Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 03-08-2013 19:12
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Quel impact pour l’Afrique de la loi de programmation militaire française ? Jean-Jacques Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Quel impact pour l’Afrique de la loi de programmation militaire française ?

Par Jean-Jacques Wondo

Le ministre français de la Défense nationale, Jean-Yves Le Drian, a présenté ce vendredi 2 août,  en conseil des ministres, sa loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019. Une loi austère, tout en contraignant l’armée à baisser ses dépenses, veut en même temps maintenir intacte la capacité opérationnelle et la place stratégique de la France dans le monde.

Cette loi, élaborée dans la foulée du nouveau ‘Livre Blanc de  la Défense’ et la Sécurité nationale 2013, vise par l’économie des moyens qu’elle sous-tend à maintenir une osmose entre :

– la réduction des dépenses et des effectifs.

– le maintien de la France au niveau de grande puissance stratégique.

Ce, aux fins d’éviter à la France le déclassement stratégique, ultime infamie, pour la maintenir dans le peloton de tête des puissances militaires occupé par les États-Unis, la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne et l’Inde.

Pour rappel, une loi de programmation militaire (LPM) est une loi portant sur les dépenses d’investissement au sein d’une armée par un engagement financier pluriannuel qui fixe les effectifs et les crédits d’équipement et de modernisation de cette armée. Elle est censée encadrer la gestion du personnel, des biens et du matériel. C’est pourquoi il importe de les prévoir suffisamment à l’avance dans le cadre d’un programme budgétaire pluriannuel. En RDC, pendant que les profanes crient à la modernisation de l’armée, le constat est que la loi de programmation militaire par la planification  des besoins de l’armée en vue de sa professionnalisation et de l’optimisation de son fonctionnement est simplement inexistante. Et on modernise en naviguant à vue!

La France aura-t-elle les moyens de sa politique ‘paternaliste’ en Afrique ?

Opération Serval Mali Janvier 2013En maintenant le budget militaire français à 179,2 milliards d’euros sur six ans – et 31,4 milliards annuels jusqu’en 2016, soit le même montant que le budget 2013, une stagnation voire recul lorsqu’on tient compte de l’indice des prix à la consommation et de l’inflation annuelle estimée entre 1% et 1,5%, la France veut vraisemblablement limiter les dégâts et maintenir ses ambitions stratégiques d’être la cinquième puissance militaire mondiale et la deuxième puissance militaire de l’Union européenne (UE) derrière la Grande-Bretagne. En France, La Défense nationale reste, avec l’Education, l’un des tout premiers postes de dépenses, l’Etat lui consacrant 11,3% de son budget (1,8% du PIB). Une matière à réflexion aux hommes politiques africains.

Pour les concepteurs de la LPM, il s’agit plus du réajustement optimisé des dépenses en allouant les moyens là où il faut et en les retirant là où il n’y a pas de valeur ajoutée en termes d’objectifs et de pertinence stratégiques à atteindre. Ainsi, si certains secteurs de l’armée sont appelées à réduire leurs dépenses, c’est le cas notamment du personnel de la défense où les effectifs des armées vont être réduits de 23.500 postes supplémentaires auxquels s’ajoutent 10.175 encore à réaliser au titre de la précédente LPM 2009-2014  avec la baisse de 16% du recrutement des élèves officiers et la réduction de l’inflation salariale ; de la fermeture de certains site militaires ; les opérations extérieures, symbole de la gradeur et de l’hégémonie françaises voulues par De Gaulle verront leurs dépenses maintenues, au mieux relevées. Il s’agit également pour la France, d’adapter ses moyens en fonction de nouveaux types de menaces qui évoluent avec le temps. C’est le cas de la cyberdéfense ou la lutte contre les attaques et la criminalité informatique qui devient également une priorité.

En effet, si au 20ème  siècle, la guerre était idéologique (entre les blocs capitaliste et communiste), une ‘guerre’ menée plutôt à distance, entre les deux pays opposés (Etats-Unis contre l’Union Soviétique) lors de la « guerre froide », avec chacun une constellation d’Etats affidés à leurs idéologies, évoluant vers la guerre dite ’non conventionnelle ‘’ (GNC) qui a vu respectivement, les forces armées et (alliées) américaines, françaises et soviétiques s’enliser en perdant des dizaines de milliers de soldats eau Vietnam, Indochine et Afghanistan et battre retraite.  Une nouvelle nomenclature de la forme du ‘conflit armé’ qui a gravement remis en cause les théories classiques de l’art et de la stratégie militaires et amener les puissances militaires à revoir fondamentalement leurs tactiques. Cela fut une prémisse à la forme d’une guerre davantage plus éclatée et imprévisible qui va émerger au début du XXIè siècle. Ainsi, à ce début du XXIè siècle, ‘la guerre’ a principalement dérivé vers la guerre religieuse (jihad, terrorisme et lutte contre l’intégrisme musulman), cybernétique et économique en vue de l’accès et du contrôle des ressources naturelles et énergétiques, avec la résurgence des groupes et milices armés opportunistes et affairistes : diamond blood, guerre du coltan. . . (Les Armées au Congo-Kinshasa)

De la sorte, selon le Général français, Vincent DESPORTES, commandant du Centre de doctrine d’emploi des forces, progressivement, les facteurs classiques de la puissance militaire, telle qu’imaginée au siècle écoulé, se trouvent remis en cause. La résurgence d’une opposition militaire de blocs ne peut, certes, être exclue et il est possible qu’une confrontation majeure se livre encore au cours du demi-siècle à venir sur le mode frontal et classique qu’a forgé le XXe siècle. En revanche, c’est une certitude que les armées auront demain beaucoup plus souvent à intervenir dans des conflits « gris », sans réelles frontières – entre « combattants » et « non-combattants », entre « extérieur » et « intérieur » – des conflits sans « cibles à détruire », sans adversaires clairement identifiables, des conflits où il s’agira davantage de lutter contre la « nuisance » que d’affronter la « puissance », des conflits où les effets à obtenir tiendront autant de l’immatériel que du matériel.

Dans ces circonstances nouvelles, les éléments – hier constitutifs à eux seuls de la puissance des nations et du succès de leurs armes – voient leur pertinence se dégrader. Il faut donc repenser les outils et conditions des succès politiques. (DOCTRINE, décembre 2005 citée dans es Armées au Congo-Kinshasa). C’est cette ligne doctrinale de pensée qui justifie l’ajustement et la nouvelle réorientation des dépenses militaires de la Loi de programmation Militaire.

Pour le ministre français de la Défense, « nous ne pouvons cependant réduire davantage la dépense. Alors que nous sommes sollicités au Mali, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Tchad, au Liban, en Libye, en Afghanistan, dans l’Océan indien, et j’en passe. C’est ainsi que la France va maintenir le concept des armées prépositionnées en conservant sa base aux Émirats arabes unis et « des points d’appuis » en Afrique » par le maintien de la stratégie de la « forward defense » par une « une réactivité » dans la zone sahélienne, afin de contenir les menaces en amont de leur réalisation. Les armées devront être en mesure de déployer 15.000 hommes en opération extérieure mais aussi 2.300 hommes des forces d’intervention très rapide, 7.000 en gestion de crise, 45 avions de combat ou encore d’un groupe aéronaval. L’objectif opératif poursuivi étant d’avoir la capacité de s’engager sur trois théâtres simultanés, « un majeur et deux significatifs : suivant une approche différenciée.

