Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 02-11-2018 06:45
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Pourquoi faut-il maintenir les sanctions UE contre les collaborateurs de Kabila ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
François Beya (DGM) - Kalev Mutond (ANR) - Olive Lembe et J Kabila à Kindu - 30 juin 2016

Pourquoi faut-il maintenir et élargir les sanctions UE contre les collaborateurs de Joseph Kabila ?

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le 29 mai 2017, le Conseil de l’Union européenne (UE) a adopté des sanctions[1] à l’égard de neuf personnes occupant des postes de responsabilités dans l’administration de l’Etat et dans la chaîne de commandement de l’armée et des forces de sécurité en République démocratique du Congo (RDC), avec effet immédiat. Ces mesures restrictives s’ajoutaient aux sept personnes que l’UE avait déjà sanctionnées le 12 décembre 2016, en réponse aux entraves au processus électoral et aux graves violations des droits de l’homme qui y étaient liées.

Plusieurs personnes sanctionnées avaient contesté la procédure de sanction. Quinze d’entre elles, sauf le chef milice Bakata-Katanga Gédéon Kyungu Mutanda, ont recouru aux services de Maître Thierry Bontinck pour qu’elles soient entendues par le Conseil de l’UE « lorsqu’il y a renouvellement des sanctions »[2].

Cependant, ces personnes incriminées n’ignorent sans doute pas que si elles sont sanctionnées, c’est parce que plusieurs organisations des droits de l’homme et experts congolais dans le secteur de la sécurité et de la politique intérieure ont mené des investigations bien documentées prouvant leur responsabilité dans les actes avérés de violation grave des droits de l’homme, de restrictions de l’espace de libre expression démocratique et des droits fondamentaux consacrés par la Constitution de la RDC.

Dans l’application des mesures de restrictions du droit à la liberté de réunion pacifique ordonnées par les autorités politico-administratives pendant la période considérée, les services de sécurité et les forces de défense ont eu recours à la force de manière injustifiée contre des manifestants pacifiques et de manière disproportionnée dans les cas où certains manifestants étaient violents. L’utilisation illégale de la force a été systématiquement encouragée par le déploiement massif des services de sécurité et des forces de défense, en particulier des militaires des Forces armées de la FARDC aux côtés d’agents de la Police nationale congolaise (PNC), pour dissuader ou réprimer les manifestants[3].

Human Rights Watch a rassemblé des informations montant que pendant les manifestations du 31 décembre, les forces de sécurité congolaises ont encerclés des églises et tiré dans l’enceinte des paroisses, tuant au moins huit personnes et en blessant des dizaines d’autres, dont au moins 27 personnes souffrant de plaies par balle. Les forces de sécurité ont eu recours à des tactiques similaires pendant les manifestations suivantes, le 21 janvier, en déployant des barrages routiers et des forces importantes dans tout Kinshasa et dans d’autres villes Human Rights Watch a aussi rassemblé des informations montrant que des membres des forces de sécurité en tenue civile ont tiré sur des manifestants pacifiques[4].

La situation des droits humains et de la libéralisation de l’espace politique congolais ne cesse de se détériorer en RDC à environ 50 jours des élections provinciales, législatives et présidentielle prévues le 23 décembre 2018. En janvier 2018, le BCNUDH a documenté 103 violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales liées à des restrictions de l’espace démocratique sur l’ensemble du territoire. Ce nombre – qui a plus que doublé en un an (47 violations en janvier 2017), démontre une persistance toujours plus importante des restrictions de l’espace démocratique depuis trois ans. Les principaux auteurs présumés de ces violations restent les agents de la PNC avec pratiquement 50% des violations documentées ce mois-ci, suivis par les militaires des FARDC (30%). Les violations les plus rapportées sont les atteintes au droit à la liberté de réunion pacifique (34 violations) ainsi qu’à la liberté et à la sécurité de la personne (29 violations).

En juillet 2018, le BCNUDH a documenté 515 violations des droits de l’homme en RDC, soit une hausse par rapport aux 458 violations documentées en juin 2018. Plus de 64% des violations documentées par le BCNUDH durant le premier semestre 2018 ont été commises par des agents de l’Etat, qui ont notamment été responsables des exécutions extrajudiciaires d’au moins 202 personnes, dont 24 femmes et deux enfants, sur l’ensemble du territoire de la RDC[5]. Le dernier rapport du BCNUDH, du mois d’août 2018, fait état de l’augmentation générale du nombre de violations des droits de l’homme. Le Bureau conjoint a documenté 620 violations des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire, soit une hausse par rapport à juillet 2018, où il a enregistré 515 violations des droits de l’homme[6].

