Cette note apporte une contribution thématique stratégique et pragmatique à la réforme de l’armée congolaise, les FARDC. Une réforme est un processus. C’est une transformation profonde, radicale apportée à une institution dans le but améliorer son fonctionnement et d’accroitre son rendement pour la rendre plus crédible aux yeux du public. Le but de la réforme de l’armée est de mettre en place une armée nationale, républicaine et professionnelle. En effet, la « formation d’une armée nationale, républicaine, restructurée et intégrée » est donc un des cinq objectifs principaux de l’Accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 décembre 2002 et à Sun City le 1er avril 2003. La réforme du secteur de la sécurité, notamment celle de l’armée, fait également partie des priorités de tous les gouvernements successifs depuis la transition de 2003.
Depuis sa mise en place en 2003, l’armée congolaise (FARDC) a fait l’objet de 5 plans de réforme infructueux[1] :
- Plan stratégique de réforme de l’armée congolaise (2005 – 2010) : Brassage
- Plan Global sur la RSS (2007–2012)
- Plan Directeur Global de la réforme de l’Armée (2008–2020)
- Plan de réforme de l’armée (2009–2025) : Bon plan, mais dévoyé et abandonné suite aux énormes retards/manque de volonté politique
- Nouveau Plan de réforme (2013/15- 2025) : Rectification plan 2009-2025, mais son opéralisation a connu un frein du fait de déficit d’engagement politique.
Pourquoi réformer et créer une armée professionnelle ?
La réforme des FARDC vise à faire de l’armée congolaise une institution au service du développement dans un environnement où règnent en permanence la paix, la sécurité et la cohabitation pacifique entre les populations. La formation d’une armée professionnelle devra contribuer à la sécurisation de l’ensemble du pays, à la mise en confiance des partenaires internationaux et des opérateurs économiques pour encourager l’investissement et le commerce, moteurs de l’emploi, de la croissance économique et du bien-être global de l’ensemble de la population congolaise. La participation de l’armée à l’effort de reconstruction nationale et aux activités de développement, non concurremment avec les entreprises privées, mais bien conjointement à titre subsidiaire[2].
La professionnalisation – à savoir la formation, l’entraînement, l’équipement et la mise en valeur de l’armée – devra aller de pair avec la redéfinition de ses missions et l’évolution des menaces. Il s’agit de repenser le pourquoi et le comment, étant entendu que l’instabilité de ces trois dernières décennies trouve ses racines sur des facteurs à la fois endogènes et exogènes à la RDC.
Une insécurité récurrente à l’est de la RDC avec des opérations inopérantes
La RDC reste actuellement confrontée à plusieurs menaces intérieures et extérieures. L’armée est engagée dans plusieurs opérations militaires infructueuses, notamment au Nord-Kivu, en Ituri et au Sud-Kivu. La situation sécuritaire globale de la RDC demeure très préoccupante. Depuis octobre 2021, le groupe armé M23 s’est réactivé avec l’appui de l’armée rwandaise. Le M23 a intensifié ses attaques en mai 2022 et occupent plusieurs territoires au Nord-Kivu. Par ailleurs, la province du Kwango, à l’ouest du pays, est en prise à un conflit intercommunautaire qui s’étend aux portes de la capitale, que les forces de défense et de sécurité peinent à endiguer. À cela, pourrait s’ajouter l’exacerbation des tensions politiques et des violences dues au contexte électoral des élections du 20 décembre 2023.
Diagnostic succinct des FARDC
Les FARDC présentent une morphologie d’une pyramide inversée comprenant plus de cadres que de soldats de rang. Il se pose de sérieux problèmes de maîtrise des effectifs de l’armée. La gestion et la maîtrise des effectifs des FARDC restent un casse-tête pour les autorités congolaises. Les effectifs – souvent fictifs – des militaires sur le terrain des opérations sont largement déficitaires par rapport aux effectifs théoriques. Ce fléau n’est pas spécifique à l’armée. Elle touche l’ensemble de l’administration publique congolaise[3]. Il est pratiquement impossible d’estimer les effectifs réels des FARDC. Les FARDC souffrent d’absence de tableaux organiques et de tableaux de dotations censés permettre une vue d’ensemble de l’armée ainsi que de leur matériel. L’état-major général des FARDC et les ministères de la Défense et du Budget n‘ont aucune vue sur les effectifs militaires[4].
On compte au sein des FARDC plus de 25.000 en âge de retraite et plus de 30.000 fictifs. Paradoxalement, faute de formation, c’est parmi des militaires âgés (généralement ex-FAZ) que l’on trouve la grande majorité des spécialistes dont le départ précipité, sans mesure d’encadrement, créent généralement un vide en termes de personnel compétent. (Plan de réforme de l’armé 2009). Les FARDC souffrent également du phénomène népotique ethnique dans les nominations aux postes de haut commandement. Les analyses des nominations des généraux intervenues en juillet 2013, en septembre 2014 et en juillet 2018, en 2020 et en octobre 2022 tendent à corroborer cette tendance ethno-régionale. Le clientélisme et le népotisme sont les pires ennemis de la compétence, du professionnalisme et de la méritocratie. Ces tares impactent l’efficacité opérationnelle de l’armée.
D’une manière générale, les FARDC restent une armée inefficace avec un commandement désorganisé, dysfonctionnel (superposition des structures de commandement) et peu compétent. Cela entraine des chevauchements de compétences entre les différents échelons de commandement (état-major avancé dépendant de Kinshasa, Gouverneurs militaires, commandants des zones de défense, commandants des régions militaires, commandants des secteurs opérationnels, etc.) Les compétences des militaires restent insuffisantes, le commandement militaire est peu formé et défaillant et la formation de base des officiers est au rabais. Le népotisme et le clientélisme ne cessent de s’incruster dans l’armée. Le niveau de formation militaire est au rabais depuis la fin des projets de réforme de l’armée menés et financés par l’Union Européenne à travers le programme EUSEC-RDC.
