Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 22-05-2020 13:20
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Que cache la mise à la retraite anticipée du général Gabby Moustapha Mukiza ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le général de brigade Gabby Moustapha Mukiza est né le 30 juillet 1968 à Ngandja dans le territoire de Fizi dans la province du Sud-Kivu.  Il est le fils de Bujanja Evariste et de Christine Nyirarukondo Nyirankundwa, tous deux des Banyarwanda installés dans les Hauts plateaux de Minembwe. Il vient d’être admis à la retraite par ordonnance présidentielle du 2 mai 2020 au grade de général major.

Moustapha Mukiza a servi comme légionnaire au sein de l’APR (armée patriotique rwandaise) au Rwanda avant d’être injecté dans l’AFDL. Il va ensuite rejoindre le RCD-Goma en menant l’opération commando de l’atterrissage forcé à Kitona des troupes du RCD parties de Goma, le 4 août 1998, pour prendre en étau la capitale congolaise. Il était à la tête d’une compagnie des commandos de 136 hommes. L’opération tourne au cauchemar pour Mukiza et ses hommes pris en sandwich entre les troupes angolaises stationnées à Cabinda et héliportées vers Moanda par les hélicoptères Puma et les troupes gouvernementales des FAC venues de Kinshasa. Récupérés par les hommes de l’UNITA de Jonas Savimbi à Makela Do Zombo, qui organiseront leur rapatriement à Kigali. Arrivés à Kigali, ce sera la douche froide. L’accueil y est glacial. Mukiza et ses troupes seront désarmés et pratiquement méprisés par les autorités rwandaises qui ne voulaient pas voir ces « Banyamulenge » chez eux. C’est là que Jean-Pierre Ondekane, ministre de la Défense du RCD-Goma, va le nommer commandant de brigade. Il décide de l’envoyer à Buta, dans la Province-Orientale.

Arrivé sur place, Mukiza sera surpris que l’on avait nommé un autre commandant, Jacques Mukalay Mushonda, un Tutsi du Nord-Kivu à la tête de la même brigade. Mukiza se contentera de commander un des trois bataillons de cette Brigade. Le climat sur place à Buta est délétère. Mukiza et ses éléments Banyamulenge se sentent trahis par le Rwanda. C’était au même moment que le MLC commence sa rébellion dans la même Province Orientale, soutenu par l’Ouganda. Des officiers ougandais qui étaient au courant de son mécontentement envers Kigali vont lui faciliter le contact avec le QG du MLC installé à l’aéroport de Buta. C’est à ce moment précis que sa décision sera prise de rejoindre le MLc fraîchement créé par Jean-Pierre Bemba. Le général Mukiza prendra en quelque sorte ses distances avec le Rwanda, sans pour autant couper les ponts avec ses frères Azarias Ruberwa, Moïse Nyarugabo et Bizima Karaha. Au sein du MLC, il côtoiera le général Kibonge aussi retraité. Il gardera aussi des contacts réguliers avec Jean-Pierre Ondekane, aussi précocement retraité par l’ordonnance présidentielle de Tshisekedi.

Au sein du MLC, après avoir livré quelques batailles pour le contrôle de la partie nord de la province de l’Equateur, Moustapha Mukiza sera nommé commandant de la brigade Charlie ou brigade C de l’ALC (Armée de libération du Congo), la branche armée du MLC. Jean-Pierre Bemba enverra son contingent en RCA pour soutenir le gouvernement du président Ange-Félix Patassé (2001-2003). Son unité sera accusée d’avoir commis de graves crimes de guerre et crimes contre l’humanité en RCA. Mais Mustapha Mukiza Gaby ne sera nullement inquiété ni auditionné par la CPI dans le procès Bemba. Pourtant, c’est lui qui a conduit les opérations militaires sur le terrain en RCA.

Après la réunification de l’armée avec les forces rebelles et les maï-maï sous le brassage, le général Mukiza deviendra commandant de la région militaire du Bandundu puis commandant de la base militaire de Kitona. Il sera ensuite chef d’état-major de la deuxième zone de défense des FARDC couvrant les territoires administratifs de l’ex-Katanga et des deux anciennes provinces du Kasaï. C’est lui qui était donc à la base de la planification des opérations menées dans les massacres du Kasaï placées sous le commandement du général tutsi Eric Ruhorimbere, actuellement commandant secteur Ops Nord-Equateur (Fief de JP Bemba).

Des conflits entre les Tutsi installés au Congo au-delà de leur allégeance à Kagame

Dans son essai intitulé : « L’espoir au-delà de mes larmes », publié en 2014, le général Gabby Moustapha Mukiza explique les rivalités internes qui existent entre les Tutsi du Nord-Kivu et ceux du Sud-Kivu.  « Les tutsi du Nord-Kivu sont plus proches du Rwanda que ceux du Sud-Kivu (Mulenge – Minembwe), mais tous sont des Tutsi, dans les us et coutumes du point de vue approche géographique et morphologique. (…) Les tutsi du Nord-Kivu sont proches des Rwandais vu qu’ils partagent par fait naturel (frontières) le train-train quotidien commun et vu les nombreux rapports économiques qu’ils partagent au quotidien. C’est pourquoi les Tutsi comme les généraux Masunzu ou Jonas Padiri du Sud-Kivu sont réticents aux Rwandais et les ont violemment combattus. (…) Du temps de l’Armée patriotique rwandaise (APR), tout Tutsi qu’il soit du nord ou du sud avait bénéficié, en égale chance, de la formation au Rwanda. (…) Il y a cependant une méfiance réciproque entre les tutsi du Nord-Kivu et ceux du Sud-Kivu. Certains tutsi du nord avaient estimé que le mérite de la victoire de l’AFDL avait trop valorisé les « Banyamulenge » à leur détriment. Et la résultante de cette appréhension a engendré ce clivage complexe sans cesse émaillés des coups bas »[1].