Si nous encourageons le Conseil de l’Union européenne à maintenir, les sanctions pour le même groupe, voire à les étendre à de nouvelles personnes, c’est parce que, depuis ces mesures ont été prises par l’Union Européenne, aucune action judiciaire crédible, à charge et à décharge, n’a pas été intentée contre ces personnes incriminées. Par ailleurs, les autorités congolaises continuent de maintenir une ligne de politique dure et unilatérale de ne pas accéder aux mesures de décrispation politique prévues par l’Accord de la Saint-Sylvestre adoubé par les dernières résolutions du conseil de sécurité de l’ONU.

Dans une lettre ouverte du 6 septembre 2018, des organisations congolaises, régionales et internationales ont demandé à la délégation de la mission du Conseil de sécurité de l’ONU d’appuyer la création d’un mécanisme national de surveillance et de communication de l’information sur les droits de l’homme. Les violations des droits de l’homme perpétrées par les forces de sécurité et les groupes armés congolais dans l’ensemble du pays – associées à un régime d’impunité et au risque de recrudescence de la violence à grande échelle dans les mois à venir, dans le cadre d’une répression des droits de l’homme dans le contexte de la processus électoral incertain – nécessite une surveillance accrue et dédiée des droits de l’homme et des rapports publics pour aider à prévenir de nouveaux abus et atteindre les objectifs de responsabilité[7].

Le lieutenant général Gabriel Amisi Kuumba « Tango Four » : Chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des Opérations et des Renseignements

Malgré les sanctions qui lui sont reprochées, le général Amisi Tango a été promu au grade de lieutenant-général le 14 juillet 2018 et nommé en même temps au poste de Chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des Opérations et des Renseignements. Ce qui fait de lui le numéro deux de l’armée en termes de commandement. C’est le véritable chef opérationnel de l’armée qui continue à jouer un rôle flou dans les massacres qui se poursuivent à Beni. Peu avant sa nomination, Amisi était le Commandant de la Première Zone de Défense qui couvre la partie occidentale de la RDC. A ce titre, il avait pour mission de coordonner le recrutement et la mise en condition de quelques éléments du M23 qui ont servi notamment aux répressions sanglantes des manifestations organisées par le CLC en décembre 2017 et janvier 2018. Durant la même période et jusqu’à sa récente nomination, le général Amisi a assuré le commandement opérationnel interforce des 41ème, 42ème et 43ème bataillons de l’Unité de réaction rapide (URR) basées à Maluku dans la zone périphérique Est de Kinshasa et des unités des forces de défense principale, aériennes et navales de la Première zone de défense. Ces unités ont activement pris part aux répressions des manifestations du CLC ainsi qu’aux rafles dans les milieux des kulunas.

Avec ses nouvelles fonctions qui renforcent son autorité et ses compétences opérationnelles au sein des FARDC, Gabriel Amisi Kumba reste la cheville ouvrière du dispositif sécuritaire et répressif du régime Kabila, particulièrement en cette période électorale tendue. Depuis sa nomination comme le chef des opérations des FARDC, on note une forte recrudescence des cas de violations des droits de l’homme par l’armée, entre juillet et aout 2018. Amisi reste l’homme sur qui le régime de Kabila repose militairement dans une optique prétorienne du pouvoir. Il continue donc de contribuer de ce fait, en tant que planificateur et chef hiérarchique de toutes les opérations des FARDC, à jouer un rôle de premier plan dans les actes graves de violations des droits de l’homme en RDC.

