Le 11 décembre 2020, le Conseil de l’Union européenne a décidé de maintenir des mesures restrictives individuelles à l’encontre de plusieurs personnalités de la République démocratique du Congo jusqu’au 12 décembre 2021, sur la base d’une évaluation de la situation dans le pays. Ces sanctions visent plusieurs proches de Joseph Kabila, l’ancien président congolais. Ces personnes ont été inscrites sur la liste par le Conseil en 2016 en raison, notamment, de violations des droits de l’homme. Les mesures qui ont été prises à leur encontre consistent en un gel des avoirs et une interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne. La liste comprend actuellement 11 personnes[1]. En 2019, le Conseil avait levé ses sanctions à l’encontre de Lambert Mende, l’ancien-porte-parole du gouvernement, et de Roger Kibelisa, l’ex-responsable de la sécurité intérieure au sein de l’ANR. Le général major Delphin Kahimbi, ex-chef des renseignements militaires, est décédé le 28 février 2020. Jean-Claude Kazembe, l’ancien gouverneur du Haut-Katanga, est décédé le 21 juillet 2021.
En octobre 2019, les personnalités sanctionnées avaient demandé la levée de l’ensemble des mesures restrictives prises à leur égard[2] après avoir introduit des recours au tribunal de l’Union européenne (UE), qui les a rejetés, le 12 février 2020. Les plaignants ont de nouveau fait appel, mais le 15 septembre 2021, la Cour de justice de l’UE a confirmé le régime actuel des sanctions qui court jusqu’en décembre 2021.
Cinq ans après cette décision de l’Union européenne, le constat est que la plupart des personnes ciblées par ces mesures restrictives n’ont jamais fait l’objet de sanctions judiciaires ou disciplinaires crédibles. Certaines de ces personnes continuent d’occuper des fonctions politiques, militaires à des postes sécuritaires stratégiques.
D’autres, malgré leur fuite, gardent leurs capacités de nuisance au sein de l’armée et des services de renseignement. C’est le cas du général John Numbi, l’ex-Inspecteur général des FARDC[3], l’armée congolaise et de Kalev Mutondo, l’ex-Directeur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR), le service de renseignements civils rattaché à la présidence de la république. Ces deux personnes, tapis dans l’ombre, restent très actives et incontrôlables car disposant des mains libres pour réactiver leurs réseaux sécuritaires informels bien dissimulés dans l’armée et au sein des services de sécurité et de renseignements qui n’ont pas encore subi des restructurations majeures depuis la fin du mandat présidentiel de Joseph Kabila.
Dans une situation de recrudescence des cas de violations des droits humains dans l’ensemble du territoire, et d’absence de justice à l’égard des victimes d’actes qui leur sont reprochés qui sonne comme une prime à l’impunité, cela risque de conforter d’autres responsables militaires et sécuritaires d’adopter une posture répressive dans une période de grave tension politique et d’insécurité quasi généralisée dans l’ensemble du territoire de la RDC.
La récente répression violente, notamment visant Martin Fayulu et un journaliste belge, lors de la manifestation organisée par Lamuka à Kinshasa le 15 septembre 2021, est un signal très éloquent de la dégradation continue de la situation des droits humains en RDC depuis 2019.
En mars 2021, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) avait documenté 655 violations des droits de l’homme sur tout le territoire de la RDC, soit une augmentation de 32% par rapport au mois de février (495 violations). De toutes les catégories des personnes pointées par ces violations, ce sont les militaires des FARDC qui ont commis le plus grand nombre de violations avec une forte hausse du nombre de violations qui leur est attribuée (+127%)[4].
1. Le général d’armée Gabriel Amisi Kuumba « Tango Four » : Inspecteur général des FARDC
Le général Amisi reste encore très influent au sein des FARDC et garde ses réseaux au sein de plusieurs unités déployées à l’est de la RDC dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, notamment à Beni où les massacres attribués aux prétendus ADF se multiplient. La même province du Nord-Kivu a été le théâtre spectaculaire de l’attaque mortelle du convoi de Luca Attanasio, l’ambassadeur d’Italie à Kinshasa ainsi que de son chauffeur congolais et de son garde du corps italien, le 22 février 2021 à Kibumba, à 30 Km au nord de Goma[5]. Le général Amisi est parmi les deux généraux[6] les plus hauts gradés des FARDC. Il a été promu par le Président Tshisekedi en juillet 2020 au grade de général d’armée, grade le plus élevé des FARDC et nommé en même temps au poste d’Inspecteur général des FARDC. Des gratifications militaires qui donnent l’impression d’une récompense malgré ses actions néfastes au sein de l’armée contre les populations civiles.
