Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 11-05-2020 09:05
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Peut-on vraiment mettre fin au « système Kabila » dans sa configuration actuelle ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Une libre opinion de Jean-Jacques Wondo Omanyundu

 

Aujourd’hui, une très grande majorité des Congolais, en commençant par moi-même, veut se débarrasser de Kabila et de son système. Mais très peu d’entre nous ne vont plus loin pour se poser la question sur le système Kabila. Lorsqu’on parle aujourd’hui de libérer le Congo du système Kabila en ne visant que Kabila, s’est-on réellement posé la question sur ce que constitue aujourd’hui le système Kabila ? C’est quoi le système Kabila en 2020 dans le contexte post-électoral de 2018 ?

En sciences sociales, l’approche systémique permet de comprendre les dynamiques interactionnelles entre les différents éléments qui composent un système, rapportées dans un contexte bien précis. D’où l’importance de définir d’abord la notion de système. En cybernétique[1], un système peut être défini comme un ensemble organisé d’éléments en interaction comportant des mécanismes de régulation qui maintiennent un certain équilibre. Ce qui est premier et qui constitue « l’essence », la caractéristique élémentaire des systèmes, ce n’est pas tant les éléments mais les relations qui relient les éléments ou les interactions qui s’effectuent entre ces différents éléments. Ainsi, par exemple, un régime politique est vu comme un système autorégulé, comme le corps humain, comme une classe, comme un groupe. Il est composé d’éléments ou d’organes (les citoyens, la classe politique, la société civile, les institutions étatiques dont l’armée, …) qui sont en constantes interactions les uns avec les autres. L’ensemble du système semble organisé et régi par des règles qui permettent de définir le type de rapports et de comportements qui émergent au sein du système social, lui donnant une certaine identité propre. C’est ici qu’il me parait intéressant de relever les fonctions de chaque composant du système dans cette dynamique globale contextuelle et interactionnelle[2].

Lorsqu’on parle du « système Kabila, il s’agit d’un dispositif politique imposé aux Congolais en vue de poursuivre des objectifs géopolitiques et géostratégiques bien définis. Ces objectifs visent à déposséder les Congolais de la possibilité de décider et d’agir librement en faveur de leur destinée. Le système Kabila dont les apparences semblent évoluer ou muter depuis l’invasion internationale du Zaïre en 1997, continue aujourd’hui à poursuivre les mêmes finalités initiales, à savoir : pillages des ressources naturelles du Congo par des opérateurs internationaux, transnationaux et multinationaux ; maintien du Congo dans un état permanent d’instabilité politique dirigé par des dirigeants illégitimes proclamés par des élections frauduleuses, à tous les niveaux, depuis 2006 jusqu’en 2018 ; maintien du Congo dans une insécurité permanente pour capter ses richesses minières en entretenant une économie de rente par ses voisins, en particulier l’Ouganda et surtout le Rwanda ; infiltration de l’armée et des services de sécurité du Congo par des étrangers au profit des pays précités, etc.

La professeure japonaise Masako Yonekawa avance que le Rwanda, en agissant directement et indirectement sur les acteurs armés locaux et déterritorialisés en RDC, arrive à tirer des dividendes économiques importants pour soutenir ses efforts d’émergence[3]. Cela s’explique par le comportement du président rwandais, Paul Kagame, qui maintient une fixation obsessionnelle de son voisin congolais en adaptant au gré de l’évolution politique de ce colosse aux pieds d’argiles sa stratégie.

Pour revenir au système Kabila, celui-ci était initialement constitué sous forme de l’AFDL que dirigeait le pantin Laurent-Désiré Kabila entre 1997 et 2001. Lorsque ce dernier s’est rendu compte de la supercherie dans laquelle il était entraîné, il a tenté en vain de s’en extirper. Nous connaissons la suite tragique qui lui a été réservée. Puis vint Joseph Kabila I, entre 2001 et 2003, initialement préparé par ses mentors rwandais pour assurer la relève et la continuité du système[4]. Pour donner un premier cadre politique acceptable au système Kabila, la « deuxième guerre du Congo » accoucha de Joseph Kabila II, entre 2003-2006. L’enjeu était de faire revenir subtilement dans la bergerie, les éléments de proxys à la solde du Rwanda et de l’Ouganda pour tenter de maintenir le système en équilibre. Rappelez-vous de la définition du système repris plus haut.

