Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 28-01-2019 17:30
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Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ? – B. MUSAVULI

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ?

Par Boniface MUSAVULI

Les concessions accordées par le candidat Félix Tshisekedi, pour accéder à la présidence de la République, et le raz-de-marée de la majorité sortante aux législatives, augurent, a priori, d’une présidence atrophiée que d’aucuns décrivent déjà comme simplement honorifique. Félix Tshisekedi est ainsi annoncé pour être un président qui sera dépourvu de l’essentiel des moyens de l’Etat, et dont le rôle sera limité à quelques initiatives marginales sans impact significatif sur la vie de la nation. Il devrait évoluer à l’ombre d’un tout puissant Premier ministre, chef de la majorité parlementaire. Si ce tableau est d’une évidente cohérence dans le contexte politique des lendemains des élections, sa projection dans la durée est néanmoins hautement hypothétique, pour un ensemble des raisons que nous essayons d’expliquer dans la suite de cette analyse.

En effet, s’il est d’évidence que le prochain Premier ministre sera, en principe, en position de force, compte tenu de la majorité au parlement (I), il convient de rappeler dans la foulée que le Congo est fondamentalement un pays de tradition présidentialiste[1] (II), qui n’a jamais expérimenté une gouvernance consacrant la prééminence du Premier ministre depuis Patrice Lumumba. La notion de « cohabitation » est ainsi une nouveauté à laquelle les Congolais pourront difficilement s’accoutumer compte tenu des réflexes d’allégeance au chef de l’Etat qui se trouvent profondément ancrés dans la mentalité des acteurs politiques et du citoyen ordinaire.

I. La cohabitation, une perspective purement théorique ?

Dans son analyse du 23 janvier 2019, publiée sur DESC-Wondo, le juriste Engunda Ikala[2] décrypte la configuration institutionnelle du Congo sous la présidence de Félix Tshisekedi. À l’appui des dispositions de l’article 91 de la Constitution[3], il prédit un Premier ministre qui devra avoir les coudées franches pour conduire la politique de la nation, protégé par une confortable majorité parlementaire. Il pourra ainsi disposer de l’administration publique, des forces armées, de la police nationale et des services de sécurité. Au-delà des institutions nationales, il pourra s’appuyer sur les exécutifs provinciaux majoritairement formés des fidèles de Joseph Kabila. C’est une configuration qui donne au Congo les allures d’un modèle parlementaire sur l’exemple des démocraties européennes où le roi règne mais ne gouverne pas. Une perspective alléchante pour les prétendants au poste de Premier ministre. Pour la première fois depuis l’accession du Congo à l’indépendance, un Premier ministre devra diriger la politique du Congo en première ligne. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Il est, en effet, difficile d’imaginer qu’un chef de l’Etat au Congo puisse être réduit au rôle d’un président d’apparat. Les pouvoirs qu’il tient de la Constitution, la position stratégique qu’il occupe par rapport aux relations entre le Congo et les puissances étrangères et la mentalité qui structure l’imaginaire politique des Congolais sont autant de facteurs qui donnent à penser que la toute-puissance annoncée du prochain Premier ministre relève  pour l’essentiel d’un schéma théorique. L’institution ‘Président de la République’ devrait s’affirmer par la force des choses et confiner progressivement le prochain Premier ministre dans un rôle assez comparable à celui de ses prédécesseurs. Ce dernier ne pourra pas faire le difficile compte tenu, entre autres, des conditions dans lesquelles l’actuelle majorité parlementaire a été obtenue. Il faut toujours garder à l’esprit le fait que les résultats publiés par la Commission électorale nationale (CENI) sont notoirement considérés comme frauduleux[4], ce que le rapport de la Conférence des évêques (CENCO) et les fuites du serveur central de la CENI ont confirmé[5]. Les « élus » du 30 décembre 2018, dont les parlementaires de la majorité sortante, en sont conscients, et savent qu’une crise avec le président qui conduirait à la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation des élections anticipées est à éviter à tout prix. Le nouveau Premier ministre devra ainsi limiter son influence et veiller à ne pas froisser inutilement le chef de l’Etat.