Enfin, outre son rôle néfaste avéré dans les violations des droits de l’homme, le général Amisi est également cité par plusieurs sources d’être impliqué dans les activités économiques illicites. Le groupe d’experts des Nations unies affirme avoir établi que le général Amisi est propriétaire d’une société qui extrait de l’or a rassemblé des éléments de preuve de l’implication du lieutenant général Gabriel Amisi Kumba dans le secteur de l’or. Le secteur de l’or continue de pâtir de l’absence d’un système de traçabilité[8]. Le Groupe d’experts note qu’en vertu de l’article 27 du code minier de la RDC de 2002, les officiers des FARDC ne sont pas éligibles aux droits d’exploitation ou de commercialisation des ressources naturelles[9]. Ces activités sont également formellement proscrites par la loi n°13/005 du 05 janvier 2013 portant statut du militaire des FARDC. Enfin, plusieurs sources crédibles nous informent que le général Amisi est également soupçonné d’exploitation illicite du bois précieux dans le parc national de la Salonga dans la province de l’Equateur en complicité avec la société chinoise Maniena Union 2. Cette information est également confirmée par RFI[10]. Nos sources citent également le général en retraite Liwanga Mata, l’ancien chef d’état-major général des FARDC, qui travaille avec IFCO (ex Cotrefor), une compagnie des libanais qui exploite illégalement du bois précieux non loin du même parc. Ces deux exploitations mettent en danger la forêt de ce parc national.

Le général d’armée John Numbi Banze : Inspecteur général des FARDC

Resté très actif au Katanga malgré sa suspension, Numbi revient au premier plan militaire en RDC en tant qu’Inspecteur général des FARDC depuis le 14 juillet 2018. Ce retour dans la capitale s’accompagne aussi d’un déplacement vers la capitale des unités ex-rebelles du CNDP rwandophones, cantonnés à Lubumbashi au lieu appelé «  Carrefour », qui étaient sous contrôle en réprimant les manifestations au Katanga. Ces éléments viennent de se reconstituer à Kinshasa en fusionnant avec quelques éléments de la garde républicaine, devenant le « Bataillon Hibou », recyclé et équipé par la GR dans les combats anti guérillas urbaines. Selon des sources militaires, ces unités sont déjà actives dans la capitale et ciblent des personnes jugées hostiles pour le régime. Ils sont équipés de lunettes de vision nocturne (Google), d’AK 200 avec lunettes de tir, kits oreillettes pour communication, gilets pare-balles et jeeps blindées, RPG et grenades. Ils reçoivent une prime spéciale et ne sont pas en contact avec le reste de l’armée.

C’est le major Christian Ngoy, l’assassin de Floribert Chebeya, qui supervise les opérations de ce bataillon. Les récentes attaques des résidences de Lambert Mende et d’Atundu, qui présentent l’air d’un règlement de comptes, ont été menées par les éléments de cette unité, selon une source militaire. Que ce soit avant et même après sa récente nomination, John Numbi Banze a contribué et continue à contribuer dans la planification et la supervision des opérations ciblées et des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC.

En effet, le retour en force de John Numbi au sommet de la hiérarchie militaire est un signal négatif – à caractère belliqueux – que veut lancer Kabila auprès de ses contestataires et de la communauté internationale. Ce come-back marque l’extrême radicalisation militaire du régime de Joseph Kabila. « Le régime est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir et tous ceux qui ont commis des crimes dans le passé reviennent sur le devant de la scène et vont donner de l’aide au régime pour se maintenir au pouvoir »[11]. Selon Clément Boursin, responsable pour l’Afrique d’ACAT-France, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture. Selon le Département du Trésor américain, qui a gelé ses avoirs, John Numbi « a menacé de tuer les candidats de l’opposition qui ne s’étaient pas retirés de la course volontairement ». 

Delphin Kahimbi ou Kayimbi : Sous-chef d’état-major des FARDC chargé des Renseignements

Promu général-major et nommé Sous-chef d’état-major des FARDC chargé des renseignements, Delphin Kahimbi reste l’homme-orchestre des activités des plusieurs milices armées qui écument en Ituri, au Sud-Kivu et au Nord-Kivu. C’est l’homme qui a été chargé par le président Kabila pour recruter des ex-rebelles du M23 en vue de les incorporer dans les unités qui ont pris une part active dans les répressions sanglantes manifestations du CLC de décembre 2017 et janvier 2018. Selon le témoignage recueilli par l’ONG américaine Human Rights Watch auprès d’un combattant du M23 : « De nombreux combattants du M23 ont été déployés pour faire la guerre à ceux qui voulaient menacer le maintien au pouvoir de Kabila » (…) « Nous avons reçu l’ordre de tirer immédiatement à la moindre provocation des civils »[12].