Mais ce n’était pas suffisant car la solution trouvée était plutôt une formule inventée grâce à la facilitation internationale après le dialogue dit « intercongolais ». Un dialogue qui a abouti à l’accord de Sun-City signé le 19 avril 2002, puis à l’Accord global et inclusif de Pretoria, signé le 16 décembre 2002. Cela a permis la mise en place de la formule 1+4, incluant les groupes rebelles, initialement chassés de Kinshasa dans la gestion du Congo. Lesquels groupes occuperont d’ailleurs les secteurs stratégiques de la RDC : L’économie pour le MLC affidé à l’Ouganda et la sécurité pour le RCD-Goma créé par le Rwanda. Il fallait donc légitimer sur le plan interne cette nouvelle mutation du système Kabila au moyen électoral. Cela a donné lieu à Joseph Kabila III, entre 2006 et 2018. Deux cycles électoraux chaotiques (en 2006 et en 2011) vont se défiler pour maintenir le système Kabila, avec en prime un glissement entre 2016 et 2018 pour tenter de prolonger la vie de Joseph Kabila III.

Entretemps, l’éveil politique et patriotique congolais est passé par là. Du fait des difficultés d’importer en RDC des acteurs transnationaux pour occuper les premiers plans de la scène politique congolaise, il fallait cette fois-ci trouver une nouvelle formule de maquillage du système Kabila. La solution a été trouvée dans le deal signé entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi après la parodie électorale de 2018 selon une formule du « vide politique » au sommet de l’Etat, décrit par le professeur Jean Omasombo, où le second règne mais sans gouverner[5]. C’est la formule Joseph Kabila IV. Sur le plan géopolitique, aujourd’hui, sous Félix Tshisekedi, le Rwanda pénètre le Congo plus que sous Joseph Kabila : exploitation du Rwandair en RDC, présence continue des troupes rwandaises en RDC depuis juin 2019 ; pression rwandaise sur Tshisekedi pour une adhésion précipitée de la RDC au sein de l’EAC (East African Commiunity) économiquement rentable au Rwanda[6] ; nomination des ex-officiers de la rébellion du RCD-Goma dans les renseignements militaires de la présidence au sein de la GR, maintien au sein du pouvoir judiciaire de certains hauts magistrats fidèles à Kabila etc.

Parallèlement et de manière antinomique, émerge une certaine opinion, majoritairement sociologique et tribale proche du président Tshisekedi, qui est prête à soutenir les nouveaux leaders de la société civile (activistes des droits humains, pasteurs, professeurs d’université et autres charlatans), presque tous issus de la même base sociologique qu’elle, pour mettre fin au système Kabila. Cependant, cette opinion tribalement fanatique ne prend pas la peine de se poser rationnellement la question de comprendre les éléments qui composent la formule Joseph Kabila IV. Aujourd’hui, le nouveau visage du « système Kabila » est composé de deux sous-systèmes siamois liés par l’accord de coalition FCC et CACH. Comment peut-on démanteler ce système sans causer des dégâts collatéraux majeurs à ses composantes dont les deux noyaux sont intimement liés par un deal ? Tous les analystes sérieux admettent qu’aujourd’hui, Kabila se cache derrière le président Tshisekedi dont la marge de manœuvre reste très faible[7]. Pire encore, le président Tshisekedi semble se complaire dans son deal avec Kabila. Il a d’ailleurs refusé de rompre cette alliance contre la position officielle de ses partisans réunis en séminaire d’évaluation de leur coalition[8]. Pour préserver cette alliance avec Kabila que les mouvements des jeunes activistes comme La Lucha et UNIS (la plateforme de lutte contre la corruption du lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba) dénoncent, le président congolais a publiquement déclaré sur TV5 : « Je ne ferai pas ce travail d’aller fouiner dans le passé »[9].