C’est dans cette optique que la France compte renforcer l’effectif de ses forces spéciales avec un millier d’hommes après avoir montré leur efficacité lors des opérations au Mali. Quoi de plus normal avec un réengagement de la France en RCA, pays où elle livre un pseudo guerre froide à distance avec l’Afrique du Sud. Le diamant centrafricain attirant de plus en plus la convoitise de ces deux pays qui cherchent chacun à étendre sa position géostratégique en Afrique médiane. Ce, d’autant que le scandale géologique congolais, autre fois terrain de chasse gardée de la Françafrique mais livré actuellement en proie aux pillages des prédateurs multinationaux de pire espèce et passé dans le giron financier mafieux anglo-saxon depuis 1997, ne se situe qu’à une nage de l’Oubangi.

Fini les slogans : La sécurité n’a pas de prix ou  L’argent est le nerf de la guerre de Ciceron ?

Avec des mesures d’économie envisagées dans l’armée française, la France doit désormais jouer aux équilibristes et jongler entre maintenir son image de puissance militaire mondiale tout en comptant le moindre sous dépensé : une équation à hauts risques en cette période de morosité et d’instabilité financière où le moindre dérapage peut faire écrouler, tel un château des cartes, tout l’échafaudage stratégique monté par la LPM.

La LPM française vise à concevoir et à envisager un modèle d’armée ayant des capacités de haute intensité qui présente un meilleur ratio coût/efficacité et qui soit capable d’être déployée et de se faire respecter dans les zones les plus chaudes de la planète, notamment en Afrique, son terrain militaire de prédilection et de rentabilité économique à moindre coût.

Le philosophe Ciceron disait : « L’argent est le nerf de la guerre »: Cette expression doit elle être revisitée au vu de l’option prise dansla LPM française ou être combinée avec la citation du poète et essayiste salvadorien Roque Dalton « La guerre, c’est la continuation de l’économie par d’autres moyens»  lorsque Rabelais, dans Guargantua, avançait que « les nerfs des batailles sont les pécunes » et que pour Thucydide, dans La Guerre du Péloponnèse, avance que « A la guerre, le succès est essentiellement affaire de jugement et de ressources financières »?

Pour préserver la capacité opérationnelle, le projet de loi indique que la France doit pouvoir mobiliser 2.300 hommes des forces d’intervention très rapide, 7.000 en gestion de crise, jusqu’à 15.000 soldats des forces terrestres en situation de guerre, 45 avions de combat ou encore d’un groupe aéronaval. La LPM prévoit également l’acquisition d’une douzaine d’avions ravitailleurs multirôles (MRTT), 15 avions de transport militaire A400M et le renouvellement du parc de blindés de l’armée de terre (programme Scorpion). Un budget de 730 millions par an est prévu pour la recherche et le développement des matériels. Avec cette dynamique et ces objectifs opérationnels à mettre en place, « il est assez difficile de parler de déclassement stratégique« , assure un conseiller de M. Le Drian.

Le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre, a regretté que les forces conventionnelles soient « la variable d’ajustement » budgétaire, alors que des économies sont possibles selon lui dans la dissuasion nucléaire.

Pour le secteur du renseignement, autre priorité de la LPM, la France prévoit d’équiper son armée des satellites de surveillance optique du programme MUSIS à l’horizon 2017, et trois satellites CERES d’interception électronique doivent être mis en orbite en 2020 ; et surtout 26 drones capables de surveiller de vastes zones (sans doute en Afrique et dans les Moyen-Orient ainsi qu’en Asie centrale) pendant 24 heures.

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Le projet de loi doit sera débattu à l’automne au Parlement pour être adopté avant la fin de cette année.

Le Général De Gaulle disait à propos de la France militairement affaiblie et exsangue au sortir de la 2ème GM : « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien ». Il renchérissait: « Sans la grandeur, la France ne saurait être elle-même ». Pour le meilleur ou pour le pire, il avait compris l’équation. Espérons que ces déclarations susciteront une émulation positive sous les tropiques africaines.

Jean-Jacques Wondo – Desc-Wondo.org (3 août 2013)

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