Récemment encore, en août 2018, Kahimbi a supervisé de nouvelles opérations de recrutement des ex-combattants M23 en collaboration avec François Rocogoza et le colonel Esaïe Munyakazi Sengi. François Rocogoza a été le Chef de la délégation du M23 lors des pourparlers de Kampala entre le M23 et les autorités congolaises en 2012 – 2013. Le colonel Esaïe Munyakazi Sengi, ancien rebelle du CNDP qui a rejoint le M23, a dirigé le 83ème bataillon des FARDC. Certains combattants opèrent déjà en toute impunité dans les unités des FARDC au Nord-Kivu[13]. La supervision de ces combattants du M23 recrutés par le général Kahimbi est assurée par le lieutenant-colonel Douglas Kiroko Mberamiheto, basé à Kinshasa. Ce dernier dépend directement du général Kahimbi sans se référer à d’autres structures organiques des FARDC. Il est important de signaler que Douglas Kiroko Mberamiheto a bénéficié de l’amnistie accordée par Joseph Kabila aux rebelles M23 en 2014[14].

Il nous revient d’autres sources militaires au Nord-Kivu que Delphin Kahimbi est en train d’armer des FDLR et les déployer au Virunga. Ces rebelles rwandais sèment la terreur et délogent des populations locales de leurs habitations.

Par ailleurs, Kahimbi joue également le rôle d’officier de liaison entre les présidents Nkurunziza et Kabila. C’est lui qui a armé les miliciens maï-maï Bafulero qui ont attaqué les villages des Banyamulenge dans la localité de Bijombo/territoire d’Uvira/Sud-Kivu le 7 avril 2017. Selon nos sources, les autorités burundaises soupçonnaient que ces Banyamulenge étaient infiltrés par des soldats rwandais et des rebelles tutsis burundais qui se préparaient à attaque le Burundi.

Selon une source des renseignements militaires congolais, Kahimbi a mis en place une structure parallèle des renseignements militaires et des unités spéciales qui échappent au contrôle du chef d’état-major général et qui dépend directement de Kabila. Cette structure mène parfois des opérations militaires à l’insu des structures opérationnelles officielles déployées à l’est de la RDC.

Pour neutraliser des adversaires politiques redoutables contre Joseph Kabila, le général Kahimbi, son équivalent aux renseignements civils, Kalev Mutondo, mais aussi Néhémie Mwilanyi Wilondja, le puissant directeur de cabinet du président Kabila, n’hésitent pas à monter des cabales rocambolesques. C’est le cas de la déclaration de Kahimbi selon laquelle l’opposant Moïse Katumbi Chapwe ainsi que des prêtres catholiques étaient en collusion avec le colonel Tshibangu, actuellement détenu dans une geôle de l’état-major du renseignement militaire (EMRM) des renseignements militaires (ex-Démiap : Détection militaire des activités anti-patrie)[15].

Ilunga Kampete : Commandant de la Garde républicaine (GR)

Le général Gaston-Hughes Ilunga Kampete reste le bras armé et répressif du système prétorien Kabila, principalement à Kinshasa et à Lubumbashi où ses troupes continuent à agir soit directement, soit en se camouflant sous les tenues de la Police. Plusieurs commandants de police nous ont fait savoir leur réprobation de cette intrusion malsaine de la GR au sein de la police. Cela ternit l’image de la police et contrevient aux missions de la police axées sur le maintien et le rétablissement de l’ordre public dans le cadre de la gestion négociée et pacifique de l’espace public entre la police et les organisateurs des manifestations publiques.

Gen Kahimbi, Kalev et She Okitundu en août 2018 chez Kagame

Kalev Mutondo : Directeur général de l’ANR

Le directeur de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Kalev Mutondo est aujourd’hui le deuxième homme fort du régime de Kabila. L’ANR est devenue une sorte de police politique comme étant une structure chargée à la fois du renseignement et de la répression en dehors du respect du cadre légal national et aux fins purement politiques. A l’instar de la Gestapo (1933-1945) sous Hitler ou de la Stasi en République démocratique d’Allemagne, l’une des principales missions de l’ANR est de neutraliser ou d’éliminer toute opposition au régime au en place. Pour ce faire, l’ANR étend ses activités dans l’ensemble du territoire, infiltre toutes les institutions de l’Etat, les entreprises publiques, les organismes internationaux et leurs représentants établis en RDC.

