Je suis fort sollicité par plusieurs experts internationaux et des journalistes demandant mon analyse sur l’article d’Africa Confidentiel de ce 24 aout 2021, intitulé : « La Maison militaire de Tshisekedi vacille sur ses fondations ».
Sans être étayée par des éléments factuels, cette litanie écrite dans un style pamphlétaire avait pour cible le Général-Major Franck Ntumba Buamunda, le chef de la Maison Militaire du Président Tshisekedi.
Sans apporter la moindre preuve de ses allégations, l’auteur de l’article d’Africa Confidentiel présente le général Franck Ntumba comme étant le principal conseiller de Félix Tshisekedi en matière de défense et de renseignement, qui serait très contesté par la hiérarchie des FARDC, l’armée congolaise, avec laquelle il entretiendrait de très mauvais termes. L’auteur de l’article va même jusqu’à affirmer, sans preuves encore, que ses relations avec le Chef de l’Etat seraient tendues, à tel point que son remplacement est désormais sérieusement envisagé. Il pourrait même, à terme, quitter ses fonctions de chef d’état-major particulier du président Tshisekedi pour devenir gouverneur d’une province du pays placée en état de siège. Dans sa diatribe contre le général Franck Ntumba, l’auteur écrit qu‘une partie des généraux congolais lui reproche notamment de freiner les enquêtes en cours sur d’éventuelles reventes de matériel des Forces armées congolaises (FARDC) en Centrafrique, voire de protéger des militaires mouillés dans ces réseaux car « Ntumba fut longtemps en poste dans le grand nord de la RDC ». Voilà de quoi ameuter les réseaux sociaux.
Pourtant, c’est de bonne en guerre en RDC qu’à l’approche de grands chambardements politiques ou militaires que certaines personnalités recourent aux médias pour tenter d’influencer les choix du Président de la République, soit en commanditant des articles les mettant en vue ou les réquisitoires, souvent infondés, contre leurs potentiels adversaires ou concurrents à des postes qu’ils convoitent.
Cet article d’Africa Confidentiel fait suite à un autre article publié le 24 juillet 2020, qui dépeignait le portrait du Général Fraanck Ntumba et l’opposait l’époque au Général d’Armée Célestin Mbala Munsense, le Chef d’état-major général des FARDC et François Beya Kasonga, le Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité [1].
Pour le cas qui nous concerne, selon les investigations poussées que nous avons réalisées, il y a lieu de s’interroger sur le profil ou l’identité des généraux auxquels fait allusion Africa Confidentiel. En bon criminologue, la question que je me pose est celle de savoir pourquoi cette agitation et ces tirs croisés contre le chef de la Maison Militaire du Président ?
Ainsi, la présente analyse va tenter de décrypter les dessous des cartes de ce qui semble être une guerre des sécurocrates, qui ne dit pas son nom. Cet article permet également d’éclairer, à l’instar de bien des pouvoirs par ailleurs, des luttes impitoyables de pouvoir, des conflits interpersonnels et des luttes d’influence qui se mènent actuellement entre les différents cercles du pouvoir qui gravitent autour du Président Tshisekedi.

Des anciens lieutenants de Joseph Kabila en sursis montent-ils au front craignant leur éviction ?
Selon des informations parvenues à AFRIDESK de plusieurs sources sécuritaires, de nouvelles mises en place sont prévues dans les prochaines semaines au sein du Haut-Commandement militaire et de plusieurs services de sécurité. Parmi les collaborateurs du Président consultés pour réaliser et coordonner cette mise en place, il y a le Général Franck Ntumba. Quoi de plus normal en sa qualité de premier conseiller militaire du chef de l’Etat.
Pour rappel, face au blocage entre le FCC et CACH, j’ai publié le 20 février 2020 un article et intitulé : « Félix Tshisekedi peut affirmer concrètement ses prérogatives de Commandant suprême des forces armées de la RDC ». Dans cette note, j’avais proposé notamment au Président de réformer la maison militaire et y placer des officiers non acquis à Kabila[2].
En effet, comme je le mentionnais en 2020, la loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC confère au chef de l’Etat toute la latitude de nommer un chef d’état-major particulier. Ce dernier a pour mission de l’assister dans sa tâche de commandant suprême des armées[3]. En effet, l’article 75 de la Loi organique sur les FARDC stipule :
L’Etat-Major Particulier du Président de la République a pour missions de :
– assister le Chef de l’Etat dans la conception et l’élaboration de la politique de défense et de sécurité ;
– aider le Chef de l’Etat dans la conduite et la coordination de toutes les activités relatives à l’organisation, à l’instruction et l’équipement des Forces Armées ;
Ainsi, à l’accession à la magistrature suprême de Félix Tshisekedi, ce poste a été occupé par un kabiliste pur et dur qu’est le lieutenant-général Jean-Claude Yav. Yav a été assisté par le général-major Augustin Mamba Mubiayi, ancien chef du département extérieur au sein des renseignements militaires ex- DEMIAP[4]. Mamba faisait également partie des généraux fidèles et appréciés par Joseph Kabila.
En effet, le Général Franck Buamunda Ntumba a remplacé en fin juillet 2020 le Lieutenant-Général Jean Claude Yav Kabej. Ce dernier avait été nommé à un autre poste très stratégique de Chef d’état-major adjoint des FARDC en charge des opérations et renseignements en remplacement du général Gabriel Amisi Tango Four[5]. Jean-Claude Yav Kabej est le numéro deux des FARDC. Ce Lunda katangais était l’un des hommes de confiance de Joseph Kabila. Jean-Claude Yav faisait partie des « faucons » de l’ancien régime de Kabila. Il avait également dirigé les renseignements militaires. En tant qu’adjoint en charge des opérations et renseignements, Jean-Claude Yav est le véritable chef opérationnel des FARDC, vu son influence et sa connaissance de cette armée et donc en grande partie responsable de l’inefficacité des opérations militaires menées actuellement dans le cadre de l’état de siège.
En nommant le Général-Major Franck Buamunda Ntumba comme chef de la Maison Militaire du Président et en même temps chef d’état-major particulier du président, j’écrivais, dans un article du 31 juillet 2020 que « Tshisekedi tente de s’affranchir de l’entourage kabiliste qui l’asphyxiait au sein de cette structure détachée de l’armée, attachée à la présidence de la République ». Le général Buamunda Tunda est un ancien de la garde civile qui avait rejoint la rébellion du MLC de Jean-Pierre Bemba. Il évolué également comme chef du département de la sécurité militaire dans les renseignements militaires[6].
Il sied de rappeler également que les attributions légales du chef de la maison militaire du Président sont tellement étendues que la Garde républicaine (GR) est placée sous son autorité fonctionnelle. De plus, c’est encore le chef d’état-major particulier du président qui, selon la jurisprudence appliquée depuis Joseph Kabila, coordonne de fait tous les services de sécurité et de renseignements. C’est ici que l’on pourrait aussi expliquer un autre malaise qui a poussé certains sécurocrates, étiquetés proches de Joseph Kabila et qui occupent encore des postes stratégiques dans la galaxie sécuritaire et militaire de la RDC, à lever leurs boucliers contre le général Ntumba.
En effet, outre la Maison Militaire du Président, il existe en RDC une autre structure stratégique autour du Président qui s’appelle le Conseil national de sécurité (CNS). Cette structure chapeaute l’ensemble des services de sécurité congolais, civils et militaires. Son origine remonte aux années 1980 sous Mobutu. Fin 1979 et début 1980, Mobutu décide de mieux assurer la coordination des « services » – civils et militaires. Il crée alors le Conseil National de Sécurité (CNS) directement rattaché à la présidence de la République et dont le Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité était le Secrétaire Général[7]. « Le Conseil National de Sécurité constitue un cadre de concertation de tous les services ayant un objet en rapport avec la sécurité et le renseignement »[8]. Depuis l’accession au pouvoir du président Tshisekedi, le CNS, dirigé par François Beya, le Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité devient l’état-major stratégique politique et sécuritaire du président congolais. Le CNS devient plus influent que l’ANR[9] – ancien centre névralgique des stratégies sécuritaires et politique de Kabila – dont se méfie Tshisekedi, faute d’y disposer des relais stratégiques suffisants.
Jusqu’il y a peu, toutes les grandes stratégies et décisions politiques se prenaient au sein du CNS qui a progressivement détrôné l’influence néfaste de l’ANR incarnée autrefois par Kalev Mutond. Le CNS joue désormais un rôle de contrôle des services de sécurité et de renseignements congolais, selon une source de la présidence de la République en RDC, mais aussi un rôle politique omnipotent et omniprésent.
Mais le problème est que depuis plusieurs mois, François Beya est suspecté par plusieurs cadres de l’UDPS, voire des proches du Président Tshisekedi, de « rouler encore » au profit de Joseph Kabila. De ce fait, il en subit une série d’attaques ciblées[10]. Il y a lieu de rappeler que Beya avait dirigé la DGM (Direction générale de Migration) pendant 12 ans sous Kabila. On ne garde pas une telle fonction stratégique sous Kabila sans lui vouer une grande loyauté. De ce fait, Beya a également a tissé plusieurs liens et entretient de bonnes relations avec plusieurs généraux pro-Kabila qui occupent encore des hautes fonctions dans l’armée comme Célestin Mbala, le chef d’état-major général des FARDC, Jean-Claude Yav, Amisi Tango Four, Augustin Mamba, etc.)[11].

Le Général Ntumba, le nouveau bras droit de Tshisekedi qui indispose les sécurocrates et les généraux kabilistes ?
Selon plusieurs sources militaires et de la Présidence, la méfiance suscitée par plusieurs proches de Tshisekedi à l’égard de François Beya et de plusieurs généraux autrefois loyaux à Kabila aurait amené le Président Tshisekedi à s’appuyer sur son chef d’état-major particulier, le général Franck Ntumba. Ce dernier est originaire du Kasaï-Occidental. C’est un ancien de la Division spéciale présidentiellé (DSP) sous Mobutu. Il a intégré l’armée à Kibomango ( DSP) avant d être transféré à la garde civile. Il a fait l’école de guerre en Égypte en passant par les cours de sécurité militaire et de renseignement militaire. Il a un brevet de parachute obtenu au Centre d’entraînement des troupes aéroportées (CETA) entretenu à l’époque par les Français et situé près de l’aéroport de Ndjili. Le Général Frank Ntumba également suivi une formation commando avancée, toujours en Égypte et d’autres formations spécialisées complexes en matière de sécurité. Il a longtemps évolué au sein des renseignements militaires avant d’être nommé à la tête de la Maison Militaire. Certaines sources le décrivent comme étant un travailleur acharné avec une très forte personnalité.
Depuis quelques mois, selon les informations à notre disposition, le Général Franck Ntumba est systématiquement consulté par le Président Tshisekedi sur les questions d’ordre militaire et sécuritaire, voire stratégique. Or, il s’agit des matières qui touchent également aux prérogatives du chef d’état-major général des FARDC, le Général d’Armée Célestin Mbala Munsense, ainsi que le Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité, François Beya, de moins en moins mis en contribution par le Président. Cela pourrait expliquer le malaise actuel qui se traduirait par des attaques médiatiques feutrées contre le général Ntumba qui gagnerait de plus en plus la confiance du Président, selon les confidences d’un officier général des FARDC.
La mission confiée au Général Ntumba est de mettre de l’ordre dans le fonctionnement de l’armée et des services de sécurité où on a constaté une certaine complaisance entre plusieurs hauts responsables issus de l’ex-establishment sécuritaire de Kabila. C’est le général Ntumba qui a édicté les instructions interdisant les officiers militaires de se déplacer de leur poste d’affectation ou de sortir du pays sans autorisation du Commandant suprême ou un ordre de mission ad hoc de la hiérarchie militaire. C’est encore le Général Ntumba qui est à la base de l’enquête menée actuellement contre certains généraux suspectés de détournements de fonds alloués aux opérations militaires à l’est du pays[12].
Selon nos sources, le général Mbala doit prendre sa retraite lors du remaniement du Haut-Commandement de l’armée qui s’annonce dans les semaines ou les mois à venir. De même, la tête de François Beya est mise à prix par les radicaux de l’UDPS. Pour ces irréductibles, après avoir neutralisé les adversaires politiques de Tshisekedi, ils veulent que le même nettoyage se fasse également dans l’armée et les services. Ainsi, parmi les potentiels candidats à la succession de Beya ces noms étaient fréquemment cités pendant un temps : Tshimbombo Mukuna (décédé), Kitenge Yezu (décédé), Fortunat Biselele, Samy Badibanga, François Muamba Tshishimbi et Roland Kashwantale. Presque tous sont des Luba, sauf Kashwantale qui est un Mushi du Sud-Kivu.
Conclusion
En attendant, les deux sécurocrates (Ntumba et Beya) continuent chacun de jouer un rôle important dans les prochaines restructurations qui auront lieu à la tête de l’armée, de la police et des services de sécurité, voire au sein du cabinet du Président qui doit être également largement remanié.
