Pourquoi faut-il (re-)créer une armée
à vocation nationale en RDC ?
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
L’armée comme accoucheuse d’Etat
Pour tenter de comprendre l’importance de la constitution d’une armée à vocation nationale en Afrique et en RD Congo en particulier, il est intéressant de rappeler ici le rôle intégrateur que joue l’institution militaire dans le processus d’émergence du concept Etat-Nation. En Occident, la nationalisation de l’Armée s’est trouvée au cœur de la constitution de l’État central. Les traités de Westphalie signés le 24 octobre 1648, à Münster et à Osnabrück, marquent la fin de la fameuse Guerre de Trente ans, conflit autant religieux que politique.
Soigneusement préparée, cette paix dite de Westphalie inaugure une nouvelle ère, celle de l’équilibre des puissances ; elle voit aussi l’émergence de l’Europe moderne, celle des Etats-nations. Cela permit la mise en place d’un échiquier politique, l’Etat, dont l’objectif affiché est sa propre survie et auquel est attelée toute une série de mesures destinées à assurer sa pérennité, dont le sacro-saint respect de la souveraineté nationale et son corollaire : le devoir de non-ingérence. Ainsi s’installe, dès 1648, un système homéostatique de régulation des relations internationales à la fois complexe, efficient et durable qui va perdurer sous diverses formes jusqu’au XXe siècle et qu’on appellera le » système westphalien « . C’est d’ailleurs sur base de ce modèle westphalien que l’on qualifie actuellement les différents conflits armés en conflit pré-westphalien, néo-westphalien et post-westphalien. Nou y reviendrons dans une analyse spécialisée.
C’est ainsi qu’à partir du 17ème siècle on a vu en Europe l’émergence des Etats dans leur structuration moderne. C’est-à-dire, l’Etat acquiert des instruments et des ressources qui définissent sa modernité : La constitution des armées permanentes en remplacement des armées des mercenaires ou impériales et la professionnalisation de la bureaucratie (mécanisme de prélèvement fiscal) calquée du mécanisme sécuritaire et administratif du fonctionnement des armées.
La notion d’Etat est indissociable de l’armée. D’ailleurs lorsque l’Etat indépendant du Congo (EIC) a officiellement été proclamé en juillet 1885, la première chose que fit Léopold II est de constituer le socle sur lequel cet Etat allait se constituer, l’armée. Par décret du 30 octobre 1885 portant organisation du gouvernement, Léopold II institua un double degré d’administration caractérisé par un gouvernement central ayant son siège à Bruxelles et d’un gouvernement local installé au Congo. Ce décret constitue le premier acte fondamental jetant les base de ce jeune Etat qui s’est constitué en une monarchie absolue. Ce même décret du 30 octobre 1885 constitue également l’acte juridique constitutif de la FP. Par ce décret, le roi-souverain organise le gouvernement central dans lequel il met en place un département de l’intérieur doté d’une division « C » chargée de s’occuper de la Force publique.
Depuis que les armées et les identités militaires – ont commencé à devenir des armées de masse, c’est-à-dire à partir du XVIIème siècle, elles ont représenté un facteur majeur dans la constitution et la structuration des identités nationales. L’institution militaire joue un rôle et une fonction essentielle dans le processus de structuration des identités nationales. Cela s’est clairement confirmé, par exemple, dans la Prusse du XVIIème siècle, au point de pousser Mirabeau à déclarer : « La Prusse n’est pas un Etat qui possède une armée, c’est une armée qui a conquis une nation. »
Dans son ouvrage L’art de la Guerre, le stratégiste florentin Machiavel, mettant en lumière les dangers que représentent une armée des mercenaires où les combattants sont indisciplinés, coûteux, imprévisibles et souvent peu efficaces, préconise à la place une armée « nationale » dans laquelle un bon soldat sera donc celui dont le combat pour la cité deviendra un impératif moral beaucoup plus qu’un simple métier. Selon lui, « Tout Etat doit tirer ses troupes de son propre pays. ((…) Les étrangers qui s’enrôlent volontairement sous vos drapeaux, loin d’être les meilleurs, sont au contraire, les plus mauvais sujets du pays. Comme la cité ne peut vivre qu’en canalisant vers le dehors les passions de ses membres, la guerre deviendra la condition de l’Etat, comme l’Etat deviendra celle de la guerre[1] » .
C’est ainsi que le XVIIIème siècle, marqué par les guerres impériales menées par les armées de mercenaires, se clôt avec les guerres de la Révolution, bientôt transformées en guerre de conquête au nom de l’idéologie libérale. Jusqu’en 1789, le genre de troupes qui faisaient la gloire des rois étaient certes des armées de professionnels composées de soldats, à majorité étrangers. Ces soldats venues de différentes contrées d’Europe, sont payés par le roi et pouvaient se retourner soudainement contre lui selon la loi du plus offrant. En effet, sous le Premier Empire, si la Grande Armée bénéficiait d’un commandement unique de fait – celui de l’Empereur -, les nombreux contingents étrangers n’étaient là qu’en raison de la soumission de leurs souverains à la France. Leurs soldats comme leurs officiers, ne se considérant pas français à part entière, répugnaient le plus souvent à se battre aux côtés des Français.
Dans sa conception classique, la guerre reste du ressort des Etats, en tant qu’entités géographiques territoriales bien délimitées, administrées politiquement. C’est ainsi que selon Clausewitz, qui a analysé les guerres napoléoniennes, du 19ème siècle, la guerre était devenue une affaire nationale (Etat-Nation) en ce sens que « c’est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». La guerre apparaît donc comme un moyen parmi d’autres d’atteindre un objectif politique, en exerçant une contrainte plus ou moins brutale sur une entité extérieure. Cette entité, et nous sommes là au cœur du problème, serait nécessairement de nature à la fois étatique et nationale[2].
Cela renvoie à l’importance des notions d' »intérêt national » et de « défense nationale« . Le premier, l’intérêt national, selon Guillaume Devin (Sociologie des relations internationales, 2014 ; 39) renvoie à un mode de souverainetés militaires dans lequel chacune cherche à accroître sa puissance au détriment des autres. Le second, la défense nationale, fait référence à la défense d’un territoire géographique bien délimité géographiquement et organisé en Etat. Cette thèse est d’autant renforcée que dès le XVIIIe siècle déjà, Jean-Jacques Rousseau précise dans le Contrat social que « la guerre n’est point un rapport d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat ». Cette définition de la guerre comme conflit armé entre Etats souverains demeure une référence généralement admise par les politologues et polémologues, même si cette notion a vu son interprétation évoluer et changer au cours de l’histoire, au point de susciter une certaine confusion parmi les stratégistes et les experts, notamment lorsqu’on fait référence à la guerre contre le terrorisme que nous expliquerons dans une analyse ultérieure.
Von Clausewitz dans son manuel De la Guerre lie l’activité de l’Etat à l’armée par ce principe : « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens ». C’est ainsi que dans une démocratie, l’outil militaire doit rester aux ordres des représentants de la nation que sont les personnels politiques qui lui assignent la mission en fonction des objectifs stratégiques de l’Etat : « La Guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires » (Georges Clemenceau). C’est aux politiques de diriger la guerre plutôt qu’à ceux dont le métier est de se battre sur le champ de bataille : Fais-moi une bonne politique je te ferai une grande armée puissante.
D’où l’importance de la conceptualisation et de l’opérationnalisation d’une stratégie générale qui intègre la dimension militaire ou sécuritaire. D’autant qu’« un Etat qui n’élabore pas un concept de défense adapté à ses besoins, à ses potentialités, à ses caractères, à sa situation tant géopolitique que géologique, manque à sa mission principale et se condamne à la soumission et peut-être à sa disparition » (Alan Plantey) ou encore « la puissance d’un Etat dépend de la grandeur de son armée » (Machiavel).
C’est ainsi que le professeur André Corvisier (décédé en juin 1914), auteur d’une thèse sur l’armée française de la fin du XVIIe siècle, après avoir sérieusement étudié l’histoire (militaire) de la France, s’exclama: « L’armée est bien cette accoucheuse d’Etat ». De même, le sociologue américain Charles Tilly a développé la thèse selon laquelle « L’Etat fait la guerre et la guerre fait l’Etat ». Selon lui, il est donc possible d’affirmer que la guerre fait l’État; elle en modifie le rôle. L’impôt ainsi que l’économie de guerre rendaient l’État vulnérable face à d’éventuelles révoltes populaires. Cependant, avec le nationalisme, les citoyens s’engageaient massivement dans l’entreprise guerrière. Une armée composée de citoyens de l’État et dirigée par des membres de la classe dirigeante combattait mieux et ne représentait pas un grand risque pour le pouvoir en place. Le mercenariat n’était donc plus d’actualité puisque les mercenaires étaient beaucoup plus dispendieux. Le Juriste constitutionnel, théoricien et professeur allemand Carl Schmitt (1888-1985) a développé avec ténacité une pensée politique qui se caractérise par la recherche des conditions de la stabilité de l’Etat et de son autorité en associant étroitement la guerre à la construction des nations.
Le rôle de l’armée fondateur de l’Etat est également apparent en Turquie, en Israël, en Corée du Sud ou en Egypte. Ce sont des pays où les sociologues et les politologues ont observé le même phénomène à partir des armées qui ont précédé ou fait surgir un État moderne.
Des armées croupions à la base des Etats manqués en Afrique
En Afrique noire, rien de tel ne se donne à constater, offrant en cela un autre aspect du décalage entre armée et nation, dans le processus de construction du pays. Or, l’Etat n’a de sens et d’existence que dans la mesure où il détient le monopole légitime de la violence, c’est-à-dire avec le choc de la guerre, l’Etat est obligé de montrer de quoi il est capable. Ainsi, en l’absence de l’Etat ou en présence d’un Etat dit effondré, échoué ou fragile, c’est toute la substance ou la capacité même de ce (non-)Etat de contrer l’agression qui fait défaut. Cela a amené l’apparition des armées incongrues pour des États non construits. D’autant que l’État-Nation occidentale a cherché à imposer son modèle, à partir des années soixante, dans une improvisation totale à l’indépendance, tragique pour les jeunes États, comme nous l’avons vu avec la débâcle entre autres de la Force publique.
D’autant plus tragique encore est que ce concept européen s’est imposé insidieusement, avec la complaisance des élites africaines, en faisant oublier qu’il était en réalité un modèle culturel étranger, apporté quelques décennies plus tôt à des groupes ethniques disparates, par le trait de plume du colonisateur. Dans son prolongement, l’organisation des jeunes armées qui a accompagné l’exercice a mis en place des structures vides d’authenticité qui sont rapidement devenues les imitations indigentes d’un modèle importé, des structures qui n’avaient pas vocation à établir avec leur peuple le lien mystique et culturel qui relie l’homme à son passé et à celui de ses semblables[3].
D’emblée, les armées africaines se sont inscrites dans une relation antinomique d’extranéité avec leurs propres États. Dès ce moment, il n’était dès lors pas étonnant de voir ces armées devenir les ‘chiens de garde’ des intérêts géostratégiques des grandes puissances. L’ANC et les FAZ ont bien illustré leur rôle dans la politique extravertie du ‘containment’ du communisme[4]. De ce fait, les armées africaines étaient des institutions croupions en marge du processus d’établissement des souverainetés nationales[5]. Plutôt qu’extravertir leur fonction (par la défense de l’intégrité nationale contre l’ennemi extérieur et étranger), elles se sont plutôt intraverties, en se mettant à dos et à ‘bastonner’ les populations nationales, qu’elles sont censées protéger.
Cela eut pour corollaire de créer une grande fracture sociale (et nationale) et de saper la crédibilité et la confiance de la population (la nation) envers son armée. Au point de mettre à mal la finalité de l’armée en tant que service public, c’est-à-dire celle d’être le trait d’union entre la défense au service du citoyen (la population) et le citoyen (militaire) au service de la défense. Cela a conduit à l’isolement de l’institution militaire. Une armée qui non seulement se renferma sur elle-même, en se détournant du dehors, mais, au regard de la deuxième partie de la définition du mot « intraversion[6] » faite par le psychanaliste Kretschmer, se détourna également du réel. Une situation qui confina l’armée aux marges de la socialisation et de l’édification de la cohésion nationale en ce sens que l’armée est toujours restée « monguna ya liboso ya civil » (l’ennemi numéro un des populations civiles nationales). Il n’y a pas pire perversion et intraversion de la fonction de l’armée que pareille autoreprésentation de sa propre image. Une réalité restée constamment d’actualité jusqu’à ce jour[7].
D’autant que c’est sur base de cette armée des mutins qu’aussi bien MOBUTU que Joseph Kabila vont tenter de construire des semblants d’armée. Pourtant, l’organisation d’un Etat est conçue de manière telle à lui conférer des capacités de maintenir une stabilité, de mener une guerre, d’affirmer ou imposer ses intérêts nationaux – notamment par le recours à la guerre sur la scène internationale. Cette organisation structurelle, voire fonctionnelle de l’Etat crée la volonté politique pour l’Etat de défendre ses intérêts nationaux et induit un renforcement continu des structures de l’Etat, en ce l’Armée.
La FAZation des FARDC déphasées et swahilisées
La Loi organique portant organisation et fonctionnement des FARDC définit en son article 2 « l’armée nationale comme étant celle dont les effectifs à tous les niveaux sont composés de manière à assurer une participation équitable et équilibrée de toutes les provinces. Cet équilibre se trouve à tous les niveaux de l’armée, en tenant compte de la représentation des tribus, d’ethnies et des femmes, sans distinction de religion ou de langue. »
Malheureusement, au vu de la dernière mise en place au sein des grandes unités des FARDC, la réalité sur le terrain s’éloigne de cette obligation légale très bien formulée. Dans plusieurs analyses passées, nous avons démontré la morphologie atypique de notre armée. Une armée ethno-régionalisée, politisée et de milices. On retrouve actuellement au sein des FARDC des officiers généraux, ayant des profils répondant à tout sauf au minimum requis pour exercer le métier de soldat, et dont le seul mérite est d’appartenir au réseau sociogéographique et ethnique direct du président de la République.
Une armée ne peut se dire nationale lorsqu’elle fait la part belle à une composante régionale ou ethnique en son sein. Le feu général saint-cyrien Célestin Ilunga Shamanga écrivait à ce propos : « la création d’unités spéciales dépendant directement du président de la république est une autre hérésie des FAZ (forces armées zaïroises). Très vite, de spéciales dans leurs attributions, ces unités deviennent spéciales dans leur composition mono-ethnique. C’est l’exclusion qui mène à son corollaire : démobilisation des autres composantes de la nation aux problèmes de défense et amplification des frustrations. Le chef de l’Etat doit être protégé par une garde républicaine pouvant lui survivre parce qu’appartenant aux forces armées régulières qui, elles aussi, appartiennent à la République et non à un individu ».
L’armée n’est qu’un instrument destiné à assurer un seul objectif : la sécurité de la nation contre toute sorte d’attaque extérieure. Les caractéristiques fondamentales de l’institution militaire sont par ce fait conditionnées par cet objectif majeur et sacré. En conséquence, il est important d’inculquer aux militaires congolais les valeurs de « l’intérêt national » et du patriotisme devant faire naître en eux un profond sentiment de se dire qu’ils sont les premiers défenseurs de la patrie congolaise en vertu de l’autorité légale leur conférée d’assurer cette noble mission de protection de la « patrie » pour laquelle ils ont prêté le serment de consacrer leur vie au prix de leur sang à verser sur les champs de bataille.
Dans le manuel : L’exercice du métier des armes dans l’armée de Terre : fondements et principes (de l’Etat-major de l’armée de Terre, Paris, 1999), on conçoit l’armée comme une « institution nationale », placée sous l’autorité de l’Etat qui lui confère le droit et la légitimité du recours à la force, c’est à dire, in fine, la capacité de contraindre, si nécessaire par la destruction et la mort. (Le soldat est détenteur, au nom de la nation, dont il tient sa légitimité, de la responsabilité d’infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie). De ce fait cette institution doit rester ‘nationale’. Une référence à la nation qui doit se démarquer de tout nationalisme étroit et transcende les appartenances particulières, notamment de nature ethnique, sociale ou religieuse, qu’elle a au contraire vocation à fédérer.
C’est à ce niveau précis que le gros de travail reste à accomplir en RDC : agréger les différences individuelles, ethniques et communautaristes pour les brasser dans un être collectif qui hausse le soldat au-delà de ses inclinations propres. C’est l’adhésion à une communauté des valeurs et à une identité collective forte, faites d’esprit de groupe, de solidarité, de confiance dans le chef, en bref, créer un « esprit de corps » qui, à côté de la discipline et l’ordre, doit cimenter l’armée.
Cela implique de développer des mécanismes d’adhésion à une culture professionnelle commune partagée par tous. Mais en plus, l’édification de l’esprit de corps ne concoure pas à refermer la communauté militaire sur elle-même, ce qui la retrancherait de la communauté nationale dont elle est l’émanation : en tant qu’institution, elle en exprime fortement l’identité, la volonté, la souveraineté et la solidarité, faite d’intérêts partagés et d’immersion de la société militaire dans la nation à la faveur de véritables partenariats, depuis le niveau central jusqu’au niveau du corps de troupe. La question que l’on se pose ici est la suivante : Est qu’avec la nouvelle loi d’amnistie faisant la part belle aux insurgés multirécidivistes du M23 transfuges du CNDP né du RCD-Goma issu de l’AFDL, est-on sûr d’inculquer un jour à ces mutins ethnicistes des valeurs nationales qui les pousseraient à défendre la RD Congo ailleurs qu’au Kivu ?
Ainsi, le militaire est d’abord un citoyen au service de sa patrie, le Congo ; ses devoirs et ses droits sont d’abord ceux du citoyen et de tout serviteur de l’Etat. Citoyen, agent du service public, l’armée, le soldat, dans sa particularité qui explique notamment un certain cantonnement juridique, est avant tout un serviteur de l’Etat, c’est-à-dire un prestataire du service public au profit de la communauté nationale.
D’où la nécessité pour le militaire congolais d’afficher haut cette appartenance nationale et non ethnique en forgeant un esprit de corps, aussi bien à l’intérieur de l’Institution militaire qu’à l’égard du groupe social externe, la nation, pour lequel il est mandaté de défendre une identité collective et les valeurs nationales communes. Cet esprit de corps va nous permettre de nous réconcilier par rapport à nos valeurs identitaires collectives que l’on essaie de démolir insidieusement ces derniers temps, à notre passé commun dont on veut aujourd’hui nous rendre amnésiques, au présent et à l’engagement commun vis-à-vis du futur. Ce qui va permettre enfin aux congolais de développer un sentiment de ‘nous’. Des valeurs identitaires collectives et référentielles qui constituent le socle d’une nation. Sans cet esprit de corps indispensable à la cohésion nationale, c’est non seulement le règne d’une armée hétéroclite de milices qui s’installe, comme c’est le cas actuellement avec les FARDC, mais aussi le dépérissement de toute une nation qui va s’opérer.
Dépositaire et détenteur, au nom de la nation dont elle tire sa légitimité, du monopole de la violence lui conféré par l’Etat Congolais, l’armée est délégataire de la force que l’autorité politique, représentant cette volonté nationale, estime devoir opposer aux violences qui pourraient menacer l’intégrité, les intérêts et les engagements de sa Nation (et non de son ethnie) dans le monde.
En effet, une armée de milices ne travaille pas pour la défense de la nation mais se bat pour défendre les intérêts privés de ses chefs et des intérêts de sa communauté ethnique. C’est qu’on fait le RCD-Goma, le CNDP et le M23. De ce fait, une simple sommation des milices ne constitue nullement une armée nationale. C’est pour cette raison que l’armée dite nationale est appelée à trouver une source d’inspiration puissante dans la reconnaissance de son action par la nation.
Par conséquent, s’imposent tout naturellement une parfaite symbiose animique avec la nation, une connaissance et une estime mutuelles, une compréhension et une perception communes des finalités. Cette nation est le Congo, un ‘vouloir vivre ensemble’ d’une communauté d’hommes et de femmes historiquement, socialement et culturellement unis autour de valeurs et de l’identité nationale communes. Ainsi, la force aussi de cette armée dépendra de sa capacité et de sa volonté commune (avec la nation) à protéger le patrimoine national congolais commun, aujourd’hui détruit, ridiculisé et spolié de toutes parts.
De la sorte, en cas de menace armée, c’est cette adhésion nationale à la guerre dite totale et la farouche détermination de sauvegarder les valeurs communes qui vont guider les militaires à l’action de soumettre l’ennemi à notre volonté dans ce que l’on peut qualifier, pour le cas du Congo, de ‘guerre totale’. Une forme de conflit qui, selon le Général allemand Ludendorff se référant à la Grande Guerre (1914-18) dans son ouvrage « La Guerre totale », doit entraîner la subordination et l’adhésion de toute la société au service de la guerre. Il s’agit de créer ce qu’il nomme la « cohésion animique » de la nation, où l’armée et le peuple seraient confondus.
Une armée ne peut se dire nationale lorsqu’elle fait la part belle à une composante régionale ou ethnique en son sein. Le feu général Saint-Cyrien Ilunga Shamanga écrivait à ce propos : « la création d’unités spéciales dépendant directement du président de la république est une autre hérésie des FAZ. Très vite, de spéciales dans leurs attributions, ces unités deviennent spéciales dans leur composition mono-ethnique. C’est l’exclusion qui mène à son corollaire : démobilisation des autres composantes de la nation aux problèmes de défense et amplification des frustrations. Le chef de l’Etat doit être protégé par une garde républicaine pouvant lui survivre parce qu’appartenant aux forces armées régulières qui, elles aussi, appartiennent à la République et non à un individu ».
Le même constat a été relevé à plusieurs reprises à propos des FARDC dans nos précédentes analyses[8] et dans notre ouvrage où nous avons stigmatisé la surreprésentation ethno-régionale des officiers swahilophones.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
[1] Benoît Chantre, Clausewitz. De la guerre. Livre I, Flammarion, Paris, 2014.
[2] Widemann, Th. in Comprendre la guerre – Histoire et notions, Collection Tempus, Paris, 2012 p.14.
[3] Fontrier, Marc ; « Des armées africaines : comment et pour quoi faure ? », CAIRN.INFO, février 2005.
[4] Wondo, JJ., Les Armées au Congo-Kinshasa…, p.353.
[5] Fontrier, marc, op. Cit.
[6] Intraverti, -ie, adjectif qui, selon Kretschmer, voudrait que l’on réservât le nom d’intravertis aux sujets qui se détournent à la fois du dehors et du réel (Mounier, Traité du caractère, 1946p. 371). Ce qui donne une forte connotation au concept d’intraversion pour qualifier un aspect de la nature des différentes armées qui ont évolué en RDC. Ce, à l’opposé de la notion d’introversion qui renvoie à un sujet porté à vivre centré sur soi-même ; ce qui, avec un repliement sur soi plus ou moins important, entraîne à se détourner du monde extérieur, sans forcément se détourner du réel. Ainsi, Nicolas Zay, dans le Dictionnaire-Manuel de Gérontologie sociale, définit l’intraversion comme a) Tendance d’une personne (en principe héréditaire et endogène : traits caractéristiques des différentes armées congolaises) à se retirer du monde extérieur et à intérioriser la libido qui s’invertit sur elle-même ; b) manifestation de cette tendance dans les conduites et les comportements.
[7] I Wondo, JJ., Les Armées au Congo-Kinshasa, p. 53.
[8] http://afridesk.org/exclusif-les-commandants-des-regions-militaires-en-rdc-la-fazation-des-fardc-jean-jacques-wondo/. Ou http://afridesk.org/flash-reforme-de-larmee-kabila-envoie-un-signal-fort-note-de-jean-jacques-wondo/. Ou http://afridesk.org/exclusif-chiffres-tableaux-et-graphiques-de-la-montee-en-puissance-des-fardc-en-question-desc/. http://afridesk.org/decryptage-comment-interpreter-le-jeu-des-chaises-musicales-a-la-tete-des-fardc-jj-wondo/.
3 Comments on “Pourquoi faut-il (re-)créer une armée à vocation nationale en RDC ? – JJ Wondo”
Troll
says:¤FORMATION D´UNE ARMEE NATIONALE, CHOISIR NOTRE « CAMP » ?
Grande question á la quelle l´élite congolaise doit trouver une solution. Dans son ouvrage, mr Wondo cite plusieures fois le cas de la Turquie dont l´institution de la Défense a été non seulement le moteur du progrès social, mais aussi la base même de l´État. ** Ce que la Turquie avait fait un choix important en optant pour un traité de Défense avec l´Occident qui va faire de ce pays un membre de l´OTAN á la fondation de cette organisation.
La RDC devrait se decider á choisir un « camp ». Ce que la doctrine militaire pouvant « uniformiser » la formation de l´armée ne peut venir que d´un « camp » unique afin de ne plus retomber dans le chaos hérité des ex FAZ qui continue de nos jours. Si J Kabila quitte le pouvoir dans deux ans, l´armée de la RDC va hériter d´une melange des « doctrines », car dans les FARDC on retrouve des troupes et des officiers formés par l´Angola, la Tanzanie,l´Afrique du Sud, la Chine, les USA, et la Belgique.
Choisir notre « camp » devient alors une exigeance de base avant la formation d´une armée nationale.
¤LA MISSION
Grâce á l´ex ministre de la Défense (actuellement vice-président du Parlement) Mwando Nsimba, les FARDC ont enfin une « mission » sur laquelle peut se baser la doctrine, les formations, les acquisitions des équipements, la construction des bases et casernes et le format definitif de l´armée. En effet, nous devons saluer la lucidité de mr Mwando Nsimba qui dans son plan fait de la ¤¤protection des frontières nationales¤¤ la mission prioritaire des FARDC* Notons en passant que cette mission sur laquelle devait se baser les formations des troupes et des officiers n´est pas encore visible dans les faits. Ce qu´on ne trouve pas (encore) un programme militaire specifiquement orienté vers la protection des frontières, ni une cooperation militaire qui traite specifiquement du transfert des connaissances et des Technologies visant á assurer la protection des frontières au Congo. (Á suivre**)
KASEREKA MUKAMA
says:Bonnes lectures des armées africaines, malheureusement les autorités congolaises moins encore militaires, ne lisent pas ou même jamais, de fois ellls ne savent pas lire. Et si elles lisent, elles ne veulent pas écouter les experts, j’ai comme impression que dans notre pays les autorités font la chasse aux élites, surtout vous les miltaires, car, poue eux, vous êtes des potentielles menaces contre leur pouvoir. Elles se préoccupent de leur pouvoir plutôt que de l’avenir du grand Congo.
Troll
says:¤¤LE COLONEL JACQUES EBENGA
L´un des ares penseurs militaires congolais, ex medicin militaire des FAZ a laissé un travail de réference respectable par le canal de son ONG » Labor Optimus »**
Les lecteurs peuvent retrouver ce travail sur le site de GRIP et lire » Les organes de Défense et de ´secuités face aux élections á l´Est de la RDC » GRIP juin 2005