Les efforts en cours se font de manière désordonnée et non conceptualisée dans un plan global stratégique de réforme des services de sécurité – comme le recommande notamment le rapport parlementaire sur l’état de siège –, pour relancer les coopérations militaires bilatérales n’impactent pas encore l’efficacité opérationnelle des FARDC. Le chef d’état-major général des FARDC n’a pas le contrôle effectif de son armée. Le ministre de la Défense Nationale reste sans portefeuille car la gestion du budget de l’armée échappe à grande partie à son contrôle. La Maison militaire du chef de l’Etat dédouble le ministère de la Défense et l’Etat-major général de l’armée. Actuellement, c’est la maison militaire qui gère tous les aspects fonctionnels et opérationnels de l’armée au détriment du ministre de la Défense et du chef d’état-major général des FARDC. Ce qui crée notamment des distorsions dans la conduite des opérations à l’est et des dysfonctionnements dans la gestion des troupes combattantes. Par ailleurs, la logistique militaire est obsolète et souvent inadéquate pour soutenir efficacement des unités opérationnelles déployées en zone de combat, avec des tableaux de dotation incomplets. Les soldes militaires restent modiques, des primes sont régulièrement détournées par la hiérarchie. Tout cela impacte également le moral des troupes engagées aux combats qui reste anémique du fait notamment de manque de moyens financiers pour entretenir correctement les militaires, malgré » une augmentation significative du budget de la Défense mais qui n’impacte pas la montée en puissance des FARDC[5]. Les effets de la loi de programmation militaire, adoptée en 2022, sont loin d’améliorer le quotidien du militaire.

Quelques pistes de réforme pragmatiques non exhaustives
L’état de délabrement des FARDC exige d’opérer de réelles réformes qui n’accordent aucune place à des complaisances politiciennes, népotistes, tribales, clientélistes ou partisanes car il s’agit de la souveraineté d’un Etat. D’où l’urgence de réorganiser les forces armées de la base au sommet. Les FARDC sont actuellement et particulièrement faibles au niveau du commandement, un grand nombre d’officiers les plus professionnels ou compétents étant vieillissants, mis de côté pour des raisons politiciennes, préretraités, morts ou en exil et le pays n’a plus formé d’officiers sur sol pendant un intervalle de temps de plus de 15 ans.
Une armée professionnelle est une courroie de transmission entre la sécurité et le développement.
D’autant que les études scientifiques démontrent qu’il n’y a pas de développement dans un environnement sécuritaire instable[6]. C’est ce qu’on appelle une Armée de métier avec des militaires professionnels, bien formés, encadrés et payés. Une Armée est un corps sain où il n’y a pas de place pour les délinquants et les rebuts de la société congolaise. Une bonne réforme de l’armée doit rapprocher le fonctionnement des FARDC à celui d’une entreprise privée au niveau de son organisation et de son management ainsi que par une gestion optimisée du personnel et des moyens. Une armée professionnelle qui contribue à la sécurisation de l’ensemble du pays, des ressources, des congolaises et de leurs biens, ainsi que par la consolidation des institutions démocratiques et républicaines.
Quelle priorité en termes d’unité de terrain : Phase d’actions urgentes à court et à moyen termes
Mettre fin aux violences armées doit être la première préoccupation majeure de toutes les autorités congolaises. Bien qu’une réforme de l’armée s’étale sur une longue période, on peut déjà constituer des unités spéciales mobiles.
Dans l’immédiat, il faudrait sélectionner quelques unités, (n’importe lesquelles) dans le but de leur soumettre rapidement une formation pour constituer provisoirement quelques unités mobile d’intervention rapide. Ces éléments sélectionnés devraient être regroupés et brassés dans un endroit bien déterminé pour être évalués sur les plans psychotechnique, mental, physique, cognitive et comportemental afin de déterminer leurs aptitudes réelles et des besoins devant servir de base à leur formation et training. Une fois la formation achevée, ces éléments seront réparties en sous unités tactiques, de préférence et à titre personnel en Compagnies, intégrées au sein d’une structure à la fois opérationnelle et administrative de l’échelon Bataillon, en tant qu’échelon administratif de base au niveau géographique.
Il faudrait uniformiser la structure de l’armée en évitant le dédoublement/juxtaposition entre brigade et régiment. Il n’est pas nécessaire d’avoir des entités militaires territoriales dépassant le niveau administratif ou régional de la brigade. En effet, l’expérience de terrain montre que la meilleure unité de combat en RDC reste la compagnie. L’échelon bataillon devrait servir par conséquent à la fois d’unité tactique supérieure (c’est-à-dire opérationnelle) de base et d’unité administrative, d’encadrement, de coordination et de ravitaillement. Ceci a le mérite d’enlever aux commandants de compagnies le souci matériel, logistique et administratif, pour se consacrer totalement au training et au combat[7]. En effet, l’expérience dans plusieurs pays démontre que par cette stratification de la structure militaire, les commandants de brigade pouvaient mieux administrer et commander leurs formations s’ils subdivisaient la chaîne de commandement, au sens usuel de déléguer. Ils peuvent confier à trois ou quatre de leurs officiers supérieurs, qui leur sont subordonnés, le commandement, avec un peu plus d’autonomie, d’unités de plus petite taille ; c’est-à-dire les bataillons. Même en cas de choix pour les régiments en lieu et place de brigades, comme c’est le cas actuellement, ces régiments peuvent également être subdivisés en bataillons légers où le nombre et la taille de compagnies devant être affectées à ces bataillons légers peuvent-être réduits.
A propos de l’option de la formation des unités de réaction rapide, nous proposons que ces unités soient constituées sur le modèle de l’ex-SARM[8] ou de l’ex- 31ème Brigade des troupes aéroportées (Les bérets rouges) du camp CETA[9] sous la IIème République. Ces unités qui ont notamment fait preuve d’une remarquable efficacité dans le conflit de la bande d’Aouzou au Tchad dans les années 1980 ou lors de la guerre de « Moba I » en novembre 1984. Une opération qui a prouvé la fiabilité de cette unité de réaction rapide en étant capable de parachuter un bataillon entier en tout point du Zaïre en 24 heures. Ces unités se sont également distinguées, en faisant parler leur puissance de feu, leur habilité et combativité au Rwanda en 1990, où elles ont repoussé les premiers assauts de l’Armée patriotique Rwandaise, la branche armée du FPR.
A ces troupes terrestres, viendront se greffer quelques unités d’aviation légère et de force navale comme des sous-composantes intégrées. Pour les unités de la force navale, elles joueront le rôle de garde côtière pour patrouiller dans nos eaux territoriales situées dans les Grands Lacs de l’Est, le Fleuve Congo, l’Oubangui et l’Océan Atlantique. C’est l’option prise par exemple par l’Ouganda qui dispose de quelques unités de marine chargées de surveiller le Lac Victoria et qui sont intégrées au sein des forces terrestres. Cet argument s’appuie sur le besoin d’économie des ressources disponibles pour lever, rapidement, une force terrestre crédible et efficace.
Cet argument est notamment appuyé par des exemples tirés de l’histoire des agressions étrangères subies par la RDC et des opérations entreprises par les FAZ. En effet, depuis 1960, les paras belges envoyés à Kisangani apparemment pour y sauver les expatriés européens étaient tous des troupes aéroportées de la composante terrestre de l’armée. En 1977 et 1978, les troupes belges, françaises et marocaines qui ont reconquis le Shaba envahi par les gendarmes katangais étaient tous des troupes aéroportées au front de guerre à Kolwezi. Les unités des FAZ qui furent envoyées dans les années 1980 et 1990 respectivement au Tchad et au Rwanda furent principalement des troupes terrestres aéroportées du Camp CETA et des éléments du SARM. Enfin, en 1996 et 1998, les forces rwandaises et ougandaises qui ont soutenu l’AFDL, le RCD et le MLC qui ont envahi la RDC, l’ont fait par la voie terrestre, notamment via des ponts aériens entre Goma et Kitona. La voie navigable n’a jamais été exploitée militairement, si ce n’est des incursions sporadiques à partir de Brazza. D’où la nécessité de disposer :
- des unités de patrouille navale, mais pas des unités navales de combat.
- des unités d’aviation légère indépendantes de la Force Aérienne (Reconnaissance, Transport, Appui immédiat des unités de combat) ;
Quelles places pour les autres composantes de l’armée durant cette première phase ?
a. La force Aérienne
Au regard de la conjoncture socioéconomique et budgétaire actuelle et des menaces présentes, à cela s’ajoute le coût très exorbitant d’achat et d’entretien du matériel aérien et la longue durée de la formation du personnel, on peut opter pour la mise en place dans un premier temps d’une aviation légère de l’armée de terre ayant pour missions de transport des forces combattantes dans les zones d’opérations, d’assurer la surveillance du champ de bataille, de suivre le mouvement des forces ennemies et de mener des combats antichars ainsi que des missions d’évacuation de blessés. L’aviation légère peut également mener des opérations d’appui et de protection des troupes de la force terrestre et des unités navales en opération. Cet embryon serait de l’ordre d’une dizaine avions de transport de troupes, de type C 130 Hercules, en nombre suffisant pour le « dropping » d’un bataillon léger d’infanterie en un seul lift et des hélicoptères de reconnaissance et de fixation des forces ennemies, des hélicoptères d’assaut, de combat (destruction et neutralisation des chars et mortiers) et d’appui des troupes de combat au sol; et des avions de reconnaissance.
Cette sous-unité intégrée sera composée de pilotes et de mécaniciens congolais spécialement formés pour le service des hélicoptères et de l‘aviation légère qui seront sous le commandement opérationnel de la force terrestre, tout en relevant administrativement de la force aérienne, s’il le faut.
Les missions dévolues à cette sous-unité dans la force terrestre doivent couvrir tout le spectre des fonctions à remplir pour engager des forces et mener le combat : Ce sont des missions de : Commandement – Renseignement – Appui aux unités combattantes terrestres et Destruction – Support à la mobilité – Dissuasion.
Pour la constitution d’une véritable force aérienne autonome à la dimension d’une RDC qui veut reconquérir sa place de puissance régionale, cela fera l’objet de la troisième phase car nécessitant une mobilisation des moyens budgétaires conséquents. Pour l’instant, il serait judicieux de se concentrer sur les priorités urgentes : pacifier et sécuriser l’Est de la RDC et les autres poches d’instabilité du pays. Si on y parvient, ce sera déjà une grande victoire militaire de ces trois dernières décennies.
De même qu’à terme, il faudrait envisager comment permettre au Congo de former des ingénieurs civils et militaires en toutes spécialités capables de monter des usines de transformation et d’adaptation des matériels militaires (avions, armement, systèmes d’information et de transmission) aux besoins stratégiques et militaires réels du Congo, et compatibles aux caractéristiques militaires, géomorphologiques, climatiques, hydrographiques, spatiales , etc. du pays[10].
b. La Force Navale
Les eaux territoriales congolaises s’érigent en obstacles naturels de défense du pays. Paradoxalement, elles constituent en même temps, surtout les eaux frontalières entre les deux Congo ou entre la RDC et la RCA (l’Oubangui), les espaces poreux d’entrée en RDC. Dès lors, elles nécessitent un dispositif de surveillance permanente. D’où, la nécessité d’une composante navale dans l’armée.
A l’instar de la Force Aérienne, la force navale devrait, dans un premier temps et à court terme, être une force légère. Elle devrait durant cette période être dotée uniquement des équipements de défense et de surveillance et non offensifs. Ses principales tâches vont consister à la:
- surveillance des eaux territoriales congolaises (les frontières maritimes, fluviales, lacustres;
- protection des lignes maritimes de communications ;
- protection des ports et autres sites maritimes ou hydroélectriques contre toutes les menaces aériennes, terrestres (éventuels sabotages des installations, etc.).
Elle ne devra pas comporter une structure propre autonome mais doit être intégrée, tel que mentionné plus haut, au sein du secteur militaire dans l’espace géographique duquel elle se trouve[11].
c. Une Logistique militaire conforme à la menace
La cannibalisation du matériel militaire à tous les échelons de l’armée reste un fléau qui plombe l’efficacité des FARDC. La redynamiser du volet logistique et du génie militaire reste une priorité de la réforme des FARDC. Il faudra former les officiers et les sous-officiers à l’outil de gestion et au concept du soldat-citoyen. Il faudra veiller à uniformiser les matériels militaires (entre autres charroi et armement) au moins au niveau des Bataillons intégrés. Il faudra surtout mener une politique rationnelle d’armement, d’équipement et de télécommunications de l’Armée et des services de sécurité, qui réponde aux besoins réels du terrain afin d’accroître les performances opérationnelles des unités. Il y a lieu également de réhabiliter et d’équiper correctement la force aérienne, la force navale et les unités des troupes blindées et d’artillerie par des matériels performants, adéquats et compatibles avec leurs missions et adaptés aux terrains d’opérations.d) Service médical
Il faudra créer un véritable service médical militaire qui doit s’occuper de la santé physique et mentale des militaires congolais, pendant ou en dehors des opérations militaires. Cette composante aura d’abord pour mission tactique d’appuyer d’abord les militaires en opération sur le terrain par du personnel et du matériel médical spécialisé. Les FARDC manquent d’hôpitaux de campagne. En même temps, il faudra doter l’armée des centres médicaux de référence implantés dans chaque région militaire. Il faudra par la suite mettre en œuvre un système de recomplètement du personnel médical et former des médecins et le personnel médical de l’armée, tout en développant un mécanisme de réapprovisionnement médical. Il faudra également développer une politique de vaccination du personnel (très important) et de prise en charge psycho-social des militaires et de leurs familles ainsi que des modules de formation de base à l’éducation sanitaire et sexuelle.
d. Constitution et jalonnement des unités de force de réaction rapide
Partant de la structuration de l’armée constitution autour de la force terrestre et sur base de ce qui est développé ci-haut, entre 15 à 30 mois, on peut facilement constituer trois à six bataillons de force de réaction rapide, soit deux brigades et les équiper selon les besoins sécuritaires et les menaces. Elles seront opérationnelles et prêtes à être déployées assez rapidement dans les points chauds du pays actuellement focalisée à l’Est et au Sud Est, vu leur taille relativement réduite, contrairement aux brigades ou régiments. Ces unités constitueront la matrice de base de la future force terrestre, capables de faire face à la menace, voire de se permettre des incursions au-delà de nos frontières en cas de provocations.
Ainsi, parallèlement à cette formation de la force de réaction rapide, essentiellement terrestre, car étant le noyau de l’armée, les autres forces (aérienne, navale et renseignements) seront reconstituées en même temps que la formation des militaires dans des écoles militaires et des centres d’instruction et autres écoles de formation spécialisées de l’armée. La restructuration, l’organisation et l’optimisation du fonctionnement renseignement militaire (DEMIAP) à l’instar du SARM sous les FAZ, est une priorité absolue.
En même temps durant cette période de court et moyen terme de la mise sur pied des premières unités, des études et analyses seront parallèlement menées pour élaborer des stratégies d’organisation de la défense intégrale de la RDC et la montée en puissance de son armée où aucun détail ne sera laissé au hasard. La prospective doit également porter sur les futurs sites de répartition et d’implantation des unités où seront implantés des bases militaires et construits des casernements militaires en tenant entre autres compte de leur impact sur la sécurité des populations civiles, des menaces possibles, de l’environnement. Et sur leur contribution à l’effort de reconstruction et de développement de la RDC.
Enfin, suivant certaines analyses prospectives d’experts, on peut, toutes proportions gardées, estimer à 300.000 hommes[12] l’effectif idéal d’une telle armée. En réalité et qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a pas de facteurs statiques immuables tels que la superficie ou la démographie qui doivent constituer absolument les prérequis nécessaires et suffisants pour déterminer la taille d’une armée, selon moi. Mais bien plus, il faudrait également et surtout y associer une évaluation rationnelle de la menace et la vision qu’a la RDC de sa défense. L’option de rationalisation des effectifs de l’armée en fonction des ressources financières disponibles présente le mérite d’éviter les écueils de l’armée russe confrontée régulièrement à des cas de désertion massifs.
Le général Saint-Cyrien Célestin Ilunga Shamanga écrivait « A ceux qui auront entre leurs mains les destinées de notre peuple, je réclame la lucidité et le réalisme dans les choix qui mèneront à la définition de notre politique de défense avant de déterminer le volume et la nature des unités qui vont constituer les nouvelles armées nationales. »[13] . Il affirmait encore : « Il ne suffira pas de clamer la montée en puissance de forces armées de tant et tant de milliers d’hommes. Toute décision à ce sujet doit être prise après des études préalables sur l’identification des ennemis potentiels, des enjeux, du rôle que nous voulons jouer dans notre sous-région, en Afrique et dans le monde mais aussi la prise en compte sans complaisance des moyens que la République est en mesure de débloquer pour l’entretien régulier de ses forces armées. »[14]
e. La formation au cœur de la professionnalisation de l’armée
Se réinvestir dans la professionnalisation de l’armée congolaise par la formation des cadres et des troupes, plutôt en RDC, en profitant des infrastructures des écoles militaires existantes doit être une priorité du prochain mandat présidentiel. Au-delà de la formation, il faudrait envisager d’intégrer le « mentoring » dans le programme de coopération comme une aide au commandement (état-major général) et un accompagnement permanent des unités formées lorsqu’elles sont en opérations comme à l’époque de la coopération technique militaire entre 1963 et 1973[15]. Selon Laurent Touchard, lorsqu’on on parle de moderniser une armée, cela renvoie à la modernisation matérielle, mais aussi à la modernisation « humaine », qui se traduit par la professionnalisation des militaires. Ce dernier point est particulièrement important en Afrique, où les armées manquent souvent d’un véritable corps de sous-officiers. Certes, il y a des sergents, des sergents chefs, etc., mais bien souvent, ils ne sont absolument pas reconnus par leur hiérarchie. Ils sont tout juste considérés comme une interface entre les officiers et la troupe et n’ont aucune responsabilité. La modernisation passe donc par le développement de ce corps de sous-officiers bien formés[16] qui forment la véritable ossature d’une armée et sont considérés comme étant les vrais experts de l’armée.
f. Réformer la justice militaire
Il n’aura pas de bonne réforme de l’armée sans la réforme de la justice militaire[17]. La réforme de la justice militaire doit être également une priorité pour mieux lutter contre l’impunité. Cela passe par le vote des lois efficaces. Il faudra également mener des actions concrètes destinées à promouvoir le respect des Droits de l’Homme et le genre ; et à lutter contre l’impunité dans les rangs des forces armées et de sécurité. Il faudra aussi impliquer activement les acteurs de la société civile dans la politique de gouvernance sécuritaire.
Conclusion
D’une manière générale, les réformes initiées au sein de l’armée congolaise ont été globalement inefficaces et non pérennes par manque de décisions politiques claires, de vision stratégique globale[18] et de déficit de leadership militaire. Il faudra absolument définir une doctrine militaire congolaise pragmatique.
L’optimisation de la chaîne de commandement reste un défi majeur de la réforme des FARDC. Les FARDC sont actuellement et particulièrement faibles au niveau du commandement, très peu formé et souvent incompétent. Le renforcement des capacités de commandement des officiers des FARDC doit être une urgence absolue. Les réformes ne devraient pas affecter uniquement son organisation, mais aussi son management, les comportements, les habitudes, les mentalités et l’éthique qui doivent évoluer afin de transformer les FARDC en une institution professio nnelle, durable et prête à répondre de ses actes en assurant la protection des citoyens congolais de manière effective et efficiente[19].
Il faudrait également veiller à renforcer le rôle, l’autorité hiérarchique, l’autonomie décisionnelle et l’autonomie opérationnelle et tactique du Chef d’état-major général de l’armée qui reste le vrai patron de l’armée, afin d’augmenter l’efficacité de l’armée en respect avec le principe : Unité de commandement / Unité de terra/ Autonomie tactique. On devra laisser au ministre de la Défense la gestion effective du portefeuille de l’armée. Il faudrait surtout cantonner la Maison militaire du chef de l’État à sa mission de conseil et d’expertise technique du Président.
