Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 19-05-2016 21:16
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Procès contre Moïse Katumbi : une campagne électorale gratuite – JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Democratic Republic of Congo's opposition presidential candidate Moise Katumbi (C) waves to his supporters as he walks to the prosecutor's office over government allegations he hired mercenaries in a plot against the state, in Lubumbashi, the capital of Katanga province of the Democratic Republic of Congo, May 9, 2016. REUTERS/Kenny Katombe TPX IMAGES OF THE DAY

Procès contre Moïse Katumbi : une campagne électorale gratuite

 Par Jean-Bosco Kongolo

Les projecteurs du monde entier sont actuellement braqués sur Moïse Katumbi, accusé d’entretenir des mercenaires étrangers pour renverser le régime en sa faveur. Deux ministres du gouvernement, anciens rebelles du RCD (Alexis Thambwe Mwamba et Lambert Mende), ayant eux-mêmes le sang de leurs compatriotes sur leurs mains, l’ont clamé haut et fort sur les médias publics, déclenchant des commentaires dans tous les sens à travers le monde. Sans se préoccuper d’analyser tous les faits qui s’y rapportent, certains s’arrêtent à l’événement et considèrent qu’il s’agit d’un jeu entre Kabila et Katumbi pour distraire la population. D’autres, aussi bien dans le camp présidentiel que dans l’opposition, attribuent les ennuis judiciaires de Katumbi au fait qu’il aurait annoncé sa candidature dans la précipitation. Les uns et les autres ne se donnent pas la moindre peine d’analyser les faits en profondeur et de se poser la question de savoir pourquoi ces poursuites judiciaires contre Katumbi seulement et maintenant, ni quelles conséquences politiques cela pourrait entraîner, à court ou à long terme, sur le plan national. La présente analyse se donne pour objectif de répondre à ces questionnements en ayant, chaque fois que c’est nécessaire, recours aux textes de lois.
Katumbi accompagné de ses avocats
Moïse Katumbi accompagné de ses avocats

1. Moïse Katumbi constitue-t-il réellement une menace pour la République ?

Pour répondre à cette question, il y a lieu de se projeter dans un passé relativement récent pour y découvrir des faits politiques, militaires et économiques qui ont directement ou indirectement menacé ou qui continuent de menacer la souveraineté du pays ou son existence en tant qu’État.

1.1 Des faits politiques qui menacent l’existence de l’État congolais

Il faut être aveugle ou fanatique pour ne pas constater objectivement que depuis 2011, la cohésion nationale est mise à dure épreuve à cause de la réélection chaotique du Président Joseph Kabila, laquelle a entraîné la tenue des concertations dites nationales pour tenter de résoudre la crise de légitimité que cette élection n’a pas pu apporter et qui perdure encore. A l’ouverture des Concertations nationales, le 7 septembre 2013, Joseph Kabila lui-même avait déclaré ce qui suit : « C’est conscient de la gravité de la situation sécuritaire dans la province du Nord-Kivu et de la menace existentielle qui en découle pour l’ensemble de la nation mais aussi fort de mes prérogatives de Chef de l’État garant du bon fonctionnement des institutions que j’ai décidé d’organiser les présentes concertations. »[1]

Bien que mal élu, comme ont eu à le reconnaître tous les observateurs neutres, le Président Joseph Kabila et sa famille politique n’ont cessé de multiplier des actes constitutifs de violation ou de tentatives de violation de la Constitution, qui sont des crimes graves et imprescriptibles de haute trahison. Parmi ces actes, il convient de citer l’incorporation des membres de l’opposition au sein du gouvernement dit de cohésion nationale (Art. 78 de la Constitution)[2], la nomination et la révocation des magistrats sans l’avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature[3], les tentatives d’obtenir la modification de la Constitution à travers des pétitions et autres ouvrages pseudo-scientifiques, le vote avorté d’une disposition de la loi électorale tendant à prolonger inconstitutionnellement le mandat présidentiel de Joseph Kabila, la création de l’Office National d’Identification de la Population (dont on ne parle plus), la nomination anticonstitutionnelle des Commissaires spéciaux suivie de l’élection tout autant anticonstitutionnelle des Gouverneurs et Vice-gouverneurs des provinces démembrées par des députés provinciaux sans mandat dans ces provinces[4], l’intégration et la nomination des étrangers, principalement des Rwandais abusivement qualifiés de Tutsi congolais, dans l’armée et la police à travers les opérations de brassage et de mixage (cas de Laurent Nkunda et de Bosco Ntaganda)[5], le fait de laisser pénétrer les troupes rwandaises sur le sol congolais sans débat ni avis préalable du Parlement, le refus par le gouvernement de financer les élections prévues par la Constitution, etc.

1.2. Des faits militaires qui menacent l’unité nationale et l’intégrité du territoire

Alors que la consolidation de la paix et de l’unité nationale figure parmi les objectifs poursuivis par le constituant, la partie orientale du pays n’a jamais connu une véritable paix. Malgré des moyens colossaux, humains et matériels, investis dans les forces armées, l’armée congolaise, sous le commandement suprême de Joseph Kabila, est toujours incapable de venir à bout de quelques résidus des FDLR et des mystérieux rebelles ougandais dénommés ADF/Nalu. Combien de fois le Chef de l’État a-t-il rassuré les populations de ce coin de la République de sa détermination de mettre fin à cette insécurité qui menace gravement l’unité nationale et l’intégrité du territoire à partir du grand nord du pays ? A chaque fois qu’il y passe, les massacres des populations et le viol des femmes redoublent d’intensité sans que la justice mène une enquête d’envergure pour démanteler les réseaux, internes et externes, à la base de cette situation. Des vaillants fils du pays (Mbuza Mabe et Moustapha Ndala) y ont  laissé leur peau sans avoir été honorés à la hauteur de leurs sacrifices. Mais curieusement, une habitude est en train de prendre racine consistant à organiser des funérailles nationales grandioses et à décorer excellemment des artistes musiciens qui, de leur vivant et malgré leur riche carrière artistique, ont souvent gravement contribué à la dépravation des mœurs.

Pour ne parler que du Katanga au sujet des conflits armés qui menacent  la paix et l’intégrité du territoire national, le peuple congolais est las d’attendre que le très zélé Kalev Mutond de l’Agence nationale des renseignements(ANR) mette à la disposition de la justice les cerveaux moteurs des fameux « Bakata Katanga ».  Ces derniers avaient pourtant défié plus d’une fois le pouvoir en osant faire quelques promenades de santé au Centre-ville de Lubumbashi sans être vraiment inquiétés. Que dire enfin de ce qu’on appelle « Le triangle de la mort » (Pweto, Manono et Mitwaba), où les milices de Gédéon Kyungu règnent en maîtres absolus, rendant nomades et sans moyens de survie des centaines de milliers de Congolais ? Ces populations, abandonnées à elles-mêmes, peuvent-elles avoir confiance dans le gouvernement, l’armée, les services des renseignements et la justice de leur pays ?

1.3. Des faits économiques qui hypothèquent la souveraineté nationale

Si la distribution des ressources naturelles, inégalement réparties entre les nations, avait été laissée à la compétition des plus aptes, les Congolais auraient décroché de la part du Bon Dieu la palme de bravoure. Mais à cause de l’égoïsme et de la cupidité de ses dirigeants, le Congo-Kinshasa traîne à la queue des pays où la pauvreté trouble les consciences et contraste avec ses immenses potentialités. Des rapports tant des institutions que des organismes nationaux et internationaux sont unanimes pour relever la mauvaise gouvernance comme cause principale de l’évasion fiscale, du blanchiment des capitaux et de l’enrichissement illicite des hommes au pouvoir et de leurs protégés. Nonobstant tous ces faits graves qui retardent l’émancipation économique du pays, les annales de la justice congolaise sous le règne de Joseph Kabila ne signalent aucune jurisprudence faisant état des poursuites et de la condamnation d’un ministre ou d’un mandataire public pour détournement, corruption, etc. Et pourtant, des ministres et mandataires publics ont été pointés du doigt par de nombreux rapports d’enquêtes parlementaires ou dénoncés par des ONG dans différents domaines, dans le silence absolu de la justice toujours prompte à traquer les opposants pour des faits mineurs.