II. La prééminence de l’institution ‘Président de la République’, une question de droit et de tradition

Quelle que soit la majorité parlementaire, le président de la République reste le pôle principal de l’exécutif. C’est de lui que le Premier ministre tire sa légitimité par l’acte de nomination (article 78). Contrairement aux régimes parlementaires stricts où le Premier ministre est élu par le parlement, au Congo, les parlementaires n’ont pas le pouvoir de désignation du Premier ministre. C’est le président qui, après consultation de la coalition majoritaire, nomme un des membres de la majorité, bien évidemment, en fonction des critères de compatibilité qui lui sont propres. Il est ainsi inenvisageable que Félix Tshisekedi nomme au poste de Premier ministre un kabiliste querelleur ou aux ambitions débordantes. Son choix portera forcément sur une personnalité consensuelle et tout à fait disposée à faire profil bas en cas de crise avec la présidence de la République et éviter d’en arriver à une dissolution de l’assemblée nationale, par exemple. C’est une question de réalisme. Au-delà du risque de dissolution de la chambre basse du parlement, arme politique entre les mains du président en cas de crise avec le Premier ministre, il y a la tradition.

En effet, depuis l’accession du Congo à l’indépendance, aucun Premier ministre n’a gagné un bras de fer avec le président de la République. Même le puissant Patrice Lumumba, premier Premier ministre, n’a pas pu s’imposer face au président Joseph Kasa-Vubu. Un de ses successeurs, Moïse Tshombé, en position de force à l’issue des législatives de 1964, n’a pas pu s’imposer, lui non plus, sur les institutions face à Joseph Kasa-Vubu. Les règnes successifs  de Mobutu (32 ans), Laurent-Désiré Kabila (4 ans) et Joseph Kabila (18 ans), ont fini par imprimer dans l’imaginaire des Congolais le profil du président de la République « chef suprême de la nation ». Le Congo se gère comme un grand village dont le chef suprême est le président de la République. C’est lui que tout le monde tient à rencontrer et être dans ses bonnes grâces : les acteurs politiques, les leaders communautaires, les chefs coutumiers, les diplomates étrangers, les investisseurs et autres hommes d’affaires, les généraux de l’armée et de la police,… Le président est le Commandant suprême des forces armées et préside le Conseil supérieur de la Défense (article 83). C’est le président qui traite des affaires du Congo avec les partenaires internationaux et qui garantit les engagements bilatéraux et multilatéraux. Bref, la position stratégique occupée par le président de la République lui confère, par la force des choses, une évidente prééminence sur le Premier ministre, quelles que soit la majorité parlementaire et les deals politiques négociés en amont.

Conclusions

Les engagements pris par Félix Tshisekedi avant son accession à la présidence de la République et la majorité pro-Kabila qui se dégage au parlement, sont, de toute évidence, de nature à limiter sa marge de manœuvre en tant que chef de l’Etat. Mais cette situation ne devrait pas durer. Les réflexes politiques et la position stratégique occupée par le président devraient rapidement l’amener à s’affirmer en tant que pilier incontournable du jeu politique et de l’action du gouvernement, quelle que soit la majorité au parlement et la composition de l’équipe gouvernementale. D’ailleurs, si Joseph Kabila a tenu à conclure un deal avec Tshisekedi, c’est parce qu’il est conscient que seul un président, et non un Premier ministre, peut lui garantir la sécurité, l’impunité et la perspective d’un éventuel retour aux affaires. Du coup, ce n’est pas du Premier ministre et de la majorité parlementaire que Félix Tshisekedi devrait se méfier, mais bien de Joseph Kabila, manifestement décidé à exercer une certaine emprise sur le nouveau chef de l’Etat[6].

Boniface MUSAVULI

Coordonnateur DESC, auteur des ouvrages :

– CONGO’S BENI MASSACRES: Fake Islamists, Rwandan Unending Occupation,

– Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes,

– Les Génocides des Congolais – De Léopold II à Paul Kagame.

[1] La Constitution du 18 février 2006 consacre un régime semi-présidentiel. Le pouvoir exécutif est divisé entre le gouvernement et le président. Le président possède des pouvoirs plus importants que ceux qui sont attribués dans un régime parlementaire au sens strict. Mais le poids des habitudes a fatalement mené à un accroissement hégémonique du rôle du président dans la vie politique au détriment du Premier ministre.

[2] « Tribune : Le juriste Engunda Ikala décortique les limites du pouvoir du chef de l’Etat en cas de cohabitation ! », https://afridesk.org/fr/?p=24727&lang=fr.

[3] Article 91. Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la nation et en assume la responsabilité.

Le Gouvernement conduit la politique de la nation.

La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement.

Le Gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité.

Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90, 100, 146 et 147.

Une ordonnance délibérée en Conseil des ministres fixe l’organisation, le fonctionnement du Gouvernement et les modalités de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les membres du Gouvernement.

[4] B. Musavuli, « RD Congo – Félix Tshisekedi : La victoire arrangée et l’embarras politique ? », http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:0xJVmX6GywYJ:afridesk.org/fr/rd-congo-felix-tshisekedi-la-victoire-arrangee-et-lembarras-politique-b-musavuli/+&cd=2&hl=fr&ct=clnk&gl=fr.

[5] https://information.tv5monde.com/afrique/elections-en-rdc-martin-fayulu-est-il-le-vrai-vainqueur-279963.

[6] Plusieurs sources rapportent qu’un deal politique a été conclu entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila aux termes duquel l’ancien président garde le contrôle sur des pans entiers de l’économie nationale et des affaires de l’Etat (armée, police, services de renseignement, affaires étrangères,…).

 

 

 

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One Comment “Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ? – B. MUSAVULI”

  • GHOST

    says:

    LA TRADITION ET L´HISTOIRE… QUE DIEU NOUS PROTEGE !

    La lecture de l´histoire de la RDC indique des faits étranges..

    > 1960
    Kasavubu est voté président par le parlement, tandis que Lumumba qui possede la majorité se faire élire premier ministre.
    L´une des causes de la longue dictature de Mobutu est la mauvaise comprehension de la constitution par Lumumba et Kasavubu.
    Quand Kasavubu revoque Lumumba sans consulter le parlement, croyant detenir tout le pouvoir… il est loin de se douter qu´il était entrain d´assassiner la démocratie.
    Lumumba ne fera pas mieux que Kasavubu. Lui qui possedait une majorité au parlement ne se donne pas la peine de consulter sa propre majorité et revoque Kasavubu.
    Nous connaissons la suite tragique de cette histoire. Les congolais sont mieux éduqués depuis.. mais une confrontation avec le FCC semble être au rendez-vous quand on connait l´arrogance des proches de Kabila qui vont toujours humilier Felix. Mais ce dernier peut faire mieux que Lumumba. Au lieu de revoquer le premier ministre, Felix peut toujours dissoudre le parlement.. et ainsi renverser la table.. lol

    TRANSITION SANS KABILA ?

    Selon Delly Sesanga, les congolais ont obtenue la « transition sans Kabila » qu´ils souhataient. Ce que le président Felix va assurer une « transition » vers la démocratie et surtout vers des élections démocratique crédibles.
    Ironiquement, le plan de LAMUKA qui voulait qu´on puisse recenser les congolais et leur offrir des cartes d´indentité afin de pouvoir organiser des « bonnes » élections 3 ans après va se réaliser avec Felix, celui là même qui avait quitté ce planning, Lol

    Selon Delly Sesanga « la situation actuelle ressemble á une transition sans Kabila. Certes, nous n´avons pas avancé fondamentalement du point de vue de la transparence du processus électora… »
    https://www.jeuneafrique.com/730118/politique/rdc-pour-delly-sesanga-le-nouveau-pouvoir-envoie-des-signes-prometteurs/

    PRESIDENT ET PRISONIER ?

    Se faire imposer un conseiller en matière de sécurité et se faire accompagner par des proches de Kabila pour son premier voyage en Angola (consultez la liste de la ´delagation sui circule sur la Net) sont des indications explicites que Felix est un président « prisonier » de son deal avec Kabila.
    Même si la perception d´une transition sans Kabila peut s´averer proche de la réalité, il faut á Felix une grande capacité de planificcation afin de « renverser la table » afin d´organiser des élections législatives anticipées visant á en finir avec le gang de Kabila.
    Dissoudre le parlement semble-être la seule option á sa disposition… Felix n´a qu´á ´inspirer du programme de LAMUKA où Fayulu ne devait présider la RDC que pour une periode de 3 ans afin de faire un recensement.

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