Que sera Joseph Kabila en décembre 2016, selon la Constitution ?
Par Boniface Musavuli
La question crée un certain malaise face à l’enlisement du processus électoral et l’incertitude qui plane sur l’alternance annoncée à la présidence du Congo, tandis que le pays se prépare à une épreuve de force. La perspective d’un face-à-face entre le régime-Kabila et la population, opposée à son maintien au pouvoir, peut évidemment déboucher sur une fin brutale du régime, comme au Burkina Faso. Mais il faut garder à l’esprit le fait que ce face-à-face peut aussi tourner à l’avantage de Kabila, dont on sait qu’il s’y prépare militairement; ce qui signerait son maintien au pouvoir jusqu’au 19 décembre 2016, avec ou sans élection. Toute la question est de savoir sous quel statut il se réveillerait le 20 décembre 2016, et les jours suivants. D’où la question, « que sera Kabila à compter du 20 décembre 2016 ? »
La réponse est à rechercher à la fois dans la Constitution et dans la double hypothèse de la tenue ou non de l’élection présidentielle. Nous allons tenter de revisiter la Constitution malgré le peu de renseignement qu’elle fournit, une crise comme celle-ci n’ayant pas été envisagée par le constituant de 2005[1]. Nous menons cette réflexion en essayant de faire abstraction des violations répétées de la Constitution dont le régime-Kabila est assez coutumier[2].
1. Kabila quitte le pouvoir et devient sénateur à vie
Nous partons, pour commencer, sur l’hypothèse selon laquelle l’élection présidentielle sera organisée d’ici à décembre 2016. Dans son article du 28 janvier 2016, l’analyste Alain-Joseph Lomandja, expert en matière électorale, affirme qu’il est encore possible d’organiser les élections présidentielle et législatives dans les délais constitutionnels. Contrairement à une note de la CENI qui a fuité dans la presse[3], la mise à jour du fichier électoral[4] ne peut durer que 3 mois[5], ce qui laisse à la Commission nationale électorale largement le temps de convoquer le scrutin. En effet, aux termes de l’article 73[6], « le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ». « Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle »[7].
Si l’élection présidentielle est organisée au cours de l’année 2016, Joseph Kabila n’y prendra pas part en vertu de l’article 70 qui limite la présidence à « un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois ». Mais les constituants ont tenu à assurer aux anciens présidents une place de choix dans les institutions. Aux termes de l’article 104, « les anciens Présidents de la République élus sont de droit sénateurs à vie ». Ainsi, une fois la passation de pouvoir effectuée avec le nouveau président élu, Joseph Kabila rejoindrait, s’il le souhaite[8], la Chambre haute du parlement.
Il s’agit là de l’hypothèse selon laquelle l’élection présidentielle se tiendra au Congo au courant de l’année 2016. Malheureusement le risque que l’élection ne soit pas organisée en 2016 est suffisamment important pour qu’une réflexion soit également menée dans ce sens. Que se passera-t-il s’il n’y a pas élection ?
2. Une bataille de juristes
En cas de non-tenue de l’élection présidentielle, plusieurs dispositions de la Constitution devraient faire l’objet de débats dans les États-majors des partis politiques et même devant la Cour constitutionnelle. Il y a tout d’abord le deuxième alinéa de l’article 70 de la Constitution qui dispose qu’« à la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ». Cet article a déjà commencé à faire débat. Les partisans du glissement du calendrier électoral considèrent qu’il donne droit au président Kabila de rester à la tête du pays, même si l’élection présidentielle n’est pas organisée[9]. En réalité, cet article doit être interprété en tenant compte de tous les éléments contenus dans l’alinéa et en veillant à ce qu’il ne soit pas en conflit avec les autres dispositions de la Constitution. Lu dans son ensemble, l’alinéa parle de « l’installation effective du nouveau président élu », ce qui suppose que l’élection présidentielle doit avoir déjà eu lieu et que le nouveau président attendrait juste de prendre ses fonctions[10].
Or, comme nous l’avons indiqué précédemment, l’élection présidentielle est convoquée quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat présidentiel en cours[11]. Ce mandat, faut-il le rappeler, est de cinq ans renouvelable une seule fois[12]. La loi fondamentale impose, par ailleurs, au Président, de veiller au respect de la Constitution[13], d’être le garant du fonctionnement normal des institutions, de veiller au respect du principe de l’alternance démocratique[14], ce qui suppose la tenue régulière des élections. Le second alinéa de l’article 70 doit donc être interprété comme formant un tout avec les autres dispositions de la Constitution qui traitent de l’alternance démocratique. Et pour nous en convaincre, à l’appui de la méthode téléologique d’interprétation des normes juridiques[15], disons que le peuple congolais, en adoptant la Constitution par référendum n’avait pas à l’esprit qu’un président pourra à l’avenir se maintenir au pouvoir au-delà de la durée de son mandat. Cela est d’autant plus crédible qu’en 2006, les Congolais avaient encore en mémoire l’interminable règne de Mobutu (32 ans). Ils ont donc adopté la nouvelle Constitution par référendum en considérant qu’à la fin de son mandat, un président devra quitter le pouvoir.
Reste à savoir comment les Congolais, acteurs politiques et citoyens ordinaires, appelés depuis des mois à s’assumer au nom de l’article 64, devront s’y prendre si, malgré tout, l’élection n’était pas organisée et que la majorité au pouvoir se maintient aux commandes du pays en considérant que l’article 70 assure à Kabila de rester à la tête des institutions jusqu’à l’élection d’un nouveau président. L’affaire, à défaut d’être réglée dans les rues, finira devant la Cour constitutionnelle[16].
3. La « mort » de la Constitution et le triomphe d’un homme ?
Si la Cour constitutionnelle estime que le mandat de Joseph Kabila s’arrête le 19 décembre 2016, et qu’aucune disposition ne légitime son maintien au pouvoir, il faudra qu’il se retire du pouvoir, mais son départ dans ces conditions ne fera qu’aggraver la crise politique. Le Congo se trouverait en situation de vacance du pouvoir. L’article 75 de la Constitution prévoit qu’en cas de vacance du pouvoir, les fonctions de Président de la République sont provisoirement exercées par le Président du Sénat[17]. Autrement dit, le Congo passerait sous la présidence (par intérim) de Léon Kengo wa Dondo, l’actuel Président du Sénat. Seulement voilà : les membres du Sénat actuel sont issus des élections sénatoriales de 2007. Leur mandat a expiré depuis 2012. La Cour constitutionnelle se rendra rapidement compte qu’en plus du Président de la République, le Président du Sénat est hors mandat depuis quatre ans.
Cette situation serait inédite parce que rien n’est prévu dans la Constitution pour combler la vacance laissée par le président en fin de mandat, tandis que le Président du Sénat, qui devrait lui être substitué, se retrouverait lui-même dans l’illégalité. Les institutions de la République cesseraient de fonctionner sur la base de la Constitution de 2006 qui deviendrait, de fait, caduque. Dans une analyse de février 2013, nous avions déjà évoqué le risque de voir la Constitution de 2006 frappée de caducité par la force des choses. Il s’agissait d’analyser les quatre scénarios pouvant permettre à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016[18]. En tout cas, le Congo basculerait dans un vide institutionnel comparable aux lendemains des prises du pouvoir par une force insurrectionnelle abrogeant la Constitution et établissant un nouveau cadre institutionnel (coup d’État, révolution,…). Seule la force déterminera l’effectivité du pouvoir. Que sera Kabila en ces temps-là ?
A moins d’un soulèvement populaire[19], Joseph Kabila sera toujours président s’il contrôle les leviers du pouvoir, à savoir l’armée, la police, les réseaux diplomatiques,… Il sera la seule « autorité de fait », mais exerçant un pouvoir affranchi des contraintes de la Constitution actuelle, tombée caduque. Il est pourtant l’homme qui l’avait promulguée et qui avait solennellement promis de la respecter dans ses deux serments d’investiture[20] de 2006 et de 2011. Mais cette Constitution ne risque pas de « mourir » seule. Du sang a déjà coulé en janvier 2015 lorsque la population s’était opposée à un projet de loi électoral qui devait entraîner le dépassement de la durée du mandat présidentiel en cours. Il faut donc prendre au sérieux les appels au respect de la Constitution et la nécessité d’organiser les élections dans les délais constitutionnels.
Boniface MUSAVULI / Exclusivité DESC
Références
[1] Le projet de Constitution a été rédigé en 2005 puis adopté par référendum les 18 et 19 décembre 2005. Il a été promulgué le 18 février 2006 par le président Joseph Kabila.
[2] Le juriste Jean-Bosco Kongolo a publié plusieurs analyses rappelant les violations répétées de la Constitution sous le régime de Kabila, y compris par la Cour constitutionnelle. Cf. JB Kongolo : « Violation de la Constitution de la RDC : par action et par omission », http://afridesk.org/fr/violation-de-la-constitution-de-la-rdc-par-action-et-par-omission-jean-bosco-kongolo/ ; JB Kongolo : « Cour constitutionnelle ou caution de violation de la Constitution ? », http://afridesk.org/fr/cour-constitutionnelle-ou-caution-de-violation-de-la-constitution-jean-bosco-kongolo/.
[3] Selon cette note de la CENI, citée par le quotidien en ligne 7sur7, la révision du fichier électoral prendrait au moins treize mois. Ce qui implique que les élections ne peuvent avoir lieu avant mars 2017. Cf. « Treize mois pour la révision du fichier électoral le G7 en désaccord avec la CENI », http://7sur7.cd/new/treize-mois-pour-la-revision-du-fichier-electoral-le-g7-en-desaccord-avec-la-ceni/.
[4] Principal obstacle avancé à l’organisation des élections dans les délais.
[5] Cf. Alain-Joseph Lomandja, « Peut-on encore organiser des élections en RDC dans les délais constitutionnels ? », http://afridesk.org/fr/peut-on-encore-organiser-des-elections-credibles-et-apaisees-en-rdc-dans-les-delais-constitutionnels-alain-joseph-lomandja/.
[6] Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006.
[7] Article 74.
[8] Il s’agit d’un privilège, pas d’une obligation. Les anciens présidents élus sont libres d’occuper ou de ne pas occuper leur siège au sénat. Par ailleurs, la question de savoir si un ancien président élu peut, à nouveau, briguer la magistrature suprême, n’est pas évoquée dans la Constitution.
[9] Il existe plusieurs méthodes d’interprétation des normes juridiques. Dans la méthode dite « historique », ou « évolutive », l’interprète peut adapter le texte aux nécessités de son époque. Il se demande ce qui se passerait si le législateur avait adopté le texte au moment où il l’interprète. Il est tentant de croire que si l’article 70 devait être rédigé en 2016, en pleine incertitude sur la tenue de l’élection présidentielle, le constituant sous-entendrait que le président en fonction reste au pouvoir jusqu’à l’élection du nouveau président, compte tenu du risque de vacance du pouvoir sur lequel nous reviendrons.
[10] Article 74 : Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle.
[11] Article 73.
[12] Article 70, alinéa 1er.
[13] Article 69.
[14] Principe consacré dans l’exposé des motifs n°3.
[15] La méthode téléologique consiste à rechercher « la finalité du texte », le but social poursuivi au moment de son élaboration. L’interprète recherche l’objectif qui a présidé à l’élaboration de la règle de droit. Dans le cas d’espèce, on peut considérer, à la lecture de l’exposé des motifs de la Constitution de la RDC, que l’article 70 n’a pas pu être rédigé dans le but de reproduire, à l’avenir, des présidences à vie, après celle de Mobutu.
[16] La saisine de la Cour constitutionnelle est prévue à l’article 161 de la Constitution : « La Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs de province et des présidents des Assemblées provinciales (…) ».
[17] Article 75 : En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le Président du Sénat.
[18] « RD Congo : Kabila 2016 ? », http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/rd-congo-kabila-2016-130212.
[19] De plus en plus de voix appelle à l’article 64 à mesure que le pays s’approche de la fin du mandat de Kabila. L’article 64 dispose que « Tout congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou tout groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la Constitution ».
[20] Avant son entrée en fonction, le Président de la République prête, devant la Cour constitutionnelle, le serment ci-après : « Moi…. élu Président de la République Démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation : – d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République ; – de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire ; – de sauvegarder l’unité nationale ; – de ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine ; – de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix ; – de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées ». Cf. Article 74 de la Constitution.
2 Comments on “Que sera Joseph Kabila en décembre 2016, selon la Constitution ? – Boniface Musavuli”
Yapapy Deka
says:Que sera Kabila en décembre 2016? En prison (éventualité à ne pas écarter). Comme vous l’avez dit, la Constitution de la République stipule « La loi fondamentale impose, par ailleurs, au Président, de veiller au respect de la Constitution[13], d’être le garant du fonctionnement normal des institutions, de veiller au respect du principe de l’alternance démocratique[14], ce qui suppose la tenue régulière des élections » et dès lors qu’il est prouvé que le Président Kabila a œuvré pour son maintien au pouvoir en faisant fi de la Constitution dont il a prêté serment de défendre, entrainant par là le blocage des institutions dont il est le garant, M. Kabila doit être traduit en justice pour Haute trahison. Il ne peut pas être « l’autorité de fait » sinon c’est un coup de force qui nous ramène « officiellement » dans un régime dictatorial de triste mémoire honni par les Zairo-congolais.
Olivier Mwimba
says:Merci Mr. Musavuli pour cette analyse très intéressante. Votre analyse de l’article 70 est très convaincante. Cependant, je ne suis pas d’accord avec votre conclusion selon laquelle la Constitution dans son entièreté deviendrait caduque simplement du fait que les articles relatifs au mandat présidentiel posent des difficultés d’interprétation. En tout cas, la constitution traite de plus que le seul mandat présidentiel. La matière constitutionnelle est beaucoup plus abondante que cela. Il n’y a pas de raison de déclarer la caducité des protections des droits fondamentaux ou encore des principes de la séparation des pouvoirs ou de l’allocation des attributions entre l’État et les provinces.
En bref, la constitution devra rester en place, en l’absence d’un coup d’État ou d’une révolution. Une interprétation des articles relatifs au mandat présidentiel qui aboutirait a la caducité de la constitution dans son entièreté serait irrationnelle et contraire à plusieurs autres principes directeurs en matière d’interprétation des textes constitutionnels.
Si la cour constitutionnelle est appelée à déclarer une vacance de pouvoir du fait de l’expiration du mandat du Président Kabila sans organisation des élections de son successeur dans les délais, je pense qu’elle sera tenue d’introniser le président du Sénat en exercise. Il n’appartiendra pas à la cour de proclamer, de sa propre initiative, l’illégitimité de cette arrangement, étant donné que la légitimité ou la légalité du mandat des sénateurs n’aura pas été l’objet du contentieux en question ou de tout autre contentieux depuis des années. La cour constitutionnelle est tenue d’interpréter la constitution d’une façon qui préserve la raison d’être de celle-ci et assure une continuité de l’ordre constitutionnel établi.
Bien évidemment, il est très possible que la cour constitutionnelle ordonne un arrangement extraordinaire (du genre commissaire provincial) qui viole tant l’esprit que la lettre de la constitution. Ce risque est particulièrement réel maintenant que la cour s’est arrogé le rôle de « régulateur » de la bonne marche des institutions de la 3e république.