Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 03-02-2021 10:25
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Quel bilan de la présidence Tshisekedi, deux ans après son accession au pouvoir ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Deux ans après son accession au pouvoir, que peut-on retenir de la gouvernance du Président Félix Tshisekedi  au moment où il tente de mettre en place une nouvelle coalition politique hétéroclite censée appuyer son action politique ?

Sur le plan politique : une cacophonie politique qui a incapacité l’action présidentielle

Au lendemain de son accession au pouvoir en janvier 2019, après des élections dont les résultats ont été contestés par plusieurs observateurs indépendants dont l’église catholique congolaise[1], Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ont permis à la RDC d’expérimenter une alternance politique inédite de son histoire contemporaine. L’originalité de cette alternance au pouvoir, qui ne l’est pas vraiment au sens propre du terme telle qu’on l’entend en politique, est que le président Félix Tshisekedi était contraint de partager le pouvoir avec le camp de son prédécesseur, Joseph Kabila, qui gardait la mainmise sur presque l’ensemble des institutions de la République, notamment au gouvernement et dans les deux chambres du parlement.

Cette situation originale que d’aucuns qualifient d’une cohabitation insolite (Yamba 2019) a engendré la réalité selon laquelle Joseph Kabila continue d’avoir une influence sur les domaines régaliens que sont la justice, l’armée, la police et les services de sécurité. Cela eu pour conséquence de priver le président congolais de principaux leviers devant lui permettre d’avoir le contrôle effectif de la gestion de l’Etat. Depuis le début de 2020, les anciens partenaires au pouvoir, le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme dirigée par Kabila, et le Cap pour le Changement (CACH), la plateforme dirigée par Tshisekedi, entretiennent des rapports assez tendus marqués par plusieurs accrochages politiques.

Cela a débouché sur un blocage de l’action de l’exécutif dans le sens que l’on assista à une sorte d’un gouvernement bicéphale. D’une part, celui du CACH qui recevrait ses directives à partir du Palais de la nation et d’autre part celui du FCC qui ne jurait que par la hiérarchie de cette méga plateforme politique[2]. Les deux groupements ont fini par se neutraliser mutuellement au point qu’en octobre 2020, le Président Tshisekedi, excédé par des conflits et conciliabules internes insolubles, décide de consulter les forces vives de la nation.

Ces consultations ont abouti à la rupture de la coalition gouvernementale FCC-CACH et à la création d’une nouvelle coalition politique composite dénommée Union Sacrée de la Nation (USN)[3].

Les deux années du mandat présidentiel ont été également négativement impactées par les dysfonctionnements d’un cabinet et des agences présidentiels pléthoriques, népotiques et incompétents, devenus le nouveau sanctuaire de la corruption et de toutes sortes de trafic d’influence inimaginables[4].

Le président Tshisekedi avec une forte délégation rwandaise dont des membres du gouvernement et services de sécurité. Kinshasa, le 19 janvier 2021.

Un activisme diplomatique énergique tous azimuts aux résultats mitigés sur le plan régional

Dès son accession au pouvoir, le président Tshisekedi a multiplié des voyages et des contacts politiques pour tenter une ouverture politique vers les partenaires extérieurs du Congo en vue d’en obtenir un soutien diplomatique, voire sécuritaire. Les Etats-Unis d’Amérique sont le premier pays occidental à manifester clairement leur volonté de nouer un partenariat stratégique avec la RDC en appui au président congolais notamment dans le domaine de la défense en avril 2019, lors d’une visite de Tshisekedi à Washington[5]. D’autres pays leur ont emboité le pas. En moins de 15 mois, le président congolais a réalisé pas moins de 30 visites à l’étranger.