2. Le général d’armée John Numbi Banze en cavale mais toujours redoutable
Actuellement sans fonction militaire officielle, le général d’armée John Numbi, ex-Inspecteur général de l’Armée et ex-patron de la police nationale congolaise est actuellement en cavale. Il se trouverait en exil au Zimbabwe selon plusieurs sources. D’autres l’auraient également aperçu à Kigali où il entretient de bonnes relations avec le pouvoir en place[7]. Le Rwanda reste le pays qui entretient plusieurs rébellions congolaises, dont une faction du NDC-Renové (Nduma) au Nord-Kivu et des rebelles communément appelés Banyabwisha qui sévissent actuellement en Ituri. La justice militaire a lancé officiellement une enquête pour le rechercher. Toutefois, Numbi s’était précédemment replié pendant plusieurs mois dans son ranch à Lubumbashi, refusant d’obtempérer aux ordres de sa haute hiérarchie. Il s’agit là d’un cas de désertion qui n’a jamais fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire conformément aux articles 190 et 191 de la loi n° 13/005 du 15 janvier 2013 portant statut du militaire des Forces armées de la République démocratique du Congo[8]. Nous ne cesserons de l’affirmer que John Numbi reste un élément extrêmement nuisible en liberté, particulièrement en période de grave crise politique qui se profile avec les incertitudes électorales qui s’annoncent.
3. Gaston-Hughes Ilunga Kampete : Commandant de la base de Kitona au Kongo-Central
Le lieutenant-général Ilunga Kampete est l’ancien commandant de la Garde républicaine, chargée de la sécurité présidentielle sous Kabila jusqu’en juillet 2020 lorsque le Président Tshisekedi l’a nommé à un poste stratégique de commandant de la base de Kitona, la plus grande base militaire de l’ouest du pays proche de la capitale et capable d’y agir en cas de troubles dans la capitale. Kampete continue de bénéficier d’impunité alors que les éléments sous son contrôle ont violemment réprimé toutes les manifestations pacifiques organisées contre le régime de Kabila[9].

4. Kalev Mutondo : ancien Directeur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR)
L’ancien directeur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR), le puissant service de sûreté de l’Etat sous Kabila, est actuellement en clandestinité. Malgré l’ouverture d’une action judiciaire, infructueuse à ce jour, Kalev Mutondo reste impuni sur le plan judiciaire congolais. A l’instar de John Numbi, Kalev demeure un potentiel élément déstabilisateur et nuisible du fragile processus de normalisation politique en RDC en cours. L’homme reste très dangereux. Il garde des réseaux endormis au sein de l’ANR et des renseignements militaires (Démiap) où il a placés plusieurs hommes-liges. Le maintien des sanctions UE seraient un moyen de le dissuader de revenir sur la scène politique.
5. Le général de brigade Eric Ruhorimbere : Commandant du secteur opérationnel du Nord-Equateur
Malgré son passé rebelle et criminel de guerre, notamment dans les massacres commis au Kasaï en 2017[10], le général Eric Ruhorimbere reste à ce jour impuni. Il exerce une haute fonction militaire de commandant du secteur opérationnel Nord-Ubangi (ex-Equateur). Une zone frontalière à la RCA où l’armée rwandaise et les mercenaires du groupe russe Wagner appuient le pouvoir local dans sa lutte contre les rebelles, déversant des dizaines de milliers de réfugiés dans cette zone vulnérable de la RDC. L’insécurité dans cette partie fragile du pays était telle qu’en décembre 2020, le gouverneur de la province du Sud-Ubangi avait formellement interdit aux militaires qui ne sont pas en service de porter des armes dans la ville de Gemena afin de lutter contre l’insécurité causée par les militaires[11].