Ces propos, à peine voilés, laissent transparaître l’appréhension de Mukiza par rapport à ses frères Tutsi du Nord-Kivu et par rapport au Rwanda, malgré les soutiens dont il a bénéficié dans sa carrière militaire en RDC.

Une retraite anticipée en signe de punition pour son éventuel soutien au RNC de Kayumba ?

Depuis 2017, Paul Kagame fait face à une sérieuse contestation menée par ses ex-lieutenants du FPR. Ces derniers, rassemblés au sein du RNC (Rwanda National Congress), le mouvement de l’ancien chef d’état-major du Rwanda, le général tutsi Faustin Kayumba Nyamwasa, mènent des attaques armées depuis les Hauts Plateaux de Minembwe et les plaines du Rutshuru contre le Rwanda. Leur objectif est de renverser Paul Kagame[2]. Selon un rapport du groupe d’expert des Nations-Unies sur la RDC, le RNC s’installe dans la forêt de Bijabo, au Nord de Minembwe, et noue une alliance avec les combattants Banyamulenge Gumino. Le même rapport indique que le Burundi sert alors de territoire de transit pour certaines de ses recrues[3]. Le Gumino est un groupe rebelle tutsi Banyarwanda (communément appelé banyamulenge), ressuscité par des officiers des FARDC pour combattre dans cette province  en 2012 la rébellion pro-Kigali du M23 (constitué majoritairement de Tutsi du Nord-Kivu)[4]. Parmi les officiers hostiles au M23 et au Rwanda, on peut citer les généraux Masunzu et Jonas Padiri du Sud-Kivu.

Depuis son arrivée au pouvoir en RDC, Félix a renforcé ses liens avec le président Kagame en lui facilitant notamment l’intervention des troupes rwandaises à l’est du pays. Si au Nord-Kivu l’alibi est de combattre les ex-FDLR, au Sud-Kivu la motivation de cette alliance est de contenir en amont les offensives militaires du RNC. Etant « Munyamulenge » du Sud-Kivu, le général Mukiza ne peut qu’être solidaire à ses frères d’armes des Hauts plateaux de Minembwe, le Gumino, à l’instar du colonel Michel Rukunda, dit ‘Makanik’ qui a rejoint le de Gumino. Avant sa défection, le colonel Rukunda était commandant second chargé des opérations et renseignements dans le secteur de Walikale dans le Nord-Kivu.

En effet, la position et l’influence du général Mukiza au sein des FARDC ainsi que sa connaissance du terrain et son expérience militaire peuvent constituer un danger pour le couple Kagame-Tshisekedi au cas où il serait établi qu’il serait en collusion avec le général Kayumba via les Gumino. C’est là que nous situons sa mise à la retraite anticipée.

Selon la loi portant statut du militaire des FARDC, les âges théoriques de la mise à la retraite des généraux sont repris dans le tableau ci-dessous :

GradeAge d’admission à la retraire
Général d’armée59 ans
Lieutenant-général59 ans
Général major58 ans
Général de brigade58 ans

Retraité à 51 ans alors que statutairement il avait encore 7 années de service militaire à accomplir, seuls des motifs d’ordre politique ou disciplinaire peuvent justifier cette décision. A notre connaissance, le général Mukiza ne faisait pas l’objet d’une quelconque procédure disciplinaire. Serait-il alors puni pour son éventuel rapprochement avec le RNC de Kayumba dans une sorte de purge feutrée des officiers rwandophones des FARDC qui seraient tentés de soutenir Kayumba contre Kagame ? Seul l’avenir nous le dira. Mais selon les informations reçues d’un officier supérieur de la Démiap : « Moustapha est le général qui sensibilisait ses frères d’armes Banyamulenge de ne pas suivre Fatshi (lire Félix Tshisekedi) parce qu’il livre à nouveau les Banyamulenge à Kagame ».

Jean-Jacques Wondo Omanyundu/ Exclusivité DESC
Références

[1] Moustapha Mukiza Gabby (Général), L’espoir au-delà de mes larmes, Ed. Terabytes, Kinshasa, 2014.

[2] http://afridesk.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/.

[3] https://www.jeuneafrique.com/326011/politique/grands-lacs-contient-rapport-groupe-dexperts-rd-congo/.

[4] http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200423-militaires-rwandais-en-rdc-quelles-preuves-22.

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One Comment “Que cache la mise à la retraite anticipée du général Gabby Moustapha Mukiza ? – JJ Wondo”

  • kiro

    says:

    Donc après avoir échouer à conquérir Kitona il est devenu légalement commandant de kitona apres haaa Congo mawa

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