Si ces voyages ont permis de désenclaver diplomatiquement la RDC sur le plan international, au niveau régional, le président Tshisekedi peine à imprimer le leadership diplomatique de la RDC dans la résolution des crises récurrentes qui rongent la région. Au contraire, l’influence du Rwanda sur le plan politique interne et diplomatique régional et africain de la RDC s’est accrue ces deux dernières années. Ces propos privés d’un haut responsable sécuritaire rwandais en disent long : « In DRC, following the collapse of the political coalition between Kabila’s camp and Tshisekedi Camp. The  parliamentary majority has changed in favor of Tshisekedi camp. Today the coalition government has resigned, a new pro-Tshisekedi government will be put in place soon and a new speaker will be elected. As Rwanda we have a very close cooperation with Thisekedi administration. The ongoing changes can only be seen positively »[6].

L’absence congolaise au mini-sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL) sur la crise en RCA du 29 janvier 2021, est encore un exemple de la léthargie diplomatique de la présidence congolaise, à quelques jours de la présidence congolaise de l’UA. Pourtant, la RDC partage plus de 1557 km de frontière commune avec la RCA et que des milliers de réfugiés centrafricains sont réfugiés en RDC, poursuivis par des rebelles. En même temps, le Rwanda et l’Angola, n’ayant de frontière commune avec la RCA se sont montrent très entreprenants dans la résolution de la crise centrafricaine.

Sur le plan judiciaire : des tentatives louables de l’émancipation d’une justice encore balbutiante

L’un des éléments positifs à mettre à l’actif du président Félix Tshisekedi est sa volonté d’amorcer les réformes de la justice, avec pour priorité la lutte anti-corruption. La Justice congolaise recouvre timidement son indépendance malgré certaines pesanteurs qui subsistent. Quelques magistrats téméraires (congolais) se rendent compte que l’institution judiciaire qu’ils incarnent peut jouer pleinement son rôle de dernier rempart contre toutes sortes d’abus et d’antivaleurs. Sur terrain cependant, le chemin reste tout de même long à parcourir d’autant que l’on assiste encore à une sorte d’instrumentalisation feutrée de cette justice par la présidence dans certains dossiers à relents politiques.

Certains membres du cabinet présidentiel continuent d’interférer dans la conduite de la justice. Ils donnent des injonctions aux magistrats quant aux décisions à prendre dans certains dossiers, nous confie un magistrat membre du Conseil supérieur de la magistrature. L’on relève par exemple une déclaration du président Tshisekedi qui a expliqué en septembre 2019 « qu’il ne comptait pas aller fouiner dans le passé et n’avait pas le temps d’amener les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains à répondre de leurs actes ». Tshisekedi a déclaré « j’ai trop de travail et pas de temps à perdre avec des règlements de comptes »[7]. Le rapport d’Amnesty International cite des exemples concrets d’injonctions politiques aux magistrats pour qu’ils « suspendent » des mandats d’arrêt contre des hauts cadres de mouvements rebelles ou de seigneurs de guerre pourtant clairement identifiés[8].

Par ailleurs, sur l’ensemble des Cours et tribunaux que comptent le pays, seuls les ressorts des Cours d’appel de Kinshasa/Gombe et Matete se sont signalés avec quelques arrestations et détentions de certaines grosses pointures, poursuivies pour détournement des deniers publics puis relâchées sans procès ni toute autre forme de sanctions. Contrairement aux changements naïvement applaudis par l’opinion publique dans le domaine judiciaire, les nouvelles des palais de justice font état du retour en force des antivaleurs décriées sous les régimes précédents.

Hausse très inquiétante des cas de violations des droits humains et tendance à la dérive autoritaire du pouvoir

L’on peut mettre au crédit du président Tshisekedi des efforts tendant à humaniser les services des renseignements. Plusieurs cachots clandestins de l’ANR et de la DGM ont été fermés. Des policiers et des militaires délinquants sont de plus en plus sanctionnés sur les plans disciplinaire et judiciaire.

La situation des droits humains dans l’ensemble du territoire reste très préoccupante. En 2020, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) a documenté 7.909 violations et atteintes aux droits de l’homme. Ces chiffres sont en hausse de l’ordre de 21% par rapport à 2019. Cette augmentation résulte de la détérioration de la situation sécuritaire dans les provinces affectées par le conflit armé, notamment au Nord-Kivu, en Ituri et au Sud-Kivu où le BCNUDH a enregistré l’écrasante majorité (93%) des violations et atteintes au cours de l’année écoulée. Au moins 2.945 civils ont été tués dont 553 femmes et 286 enfants. La quasi-totalité de ces violations est imputable à des agents de l’Etat, dont 52% à des agents de la PNC, 28% à des militaires des FARDC, 6% à des agents de l’ANR et 12% à d’autres agents de l’Etat[9].

Human Rights Watch pointe une aggravation des violations des droits humains. Selon Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo Human Rights : « L’administration du président Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo a réprimé de façon croissante les médias et les groupes d’activistes depuis son entrée en fonction il y a deux ans. Malgré quelques mesures initiales visant des avancées en matière de droits humains, les autorités ont menacé, arrêté arbitrairement, détenu illégalement et poursuivi des dizaines de journalistes, d’activistes et d’autres personnes jugées critiques à l’égard du gouvernement »[10].

La Défense et la sécurité en chute libre

Sur le plan de la défense, le président Tshisekedi semble progressivement contrebalancer l’influence de son prédécesseur en faisant prévaloir le régionalisme tribal dans les nominations aux postes stratégiques de l’armée[11]. Les restructurations  intervenues dans le commandement de la Garde républicaine, l’unité de protection présidentielle, en avril 2020 et de l’armée en juillet 2020 semblent privilégier des officiers généraux issus du Kasaï, l’espace géographique dont il est originaire[12].

Avec des effectifs estimés à 176.000 hommes, malgré l’alternance politique, les FARDC restent une armée faible sur le plan opérationnel avec un ordre de bataille flou sinon quasi inexistant. On note une désorganisation de l’armée due à des réformes infructueuses, à l’intégration des milices et des rébellions indisciplinées. Une armée où coexistent des mécanismes de loyauté hiérarchique contradictoires qui compliquent l’efficacité des troupes engagées au combat, victimes de complicités internes avec les groupes armés locaux et étrangers et de rivalités entre chefs d’unités. On y décèle des problèmes récurrents d’indiscipline et de cohésion (unité de commandement). Le moral des troupes engagées aux combats reste anémique du fait de manque de moyens financiers pour entretenir correctement les militaires. Les soldes militaires restent modiques, des primes sont régulièrement détournées par la hiérarchie. Le népotisme et le clientélisme ne cessent de s’incruster dans l’armée.  Par ailleurs, les FARDC restent une armée avec une logistique inadéquate et obsolète pour soutenir efficacement des unités opérationnelles déployées en zone de combat, avec  des tableaux de dotation incomplets.

La réforme de l’armée reste au point mort depuis 2013. Aucun plan DDR[13] pragmatique et consistant n’est initié depuis plus de deux ans pour réintégrer utilement dans la société les rebelles démobilisés. Au contraire, on continue à les intégrer massivement dans l’armée comme prime à leur indiscipline. Les compétences des militaires restent insuffisantes, le commandement peu formé et défaillant et  la formation de base des officiers est au rabais[14]. L’absence d’une loi de programmation militaire handicape la modernisation de l’armée. Les efforts présidentiels, désordonnés et non conceptualisés dans un plan global stratégique de réforme de l’armée, pour relancer les coopérations militaires bilatérales – jamais rompues sous Joseph Kabila – n’impactent pas encore l’efficacité opérationnelle des FARDC.