Pour distraire le peuple Congolais, le Chef de l’État avait même fait une dénonciation à l’Office du Procureur général de la République, à travers son Conseiller spécial chargé de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le détournement des deniers publics.[6] Ce dernier, se croyant être investi de réels pouvoirs, s’était empressé de déclarer que chaque année, plus ou moins quinze milliards de dollars américains échappent au trésor public. Naïfs, plusieurs Congolais y compris des intellectuels de haut niveau y avaient cru et avaient pensé que la récréation allait enfin prendre fin pour les criminels en cravate. Quelle ne fut pas leur désagréable surprise d’entendre le Procureur général de la République, numéro un de la répression, mettre en garde quiconque allait se complaire à citer les noms repris sur la liste du Conseiller spécial. « Flory Kabange a profité de cette opportunité pour souligner que les faits contenus dans ce document ne sont pas le résultat d’une enquête. Ils n’ont jamais fait l’objet d’une investigation quelconque. Voilà ce qui l’a poussé à mettre en garde ceux qui se complaisent à citer les noms de certaines personnes en affirmant qu’elles sont reprises dans le document. C’est pour dire en définitive, qu’aucun nom n’a été cité dans cette lettre d’information. Pour ceux qui continuent à citer les noms des particuliers, le Procureur général a prévenu qu’ils pourront répondre de leurs actes devant les juridictions compétentes. »[7]

Depuis lors, plus rien ne présage une éventuelle action en justice contre ceux qui continuent de saigner l’économie nationale, étant donné que l’assurance de leur impunité leur est garantie par celui-là même qui devait les inquiéter et les empêcher de dormir tranquillement. C’est ainsi que s’agissant du feuilleton des évasions fiscales, dénommé « Panama papers », qui a déséquilibré certains chefs de gouvernement et fait tomber d’autres à travers le monde, le Porte-parole du Gouvernement, pour protéger la sœur jumelle du Chef de l’État, dont le nom est cité dans ce dossier, n’a trouvé mieux que promettre les foudres de la justice instrumentalisée à quiconque allait faire état de ce dossier aux retombées planétaires[8]. Comme conséquences, tant de la mauvaise gouvernance, de l’évasion fiscale que de l’impunité, le gouvernement de la République en est arrivé à solliciter la réduction de son maigre et ridicule budget (en partie financé par l’extérieur) qui doit passer de 8 à 6 milliards de dollars américains[9]. Non seulement pareille décision met à nue le manque de vision, l’irresponsabilité, l’incompétence et l’incapacité de ce gouvernement à remplir ses  missions constitutionnelles (alinéas 1, 2, 3 et 4 de l’article 91 de la Constitution) mais elle confirme également, pour les sceptiques, le refus par ce même gouvernement et par la famille politique dont il est l’émanation, d’organiser les élections pouvant permettre de déboucher sur l’alternance au pouvoir.

C’est dans ces conditions, de mauvaise foi manifeste pour les uns et de doute sur l’avenir de l’État pour les autres, que des citoyens regroupés sous la plate-forme dénommée G7, ont trouvé légitime de sauter de la barque MP et de désigner Moïse Katumbi, leur candidat à l’élection présidentielle.

 2. La candidature de Moïse Katumbi est-elle précipitée ?

En d’autres termes, le G7 a-t-il violé la loi en désignant M. Katumbi son candidat et ce dernier, a-t-il eu tort de l’accepter ? Selon l’impact de cette annonce de candidature sur leurs propres ambitions ou celles de leurs plates-formes respectives, on a entendu des personnalités tant du pouvoir que de l’opposition déclarer que la candidature de M. Katumbi était précipitée par rapport au calendrier électoral qui n’est pas encore formellement définitif ou par rapport au dialogue attendu pour baliser le processus électoral consensuel et apaisé. Les uns et les autres, sans les citer, se sont plutôt précipités à faire ces déclarations sans se référer à la loi électorale qui, pourtant, fait la distinction claire entre la désignation des candidats (une affaire privée des partis politiques et des regroupements politiques) et l’acte de candidature fait (pour officialiser la désignation) devant la Commission Nationale Électorale Indépendante (CENI) qui, seule a le pouvoir de déclencher la campagne électorale selon le calendrier établi par elle. En effet, l’article 104 de la Loi nº15/001 modifiant et complétant la Loi nº 06/006 du 09 mai 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi nº 11/003 du 25 juin 2011, est claire là-dessus :

Article 104 « Le candidat à l’élection  présidentielle fait acte de sa candidature auprès de la Commission électorale nationale Indépendante. La déclaration de candidature comprend : 1. une lettre de consentement conforme au modèle fixé par la Commission  électorale nationale Indépendante signée par le candidat; 2. une fiche d’identité suivie d’un curriculum vitae détaillé, le tout se terminant par la formule « Je jure sur l’honneur que les renseignements ci-dessus sont sincères et exacts » ; 3. quatre photos passeport; 4. un symbole ou logo du parti politique ou regroupement politique, sauf pour le candidat indépendant.

Sont jointes à la déclaration de candidature les pièces ci-après : 1. un certificat de nationalité; 2 un extrait de casier judiciaire en cours de validité ; 3. un récépissé de paiement des frais de dépôt de candidature non remboursables de 100 000 000 de francs congolais versés dans le compte du trésor public; 5. la lettre d’investiture du candidat par son parti politique ou son regroupement politique, sauf pour le candidat indépendant; : 6. une photocopie certifiée conforme du diplôme d’études supérieures ou universitaires, ou de l’attestation en tenant lieu, ou une attestation justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans dans le domaine politique, administratif ou socio-économique. »

Dans le cas d’espèce, M. Katumbi n’a en rien énervé la loi électorale, lui qui n’a fait qu’accepter sa désignation comme candidat à l’élection présidentielle par le regroupement politique G7. Pour sa part, le G7 n’a adressé aucune lettre à la CENI ayant pour objet l’investiture de Moïse Katumbi. Cette loi, que tout le monde peut parcourir sans passion, ne dit pas à quel moment un parti politique ou un regroupement politique peut procéder à la désignation de son candidat à la présidentielle. De même, elle n’interdit nulle part à un candidat désigné d’accepter le choix fait de sa personne. Sinon, l’on devrait également reprocher à Freddy Matungulu, Noël Tshiani, Martin Fayulu et même à Etienne Tshisekedi d’avoir précipitamment annoncé leurs candidatures. La vérité, côté Majorité présidentielle, c’est que le poids financier et sociologique de Katumbi ainsi que ses connaissances des faiblesses de son ancienne famille politique font de lui un candidat qui fait peur dans la perspective d’un combat singulier (scrutin à un tour) avec n’importe quel candidat qui serait désigné par ce camp. Il est d’ailleurs important de relever que c’est le refus, par la MP, de tolérer un débat interne destiné à trouver un successeur à Joseph Kabila, qui est à la base du départ des ténors actuels du G7.

Quant à l’opposition traditionnelle, elle est demeurée tellement plurielle qu’elle ne mesure pas les risques de se présenter à l’élection présidentielle en ordre dispersé, la plupart de ses animateurs affichant des ambitions souvent démesurées qui ne tiennent nullement compte  des réalités et de l’électorat congolais. Toujours distraite et incapable de se concentrer sur l’essentiel pour produire des stratégies anticipatives, elle ne se manifeste le plus souvent qu’après coup et en mode réactionnaire, en train de subir les événements chaque fois que le pire est déjà arrivé. C’est  ainsi qu’à peine sortis de la MP, les membres du G7 semblent avoir pris une longueur d’avance en faisant bouger les lignes des deux camps grâce à leur volonté de mettre en veilleuse leurs ambitions personnelles pour ne privilégier que le résultat.

 3. L’impact des poursuites judiciaires contre M. Katumbi sur les deux camps

A la lumière de tout ce qui vient d’être démontré, il est facile de comprendre que relativement à la situation que traverse le pays et aux faits qui lui sont reprochés, M. Katumbi n’apparaît pas du tout aux yeux des Congolais, en général, et de ses partisans en particulier, comme le plus dangereux des criminels à abattre. Connaissant la compassion du peuple congolais, ces poursuites sont en train de faire de lui un véritable martyr, comme le fut Tshisekedi du temps de Mobutu. Si l’objectif poursuivi par ses adversaires politiques, qui ont pris le risque d’impliquer maladroitement la justice, est de le faire condamner à une peine le mettant hors course, l’effet à obtenir risque d’être imprévisible.

 3.1. Effet d’une probable condamnation de M. Katumbi sur la Majorité présidentielle

Peu importe l’issue des poursuites judiciaires déclenchées contre Katumbi, c’est Joseph Kabila, sa famille politique et la justice (instrumentalisée) qui risquent d’en sortir ridicules et de tomber dans leur propre piège. En effet, deux hypothèses plus probables que voici méritent d’être exposées.

 3.1.1. Katumbi condamné et mis hors course :

A la nomination du Conseiller spécial du Chef de l’État, chargé de la bonne gouvernance.., le nom de M. Katumbi, encore membre actif et influent du PPRD et de la MP, avait circulé parmi les personnalités visées par ce conseiller pour des crimes économiques. C’aurait été plus compréhensible que des poursuites soient engagées contre lui en cette matière. Pour certainement éviter des déballages en ramification, ce dossier moisit curieusement dans les tiroirs du Parquet général de la République, du moins jusqu’à ce jour, sans aucune explication. Tenant à obtenir coûte que coûte sa tête et inspirés par les méthodes du régime de Mobutu, les services de renseignements ont cherché à faire du sensationnel en présentant Katumbi comme l’homme qui veut déstabiliser les institutions alors que ceux qui les déstabilisent au quotidien par des violations répétées de la Constitution, obtiennent des primes de longévité de la part de la Cour constitutionnelle.

Le peuple congolais et le monde entier attendent que soit démontré, hors de tout doute raisonnable, ce qui lui est reproché avec une plus forte médiatisation. Déjà au Katanga, les deux jours de son audition au Palais de justice ont permis à tous les observateurs internes et externes de savoir qui, de Kabila et de Katumbi, a la population derrière lui. Avec les massacres qui se poursuivent au Nord-Kivu (Beni) sans que les services de sécurité et la justice mettent la main sur les vrais commanditaires, c’est l’effet boule de neige qui risque de se répandre sur toute l’entendue du territoire national. Même s’il est condamné et mis hors course, l’opposition et le peuple retiendront désormais qu’il faut soutenir un seul candidat contre celui du camp présidentiel.

 3.1.2. Abandon des poursuites contre Katumbi :      

Peu probable, eu égard à la détermination du Chef de l’État et de sa famille politique d’en découdre avec celui qu’ils considèrent comme traître, l’abandon des poursuites contre M. Katumbi est pourtant politiquement et juridiquement la voie sage à emprunter pour décrisper l’atmosphère, déjà très nuageuse, et éviter le ridicule. Sur le plan juridique d’abord, un tel dossier qui implique des puissances étrangères nécessite des enquêtes plus approfondies dont la justice congolaise ne dispose pas des moyens suffisants pour établir la matérialité des faits mis à charge des supposés mercenaires américains ou sud- africains. Il est prudent d’éviter que ces poursuites débouchent sur les mêmes conclusions que celles engagées autrefois contre Etienne Kabila et consorts en Afrique du Sud. «La justice sud-africaine vient de prouver qu’elle est indépendante, donc non instrumentalisée. Enfin! Les quatre derniers Congolais incarcérés à Pretoria pour complot visant à assassiner Joseph Kabila ont été acquittés jeudi 19 février 2015 et remis en liberté ainsi qu’Etienne Kabila qui avait été mis en liberté surveillée contre paiement d’une caution de 10.000 rands le 28 novembre 2014. En effet, comme on pouvait s’y attendre, trois mois après la libération des quinze de vingt «  comploteurs » intervenue en novembre dernier, après près de deux ans de séquestration à Pretoria, le juge a déclaré ce matin que tous les griefs mis à leur charge par le Procureur n’étaient pas fondés. »[10]

Politiquement, le vent ne souffle pas en faveur de Joseph Kabila qui, plutôt que de partir tranquillement après 15 ans à la tête du pays, se laisse tromper par des adulateurs qui lui font croire qu’il peut encore continuer de contrôler la situation[11]. Il convient d’ailleurs de rappeler qu’antérieurement, sous prétexte de sauvegarder la paix, le gouvernement et la justice congolaise avaient trouvé inopportun d’engager des poursuites judiciaires contre Laurent Nkunda et ses frères d’armes recherchés pourtant par la justice internationale pour des faits graves et réels, constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.[12]

3.2. Impact de la condamnation de M. Katumbi sur l’opposition                       

 Timidement accueillie par les uns, l’annonce de candidature de M. Katumbi a l’avantage de réveiller plusieurs opposants qui, même s’ils ont des raisons de ne pas le soutenir ou de penser qu’il y a des plus méritants que lui, comprennent néanmoins et de plus en plus l’absolue nécessité de se rencontrer pour trouver ensemble un candidat autour duquel un large consensus pourra se dégager, en attendant le calendrier électoral. Et ce ne sont pas de dignes fils et filles authentiques, compétents et crédibles qui manquent. Le gouvernement issu de la MP ayant échoué à ramener la paix au pays, particulièrement à l’Est, à nourrir décemment et à soigner convenablement la population, à éduquer équitablement la jeunesse et à lui trouver des emplois, à payer dignement les fonctionnaires et à réhabiliter les voies de communication, le peuple congolais ne prendrait aucun risque de voter pour un de ses bourreaux.

Lorsqu’on examine objectivement le bilan des dix dernières années, l’on se rend compte que les programmes des « cinq chantiers » (2006-2010) et de « la révolution de la modernité » (2011-2016) n’ont été en réalité que de slogans destinés à endormir la population majoritairement analphabète. Bien structurée et avec des compétences avérées qu’elle regorge, il suffit que l’opposition comprenne qu’elle n’a qu’un seul adversaire, pour conquérir le pouvoir et relancer définitivement la démocratie.

Conclusion

Suivant l’adage « Trop loin à l’est, c’est à l’Ouest », le Président Joseph Kabila et ceux qui lui restent de « flatteurs » donnent l’impression d’être si agités que malgré l’arrêt controversé de la Cour constitutionnelle qui prolonge honteusement son mandat, ne sont plus eux-mêmes sûrs de pouvoir exercer, même par défi, le pouvoir d’État. Inconsciemment, ils ont ouvert tellement de fronts, politique  la légitimité du pouvoir après 2016), économique et financier (incapacité de soutenir la croissance économique et d’exécuter le budget voté au Parlement), sécuritaire(avec les massacres récurrents à l’Est du pays) et social(paupérisation de la population, manque d’eau et d’électricité, salaires de misère, soins de santé aléatoires…) que ce pouvoir semble leur glisser entre leurs mains. Les poursuites judiciaires engagées contre Moïse Katumbi, loin d’atteindre l’objectif escompté d’éliminer un adversaire, offrent plutôt à ce dernier une campagne électorale gratuite. Elles lèvent surtout le voile sur un mensonge longtemps entretenu selon lequel le Katanga est le fief naturel de Joseph Kabila. D’Est en Ouest, du Nord au Sud, jusque dans la diaspora, les Congolais n’ont plus dans leurs conversations que le respect absolu de la durée du mandat présidentiel et exigent que toute la lumière soit faite sur les massacres de Beni. Selon des informations en notre possession, une autre vague de membres de la MP ainsi que des officiers de l’armée et de la police ne vont pas tarder de tourner le dos au Raïs pour l’isoler davantage. Entendra-t-il la voix de la raison avant qu’il ne soit trop tard ou va-t-il continuer de se radicaliser jusqu’au suicide?

Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste &Criminologue

Jean-Bosco Kongolo est le Coordinateur adjoint de DESC, chargé des volets juridique et institutionnel. Juriste et criminologue de formation, M. Kongolo a été magistrat de cour d’Appel en RDC avant de démissionner volontairement, refusant de cautionner la corruption et les anti-valeurs qui rongent cette institution censée incarner l’Etat de droit en RDC.

 Références

[1] Radio Okapi, 7 septembre 2013, In http://www.radiookapi.net/actualite/2013/09/07/rdc-ouverture-des-concertations-nationales.

[2] Article 78 de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.

Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois. Le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre. »

[3] Extrait de l’exposé des motifs de la Loi organique no 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature : La Constitution du 18 février 2006 dispose que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Cette proclamation constitue une garantie de la séparation des pouvoirs, principe fondamental dans une société démocratique.

Cette indépendance est assortie des mécanismes constitutionnels qui servent de contrepoids à l’exercice de chaque pouvoir et sa mise en œuvre est assurée par le Conseil supérieur de la magistrature.

Celui-ci assure la gestion de la carrière des magistrats et dispose, à cet effet, des pouvoirs de proposition en matière de nomination, promotion, démission, mise à la retraite, révocation et de réhabilitation des magistrats. Il exerce en outre le pouvoir disciplinaire. 

[4] Alinéa 2 de l’article 198 de la Constitution : Le Gouverneur et le Vice-gouverneur sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois par les députés provinciaux au sein ou en dehors de l’Assemblée provinciale. Ils sont investis par ordonnance du Président de la République.

[5] Lire JJ Wondo Omanyundu, In LES ARMÉES AU CONGO-KINSHASA, Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Éd. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2013, pp. 269-274.

[6]  Kongolo JB, 2015. Dénonciation du Chef de l’État Joseph Kabila : acte politique ou judiciaire? In chargé de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le détournement des deniers publics. In http://afridesk.org/fr/la-denonciation-du-president-joseph-kabila-acte-politique-ou-judiciaire-jean-bosco-kongolo/#sthash.tulShcsM.dpuf.

[7] L’Avenir, 2 juillet 2015, In http://groupelavenir.org/a-propos-de-la-plainte-du-conseiller-luzolo-bambi-le-pgr-flory-kabange-fixe-lopinion/.

[8] Politico.cd, 8 avril 2016, Au cours de la conférence de presse conjointe organisée par le Ministre de la Communication et des Médias et le Ministre des Affaires Étrangères, Lambert Mende a mis en garde les journalistes et les médias qui mentionnent les personnalités congolaises citées dans le dossier Panama Papers. In http://www.politico.cd/actualite/la-une/2016/04/08/panama-papers-mende-met-garde-evoque-poursuites-judiciaires-contre-medias.html.

[9] Radio Okapi, 17 mai 2016, In Radio Okapi http://www.radiookapi.net/2016/05/17/actualite/economie/rdc-le-gouvernement-sollicite-une-reduction-du-budget-de-2-milliards.

[10] Kongo Times, 26 février 2015, In http://afrique.kongotimes.info/rdc/justice/9052-dossier-etienne-kabila-honte-presidence-rdc-afrique-sud-fin-autres-congolais-accuses-complot-visant-assassiner-joseph.html.

[11] Kongolo JB, 2014. La nuisance des flatteries pour le Chef de l’État et pour la Nation, In http://afridesk.org/fr/la-nuisance-des-flatteurs-pour-le-chef-de-letat-et-pour-la-nation-jb-kongolo/.

[12] Boniface Musavuli, 2014. Joseph Kabila : le garant de l’impunité : « C’était l’enjeu des pourparlers de Kampala pour Museveni et Kagamé, les parrains du M23. Ils ont toujours exigé l’amnistie totale. Maintenant c’est fait ! Il y aura, bien entendu, et comme d’habitude, quelques effets de manche dans les médias autour de la nécessité de poursuivre les membres du M23. Rien que du vent. Les Makenga, Nkunda, Runiga, Mutebutsi, Ngaruye, Zimurinda et autres ont beau figurer sur des listes de sanction internationale (ONU[6]gouvernement américain[7], Union européenne[8]). In fine, seul un homme, Joseph Kabila, peut réellement leur créer des ennuis en mettant leur arrestation et leur extradition à son agenda. Mais il ne le fera pas. Le Président Kabila veille à ne pas mécontenter ses homologues et parrains de longue date que sont Kagamé et Museveni. Une impunité qui laissera tout de même une blessure profonde dans la société congolaise. In  http://afridesk.org/fr/rd-congo-kabila-le-garant-de-limpunite-boniface-musavuli/#sthash.ulFTBTLz.dpuf.

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5 Comments on “Procès contre Moïse Katumbi : une campagne électorale gratuite – JB Kongolo”

  • GHOST

    says:

    FAYULU, LE PROCHAIN ?

    *Fayulu qui visite souvent les USA risque d´être la prochaine cible..étant aussi candidat declaré á la présidence..Pire, il ne se limite plus á Kin, il a été au Kivu et au Kasai, et maintenant au Bandundu dans une campagne ..électorale*

    On apprend sur RFI http://fr.africatime.com/republique_democratique_du_congo/article/rdc-son-hotel-sous-scelle-nouveaux-deboires-pour-martin-fayulu

    Quand le fisc peut envoyer un car plein de policier pour règler un problème d´impôt, la suite logique est que Fayulu est visiblement la seconde cible après Katumbi..qu´on menace d´une condamnation á mort !

  • Makutu Lidjo

    says:

    D’accord avec vous de la manière assez maladroite du régime MP de conduire à l’échafaud l’un de ces anciens éminents membres. Mais ne pensez vous pas que Katumbi Moïse serait aussi comptable du bilan calamiteux en tout durant la période où il s’est faire élire gouverneur du Katanga en 2006 jusqu’à sa démission en septembre 2015 ?
    D’accord également avec vous qu’il existe de dignes fils et filles authentiques, compétents et crédibles. C’est ceux-là moi qui m’intéresse.
    L’opposition si elle existe réellement dans notre pays, est-elle consciente de ces atouts pour faire une fois pour toutes le bon choix ?
    Cependant, je reste convaincu que c’est tout un système qui dysfonctionne qui doit être anéanti. Ne pas le faire, c’est se donner à terme des éléments de nouvelles déceptions.

  • Kilimasimba

    says:

    Au Congo-Kinshasa, outre les « réalités » intérieures, il faut remettre en question le système économique qui régit ce pays. Système que je qualifierai de léopoldien en référence au système mis en place par l’inventeur du Congo, le roi Léopold II de Belgique, ce système doit être liquidé. Quelles en sont les caractéristiques ? Une économie pervertie, car essentiellement basée sur l’exportation de matières premières brutes. Par conséquent, c’est une économie vulnérable et totalement dépendante des cours mondiaux (tantôt à la hausse, tantôt à la baisse). Cette économie n’est pas génératrice d’emploi et n’apporte aucune valeur ajoutée au pays. Hier, on parlait des entreprises à chartes, aujourd’hui ce sont les multinationales. Ce système ne profite qu’à une très petite minorité qui a intérêt que cette économie de type « extractive » perdure. Résultat des courses ? Le Congo-Kinshasa est en retard sur tous les plans et ressemble à ses voisins centrafricains, sud-soudanais et burundais en termes de niveau de développement, sanitaire etc. Le salut du Congo ne peut passer que par l’instauration d’un véritable Etat de droit, le respect du jeu démocratique, des institutions solides etc. en vu de favoriser, entre autres, l’entrepreneuriat et la création d’entreprises qui par ricochet alimenteront les caisses de l’Etat.

  • Je ne peux qu’admirer l’objectivité et la pertinence et la profondeur de cette analyse si bien fouillée.

  • A la fois édifiant et navrant. Mais la lumière commence à luire, lumière qui transpercera les ténèbres. Tout a une fin. Si longue que soit la nuit, le jour finit toujours par poindre. Tout se paie ici-bas. Rira bien qui rira le dernier.

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