Le Général Ilunga a vu juste en écrivant : « Il est temps que nos hommes politiques sortent de leur tête l’idée qu’une défense au moindre coût serait possible ou payante. Pour un pays conscient de ses valeurs à protéger, avoir une bonne armée est une assurance. Comme toute assurance, elle coûte cher à la souscription; mais, on est bien content de la posséder en cas de sinistre. Une bonne armée signifie une armée casernée, nourrie, habillée, soignée, régulièrement payée, bien équipée et surtout régulièrement entraînée. Tout cela a un prix. Cela coûte cher et même très cher. »[20]
Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Senior Expert des questions militaires, sécuritaires et stratégiques de l’Afrique médiane.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu est diplômé de l’École Royale Militaire et breveté des Hautes études de sécurité et de défense de l’Institut royal supérieur de défense (Belgique), détenteur d’un Master en criminologie de l’Université de Liège et d’un post-graduate en science politique de l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles spécialisés consacrées aux questions militaires et sécuritaires.
Références
[1] Lire Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, 2è Ed, DESC, Aalst, 2015, 262p. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Forces-Arm%C3%A9es-Congo-irr%C3%A9formable-Prospective/dp/9090287744.
[2] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed. Avril 2013, p.361. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[3] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230429-rdc-les-emplois-fictifs-co%C3%BBtent-800-millions-de-dollars-annuels-au-pays.
[4] https://actualite.cd/2023/02/05/rdc-pourquoi-les-fardc-peinent-defaire-le-m23-entretien-avec-jean-jacques-wondo-expert.
[5] https://information.tv5monde.com/afrique/rd-congo-pourquoi-larmee-congolaise-narrive-pas-repousser-les-assauts-du-m23-2069097.
[6] Barry Buzan, People, State and Fear: An agenda for international security studies in de Post-Cold War Era, Harvester Press Group, Brighton, 1983. Lire aussi: Buzan, «redefining security», International security, 8-01-1983, pp.129-153.
[7] , Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed. Avril 2013, p.448. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[8] SARM : Service d’Action et de Renseignements Militaires.
[9] CETA : Centre d’Entrainement des Troupes Aéroportées qui comprenait en 1984 une Brigade Parachutiste d’environ 3.400 hommes formés grâce à la coopération militaire française..
[10] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed. Avril 2013, p.458. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[11] A long terme, elle pourra avoir une structure autonome composée d’un état-major opérationnel duquel dépendront une unité maritime devant protéger le site stratégique du bassin du fleuve Congo à Banana et environs et les ressources pétrolières des eaux territoriales convoitées avec l’Angola, unités fluviales, des unités Lacustres et d’une unité logistique. A l’instar de la composante aérienne, des études devront être menées afin de doter à long terme la RDC d’une véritable force navale, capable d’assure la sécurité du pays sur toutes les frontières hydriques et de contrer toute velléité de violation du territoire par ces voies et de secourir les bateaux et les personnes en cas de catastrophe fluvial ou maritime dans les eaux territoriales nationales.
[12] C’est l’estimation établie en 2004 par le « Réseau des Associations pour la Culture Démocratique et Civique » sur base d’un calcul basé sur la l’organisation des FARDC telle que définie par le projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de l’armée. Voir http://www.societecivile.cd/membre/decidi. Bha-Avira Mbiya Michel-Casimir.
[13] Céléstin Ilunga Shamanga (Général), La chute de Mobutu et l’effondrement de son armée, Canon One Shop, Afrique du Sud, 1998, p.171.
[14] Céléstin Ilunga Shamanga, Ibid., p.171.
[15] Le concept de « mentoring » a été développé par l’armée américaine en Afghanistan sous la dénomination de « Operational Mentoring and Liaison Teams » (OMLT). Il s’agit d’une approche stratégique selon laquelle les formateurs sont amenés à jouer un rôle beaucoup plus important en accompagnant les militaires du pays hôte à tous les niveaux de formation, d’entrainement et des opérations sur le terrain, depuis le niveau de l´opératif, c’est-à-dire de la conception du plan général de manœuvre, jusqu’au niveau tactique où les batailles sont planifiées et engagées. En effet, les forces engagées au combat sur le terrain exécutent les manœuvres sur le terrain (tactique) en fonction des ordres donnés par la hiérarchie, au niveau opératif. Selon ses concepteurs, le mentoring permettrait d’améliorer les lignes de commandement et les capacités managériales de l’état-major général, l’efficacité opérationnelle des FARDC, ainsi qu’une appropriation congolaise graduelle des apports de la coopération. L’un des objectifs les plus importants d’une mission de mentoring est de faire du counseling, c’est-à-dire d’établir une relation de confiance dans laquelle une personne tente d’aider une autre à comprendre et à résoudre des problèmes auxquels elle doit faire face.
[16] Agnès Faivre, Laurent Touchard : « Laissons les Africains définir leur doctrine militaire ! », Le Point Afrique, 7 juillet 2017.
[17] https://afridesk.org/la-haute-cour-militaire-congolaise-est-elle-politisee-quelle-reforme-de-la-justice-militaire-congolaise-jj-wondo/.
[18] Laurent Touchard, Forces armées Africaines 2016 – 2017, Editions LT, Paris, Mai 2017, p.357.
[19] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed. Avril 2013, p.361. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[20] Céléstin Ilunga Shamanga, op.cit., p.169.
10 Comments on “Quelles bases concrètes d’une réforme pragmatique de l’armée en RDC ?”
GHOST
says:Nous allons poster progressivement quelques réflexions que nous inspire cette publication de mr JJ Wondo.
Quand nous tentons de relire notre histoire militaire, notre pays fait face á une guerre á l´Est face au M23.
Le colonel Michel Goya (Blog « La Voie de l´Épée ») souligne dans son blog » Champ de bataille 2040″, qu´il ne sait pas si c´est un réflexe d´historien ou de simplement de vieux soldat mais quand on lui demande de réflechir au futur il pense immédiatement au passé.
Cette guerre nous ramene vers les années 1960 et nous retrouvons malheuresement les mêmes tares, les mêmes insufisances dans notre armée.
La question des réformes a été escamotée pendant la campagne électorale. Les deux candidats qui ont tentés d´apporter des réponses n´ayant pas pas gagnés les élections, nous ne sommes pas optimistes que cette question « sine qua non » peut trouver sa place dans la seconde mandature du président Félix.