Tableau : Echelle barémique des FARDC en avril 2020

GradeEchelle barémique FARDC

(en Francs congolais)

Général Major248 209
Général de brigade247 730
Colonel237 250
Lieutenant-colonel231 771
Major226 292
Capitaine220 813
Lieutenant215 333
Sous-lieutenant209 854
Adjudant-Chef191 225
Adjudant de 1ère classe189 033
Adjudant186 841
1er Sergent-major184 650
Sergent-major182 458
1er Sergent180 266
Sergent178 075
Caporal175 883
Soldat de 1ère classe173 691
Soldat de  2ème classe171 500

Sources : Etat-major général FARDC/DESC. 1 $ US = 1974  Fc (au 01/02/2021)

Sur le plan sécuritaire, la RDC reste confrontée à plusieurs menaces intérieures et extérieures. L’armée est engagée dans plusieurs opérations militaires infructueuses, notamment à Beni, en Ituri et au Sud-Kivu. La situation sécuritaire globale de la RDC demeure très préoccupante. Les opérations militaires d’envergure annoncées par le Président et menées depuis novembre 2019 à Beni et en Ituri s’enlisent. 2.127 civils tués, 1.450 enlevés, 938 kidnappés, le Kivu Security Tracker (KST) a enregistré un nombre record de morts, d’enlèvements et d’enlèvements contre rançon pendant les vingt premiers mois de la présidence de Félix Tshisekedi. Ce bilan est encore plus lourd que celui des 20 derniers mois de son prédécesseur, Joseph Kabila (1.553 civils tués)[15]. Beni et Ituri restent l’épicentre de l’insécurité et des massacres odieux commis sur les populations civiles face à l’impuissance militaire des FARDC.

Par ailleurs, plusieurs armées et groupes rebelles des pays voisins de la RDC sont signalés sur le territoire congolais. Il s’agit notamment du Rwanda, du Burundi, de la Zambie, de la République Centrafricaine, du Soudan du Sud et de l’Angola[16]. La criminalité urbaine s’amplifie également à Kinshasa et dans les centres urbains du Haut-Katanga, du Lualaba, du Kongo Central et du Nord-Kivu[17].

L’action économique présidentielle illisible et en-deçà des attentes de la population

L’environnement économique de la RDC s’est considérablement détérioré, en grande partie du fait de la crise du coronavirus. La croissance économique ne cesse de se contracter depuis l’accession au pouvoir du président Tshisekedi. En deux ans de présidence de Félix Tshisekedi, le gouvernement congolais n’a ajouté que 20.000 CDF (10 dollars américains) au salaire des agents et fonctionnaires de l’Etat de la République Démocratique du Congo. C’était en octobre 2019 que cette augmentation de salaire a été effectuée[18]. L’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) note un bilan négatif dans le secteur des infrastructures[19]. On assiste à très peu d’évolution des grands projets d’infrastructures lancés par le président Tshisekedi[20].

Malgré un potentiel d’exportation minier plus élevé, la RDC reste gravement confrontée à une économie dualiste où le secteur informel fait vivre la majorité de la population contre le secteur minier, très intensif en capital mais opaque et qui emploie peu et dont les recettes sont évaporées dans l’évasion fiscale, des fraudes, des détournements de deniers publics ainsi que toutes formes de corruption.

Depuis son arrivée au pouvoir, le régime de Félix Tshisekedi se distingue par une augmentation effrénée des dépenses publiques non productives ou de prestige. Par ailleurs, les nombreux scandales liés à la corruption et aux détournements de deniers publics font que les Congolais ne ressentent pas encore au quotidien les effets des changements intervenus au sommet de l’Etat. Le pouvoir d’achat des Congolais reste assez marginal pour inciter la production de la richesse. A cela il faut ajouter la chute de la croissance économique, non inclusive, l’inflation monétaire et l’envolée effroyable des prix des biens de consommation. La dépréciation du franc congolais vis-à-vis du dollar constaté en 2020 a saigné les salaires des fonctionnaires et des hommes en armes.

Selon l’expert monétaire international et ancien ministre de l’Economie du Zaïre, Raoul Donge, « La RDC n’a pas une production capable de répondre aux besoins de consommation congolaise, la plupart des biens primaires et secondaires consommés proviennent  de l’extérieur, la balance commerciale congolaise étant déficitaire de façon pérenne, fait que la devise étrangère est fortement recherchée par les agents économiques pour répondre aux besoins sans cesse accrus d’ importation.. Cela a pour résultat la dépréciation continue de la devise nationale face au dollar… Même une dévaluation dans les circonstances actuelles ne résoudra rien ! »[21]

Par ailleurs, le gouvernement n’a mobilisé en 2020 que 3,7 milliards USD de recettes publiques. Le compte du Trésor dégage un déficit annuel de 991,8 milliards de CDF qui a été compensé aussi bien par les avances de la Banque centrale du Congo, entre janvier et avril 2020, que par les appuis budgétaires du FMI et de la BAD. Le Budget 2020 initial du gouvernement central était estimé à 11,2 milliards USD avant d’être rabattu à 5,7 milliards USD dans le Budget rectificatif[22].

Malgré l’intention présidentielle de lutter contre la corruption, la mauvaise gouvernance économique et la corruption restent encore ancrées à tous les échelons du pouvoir (Présidence, Parlement, Exécutif, Justice, entreprises publiques, etc.). La situation ne s’améliore guère. La corruption ne cesse de prendre de l’ampleur. L’Indice de Perception de la Corruption de la Transparancy International classe la RDC à la 170ème place sur 179 pays. Le pays a régressé de deux rangs par rapport à 2019 (168ème).

Sur le plan social : échec et mat !

D’obédience politique socio-démocrate et avec le slogan « Le Peuple d’abord », c’est sur le plan social que les Congolais attendaient du Président Tshisekedi les premiers effets de l’alternance au pouvoir.  L’analyse prospective faite par Al Kitenge et Nick Elebe sur l’impact social du covid-19 avance ce qui suit : « La situation sociale et économique du pays s’est nettement dégradée au point de faire de la précarité la norme. Dans une économie dollarisée, fortement extravertie, peu créatrice d’emplois, dont les projections sont tributaires de ses ressources naturelles et minérales, les fluctuations négatives des marchés, le déclin des prix des ressources naturelles, ou tout autre facteur susceptible d’influencer le marché international, se font ressentir directement et sans filet sur le petit peuple, comme sur le gouvernement qui perd ses moyens »[23].

L’emploi constitue un enjeu majeur pour l’État congolais. Jusque-là, le gouvernement n’a pas pris des mesures ni d’initiatives visant à réduire les taux de chômage d’une population paupérisée, majoritairement jeune. Le gouvernement n’a pas non plus mobilisé des ressources nécessaires pour soutenir la création d’emplois. La crise du coronavirus a même impacté négativement le secteur informel de l’économie.

La RDC, malgré ses potentialités hydrographiques et des ressources en eau, accuse à peine un taux d’électrification de 15% et un taux de desserte d’eau potable d’environ 26%, les plus bas en Afrique. Le pays est classé à la 177ème place sur 190 pays selon l’indicateur relatif au raccordement à l’électricité du Rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale). Aucun effort financier n’est accompli pour envisager des solutions pérennes aux difficultés de desserte en eau et en électricité. Pourtant, le Programme électricité pour tous à l’horizon 2030, élaboré par le PNUD, prévoit d’investir jusqu’à 66 milliards USD pour parvenir à connecter chaque Congolais à l’énergie électrique en RDC. Ce projet n’a jamais connu un début d’exécution à ce jour faute de volonté politique[24].

Education : la gratuité de l’enseignement de base jugée salutaire mais insuffisante

Tous les observateurs ont loué la décision du président Tshisekedi de rendre l’enseignement de base gratuit. C’était le plus grand défi à relever par l’actuel Chef de l’Etat congolais, Félix Tshisekedi, dès son accession à la présidence de la République. A ce jour, l’effectivité de la gratuité de l’enseignement fait encore face à plusieurs problèmes et semble plutôt s’essouffler. On relève une absence de sa conceptualisation et sa planification en amont et l’absence d’une analyse d’impact en termes de l’implémentation de cette mesure. Des facteurs qui sont aggravés par la fraude, les détournements de fonds publics et des faiblesses dans les contrôles internes tels que déplorés par l’Inspection générale des finances (IGF), et qui ont amené la Banque mondiale à suspendre un financement de 100 millions de dollars destiné au secteur éducatif[25]. Dans son rapport sur l’état des lieux de la gratuité de l’enseignement de base en RDC, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a relevé que la gratuité de l’enseignement souffre d’un déficit de leadership au sein du secteur éducatif, caractérisé par des actions de court terme, l’absence de vision et planification et de budgétisation dans la durée[26].

Le secteur de santé en hémorragie continue

Le système de santé congolais reste précaire et est mis sous tension amplifiée par la crise du coronavirus. La malnutrition, l’absence d’infrastructures de santé de qualité et le non démarrage du projet présidentiel phare de couverture sanitaire universelle annoncé en pompe en février 2020 impactent négativement le développement du capital humain congolais. Le financement du secteur de santé régresse et reste faible au regard de la taille des défis et est en baisse malgré la crise du coronavirus.  En effet, le budget de la santé 2020 s’élevait à 1.682,37 milliards de CDF contre  1.453,48 milliards de CDF en 2021[27], soit une baisse d’environ 14 %.

En RDC, au 28 janvier 2021, on note officiellement un cumul de 22.455 cas d’infections à la Covid-19 dont 665 décès et 14.997 guéris[28]. Bien que très loin de l’Afrique du Sud (1.430.648) ou des pays de l’Afrique du Nord, ce nombre d’infectés place la RDC à la 13ème position (sur 57) parmi les pays les plus infectés d’Afrique. La deuxième vague de contaminations semble plus ravageuse que la première qui avait été observée durant 2020. Les autorités sont appelées à redoubler d’efforts pour contenir cette pandémie et limiter sa propagation. La RDC est comptée parmi les pays qui réunissent les facteurs de risque (taux de pauvreté élevé, système sanitaire faible et zones urbaines surpeuplées) et où l’impact de la pandémie pourrait être dévastateur[29].

Il faut cependant saluer l’efficacité des mesures prises par le président Tshisekedi, dès son entrée au pouvoir, pour éradiquer l’épidémie d’Ebola.

Conclusion

Deux ans après son accession au pouvoir, le bilan du président du Félix Tshisekedi reste plutôt sombre, hormis quelques embellies isolées. On saluera particulièrement la libération de plusieurs détenus politiques. Les conséquences de la crise électorale ont handicapé l’action présidentielle et gouvernementale dans une double crise politique et institutionnelle qui a sacrifié les aspects socio-économiques. La crise politique s’accompagne en même temps d’une restriction de l’espace démocratique, d’une lente dérive autoritaire et une hausse des violations des droits humains selon l’ONU. Les indicateurs macro-économiques sont tous presque au rouge. Le juriste Frédéric Bola indexe un régime qui recourt à la perfidie et l’imbroglio juridique dans ses pratiques. L’activité économique tourne au ralenti et la pauvreté gagne du terrain partout au pays aggravée par l’accroissement de l’insécurité et la deuxième vague des contaminations de la crise du coronavirus. Le blocage politique entre le FCC et CACH n’a pas permis la réalisation des réformes structurelles et institutionnelles censées renforcer l’état de droit, la démocratie, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption et l’impunité. En attendant la mise en place effective du gouvernement issu de l’Union Sacrée de la Nation, une sorte d’auberge espagnole politique à la congolaise, le président Tshisekedi ne dispose que d’un peu plus de deux ans pour présenter le bilan de son programme  « Le Peuple d’abord » dont il sera le seul comptable devant la nation en 2023. Après les balbutiements et la complaisance dans les choix de ses collaborateurs, il est donc temps de se mettre réellement au travail. Kisalu fweti banda thangu yayi!

