Le 15 février 2021, le président Félix Tshisekedi a nommé Jean-Pierre Sama Lukonde au poste de Premier ministre. La nomination d’un nouveau Premier ministre est un évènement qui suscite un vent d’espoir dans le pays, à des degrés divers. Espoir de solutions aux difficultés sociales, économiques, sécuritaires,… du côté des masses populaires ; espoir de nomination, de meilleur positionnement et de relance pour leurs carrières, chez les politiques. A juste titre. En effet, le Premier ministre exerce des fonctions qui reposent sur deux solides socles de légitimité : la confiance du parlement dont il est, en principe, l’émanation de la coalition majoritaire, et la confiance du président de la République par l’acte de nomination aux termes de l’article 78 de la Constitution.
Premier ministre : entre chef du gouvernement et « homme du président »
Le Premier ministre est le chef des administrations du pays et du gouvernement qui conduit la politique de la nation. Son poste est si stratégique qu’il est considéré par les constitutionnalistes comme la clé de voute du système politique. Mais il s’agit là des principes et du droit.
La réalité du pouvoir, tel qu’il est exercé au Congo, et dans bien des pays africains, est que le Premier ministre est avant tout l’exécutant des choix politiques opérés par le président de la République.
Qu’est-ce qui tient Tshisekedi vraiment à cœur au moment où il voit se profiler la fin de son mandat ? Créer des emplois, augmenter les salaires, assurer l’accès aux soins de santé, à l’eau, à l’électricité ? Baisser les prix des biens de consommation, construire les routes, les écoles, les hôpitaux ? Garantir l’accès à l’eau et à l’électricité ? Rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire national, en particulier dans les provinces de l’est ? Certainement. Mais cela demande des moyens, beaucoup de moyens.
Des moyens financiers, humains, logistiques, organisationnels, et surtout une bonne assise politique. Avec un budget de moins de 6 milliards de dollars, pour un pays de 100 millions d’habitants, confronté à des crises multiformes, Félix Tshisekedi et son nouveau Premier ministre disposent des marges de manœuvres trop limitées pour répondre aux attentes des masses populaires en matière du social, de sécurité et d’infrastructures d’ici à la fin du mandat présidentiel. Les deux hommes devraient ainsi se focaliser sur un objectif à leur portée : conserver le pouvoir en 2023.
« Le peuple d’abord ! » : un rêve impossible ?
La « gratuité scolaire » et les « 100 jours » sont sans doute les deux expériences dont la réussite aurait servi d’argument phare à Félix Tshisekedi en tant que matérialisation du slogan « le peuple d’abord ! » scandé par son illustre père Etienne Tshisekedi, et repris par ses partisans à la gloire du pouvoir actuel, mais sans convaincre. Selon la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), « la gratuité de l’enseignement de base souffre d’un déficit de leadership au sein du secteur éducatif, caractérisé par des actions de court terme, l’absence de vision, de planification et de budgétisation dans la durée »[1]. Quant au plan de reconstruction des infrastructures dit des « 100 jours », c’est une débâcle dont le spectacle le plus mémorable restera les images du directeur de cabinet du chef de l’Etat, Vital Kamerhe, en combinaison de prisonnier et condamné à 20 ans pour détournement de deniers publics en rapport avec ce programme, dont le pouvoir n’ose plus se glorifier.
Sur le dossier de la sécurité, les deux premières années de Félix Tshisekedi sont qualifiées d’« échec patent » par le mouvement citoyen LUCHA, une des organisations que le nouveau président avait invitées à juger son action à travers la « Fatshimetrie », un mécanisme de contrôle citoyen de l’action du président. Plus de 4.100 personnes tuées depuis l’accession de Félix Tshisekedi à la présidence[2]. Les raisons de l’échec en matière de sécurité sont variées et peuvent difficilement être résorbées dans le cadre actuel du pouvoir plombé par le deal avec Joseph Kabila et les agendas inavouables des partenaires nationaux et régionaux.
Il est ainsi évident que le Congolais moyen, confronté aux problèmes de sécurité, de pauvreté et d’infrastructures ne peut, raisonnablement, espérer voir ses conditions s’améliorer d’ici à la fin du mandat de Félix Tshisekedi qui lui-même a bien conscience qu’il ne dispose pas de moyens nécessaires pour relever le défi. En revanche, il y a un objectif qui est tout à fait à sa portée, et c’est sur celui-là que son Premier ministre et lui vont certainement concentrer leurs efforts : conserver le pouvoir en 2023.
« Fatshi 2023 ! » : le seul vrai enjeu
Un des fervents alliés de Félix Tshisekedi, Steve Mbikayi, ancien fidèle de Joseph Kabila, a déjà donné le ton. Félix Tshisekedi doit être le seul candidat du courant Union sacrée à l’élection présidentielle de 2023. Les partenaires actuels de l’Union sacrée devraient travailler avec en conscience le maintien de Félix Tshisekedi au pouvoir en 2023. La question de savoir si les électeurs congolais vont adhérer à ce schéma se pose, évidemment. Puisqu’après tout, le président de la République est élu au suffrage universel et non désigné par un courant politique. Quelle que soit la décision de l’Union sacrée pour 2023, il faudra que Félix Tshisekedi se retrouve à nouveau face aux électeurs avec un bilan acceptable et des arguments convaincants pour gagner la confiance des Congolais. Mission difficile pour tout candidat à une élection.
Pour prévenir les aléas susceptibles de se produire au cours du suspense de la dernière ligne droite avant le scrutin, Félix Tshisekedi a entrepris d’installer des fidèles au sein de la Cour constitutionnelle, institution en charge de proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle. Pomme de discorde avec Joseph Kabila, la Commission électorale nationale (CENI), en charge de proclamer les résultats provisoires des élections, va être recomposée de manière à garantir à Félix Tshisekedi l’assurance qu’il peut se présenter pour un second mandat en toute sérénité. Préparer les élections de 2023 devrait ainsi être la principale préoccupation du nouveau duo de l’Exécutif congolais.
Sachant qu’en Afrique, il est de tradition qu’on n’organise pas les élections pour les perdre, le temps qui reste du mandat de Tshisekedi risque d’être consacré à de rudes batailles de positionnement pour être du lot des gagnants de 2023. Les questions ayant trait au social des Congolais et aux chantiers de développement devraient attendre ou être gérés à coups de simples effets d’annonce. Dans des scénarios qui auront les allures de période préélectorale, il s’agira d’entretenir l’opinion dans le rêve que demain sera meilleur, moyennant quelques réalisations cosmétiques. Au cours de cette période, les inaugurations, même de quelques ouvrages insignifiants, devront faire l’objet de matraquages médiatiques avec la répétition, en rituel et en format kilométrique, du nom du candidat destiné à triompher en 2023.
Boniface MUSAVULI
Analyste politique et auteur
Ouvrage :
– B. Musavuli, LES ÉLECTIONS AU CONGO – Carnages, martyrs et impunité, amazon, avril 2020, https://www.amazon.fr/%C3%89LECTIONS-AU-CONGO-Carnages-impunit%C3%A9/dp/B087SCJ5HG
Notes bibliographiques
[1] https://www.radiookapi.net/2021/01/13/actualite/education/rdc-la-gestion-de-la-gratuite-souffre-dun-deficit-de-leadership-au
[2] https://laprosperiteonline.net/2021/02/15/a-chaud/la-lucha-evalue-la-gouvernance-de-felix-tshisekedi/