1. REFORMES: LA DOCTRINE ET L´ÉTRANGE PRÉMONITION DU COMITÉ CENTRAL DU MPR.
2. QUELLE EST LA PLACE DU « NATIONALISME » DANS LES RÉFORMES?
3. INNOVATIONS, IMPROVISATIONS ET « RETEX »
4. LA QUESTION DE LA FORCE NAVALE
5. PARTENARIAT MILITAIRE: SINE QUA NON ?
GHOST
says:1. LA PREMONITION DU COMITE CENTRALE DU MPR
Kisukula Abeli M (Les armées du Congo-Zaïre, un frein au développement, page 145) indique qu´une commission des 50 parlementaires du MPR rencontra le Président de la République et forma les vœux de voir le pays se doter d´une nouvelle force qui soit á la hauteur de nouvelles formes de menaces et de nouvelles exigences des droits de l´homme. L´ordonnance loi nr 84-036 du 28 août concrétisa la création de la Garde Civile du Zaïre. Selon Kisukula A M. les articles 22 à 29 définissaient les missions ordinaires, notamment la “police des frontières”.
Nous qui avons été membres de la Brigade des Frontières (et membres de la première promotion) de la Garde Civile avons eu des formations spéciales inspirées de GS9 GSG 9 – Wikipedia. La mission essentielle de la Garde Civile sera la protection des frontières á cause des répétitions des agressions á du pays á partir des pays frontaliers, notamment Shaba I et II et Moba I.
Les parlementaires du MPR avaient eu la prémonition que la menace la plus urgente contre le Zaïre était une invasion extérieure et ils avaient ainsi posés la base d´une doctrine de défense qui consiste á assurer une protection permanente des frontières afin de garantir la stabilité sécuritaire de notre pays.
La suite de l´histoire va leur donner raison car la chute de Mobutu et ces guerres interminables qui continuent de nos jours résultent d´une absence d´une force militaire “garde-frontière”. Mobutu malade n´avait plus le temps á consacrer á un projet militaire á long terme avec le GS9 de l´Allemagne Fédérale. La Garde Civile sera un échec total, un échec qui va causer la chute de Mobutu et une insécurité permanente á l´Est.
Matthieu kabemba
says:Alors comment faire pour aider ton pays Mr Jean-Jacques Ondo?
Wondo
says:Posez cette question à vos autorités qui me lisent et me connaissant très bien. Merci.
GHOST
says:30 DES GUERRES
On ne trouve aucune unité de l´armée congolaise qui est formée pour la protection des frontières. En 30 ans des guerres, la RDC n´a pas construit des casernes ou des bases militaires le long de ses frontières afin d´assurer une défense de « proximité » ni une dissuasion face aux agressions permanentes á l´Est.
GHOST
says:REFORMES DES FARDC AVEC QUELLE DOCTRINE MILITAIRE ?
Dans nos réflexions sur les réformes de l´armée au Congo, la doctrine militaire et les réflexions doctrinales n´occupent pas un premier plan. Il existe un brouillard immense dans ce domaine au Congo.
Pourquoi avons-nous besoin d´une doctrine ?
Le cours des miracles militaires
Le colonel Michel Goya (Penser les opérations. Les miracles militaires. Magazine DSI. 19 juin 2020) parle des “miracles militaires”. Selon lui, tous les miracles militaires débutent par un constat politique d´impuissance et même de vulnérabilité. Il continue en disant “bien souvent, ce sentiment de vulnérabilité a été (est) exacerbé par un désastre qui a révélé toutes les insuffisances militaires de l´État. Ce sentiment de danger est nécessaire, car il s´agira presque toujours de réaliser non pas une simple amélioration de l´existant, mais une rupture organisationnelle. En imposant une transformation profonde des rapports sociaux et des façons de voir les choses, la rupture demande beaucoup d´efforts. C´est qui explique largement la rareté des réelles transformations militaires ».
Le colonel Michel Goya affirme que le point de départ d´un miracle militaire est donc une bataille pour convaincre les décideurs, l´opinion et l´armée elle-même de la nécessité de faire de gros efforts pour changer.
Dès 1977, les parlementaires du MPR étaient convaincus de la nécessité d´un « miracle militaire” après les deux défaites des FAZ dans les guerres du Shaba. Ils avaient eu la prémonition du désastre qu´allait subir la RD Congo avec la chute de Mobutu des années plus tard. En effet, les invasions du Shaba étaient le prélude des invasions permanentes du Kivu. Ce constat d´impuissance et de vulnérabilité est partagé par tous les Congolais en ce moment.
L´un des buts de cette réflexion est de convaincre les décideurs politiques congolais sur la nécessité de trouver une doctrine qui va apporter une rupture organisationnelle dans notre armée nationale.
Le colonel M Goya cite l´exemple du miracle militaire des USA qui commence dans les années 1970 quand une coalition politique se met en place et associe 130 membres de la Chambre des représentants et du Sénat. Ce caucus qui associe des officiers et des universitaires sera baptisé “mouvement de réforme militaire” et va mettre l´accent sur ce qui apparaît comme les trois principales faiblesses des forces armées américaines : la gestion des hommes, la doctrine d´emploi et la politique des équipements.
Au Zaïre, les parlementaires du MPR (1985) vont travailler sur la plus grande faiblesse des forces de sécurité qu´est la gestion des hommes. Ils vont prendre l´option d´associer les professeurs de l´UNIKIN pour la sélection et la formation juridique des membres de la Garde Civile. La coopération avec l´Allemagne Fédérale va apporter les connaissances paramilitaires inspirées de la police des frontières (BGS), les officiers de la DSP vont apporter les connaissances des forces spéciales inspirées du Régiment Dragon. Dans les analyses de ces parlementaires, il ne manquait que la doctrine d´emploi unique pour toutes les forces de sécurité et une politique d´équipement où la configuration des infrastructures militaires héritées de la Force Publique devrait céder la place á une nouvelle configuration basée sur des menaces extérieure.
2 Qu´est-ce-que la doctrine ?
Une doctrine militaire est constituée des principes fondamentaux selon lesquels l’armée ou certaines de ses parties accomplissent leurs tâches pour atteindre les objectifs nationaux.
Ces principes sont déterminants, mais ont besoin pour être concrétisés d’une évaluation de la situation. La doctrine militaire fournit également les conditions cadres pour le développement de l’armée1.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_militaire
La doctrine militaire énonce les principes à suivre pour la réussite d’une action. Elle s’adresse au stratège qui la conçoit afin de lui donner les meilleures clefs de réussite. Elle a une finalité opérationnelle. Ces principes sont tirés du retour d’expérience et des travaux de prospective, des évolutions capacitaires et des positions des alliés sur le même sujet.
https://www.defense.gouv.fr/cicde/quest-ce-que-doctrine
La question de la doctrine est-elle au cœur des réformes ?
Pascal Vennesson (Penser les guerres nouvelles : la doctrine militaire en question. 2008/2 CAIRN.INFO) cite Ferdinand Foch qui disait que “l´intention de la doctrine est de donner aux personnels militaires, en particulier au commandement, une même manière de voir, de penser et d´agir”.