6. Le Commissaire Ferdinand Ilunga Luyoyo de la Police Nationale congolaise (PNC)
Le Commissaire Ferdinand Ilunga Luyoyo est ancien commandant de l’ex-redoutable bataillon Cobra de la PNC sous John Numbi dont il est très proche. Il a été le commissaire supérieur principal de la LENI[12], l’ex-Police de réaction rapide (PIR), devenue l’unité spéciale anti-émeute, entre 2015 et 2017. Une période sombre durant laquelle son unité était très active dans les répressions disproportionnées des manifestations populaires à Kinshasa et à Lubumbashi[13]. Luyoyo n’a jamais été poursuivi par la justice congolaise. Il garde encore des relais au sein de la LENI et de l’Unité de la PNC chargée de protection des Institutions et de Hautes personnalités. En décembre 2019, Ilunga Luyoyo a été suspendu de ses fonctions pour avoir tabassé un avocat à Lubumbashi. Luyoyo continue d’exercer une fonction hautement politisée de président de la Fédération congolaise de boxe.

7. L’Inspecteur divisionnaire Célestin Kanyama Cishiku, « Esprit de mort » : Directeur général des écoles de formation de la Police nationale
Célestin Kanyama est un ancien commissaire de police provincial de Kinshasa connu sous le patronyme de ‘Esprit de mort » pour ses méthodes répressives et violentes plusieurs fois dénoncées par les organisations des droits de l’homme[14]. Il exerce actuellement la fonction de commandant des écoles de police où sont inculqués aux policiers les procédés tactiques de maintien de l’ordre répressifs, suivant des techniques de guérilla anti-urbaine qu’il a utilisées sur le terrain lorsqu’il dirigeait la police à Kinshasa[15]. Tant que Kanyama ne fera pas l’objet de poursuites judiciaires exemplaires en RDC, le Conseil de l’UE devrait prolonger les mesures restrictives à son encontre.
8. Evariste Boshab Mabudj-ma-Bilenge et Emmanuel Shadari Ramazani
Evariste Boshab Mabudj et Emmanuel Shadari sont deux cadres du PPRD, le parti de Kabila. Ils ont été, l’un à la suite de l’autre, ministres de l’Intérieur et de la Sécurité. Ils portent une lourde responsabilité politique et fonctionnelle dans les massacres qui se sont déroulés au Kasaï entre septembre 2016 et juillet 2017, notamment dans la création des milices qui y ont causé plus de 3 000 morts. Ces caciques du kabilsme ont également étaient actifs dans le blocage politique qui ont amené la rupture de la coalition politique au pouvoir entre le FCC de Kabila et CACH de Tshisekedi, entrainant de vives tensions politiques qui ont failli plonger la RDC dans le chaos.
9. Les ex-Gouverneurs Alex Kande Mupoma
Alex Kande – ex-Gouverneur du Kasaï-Central – a été aussi impliqué dans l’aggravation de ce conflit meurtrier après l’assassinat du chef coutumier Jean-Pierre Mpandi des Kamuina Nsapu[16]. Selon plusieurs sources, les milices locales créées par ces ex-collaborateurs de Kabila ne seraient pas encore sérieusement démantelées ? Elles pourraient resurgir en période électorale. Porteur de la nationalité belge, il a renoncé à son siège de député à l’assemblée provinciale du Kasaï-Central en octobre 2019, dans l’espoir d’échapper au maintien des sanctions de l’UE dont AFRIDESK recommande leur reconduction car jamais poursuivi en RDC pour sa responsabilité dans ces crimes odieux.
Conclusion : le maintien des sanctions comme moyen de dissuasion à l’égard des futurs contrevenants potentiels
La situation politique et sécuritaire générale du pays reste très volatile, malgré l’état d’urgence décrété par le Président Tshisekedi à l’est de la RDC, qui peine à donner des résultats positifs. Au contraire, on assiste à une recrudescence des massacres et des cas de violations des droits de l’homme, particulièrement dans les provinces administrées par des gouverneurs et administrateurs militaires, ainsi qu’au Sud-Kivu, à Kinshasa et à Lubumbashi. Ces situations donnent le vent en poupe aux militaires et aux agents des services de sécurité et de renseignements au point qu’on a l’impression que le Chef de l’Etat congolais ne contrôle pas effectivement les forces de défense et de sécurité.