Kalev Mutondo est le stratège qui conçoit et planifie toutes les stratégies répressives du pouvoir à l’encontre des opposants et des personnes qui dénoncent le régime de Kabila, notamment les activistes des mouvements citoyens La Lucha, Les Congolais Debout ou Filimbi. Nous en sommes une des cibles en Belgique et en RDC où l’ANR a instruit plusieurs opérateurs téléphoniques de bloquer ou restreindre l’accès à notre site DESC dans plusieurs endroits de la RDC. Des actes qui violent la liberté d’expression garantie par la Constitution congolaise. Kalev Mutondo, dépendant directement du président Kabila, est l’homme qui bloque toutes les mesures de décrispation politique prévues par l’Accord de la saint-Sylvestre adoubé par les dernières résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unis sur la RDC. L’expert et chercheur belge, Kris Berwouts, a été expulsé et illégalement détenu en RDC, dont dans les cachots de l’ANR, en début octobre 2018 pour des raisons injustifiées à ce jour[16].

Le général de brigade Eric Ruhorimbere : Commandant du secteur opérationnel du Nord-Equateur

Le général Eric Ruhorimbere a pris une part active dans les rébellions qui ont secoué l’est de la RDC depuis 1998. Il a joué un rôle de premier plan en tant que chef des opérations dans les massacres commis au Kasaï pour avoir ordonné à ses troupes de faire usage excessif de la force et d’ordonné des exécutions sommaires commises par ses militaires dans le Grand Kasaï[17]. Ruhorimbere n’est à ce jour nullement inquiété par la justice militaire congolaise. Au contraire, il a été gratifié par le président Kabila qui l’a nommé Commandant du secteur opérationnel Nord-Equateur le 29 mai 2017 et promu au grade de général de brigade le 14 juillet 2018. Une zone jugée comme étant le fief de l’opposant Jean-Pierre Bemba Gombo, récemment invalidé par la Cour constitutionnelle. Ces nominations sont perçues par l’opinion congolaise comme une prime à l’impunité et une incitation à la violence. Depuis son arrivée à dans la zone, on note une recrudescence l’augmentation des actions de répression des populations locales, notamment à Gemena.

Le général Ferdinand Ilunga Luyoyo : Commandant de la LENI PNC

Le général Ilunga Luyoyo a commandé la Légion nationale d’intervention de la police congolaise (LENI), l’ex-Police de réaction rapide, devenue l’unité spéciale anti-émeute au sein de laquelle plusieurs éléments de la garde républicaine ont été incorporés. Ses troupes étaient directement impliquées dans l’usage illégal, injustifié, excessif et disproportionné de la force lors de lors de la gestion des manifestations publiques en RDC de janvier 2017 à janvier 2018, causant notamment la mort du jeune activiste Rossy Mukendi Tshimanga et de Thérèse Deshade Kapangala, une jeune aspirante à la vie religieuse criblée de balles pendant qu’elle tentait de sauver la vie d’une petite fille victime des gaz lacrymogènes lancés par la police. Aucune action judiciaire n’a été intentée contre les supérieurs hiérarchiques responsables de ces actes de répression.

En effet, lors des différentes manifestations organisées par l’opposition ou des organisations de la société civile entre janvier 2017 et janvier 2018. Bien que certaines unités dédiées de la PNC, telles que les Groupes mobiles d’intervention (GMI) ou la Légion nationale d’intervention (LENI), disposaient parfois d’équipements pour le maintien et le rétablissement de l’ordre public appropriés et moins létaux (protections, casques, boucliers, bâtons ainsi que grenades lacrymogènes et canons à eau), le BCNUDH a observé que de nombreux agents des services de sécurité et des forces de défense étaient visiblement toujours équipés uniquement d’armes à feu, et même uniquement de fusils d’assaut, lors de manifestations. Par exemple, le 30 novembre 2017, à Uvira (Sud-Kivu), en voulant disperser un rassemblement par des tirs de sommation, des agents de la PNC ont blessé un manifestant par balle. Ce type d’équipement est incompatible avec les missions de police ou de maintien et rétablissement de l’ordre public car il empêche de fait une réponse graduée face à de potentielles violences. Le BCNUDH a également constaté que dans certains cas, la PNC était également disposée sur des axes des différentes villes équipés d’armes lourdes (lance-roquettes, grenades, etc.)[18].

Général Céléstin Kanyama Cishiku : Directeur général des écoles de formation de la Police nationale

Ancien commissaire de police provincial de Kinshasa, Céléstin Kanyama, responsable d’une grande partie des répressions des manifestations pacifiques à Kinshasa entre janvier 2015 et juillet 2017, est actuellement directeur à la de la Direction générale des écoles et formation. Son rôle direct dans l’Opération Likofi en 2014 reste impuni par la justice congolaise. Lors de cette opération, Kanyama avait personnellement mené des actions et donné des ordres sur la conduite de l’opération, ce qui a entraîné de nombreux abus graves. Les policiers participants ont exécuté sommairement au moins 51 jeunes hommes et adolescents et ont fait disparaitre 33 autres.

Selon une source policière attachée, sa nomination à la tête des écoles de police poursuit une fonction stratégique en ce sens qu’il a pour mission de concevoir des modules de formation axés sur la répression brutale et violente des manifestations, suivant des techniques de guérilla anti-urbaine dans le but de terroriser la population. En septembre 2018, six corps sans vie des jeunes, portant des traces de balles, ont été retrouvés dans le fleuve Congo[19]. Plusieurs sources concordantes accusent les unités spéciales de la police d’en être responsables.

Genéral de brigade Djadjidja : Commandant de la 14ème région militaire à Kinshasa

Ancien commandant du bataillon PM (Police Militaire), le général Djadjidja est nommé depuis le 14 juillet 2018 commandant de la 14ème région militaire correspondant à l’entité territoriale de la ville de Kinshasa. Dans son rôle, il a pour mission de mettre Kinshasa la frondeuse au pas et d’étendre des actions de répression des populations par l’armée qui a sévèrement réprimé les manifestations populaires de janvier 2015, de septembre et décembre 2016, ainsi que les dernières manifestations du CLC de décembre 2017 et janvier 2018 à Kinshasa. C’est sous son commandement que sont menées les opérations répressives des militaires à Kinshasa. Ce général mérite d’être inscrit dans la prochaine liste des sanctions.

Lambert Mende Omalanga : ministre des télécommunications et Médias

Le ministre congolais des Télécommunications et Médias, Lambert Mende Omalanga, réputé pour ses déclarations intempestives et incitatives à la haine et sa restriction de l’espace médiatique public et étatique aux opposants et activistes des droits de l’homme, continue à incarner la ligne dure et répressive du régime de Joseph Kabila. Ses déclarations sont de nature à entraver la mise en œuvre intégrale de l’Accord de la Saint-Sylvestre et les mesures de décrispation politique, essentielle à instaurer un climat apaisé dans le cadre du processus électoral en cours.

Outre ses fonctions de ministre, Lambert Mende est connu pour être le financier d’une milice de son parti le CCU (Convention des Congolais Unis). Un groupe qui sème troubles et désolations dans les conflits intercommunautaires dans le Sankuru[20]. A Lodja comme à Katako Kombe, ces jeunes militants de la CCU attaquent et vandalisent tout sur leur passage tandis qu’ils incendient les maisons de leurs cibles la nuit en toute impunité. Cette milice était et est entièrement financée par Mende via son jeune frère Justin Omokala, selon M. Timothée Tshaombo, ancien chargé de mission de Kabila, actuellement en exil[21]. D’autres sources internes de la CCU rapportent également que ce sont les jeunes de la CCU qui ont tenté de molester l’ancien représentant spécial d’Obama en RDC, Tom Perriello, ou qui se sont pris à deux reprises aux autorités consulaires belges en organisant des manifestations hostiles à la Belgique, encadrées par la police, au moment où toute manifestation publique était strictement interdite.

Evariste Boshab Mabudj-ma-Bilenge

Ancien Vice-Premier ministre congolais et Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité du 7 décembre 2014 au 14 novembre 2016, Boshab reste un faucon du régime de Joseph Kabila. C’est sous sa responsabilité que les conflits du Kasaï ont dégénéré. Il est accusé par plusieurs sources d’être le commanditaire de l’assassinat odieux du chef Kamwina Nsapu.

Un rapport publié le 17 juillet 2018 par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New invite le gouvernement congolais à « enquêter sur l’implication des autorités provinciales et nationales dans le soutien des milices » dans le conflit qui a fait plus de 3 000 morts entre septembre 2016 et juillet 2017 au Kasaï », dans le centre de la RDC. Alors que l’insurrection « était extrêmement brutale, la réponse militaire étroite et disproportionnée du gouvernement a aggravé la crise », note ce rapport.

Selon le GEC, « le conflit au Kasaï a vu de nombreux politiciens – dont Evariste Boshab, Hubert Mbingho, Maker Mwangu et Alex Kande – manœuvrer pour des positions d’intermédiation entre conflits locaux et pouvoir politique national ». M. Boshab était ministre de l’intérieur lors du déclenchement du conflit. Plusieurs sources indiquent qu’il continue d’entretenir des milices locales, notamment parmi les anciens jeunes réfugiés congolais en Angola rapatriés en RDC. Ces miliciens se rivalisent avec d’autres milices locales proches du pouvoir dans une sorte de guerre de leadership intestine au sein de la coalition au pouvoir. Elles se distinguent dans les actes d’intimidation et de violations des droits humains.

Emmanuel Shadary : Candidat du FCC à l’élection présidentielle du 23 décembre 2018

Emmanuel Shadary a été ministre de l’Intérieur lors des massacres du Kasaï. Il a été sanctionné par l’Union Européenne et la Suisse. Il est réputé pour proférer des menaces envers la population et les contestataires du régime contre qui il prône des méthodes de répression musclées. Des agents de l’Etat et affiliés ont participé à l’organisation de la mission qui a coûté la vie à deux experts de l’ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, le 12 mars 2017, selon une enquête minutieuse menée conjointement par RFI et Reuters sur la base d’éléments issus du dossier d’instruction de la justice militaire congolaise, fruit d’une coopération avec l’ONU. A ce jour, ces pièces n’ont jamais été mentionnées ni au cours du procès ouvert en RDC, ni dans le rapport d’un comité d’enquête mis sur pied par les Nations unies[22].

Le choix de Shadary par Kabila pour lui succéder constitue un défi du régime actuel à l’égard des populations congolaises et de la communauté internationale, notamment en termes de respect des droits humains. Il s’agit également d’un signal fort de la continuité du style de gouvernance répressive qui caractérise le régime de Kabila depuis ces trois dernières années. Ramazani Shadary est un faucon et un baroudeur du régime, prêt à tuer et à mourir pour Kabila envers qui il voue une loyauté sans faille.

Les jeunes activistes de Filimbi lors de leur procès

Conclusion

Lever les mesures des sanctions qui pèsent sur Shadary et les personnes citées plus haut serait un signal négatif pour l’UE d’encourager l’impunité en RDC. Aucun élément nouveau à décharge du candidat Shadary ne plaide aujourd’hui en sa faveur. Le régime de Kinshasa dont il co-assume la gestion politique et sécuritaire dans un projet de la continuité de la gouvernance sécuritaire marquée par les graves violations des droits humains, ne fait aucun effort ni manifeste aucun signe d’ouverture pour décrisper l’espace politique en libérant les prisonniers politiques et d’opinion ainsi que des activistes des mouvements citoyens comme Firmin Yangambi, Eugène Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, Franck Diongo[23], Gérard Mulumba Gecoco, Carbone Beni, Grâce Tshiunza, Palmer Kabeya, Mino Bopomi et Cedric Kayembe de Filimbi, ainsi que six militants du mouvement citoyen Les Congolais debout (LCD), etc.

Pour rappel, en juin 2018, les Etats-Unis ont pris de nouvelles sanctions contre des officiels en RDC. Elles frappent plusieurs responsables congolais impliqués dans des faits de corruption en lien avec le processus électoral, selon le département d’Etat américain. Ces responsables, proches de l’entourage du président Kabila, sont désormais interdits d’entrer aux Etats-Unis. Ce 25 octobre, le président américain Donald Trump a déclaré maintenir les sanctions contre la RDC en considérant que « la situation en République démocratique du Congo ou en relation avec celle-ci continue de représenter une menace inhabituelle et extraordinaire pour la politique étrangère des États-Unis. Pour cette raison, l’urgence nationale déclarée dans l’Instruction 13413 du 27 octobre 2006, telle que modifiée par l’Instruction 13671 du 8 juillet 2014, et les mesures adoptées pour faire face à cette situation d’urgence doivent rester en vigueur au-delà du 27 octobre 2018. Par conséquent, je poursuis pendant un an l’urgence nationale en ce qui concerne la situation en République démocratique du Congo ».

Il ne reste plus qu’à l’Union européenne d’emboiter le pas aux Etats-Unis en maintenant, voire élargissant à de nouvelles personnes, le régime des sanctions actuel. C’est de cette manière que l’UE sera solidaire au combat des millions de Congolais qui aspirent à des élections démocratiques apaisées, libres et crédibles.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu/Exclusivité DESC.

Références

[1] Ces sanctions sont : gel des avoirs et interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire de l’UE.

[2] https://www.jeuneafrique.com/535542/politique/rdc-15-proches-de-kabila-sanctionnes-demandent-a-etre-entendus-devant-le-conseil-de-lue/.

[3] https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_-_rapport_sur_le_recours_a_la_force_et_annexes_-_mars_2018_0.pdf

[4] https://www.hrw.org/fr/news/2018/06/29/rd-congo-la-repression-perdure-tandis-que-la-date-limite-fixee-pour-les-elections.

[5] Note du BCNUDH sur les principales tendances des violations des droits de l’homme entre janvier et juin 2018, 18 juillet 2018.

[6] https://afridesk.org/fr/joseph-kabila-et-son-eventuel-maintien-au-pouvoir-un-defi-piege-par-le-processus-electoral-joel-kandolo/.

[7] https://www.amnesty.org/en/documents/afr62/9052/2018/en/.

[8] Lettre datée du 8 août 2017, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo dont le mandat a été reconduit par la résolution 2293 (2016). https://afrique.lalibre.be/7342/rdc-le-groupe-dexperts-de-lonu-epingle-le-general-amisi-pour-exploitation-de-lor/.

[9] https://www.reseau-rafal.org/sites/reseau-rafal.org/files/document/externes/Rapport%20RDC%20ONU%20aout%202017.pdf.

[10] http://www.rfi.fr/afrique/20180811-rdc-general-accuse-exploitation-illegale-bois.

[11] https://www.dw.com/fr/rdc-le-come-back-du-g%C3%A9n%C3%A9ral-john-numbi/a-42211704

[11] https://www.hrw.org/fr/report/2017/12/04/mission-speciale/recrutement-de-rebelles-du-m23-pour-reprimer-les-manifestations.

[13] https://afridesk.org/fr/elections-ou-le-chaos-ce-sera-plutot-la-guerre-pour-kabila-jean-jacques-wondo/.

[14] http://www.nyota.net/2014/04/21/m23-arp-galcd-amnistie-premiere-liste/.

[15] https://www.jeuneafrique.com/553394/politique/rdc-affaire-tshibangu-le-general-delphin-kahimbi-sexplique-et-accuse/.

[16] http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-kris-berwouts-raconte-ses-quatre-jours-aux-mains-des-services-dinsecurite/.

[17] https://afridesk.org/fr/les-massacres-au-kasai-central-desc-interpelle-les-collaborateurs-securitaires-de-kabila/.

[18] https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_-_rapport_sur_le_recours_a_la_force_et_annexes_-_mars_2018_0.pdf

[19] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_enquetes-au-congo-apres-la-mort-mysterieuse-de-plusieurs-jeunes?id=10024210.

[20] http://afridesk.org/fr/le-sankuru-au-bord-dun-conflit-intra-communautaire-devastateur-t-tshaombo/.

[21] http://afridesk.org/fr/le-gouverneur-berthold-ulungu-pourra-t-il-desamorcer-les-velleites-dune-guerre-civile-que-la-milice-de-lambert-mende-seme-au-sankuru-timothee-tshaombo/.

[22] http://www.rfi.fr/afrique/20171220-meurtre-experts-onu-rdc-role-agents-etat-zaida-catalan-michael-sharp.

[23] En décembre 2016, des soldats de la GR étaient déguisés en agents civils pour s’introduire dans la résidence du député Franck Diongo, un opposant au régime de Kabila. Leur tentative de violation de domicile, sans mandat judiciaire, a été repoussée par les partisans de Diongo. En guise de représailles, Franck Diongo a été pratiquement battu à mort par des éléments lourdement armés en de la GR venus en rescousse de leurs collègues, sur ordre direct du général Gaston-Hughes Ilunga Kampete, Commandant de la GR. Il a été incarcéré en violation du droit d’immunité parlementaire et condamné par la Cour suprême de justice à 5 ans de servitude pénale principale pour arrestation et détention arbitraires de trois militaires de la Garde républicaine à son domicile. Mais ces militaires en mission illégale et sans réquisition des autorités judiciaires n’ont jamais été inquiétés outre mesure.

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