Depuis un certain temps, la Maison militaire du Président devient très influente auprès du Président Tshisekedi et même dans la gestion des questions sécuritaires au point de rivaliser, voire d’empiéter sur les prérogatives du CNS. D’où ces attaques médiatiques qui ciblent principalement le Général Franck Ntumba, le chef d’état-major particulier de Tshisekedi et dont l’objectif serait de ternir son Ntumba et de créer une inimitié entre le Président Tshisekedi et lui.
Les récentes sorties médiatiques contre le général Ntumba font partie des stratégies de lutte d’influence concoctées par des généraux et des sécurocrates qui craignent les prochaines restructurations annoncées dans l’armée, la police et les services de sécurité. Ils tiennent à tout prix à garder la confiance du Chef de l’Etat tout en continuant leurs pratiques machiavéliques d’affaiblissement des forces de défense et de sécurité afin de maintenir le désordre sécuritaire dans le pays en jetant en pâture ceux qui mettent à mal leurs plans.
Quant au Général Franck Ntumba, il se décrit comme un officier enquêteur de loyauté, qui ne peut jamais soutenir les magouilles ou les vendeurs d’armes. Les gens le craignent parce qu’ils savent qu’il est incorruptible et sévère envers les malfaiteurs qui entretiennent la corruption dans l’armée, nous dit un officier supérieur de la Maison militaire du Président.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Expert des questions militaires et de sécurité.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu est un analyste, expert et consultant des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de la République démocratique du Congo et de l’Afrique subsaharienne. Il est diplômé de l’École Royale Militaire et breveté des Hautes études de sécurité et de défense de l’Institut royal supérieur de défense (Belgique). Il est détenteur d’un master en criminologie de l’Université de Liège et d’un post-graduate en science politique (option relations internationales) de l’Université Libre de Bruxelles. Depuis plusieurs années, il est cadre de direction dans le secteur de la justice pénale en Belgique.
Exclusivité AFRIDESK
Références
[1] https://maelezokongo.com/2020/07/24/le-tout-puissant-general-frank-ntumba/.
[2] https://afridesk.org/felix-tshisekedi-peut-affirmer-concretement-ses-prerogatives-de-commandant-supreme-des-forces-armees-de-la-rdc-jj-wondo/.
[3] L’article 75 de la Loi portant organisation et fonctionnement des FARDC.
[4] Service de Détection Militaire des Activités Anti-Patrie, le Patronyme utilisé sous Laurent-Désiré Kabila pour désigner les renseignements militaires congolais
[5] Le général d’armée Gabriel Amisi Kumba Tango Four avait remplacé le général d’armée John Numbi au poste d’Inspecteur général des FARDC. Elevé au grade le plus élevé des FARDC de général d’armée (4 étoiles), Gabriel Amisi Kumba fait partie des généraux de confiance et loyaux au président Kabila. Cet ex-FAZ qui s’est rallié aux rebellions de l’AFDL et RCD-Goma a longtemps été l’homme-orchestre du dispositif opérationnel de Kabila au sein des FARDC. Le Général Amisi est sous sanctions des Etats-Unis d’Amérique et de l’Union Européenne
[6] https://afridesk.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/?
[7] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours, Amazon, 2019, p. 330. En vente sur Amazon en cliquant sur le lien: https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine-ebook/dp/B07VXHQBGC.
[8] Article 2 de l’Ordonnance N°86-306 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de sécurité, Journal Officiel de la République du Zaïre, n°23 du 1er décembre 1986
[9] L’Agence nationale de renseignements (ANR) est un service public doté de l’autonomie administrative et financière, placé sous l’autorité du président de la République. Elle a pour mission de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’État.
[10] https://scooprdc.net/2021/03/02/attaques-de-ludps-contre-francois-beya-attention-a-la-decadence-et-la-destabilisation-securitaire-de-fatshi/.
[11] https://afridesk.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/.
[12] Parmi les généraux suspectés, on cite entre autres le Général-Major Philémon Yav, le Commandant de la Troisième zone militaire couvrant les provinces de l’est de la RDC, le Général Mandiangu, Sous-chef des d’état-major chargé des renseignements (DEMIAP), le Général-Major Marcellin Assumani, le Commandant du Corps logistique, le Général-Major Kasonga, Commandant du service de l’information et de communication des FARDC, le commandant du secteur opérationnel Sukola 2 au Nord-Kivu, le Commandant adjoint en charge de la logistique du secteur opérationnel Ituti et deux autres généraux convoqués à Kinshasa par le général Mbala suite aux enquêtes menées par l’Inspection général des FARDC mais sur initiative et supervisées par la Maison Militaire du Président.