Ainsi, le maintien des mesures restrictives contre les personnes susmentionnées aura un effet dissuasif durant cette période de forte polarisation politique marquée par la crise de la politisation ethnique de la CENI. Les débats actuels autour du choix du président de cette institution majeure d’appui à la démocratie et à la stabilisation du pays laisse planer des incertitudes sur le déroulement en toute légalité d’un processus électoral que les Congolais souhaitent être crédible, transparent, sans corruption ni émaillé de graves violations des droits de l’homme et de graves irrégularités comme en 2018. L’objectif est de prévenir en amont une future crise de légitimité des gouvernants. Aucun fait ni argument pertinent, à décharge des sanctionnés, ne justifie à ce jour la levée des mesures restrictives de l’UE à leur encontre. Le maintien de ces sanctions serait perçu comme un clin d’œil de solidarité de l’UE envers les populations réprimées de la RDC et une pression sur les dirigeants de la RDC de manière à les pousser à humaniser le fonctionnement de l’armée, des services de sécurité et de la justice[17], notamment dans son aspect transitionnel mené par le Dr. Denis Mukwege.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste politique et Expert des questions de défense et de sécurité
Exclusivité DESC
Références
[1] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/12/11/democratic-republic-of-the-congo-council-extends-sanctions-for-one-year/.
[2] https://www.jeuneafrique.com/850136/politique/rdc-quinze-proches-de-joseph-kabila-demandent-a-lue-de-lever-les-sanctions-a-leur-encontre/.
[3] Forces armées de la République démocratique du Congo.
[4] https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/note-du-bcnudh-sur-les-principales-tendances-des-violations-des-23.
[5] https://afridesk.org/lattaque-mortelle-du-convoi-de-lambassadeur-italien-en-rdc-a-qui-profite-le-crime-j-ziambi-jj-wondo/.
[6] Les deux autres généraux sont le général d’armée Célestin Mbala Munsense, l’actuel chef d’état-major général des FARDC et le général d’armée John Numbi.
[7] C’est John Numbi et James Kabarebe qui ont co-supervisé l’opération conjointe « Umoja wetu » (notre unité) de janvier à mars 2009 entre l’armée rwandaise et les FARDC au Nord-Kivu.
[8] Article 190 : La révocation est une sanction disciplinaire prononcée pour faute grave, après avis du Conseil de discipline, par l’autorité investie du pouvoir de nomination.
Elle est aussi prononcée en vertu d’une condamnation judiciaire assortie d’une peine complémentaire de destitution pour l’officier ou de dégradation, pour le sous-officier.
Article 191 : Est révoqué des Forces armées de la République Démocratique du Congo, l’officier ou le sous-officier qui abandonne son emploi ou refuse de servir avant d’avoir obtenu notification de l’acception de sa démission ou avant l’expiration du délai prévu à l’article 172.
Article 192 : La révocation prive l’officier ou le sous-officier de tout droit à la pension ou aux indemnités.
L’officier ou le sous-officier révoqué bénéficie d’une allocation unique équivalant à trois mois de traitement d’activité.
[9] JJ Wondo, Septembre rouge en RDC : Joseph Kabila dévoile son ADN politique sanguinaire. DESC, 22 septembre 2016 ; En ligne sur : http://desc-wondo.org/septembre-rouge-en-rdc-joseph-kabila-devoile-son-adn-politique-sanguinaire-jj-wondo/.
[10] https://desc-wondo.org/fr/les-massacres-au-kasai-central-desc-interpelle-les-collaborateurs-securitaires-de-kabila/.
[11] https://www.rrssjrdc.org/?p=19207.
[12] Légion nationale d’intervention de la police congolaise.
[13] https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_-_rapport_sur_le_recours_a_la_force_et_annexes_-_mars_2018_0.pdf
[14] https://www.hrw.org/fr/news/2014/11/17/rd-congo-une-operation-policiere-conduit-la-mort-de-51-jeunes-hommes-et-garcons.
[15] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_enquetes-au-congo-apres-la-mort-mysterieuse-de-plusieurs-jeunes?id=10024210.
[16] Germain Joseph Muanza Kambulu, Les massacres à huis clos dans le grand Kasaï (RDC), L’Harmattan, Paris, 2019, p.124.
[17] Ces sanctions visent également à ce que les personnes concernées changent leurs comportements dangereux, s’amendent pour devenir des acteurs de consolidation de la paix, de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains.