victimologie. « Au sens strict, la victimologie est l’étude des victimes de délits ou de crimes, leur statut psycho-social et leurs éventuelles relations avec les agresseurs ou leur simple qualité de cible dans une perspective de criminologie économique. L’étude sur la victimisation conduit également à explorer d’autres pistes, par exemple, à ce qui peut prédisposer certaines personnes à devenir des victimes… », Wikipédia, In https://fr.wikipedia.org/wiki/Victimologie. Lire aussi : « Victime, une épopée conceptuelle. Première partie : définitions », Evelyne Josse, 2006,  http://www.abbassi-criminologie.com/wp-content/uploads/2013/11/Victimes-une-%C3%A9pop%C3%A9e-conceptuelle-Premi%C3%A8re-partie.pdf.

 

 

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One Comment “Rattrapés par le « glissement », les proches de Joseph Kabila sanctionnés par l’UE -JB Kongolo”

  • Jacksch

    says:

    En cas de changement de régime et pour moraliser la vie publique et garantir les investissements, une refonte rigoureuse de la magistrature sera nécessaire (nous y contribuerons) pour débarrasser du pouvoir judiciaire tous ceux qui ont contribué à bloquer la démocratie et à retarder l’avènement d’un État de droit. AMEN

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