Dans son ouvrage, le colonel Kisukula A Meitho souligne de l´absence d´une doctrine unique qui rend possible de voir, penser et agir de même manière au sein des FAZ ( Kisukula A Meitho. Les armées du Congo-Zaïre, un frein au développement. Page 141) quand il parle “des formations disparates et hétéroclites” des FAZ.
Pascal Vennesson affirme que : “du point de vue de l´institution militaire, la doctrine incorpore une interprétation de ce que les armées ont fait dans le passé (lointain et proche), de ce qu´elles font aujourd´hui et de ce qu´elles pourraient faire dans le futur”.
Le RETEX (retour d´expérience) sur les doctrines en usage dans les FAZ apporte une image concrète de l´approche hétéroclite où les doctrines de l´OTAN et des pays du pacte de Varsovie n´ont jamais été harmonisées dans un “centre de doctrine” (CICD) du genre qu´on trouve en France.
Centre de doctrine et d’enseignement du commandement | Ministère des Armées (defense.gouv.fr)
La division Kamanyola formée et équipée par la Corée du Nord, les forces spéciales de Kisangani et Rumangabo formées par la Chine ont eu pour source doctrinale les pays membres du pacte de Varsovie. Les parachutistes de CETA, l´infanterie, la Gendarmerie et l´EFO avaient l´OTAN comme source doctrinale. La DSP héritière des parachutistes de Binza a été fortement inspirée de la doctrine militaire d´Israël. Tandis que la Garde Civile va s´inspirer de la doctrine de surveillance des frontières de l´Allemagne de l´Ouest.
LA GARDE CIVILE À LA RECHERCHE D´UNE DE LA DOCTRINE DE LA PROTECTION DES FRONTIÈRES
Les parlementaires du MPR avaient étudiés soigneusement la RFA qui faisait face á la RDA pendant la guerre froide. Ils vont s´inspirer de la police des frontières de l´Allemagne de l´Ouest (BGS).
Dans son article Albrecht Funk (Les mythes du contrôle : la frontière orientale de la République Fédérale d´Allemagne au tournant des années 1990) cite une remarque de Lucien Fèbre á propos de l´origine des frontières nationales est particulièrement pertinente pour la compréhension du mécanisme du contrôle : “Il faut commencer avec l´Etat, non pas avec la frontière, la frontière seule”. La constitution et la surveillance des frontières territoriales sont étroitement liées á la formation de l´État-Nation moderne et á sa revendication d´un ordre public exclusif et unique imposé á tous ses habitants. Les différents objectifs et formes de la surveillance des frontières sont déterminés par l´intérêt de l´État d´imposer sa souveraineté territoriale et d´assurer l´intégration de tous les habitants dans une entité unique”.
Ainsi, la réflexion des parlementaires du MPR visait á former une force paramilitaire autonome capable la protection permanente des frontières afin de consolider l´État-Nation au Zaïre.
Albrecht Funk indique que la BGS était conçue comme une unité paramilitaire, chargée de s´opposer aux bandes armées arrivant de l´Est. En 1972, la BGS s´est transformée en force de police fédérale, qui à côté de la surveillance des frontières, poursuivait une autre mission capitale : épauler les forces de police de l´État fédéral pendant les manifestations.
La Garde Civile, force paramilitaire autonome, sera une tentative d´instaurer une nouvelle doctrine qui consistait á défendre le Zaïre á ses frontières. Assurer la protection des frontières était une innovation doctrinale n´a jamais existée au Zaïre depuis l´indépendance.
Cette force paramilitaire va contrairement aux FAZ, sélectionner et harmoniser les doctrines militaires de l´OTAN dans la formation de sa première promotion. Les officiers de la DSP, dont le lieutenant Patric Diomi, responsable du programme d´entrainement de la phase militaire de la Garde Civile vont faire un effort pour harmoniser les notions de la formation commando (Kota Koli) avec une préparation physique intense, l´entrainement intensif des tirs á balles réelles, approche inspirée des Ranger des USA en usage dans le Régiment Dragon de la DSP (* On retrouve cette approche en Irak avec la Division d´or formée par les Rangers) Division d’or (armée irakienne) — Wikipédia (wikipedia.org)
Les analystes des services de sécurité du Zaïre vont s´investir plus dans la répression des manifestations dans la capitale et réduire ainsi sa raison d´être initiale qui était la surveillance des frontières. Involontairement, ils sont á la base de l´instabilité permanente á l´Est de la RD Congo.
GHOST
says:DOCTRINE DE LA PROTECTION DES FRONTIERES: « FOB » ET DEFENSE DE PROXIMITE
Afin de garantir la survie de la RDC comme État, la protection permanente de ses frontières terrestres est incontournable. Jean-Marc Sorel affirme que “La frontière crée l´État selon un processus qui donne á l´État une définition frontalière”. Il ajoute que « la frontière fige l´État selon un processus d´étatisation de l´espace. Aucun État n´échappe á la fixation de sa frontière. L´État nomade n´existe pas”. Le droit des frontières : panorama en 3d | Cairn.info
La RDC ne pouvant pas exister comme un “État nomade”, son armée doit avoir pour mission primordiale la protection de ses frontières.
Assurer la protection des frontières avec une doctrine de la défense de proximité est un concept qu´on trouve dans l´histoire de la fondation de l´EIC. En effet, HM Stanley avait appliqué le concept des “postes militaires” afin de vaincre la résistance des royaumes et empires du Congo pour créer l´espace qui va devenir l´EIC.
Les “postes” de l´EIC est la source d´inspiration quand il est question d´assurer une défense de proximité le long des frontières de la RDC. Ces « postes” correspondent au concept moderne de “FOB” que l´OTAN a mis en pratique en Afghanistan. Forward operating base – Wikipedia
La dissuasion avant et pendant le nucléaire. 2000 ans d’histoire | Cairn.info
Jean-Christophe Romer et Thierry Widemann affrirment que c´est la fortification qui, dans l´histoire, semble le mieux incarné une volonté dissuasive. De fait, toute fortification, qu´elle soit ponctuelle, linéaire ou en réseau, contient une intervention dissuasive, parce que l´on espère toujours qu´elle pourrait décourager un agresseur.