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Analyste politique et expert des questions militaires et sécuritaires

Références

[1] Alain-Joseph Lomandja, « Présidentielle du 30 décembre 2018 en RDC : des résultats non conformes au vote du peuple ? » DESC, 13 janvier 2020. https://afridesk.org/presidentielle-du-30-decembre-2018-en-rdc-des-resultats-non-conformes-au-vote-du-peuple-aj-lomandja/.

[2] https://www.digitalcongo.net/article/5dc3e3451b628500042cd94a/.

[3] Christophe Rigaud : RDC : le Premier ministre destitué au forceps. Afrikarabia, 27 janvier 2021. http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-le-premier-ministre-destitue-au-forceps/.

[4] On peut citer l’affaire Lobo (ou Lobogate : https://afridesk.org/lobogate-ou-le-scandale-qui-etale-les-tensions-et-les-insuffisances-du-cabinet-du-president-tshisekedi-jj-wondo/, Le procès de Kamerhe, Samih Jamal, etc.) ; L’affaire de corruption qui a éclaboussé la toute nouvelle l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption, etc.

[5] Zoom Eco. 2019 (12 avril). « RDC-USA : ce que prévoit le partenariat stratégique pour « la paix et la prospérité ». En ligne sur : https://zoom-eco.net/a-la-une/rdc-usa-ce-que-prevoit-le-partenariat-strategique-pour-la-paix-et-la-prosperite/

[6] «En RDC, suite à l’effondrement de la coalition politique entre le camp de Kabila et le camp de Tshisekedi, la majorité parlementaire a changé en faveur du camp de Tshisekedi. Aujourd’hui, le gouvernement de coalition a démissionné, un nouveau gouvernement pro-Tshisekedi sera bientôt mis en place et un nouveau président sera élu. Nous, le Rwanda, avons une coopération très étroite avec l’administration Tshisekedi. Les changements en cours ne peuvent être perçus que positivement ».

[7] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/22/felix-tshisekedi-j-ai-trop-de-travail-et-pas-de-temps-a-perdre-avec-des-reglements-de-compte_6012599_3212.html.

[8] https://afrique.lalibre.be/45950/rdc-maigre-bilan-pour-lan-1-du-regne-tshisekedi/.

[9] https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_-_communique_de_presse_-_note_annuelle_2020.pdf.

[10] https://www.hrw.org/fr/news/2021/01/28/rd-congo-la-repression-sintensifie.

[11] Rigaud, C. 2020 (18 juillet). « RDC : jeu de chaise musicales dans l’armée congolaise ». En ligne sur : http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-jeu-de-chaises-musicales-dans-larmee-congolaise/.

Romain, G. & Bujakera, S. 2020 (19 juillet). Jeune Afrique. « RDC : sous pression des États-Unis, Félix Tshisekedi procède à un prudent remaniement dans l’armée ». En ligne sur : https://www.jeuneafrique.com/1016772/politique/rdc-sous-pression-des-usa-felix-tshisekedi-procede-a-un-prudent-remaniement-dans-larmee/.

[12] Wondo, J-J. 2020 (27 avril). « Restructuration du commandement de la Garde républicaine : qui gagne, qui perd entre Tshisekedi et Kabila ? » En ligne sur : https://afridesk.org/restructuration-du-commandement-de-la-garde-republicaine-qui-gagne-qui-perd-entre-tshisekedi-et-kabila-jj-wondo-2/. Wondo, J-J. 2020 (31 juillet). Remaniement du commandement des FARDC par Félix Tshisekedi : attentes et désillusions – https://afridesk.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/.

[13] Désarmement – démobilisation et réinsertion.

[14] JJ Wondo, La France, en perte de vitesse en Afrique, et sa nouvelle École de guerre à Kinshasa – DESC, 14 janvier 2021. https://afridesk.org/la-france-en-perte-de-vitesse-en-afrique-et-sa-nouvelle-ecole-de-guerre-a-kinshasa-jj-wondo/.