Malheureusement, aucun de ses partisans, tribalement colorés, qui s’acharnent aujourd’hui sur Joseph Kabila, n’a pipé mot. Ils réagissent seulement lorsque des charlatans sans moralité publique et sans intégrité, qui insultaient hier ceux qui combattaient Kabila, se lèvent pour soi-disant chasser Kabila. Leur amnésie pathologique est telle qu’ils sont incapables de faire une analyse objective des actes posés par le président Tshisekedi en faveur du système Kabila. A son accession au pouvoir, les premiers actes diplomatiques de Félix Tshisekedi, agissant comme un super ministre des Affaires étrangères de Kabila, était de plaider en faveur de la levée des sanctions européennes et américaines contre les anciens collaborateurs de Kabila qui ont martyrisé ses partisans[10]. Il ira même plus loin en nommant dans son état-major particulier de sa maison militaire des généraux qui ont commandité l’incendie mortel du siège de l’UDPS en 2016. C’est le cas du général de brigade Augustin Mamba, le chef d’état-major particulier adjoint du chef de l’Etat[11].

Adoptant une attitude psychopathologique de déni de réalité, ils ne prennent pas la peine de se poser la question sur l’obstination obsessionnelle de leur leader de continuer à copuler politiquement et sans remords avec le sanguinaire Kabila. Pourquoi cette attitude des deux poids, deux mesures ?

Ces nouveaux « Hezbollahs[12] » congolais, qui étalent leur ADN sociologique communautariste, extrémiste et sectaire, ne doivent plus prendre les Congolais pour des cons. J’aimerais voir comment comptent-ils libérer effectivement le Congo de Kabila en épargnant ceux qui en constituent aujourd’hui la base de son système.

Jean-Jacques Wondo Omanyndu

Références

[1] C’est la Science qui étudie les mécanismes de communication et de contrôle dans les machines et chez les êtres vivants. » (N. Wiener).

[2] JJ Wondo, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine, Amazon, 2019, p.57.

[3] Exposé de Masako Yonekawa (Université de Rikkyo – Japon), Caractère défectueux et prolongé des conflits contemporains et processus de pacification en RDC. Colloque du Cercle des Economistes Congolais, Bruxelles, 4 novembre 2017.

[4] JJ Wondo, Joseph Kabila, agent des néolibéraux et cheval de Troie du Rwanda en RDC in Les Congolais rejettent le régime de Kabila (livre collectif), Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, pp.107-166.

[5] https://afrique.lalibre.be/49898/rdc-nous-sommes-face-a-un-vide-politique-selon-le-professeur-omasombo/.

[6] http://afridesk.org/ladhesion-de-la-rdc-dans-leac-les-raisons-dun-agenda-geostrategique-cache-dicte-par-le-rwanda-jj-wondo/.

[7] https://blogs.lse.ac.uk/crp/2020/04/28/the-limits-of-president-tshisekedis-security-strategy-in-the-democratic-republic-of-congo/.

[8] https://www.jeuneafrique.com/mag/889917/politique/rdc-tshisekedi-refuse-de-mettre-fin-aux-alliances-avec-kabila-et-kamerhe/.

[9] https://information.tv5monde.com/afrique/exclusif-felix-tshisekedi-president-de-la-rdc-je-ne-ferai-pas-ce-travail-d-aller-fouiner.

[10] https://www.lesoir.be/207024/article/2019-02-15/rd-congo-tshisekedi-souhaite-la-levee-des-sanctions-de-lue-visant-des-pro-kabila.

[11] http://afridesk.org/special-desc-qui-sont-les-securocrates-qui-encerclent-felix-tshisekedi-jj-wondo/.

[12] Le Hezbollah, parti de Dieu au Liban, est un mouvement politico-militaire qualifié de groupe terroriste par les Etats-Unis. Sa branche politique fait partie de la coalition gouvernementale. Sa branche armée se comporte comme une opposition virulente, extrémiste et ultradogmatique qui n’accepte aucune critique envers ses chefs.

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One Comment “Peut-on vraiment mettre fin au « système Kabila » dans sa configuration actuelle ? – JJ Wondo”

  • Nsalambi

    says:

    Bonjour Mr. JJacques Wondo Omanuyndu, félicitations d’éclaider le peuple congolais sur des sujets très importants et intéressants. De ma part, j’ai Fait une très bonne lecture de vos suggestions. Je vous encourage sur ce chemin de recherche qui n’est pas facile. Bravo et bonne continuation.

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