Le concept FOB rend possible la dissuasion de “proximité” face aux ambitions prédatrices des pays voisins de la RDC, car il rend possible :
Surveiller efficacement les frontières
Améliorer le temps de réaction, depuis la détection jusqu’à l’interception
S’adapter à la diversité des menaces et à leur niveau de risque
Optimiser le déploiement et l’utilisation des différentes ressources humaines et techniques
Afin d´appliquer le concept “FOB”, la RDC devrait modifier la vielle configuration vétuste de ses infrastructures militaires héritées de la Force Publique. La nouvelle configuration basée sur la nécessité d´assurer la protection des frontières exige la construction des grandes bases militaires á l´Est. C´est le concept “MOB” Main operating base – Wikipedia
GHOST
says:DEFENDRE LES FRONTIERES : LA “JAMBE DE BOIS” ET LA “JAMBE DE FER”
Nimy M Ngimbi affirme (Je ne renie rien…Je raconte page 384) que le Congo a un problème de la programmation des priorités. Selon lui, toutes les recettes proposées ressemblent á un emplâtre sur une jambe de bois. Il continue en disant que pour résoudre, le problème de l´absence de l´”Etat”, il faut mettre en place une armée républicaine et apolitique grâce á un véritable “programme d´ajustement structurel militaire”. Sur base des retours d´expériences (RETEX) des guerres d´agression contre le territoire national, les chercheurs congolais en matière de défense tentent de trouver un consensus afin d´appliquer une doctrine militaire unique dont le but est d´assurer la protection des frontières, car une armée républicaine n´est qu´une “jambe de bois” si elle n´assure pas la protection des frontières.
Le grand Dictionnaire universel du XIXe siècle consacre le mot “frontière” une très courte notice et reprend tout d´abord la définition militaire de Littré : L´ancien sens de “frontière”, dit M. Littré, est front d´une troupe et façade, faire frontière signifie se mettre en bataille pour combattre, se défendre ; et comme on faisait frontière particulièrement sur les limites des pays, le mort a pris le sens de “limites d´État á État” (Sylvie Aprile. Expériences et représentations de la frontière. Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires. 1321/2018) Expériences et représentations de la frontière | Cairn.info
Albrecht Funk indique que la notion d´État est liée avec la surveillance des frontières. Il cite Lucien Febre qui affirme que “la constitution et la surveillance des frontières territoriales sont étroitement liées á la formation de l´État-nation moderne et á sa revendication d´un ordre public exclusif et unique imposé á tous ses habitants”. Les mythes du contrôle : la frontière orientale de la République Fédérale d’Allemagne au tournant des années 1990 on JSTOR
GHOST
says:LA DOCTRINE DE LA DISSUATION : FAIRE LA GUERRE Á DISTANCE
Jean-Christophe Romer et Thierry Widemann affirment que, dans son sens le plus général, la dissuasion est une attitude visant, par le conseil ou la menace, á convaincre un autre de renoncer á une action. Selon ces deux auteurs, la dissuasion opère dans le registre psychologique, dans la mesure où sa cible est le désir ou la volonté de l´autre qu´elle vise á inhiber. Dans le domaine de la guerre, pour obtenir cet effet, elle tend á faire prendre conscience á un adversaire du prix qui lui coûterait son passage á l´acte. Ils continuent en disant que les guerres sont déterminées par des enjeux politiques et stratégiques limités, et, dès lors qu´il n´est pas question de détruire la force adverse et que les batailles se livrent entre de coûteuses armées professionnelles, celles-ci ne seront pas risquées dans une action incertaine. Un dispositif suffisamment intimidant peut donc décourager l´adversaire de livrer bataille et l´inciter á se retirer. Il s´agit bien là de la dissuasion, dans la mesure où c´est la volonté de l´adversaire que l´on attaque. La dissuasion avant et pendant le nucléaire. 2000 ans d’histoire | Cairn.info Dissuasion — Wikipédia (wikipedia.org)
La guerre en Ukraine démontre ce concept d´une guerre á distance avec l´usage des missiles. Le projet OTRAG OTRAG – Wikipedia est une indication que les penseurs militaires du Zaïre faisaient cette réflexion d´une capacité de faire la guerre á distance.
N Mayidika Ngimbi (Je ne renie rien… Je raconte page 250) affirme que OTRAG était un programme de lancement des satellites dans l´espace (comme Ariane) Ce projet qui date de mars 1976 était l´œuvre de Mandungu Bula Niati (l´initiateur du projet “gardes-frontières” avec la Garde Civile) qui avait des relations avec Luth Keyser. Á sa phase opérationnelle, le programme pouvait servir á des fins aussi bien civiles que militaires. Un potentiel de “dissuasion” redoutable pour la RD Congo.
N Mayidika Ngimbi explique la fin de ce projet par des pressions de la France, l´Italie et tous les partenaires européens du Zaïre, engagés dans “Ariane”. Les articles sur google scholar confirment l´opposition de toutes les puissances occidentales qui s´opposent (encore) aux transferts des technologies des missiles en Afrique.
English Story – FLY ROCKET FLY (otrag.com)
OTRAG – A Story Of German Rocket Scientists, African Dictators & Commercial Spaceflight – YouTube
« Une fusée pour Mobutu » : un rêve spatial brisé par la géopolitique de la guerre froide (lemonde.fr)
GHOST
says:LA DOCTRINE MILITAIRE ET LES OBSTACLES POLITICO-MILITAIRES AU CONGO
Le 4 juillet 1960, soit 4 quatre jours après la proclamation de l´Indépendance, le président Kasa-Vubu, après avoir réuni le Conseil des ministres, décida d´”africaniser » toute l´armée de bas en haut (Jean Jacques Wondo. Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force Publique aux FARDC. Page 54). Ainsi depuis l´Indépendance, toutes les autorités s´inspirent de cette décision “nationaliste” qui est á la base d´une absence d´une doctrine militaire unique dans les armées de la RD Congo. Depuis les “mixages et brassages” se sont aussi inspirés de “l´africanisation” avec l´absence d´une doctrine de référence.
Dans l´ouvrage “La Révolution dans les Affaires Militaires” (T. Balzacq & A. De Nève. Page145), les auteurs affirment qu´en théorie, la majorité des pays en voie de développement visent á se construire sur le modèle des États occidentaux, avec comme ambition de fonder un système démocratique et de jouir des bénéfices obtenus. En fait, la pratique est différente, parce que la plupart de ces États sont dirigés par des élites peu ou pas du tout démocratiques, qui veulent préserver leur position centrale au sein de l´appareil décisionnel sous le couvert de la sauvegarde des “particularités nationales”.
J T.Balzacq et A.De Nève disent plus loin que la question de la RAM (révolution de la doctrine militaire RAM page 145) pour les élites des pays en voie de développement se pose essentiellement en termes de sécurité nationale. En conséquence, ce sont les élites politiques et militaires qui délibèrent, entre elles, de la nécessité ou non de la renforcer les systèmes militaires qui pourrait apporter les résultats voulus, et ce, autant aux plans politique que militaire.