[15] https://blog.kivusecurity.org/divisions-between-tshisekedists-and-kabilists-paralyze-the-state-in-eastern-drc/.

[16] https://actualite.cd/2020/06/20/rdc-invasion-de-larmee-angolaise-signalee-au-kongo-central.

[17] https://legrandcongo.com/rdc-insecurite-et-montee-vertigineuse-du-banditisme-a-kinshasa-et-lubumbashi-gilbert-kankonde-calme-les-esprits-des-senateurs/.

[18] https://deskeco.com/2021/01/27/lan-2-de-felix-tshisekedi-seulement-20000-fc-ont-ete-ajoutes-au-salaire-des-agents-et.

[19] https://deskeco.com/2021/01/27/lan-2-de-tshisekedi-globalement-tous-les-aspects-lies-aux-infrastructures-sont-negatifs.

[20] https://deskeco.com/2021/01/27/lan-2-de-felix-tshisekedi-tous-les-grands-projets-dinfrastructures-au-point-mort.

[21] Entretien avec l’auteur le 3 août 2020.

[22] https://deskeco.com/2021/01/23/rdc-le-gouvernement-na-mobilise-en-2020-que-37-milliards-usd-de-recettes-publiques.

[23] http://afridesk.org/covid-19-et-faim-deux-guerres-intrinsequement-liees-nick-elebe-et-al-kitenge/.

[24] https://deskeco.com/2020/11/10/rdc-face-aux-difficultes-de-desserte-en-eau-et-en-electricite-le-gouvernement-ilunkamba.

[25] https://zoom-eco.net/a-la-une/rdc-la-banque-mondiale-gele-100-millions-usd-dappui-au-systeme-educatif-et-exige-la-bonne-gouvernance/

[26] https://actualite.cd/2021/01/13/gratuite-de-lenseignement-de-base-en-rdc-parmi-ses-9-recommandations-la-cenco-propose-le.

[27] https://budget.gouv.cd/wp-content/uploads/budget2021/plf2021/doc5_analyse_explicative_depenses_2021.pdf.

[28] https://infosplus.org/covid-19-133-nouveaux-cas-enregistres-le-jeudi-28-janvier-2021/.

[29] Jonas Kibala Kuma, L’économie mondiale face à la pandémie de la covid-19 : Etat des lieux, analyses et perspectives.

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2 Comments on “Quel bilan de la présidence Tshisekedi, deux ans après son accession au pouvoir ? – JJ Wondo”

  • Lidjo Makutu

    says:

    Excellente analyse. Merci Monsieur Wondo

  • GHOST

    says:

    REFORMER OU FORMER L´ARMEE ?
    Vielle question qui revient tout le temps et pire après deux ans de gestion de Felix, tous les congolais regardent cette armée avec mefiance.
    Felix aurait semble-t-il « fait confiance » aux généraux congolais pour faire avancer les réformes dans l´armée nationale. Mais n´esr-il pas grand temps de faire « l’ outsourcing » dans ce domaine en impliquant une grande puissance militaire de la planète qui possede cette experience?
    C´est le sujet central de notre réflexion.
    Continuer á croire que nous possedons les ressources necessaires pour former une armée qui non seulement fait la guerre efficacement, mais aussi qui est capable de « maintenir sa capacité opérationnelle » est une illusion. Nous connaissons l´obstacle « du fibre nationaliste » où l´intelligentia nationale a pour argument qu´après 60 ans d´indépendance, les congolais peuvent former et organiser l´armée. Rassurez-vous même le président Felix en deux ans de relation si proche des généraux congolais est conscient de leur limites intellectuelles et morales.
    Avec l´Union dite « Sacrée », Felix n´a plus d´excuse quand il peut obtenir d´une large majorité au Parlement la signature d´un traité de défense avec les USA/UE.
    Á suivre

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